vendredi 15 mai 2015

EPILOGUE
- Tiens-toi tranquille, Smil, sinon j’arrête mon récit.
Le jeune prince-dragon fit un effort pour cesser ses acrobaties. Il adorait entendre la légende du premier couple de la nouvelle ère des dragons. Il rêvait d’être comme Lyanne, grand et fort, héros de multiples aventures.
Sa mère souriait de toute sa tendresse à ses impatiences juvéniles. Elle se rappelait ses propres rêveries. Elle y jouait le rôle de F(l)ammemoaï. Elle se répétait sans cesse cette partie du récit. Espérant elle aussi, découvrir l’amour comme sa glorieuse ancêtre l’avait rencontré à la sortie de la grotte mémoire.
Quand elle avait fait Shanga, à la fin de son adolescence. Elle avait fait le voyage aux grottes comme le voulait la tradition. Sa sortie n’avait pas été aussi romantique mais c’est là dans la bousculade qu’elle avait rencontré ce beau prince-dragon aux écailles bleues qui avait fait battre ses cœurs aussi fort que ceux de F(l)ammemoaï quand elle avait vu Lyanne dans la lumière du matin.
Bien sûr le monde n’était plus aussi sauvage que lors de la naissance de Lyanne. Les rois-dragons avaient mis bon ordre. La paix régnait dans les royaumes.
Smil était pourtant sa grande aventure. Sa naissance avait étonné le monde. Jusque-là les reines-dragons engendraient des dragons qui devaient trouver l’humain avec qui faire Shanga. Elle était la première à avoir engendré Smil, enfant-dragon dès sa naissance. Tout s’était pourtant passé comme d’habitude. Elle avait couvé l’œuf avec beaucoup d’attention sous le regard ému de son compagnon bleu. Le marabout du palais avait surveillé aussi. Toutes les conditions semblaient réunies pour que la petite dernière de la lignée de F(l)ammemoaï donne un jeune et vigoureux dragon pour assurer la descendance.
Et puis… Smil était arrivé. Ses écailles aux couleurs changeantes avaient fait pousser des cris d’admiration. L’impensable était alors arrivé. À la place d’un juvénile aux cris rauques réclamant son repas, était apparu un poupon rose et fragile pleurant de faim.
Depuis la jeune reine-dragon aux écailles scintillantes était devenue célèbre autant que son fils. Les autres couples royaux venaient admirer cette merveille, Smil fils de Blyan le bleu et de Menoaï la scintillante.
Le Dieu Dragon avait fait un grand cadeau à son peuple. Une nouvelle histoire pourrait s’écrire.

