mercredi 11 juillet 2012


Kyll serrait dans ses bras le crammplac. Celui-ci repartait vers les régions froides. S'il était le maître des terres glacées, sa trop chaude fourrure lui rendait déjà la vie difficile alors que Cotban n'était pas encore arrivé avec toute sa fougue sur les terres de la montagne.
- Tu me reverras au prochain hiver si cela est nécessaire, Kyllstatstat. Je suis déjà resté trop longtemps. La neige a déjà beaucoup fondu.
- Je sais, Stamscoïa. Il est toujours triste de quitter un ami. D'autant plus que je ne sais toujours pas pourquoi je suis venu ici. Ton arrivée m'a fait croire que la réponse allait m'être révélée, mais rien ne se passe comme je le pensais.
- Celui qui n'a pas de nom a demandé mon aide. Je la lui ai accordée. Maintenant, il me faut partir mais Rrling est là.
Rhinaphytia, Nomenjaari et Iarango regardaient les adieux. Avec le recul de la neige, ils avaient réussi à mieux se déplacer. Ils savaient atteindre l'entrée des grottes de machpes de ce côté-ci. Ils avaient envisagé d'aller jusqu'à la ville pour récupérer des provisions et rendre compte de ce qu'il se passait ici. Kyll n'avait pas jugé la démarche prudente et l'avait interdite. Iarango n'avait pas bien compris et se disait qu'il passerait peut-être outre les conseils de Kyll. Il rêvait surtout d'une nourriture un peu plus diversifiée et d'un peu de malch noir. Rhinaphytia lui donna un coup de coude et lui montra Kyll s'éloignant avec le Crammplac vers le col de l'homme mort.
- Il ferait mieux de ne pas passer par le col. Sinon, il va être vu des hommes de la ville et surtout des guerriers blancs.
- Je ne crois pas que Stamscoïa fasse cette erreur. Il est toujours passé par les bois et les barres rocheuses.
Kyll se retourna vers ses compagnons et leur fit un signe qui voulait dire qu'il allait revenir.
- Bon voilà qu'il lui fait un bout de conduite, dit Nomenjaari. Je crois que je peux laisser tomber les préparatifs du rite, il ne le fera pas tout de suite.