samedi 9 mai 2015

Moayanne sentait les muscles de Maflosmia jouer librement sous sa fourrure. C’était une expérience extraordinaire que de chevaucher un être de cette puissance et de cette douceur. Lyanne n’avait même pas eu besoin d’insister pour qu’elle accepte ce mode de transport jusqu’à l’abri dans les collines où se trouvait la Porte. Quand elle était dragon, Moayanne sentait sa puissance et la voyait dans les yeux de ceux qui la regardaient. Presque allongée sur le dos de Maflosmia, lovée entre les deux masses musculaires de son dos, Moayanne goûtait la sensation. Lyanne lui avait expliqué que c’était un honneur pour sa harde de les transporter.
La nuit était encore jeune quand les crammplacs s’arrêtèrent. Moayanne avait senti le bonheur tranquille de Malfosmia. Pendant tout le trajet, elle avait sondé l’esprit de la grande crammplac. Elle avait ressenti des ressemblances entre elles deux. Dernière de sa portée, elle était finalement devenue la dominante et la reine de toutes les hardes de la région. Elle avait rencontré un beau mâle alors qu’elle cherchait à prendre son indépendance de sa harde d’origine. Leur combat amoureux avait été épique. Il se racontait comme on raconte une épopée. Aucun des deux ne voulait céder, refusant de se plier à la coutume. Épuisés mais invaincus, Malfosmia et son compagnon avaient trouvé un équilibre entre eux.
Moayanne se laissa glisser quittant avec regret le doux contact de la fourrure. Elle remercia Malfosmia pour la qualité de sa course.
- “ Que ta harde soit ta fierté !”
- Que tes jours soient prospères, Malfosmia et ton chemin tranquille.
Lyanne et Moayanne s’éloignèrent entourés du ronronnement si particulier des crammplacs poilus.
- Rares sont ceux qui l’ont entendu, dit Lyanne à Moayanne. Tu entendras plus de récits de combats que de récits de douceur à leur propos. Cela commence à changer. Les groupes mixtes y sont pour beaucoup. Ton esprit est déjà ailleurs, ton oreille est inattentive.
Moayanne sursauta et se tourna vers Lyanne :
- Je pense à ce qui m’attend. En gravissant le Frémiladur, j’étais sans attente. J’accompagnais celui qui allait devenir roi. Faire Shanga m’a surprise. Ici, je sais que tu me conduis à la Porte des commencements.
- Changer nous inquiète et nous remplis d’espérance. Ce qui t’attend est qui tu es, simplement. Moins tu résisteras à ta vérité, plus grande seras-tu.
La neige craquait sous leurs pas. Cette sensation était nouvelle et étrange pour Moayanne, comme l’avait été la rencontre avec les crammplacs. Elle pensa tout haut :
- Ce pays me réserve bien des surprises !
Cette remarque fit rire Lyanne :
- Le monde est plein de surprises. Regarde, nous arrivons.
Ils s’engagèrent sous un auvent de pierre. La neige ne s’y était pas déposée.
- Sens-tu la présence ?
- Oui, répondit Moayanne dans un souffle. Elle m’attend.
Moayanne s’arrêta, ferma les yeux un moment. Quand elle les ouvrit à nouveau, elle regarda Lyanne :
- C’est elle ! La présence qui était dans le gouffre de Vorjiak. Tu l’as appelée : l’ombre de l’ombre du Dieu- dragon.
- Ta sensibilité est grande, jeune reine.
Lyanne la conduisit jusqu’à une ouverture à côté d’une pierre plate.
- Va, deviens qui tu es et tu auras le savoir. Les réponses t’attendent.
Moayanne prit la main de Lyanne, la serra fort :
- À bientôt, roi-dragon, lui dit-elle avant de se laisser glisser dans le tunnel qui s’ouvrait à ses pieds.
- Je serai devant le porche à t’attendre, cria Lyanne en la voyant disparaître.
Moayanne glissa sur une roche lisse au grain fin. Cela lui sembla long. La lumière des étoiles avait disparu. Le sentiment d’une présence devenait plus prégnant.
Sa glissade s’arrêta sur un lit de sable. Elle se releva, épousseta sa robe. Son diadème luisait d’une lueur blanche. Elle sentait une présence sans la situer vraiment, comme si elle en était entourée. Elle eut envie de sourire. Un sentiment de joie rayonnait autour d’elle, la toucha, la caressant, s’infiltrant en elle, éveillant un désir…
Elle devint dragon blanc aux écailles scintillantes. Seule la marque noire faite par Cappochi zébrait sa robe. Ses yeux virent alors la présence. Elle reconnut l’ombre de l’ombre du Dieu-dragon.
- “Bien venue es-tu, blanche espérance du peuple des dragons.”
L’ombre de l’ombre du Dieu-dragon bougeait sans cesse, décrivant des arabesques que l’œil peinait à suivre. Moayanne évoqua les danses compliquées qui hantaient ses rêves depuis si longtemps.
- “La joie est mienne ! Écoute !”
Moayanne fut percutée, emplie, bouleversée par un éclat de rire multicolore.
- “Écoute le rire du Dieu Dragon !”
Autour d’elle, les parois de pierre semblaient avoir disparu. Des milliers de dragons emplissaient la terre. Des milliers d’images, de vies affluèrent vers elle. En un instant, en une éternité, elle sut l’histoire de tous ces dragons.
Sans en avoir conscience, comme hypnotisée par ce qu’elle vivait, elle avança dans les grottes, entourée de l’ombre de l’ombre du Dieu-dragon. Elle apprit comment naquirent les clans et les peuples, comment vinrent au monde et disparurent tant et tant de civilisations.