Les deux amis marchaient lentement en montant vers la crête. Kyll avait pensé accompagner son compagnon défenseur jusqu'au pied de la falaise. Bientôt, ils sortirent du bois. Devant eux, la prairie était encore enneigée, mais déjà les touffes d'herbes jaunies les plus hautes apparaissaient. Kyll ne fut pas surpris de voir une meute de loups noirs. La grande louve au regard de feu s'avança. Kyll n'entendit pas de son mais comprit la salutation qu'ils échangeaient. Ayant ainsi agi, elle et les siens repartirent en forêt. Le Crammplac les regarda un moment. Qaund le dernier loup eut disparu dans les bois, il donna un dernier petit coup de tête amical à Kyll et entreprit de gravir la falaise rocheuse. Kyll contempla toujours avec autant d'étonnement Stamscoïa en action. Déjà celui-ci atteignait la première plateforme. Il tourna la tête, fit un geste de la patte et d'un dernier coup de rein se hissa sur la prairie d'au-dessus.
Ce fut un chambardement. Il y eut des cris, des bruits de course, de sabots tapant sur des roches. Un clach apparut, courut quelques foulées en l'air comme s'il volait puis se mit à tomber. Kyll se jeta en arrière vers la falaise pour ne pas prendre le clach sur la tête. Il n'atteignit pas le sol. Une ombre immense semblant surgir de nulle part venait de le recouvrir. Ce que vit Kyll, le laissa sans voix.
C'est comme un rocher qui volait. C'était gros, noir, anguleux. En entendant le claquement d'une mâchoire, son esprit comprit que la bête qu'il voyait était encore plus grosse que Stamscoïa. Elle tenait sans effort un clach dans sa gueule, tout en volant. Il n'avait même pas peur, il était trop surpris. Il fit un geste. Aussitôt un œil jaune à la pupille fendue se fixa sur lui. L'énorme bête vint atterrir, presque avec grâce sur la prairie devant lui. Sans le quitter des yeux, elle entreprit de manger le clach. Kyll remarqua la taille des griffes, la longueur des dents. Il pensait avoir vu le maximum avec l'armement du crammplac poilu, mais il devait reconnaître que là, il ne devait pas exister sur terre de crocs plus gros ou de griffes plus acérées. Ces dernières avaient la taille d'une dague. Kyll resta appuyé sur la paroi. Il ne vit pas Stamscoïa regarder par-dessus le rebord, esquisser la grimace qui lui servait de sourire et repartir le cœur léger vers les siens.
- Tu es qui, être debout?
Dans son état de surprise, Kyll ne tiqua même pas d'entendre parler l'assemblage de crocs, de griffes et de carapace qu'il avait devant lui.
- Je suis Kyll.
- Qui est kyll?
- Je suis le maître sorcier de la ville.
- Est-ce pour cela que tes pensées sont claires?
- Je parle aux esprits.
- Je ne suis pas un esprit et pourtant tu me parles.
- Je parle aussi aux animaux. Stamscoïa me comprenait.
- Je ne suis pas un animal et pourtant tu me parles.
- Qui es-tu?
- Moi.
- C'est court pour te désigner.
- Pour le moment, cela me suffit. J'ai rencontré un être debout dont les pensées sont aussi claires que les tiennes. Il m'a dit qu'un jour, je désirerais avoir un nom. Mais pour le moment, je n'en ai pas, je suis moi et cela me suffit.
- Tu es un bon chasseur.
- Oui, j'ai vu le crammplac monter la falaise. Quand les quatre pattes qui broutent paniquent, ils font n'importe quoi. Il n'y a plus qu'à les attraper.
- Tu aimes le clach?
- Qu'est-ce qu'un clach?
- Ce que tu as mangé.
- Ah! Le quatre pattes qui broute avait un nom. C'était un des animaux à qui tu parles?
- Non.
- Je n'ai donc pas mangé ton ami. Tous les quatre pattes qui broutent ont un nom?
- Non, ceux qui sont comme moi, appelle les quatre pattes qui broutent des clachs.
- Alors celui que j'ai mangé n'avait pas de nom?
- Non, c'était juste un clach.
- Je comprends, être debout Kyll.
L'esprit de Kyll s'était remis à penser. « Moi » ne semblait pas vouloir le manger, ni le tuer. Cet être énorme ne se considérait pas comme un animal. Cette grandeur, ses griffes et ses crocs lui évoquaient un souvenir. Il ne se souvenait pas lequel. Cela avait à voir avec le temple. Il fit défiler dans sa mémoire tous les visages en commençant par son vieux maître. Comme un voile qui se déchire, le souvenir revint à sa conscience. Tasmi lui avait décrit « Moi » en lui parlant de l'esprit du Dieu Dragon. Manifestement, il n'avait pas un esprit en face de lui. « Moi » était un dragon en chair et en os, ou plutôt en griffes et en crocs.
- Es-tu un dragon? demanda Kyll.
- Oui, je le suis.
- Veux-tu que je te donne un nom?
- Non, être debout Kyll. Je ne le désire pas. Pour le moment je suis Moi et cela me suffit.
Le dragon détourna la tête, comme s'il avait entendu quelque chose. De deux puissants coups d'aile, il prit son envol. Kyll en fut plaqué contre la falaise. Le temps qu'il rouvre les yeux qu'il avait fermés sous la force du souffle, et qu'il se redresse, plus rien ne laissait penser qu'il avait vu un dragon. La neige devant lui était toute piétinée mais un troupeau de clachs aurait fait la même chose. Il pensa qu'il vivait des choses curieuses. Il regardait le ciel tout en avançant vers la grotte de la médiation. C'est pourquoi il ne les vit pas, les loups gris. Quand il s'en aperçut, il était cerné et au milieu de la partie dégagée. Prudents les loups n'avaient pas attaqué tout de suite, ils l'avaient d'abord entouré. La peur lui tordit les boyaux. Stamscoïa était loin maintenant et la grotte lui semblait hors de portée. Il n'avait que le bâton qu'il avait coupé pour s'aider à marcher. Il le prit à deux mains tout en tournant sur lui-même en se demandant d'où viendrait le premier assaut. Son cœur battait à tout rompre. Le temps semblait arrêté.
Les loups ne comprirent que trop tard l'origine de vent qui venait de se lever. Le dragon en avait écrasé deux et égorgé un troisième. Les autres préférèrent fuir que d'affronter un tel ennemi.
- Quand on a aussi peu de griffes que toi, la distraction peut coûter cher, être debout Kyll.
Le dragon avala le loup qu'il venait d'occire. Kyll regardait autour de lui sans comprendre. Il se voyait mourrir et tout était fini. Il y avait un côté irréel à la situation.
- Je n'aime pas cette chair. Elle n'a pas bon goût. Je préfère le clach.
- Merci de ton aide, dit Kyll
- Je ne t'ai pas aidé. J'avais encore une question à te poser.
- Parle, je t'écoute.
- Tu es curieux, être debout Kyll. Tu nommes les choses mais tu ne sais pas te défendre. Comment nommes-tu ces choses aigres que je mange.
- Des loups. Est-ce ta question?
- Non, mais tu me donnes envie de savoir le nom des choses. Peut-être me donneras-tu envie d'avoir un nom.
Kyll ne répondit rien. Le dragon mâchouillait le deuxième loup.
- Non, vraiment, je n'aime pas le goût des loups. Ils pourraient faire un effort pour avoir meilleur goût.
- Connais-tu le goût que tu as?
- Non.
- Eux, non plus.
- Ce que tu dis est vrai, être debout Kyll. Ton savoir est grand !
- Quelle est ta question?
- Tu sembles bien pressé, être debout Kyll. Les questions viennent en leur temps.
Le dragon tourna la tête vers les bois.
- Tes amis sont là. Je les sens derrière les arbres.
Kyll regarda vers la lisière de la forêt. Il ne vit rien.
- Je reviendrai te voir. Tout n'est pas dit entre nous. Garde ce bâton. Il sera notre relais.
Kyll se retrouva assis par terre quand le grand saurien décolla. Il était à peine parti, que Kyll vit ses amis sortir du bois, qui avec une massue, qui avec un couteau, qui avec une épée.
- Qu'est-ce que c'était? demanda Nomenjaari
- Je n'avais jamais vu cela! c'est énorme! déclara Rhinaphytia.
- Tu n'as rien? s'inquiéta Iaryango.
Kyll se releva, regarda le point noir qui s'éloignait dans le ciel.
- C'est un dragon. Un vrai dragon, pas un esprit. Tasmi m'a communiqué sa vision de l'esprit du Dieu Dragon. Je ne pensais pas rencontrer un tel être. S'il revient, et il reviendra n'essayez pas de vous battre, je pense que nous ne risquons rien.
En silence les quatre amis se dirigèrent vers la grotte de la médiation.

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