Dans un éclatement d’aveuglante lumière, elle vit naître l’oiseau de feu et comment il fut appelé l’oiseau aux plumes d’or. Elle côtoya Stien et la reine son ancêtre. Elle vécut leurs luttes et leurs victoires. Elle fut dans le maelström de lumière quand disparut le chambellan. Elle y reconnut déjà la présence de l’être immonde qui avait pris possession de Cappochi.
Avançant encore, ne sachant plus si elle marchait sur deux pieds ou si elle glissait dans l’air comme le font les dragons, elle découvrit Tracmal qui fonda la Blanche et l’histoire du rouge-dragon qui l’avait conduite ici. Elle reconnut tout au long de son périple la présence d’une flamme parfois vacillante mais toujours présente, petite bougie dans les ténèbres qui toujours rallumait le feu. Elle sentit en elle ce feu et au cœur même de ce feu, elle revit la flamme, blanche et ondoyante.
Moayanne sentit les battements de son cœur, de ses cœurs accélérer. Elle se sentit là, petite fille espérance, toujours poussant son père vers un avenir à conquérir. Elle se sentit oiseau aux plumes d’or espérant la rencontre dans la cour de la noire citadelle puis espérant encore de roi en roi, espérant Moayanne.
Elle sentit tout cela et elle sentit le passage qui s’ouvrait devant elle. Elle allait finir Shanga ici, dans ces grottes. Elle serait définitivement et pour toujours reine-dragon.
Elle eut peur.
Elle allait perdre son enfance, ses rêves pour cet avenir inconnu. Bien sûr, elle aurait la puissance. Bien sûr, elle aurait la gloire. Mais que valait tout cela face au regard de l’enfant qu’elle avait été. Elle repensa à sa mère, à son calvaire sur la fin de sa vie quand la maladie l’épuisait de souffrances. Elle s’était juré de garder ce souvenir à jamais. Elle se revit courant dans les allées du palais. Elle revit ses pleurs, de peine ou de rage quand trop petite fille elle ne pouvait lutter. Un dragon pourrait-il venger l’enfant ?
L’image de Lyanne lui vint à l’esprit. Le grand dragon rouge avait mené ses combats avec une grande économie de moyen et de vie. Il avait risqué beaucoup pour lui venir en aide. Enfin, elle le pensait. Sans lui, rien ne serait arrivé. Elle en était maintenant persuadée. Était-il maître du destin ?
Si elle passait cette épreuve, qui serait-elle ?
L’ombre de l’ombre du Dieu-dragon avait cessé de vibrer de joie. Elle sentit l’incompréhension qui l’habitait.
Elle fut oiseau aux plumes d’or. Elle redécouvrit son attente et sa déception sans cesse renouvelées de ne pas trouver l’être avec qui faire Shanga. Elle revit ses combats et ses espoirs déçus de toujours combattre. Elle sentit la chaleur de la lave qui la régénérait à chaque fois et la jubilation intense, jouissive quand elle avait fait Shanga avec cette jeune humaine. Elle comprit le rôle des hommes-oiseaux venus des lointains mondes blancs, venus de ce monde où Lyanne l’avait conduite.
Elle entrevit le plan du Dieu-Dragon par-delà les âges pour que renaisse le monde des dragons.
Alors elle s’assit.
Alors elle se posa.
L’enfant princesse regarda l’oiseau étendard.
Les yeux dans les yeux, ils firent silence. Le monde autour d’eux sembla communier dans ce silence absolu, comme si le temps était suspendu.
Lentement, doucement, comme un bateau qui s’en va, Moayanne comprit que le passé était le passé et que son avenir n’y était pas. Elle ne perdait rien. Tout était en elle. Elle gagnait tout ce qui était dans cet autre elle. Alors les deux “elles” pourraient écrire le présent de leur avenir.
La réalité advint. Moayanne fut le dragon et le dragon fut Moayanne.
Comme deux racines qui s'emmêlent pour ne former qu’un seul tronc, il n’y eut plus que F(l)ammemoaï. Sa gorge de dragon se délecta de ce nom, son nom. Sa gorge humaine hésitait entre les différentes prononciations.
La jubilation de l’ombre de l’ombre du Dieu-dragon atteignit un paroxysme quand elle se leva. Un nouveau grand être était là.
- “Le monde peut jubiler ! Va, F(l)ammemoaï, vivante espérance de ton peuple ! Sois la vie !”
F(l)ammemoaï reprit sa marche. Elle suivit les sinuosités de la paroi, mettant ses griffes là où Lyanne avait mis les siennes. Elle suivit les sinuosités des lignes du temps. Fines comme des cheveux, elles oscillaient au gré des évènements. Elle en vit les fleurs et les fruits.
C’est ainsi qu’elle arriva dans la grande grotte. Elle y entendit l’écho des mille voix des mille dragons qui avaient été roi avant elle. Elle en eut le cœur rempli de joie. Elle était chez elle parmi les siens.
Maîtresse de son destin, F(l)ammemoaï s’avança au milieu de la grotte. La lumière vint habiter ses écailles, irradiant tout autour d’elle une aura d’un blanc doré, à peine souligné de la ligne noire que lui avait faite Cappochi.
Dans cette robe de lumière qui jamais ne la quitterait, elle prit le chemin de son avenir. Elle s’avança sous le porche. Le soleil se levait sur le monde extérieur.
Blanche dragonne irradiant de sa lumière, dispersant les ombres du porche elle apparut aux yeux de ceux qui l’attendaient.
Ces yeux d’or reçurent l’image que jamais elle n’oublierait : celle d’un grand dragon rouge brillant dans les premiers rayons du soleil du Pays Blanc.
Quand se croisèrent leurs regards, la vérité s’imposa à eux.

samedi 2 mai 2015

Lyanne avait un peu ralenti pour laisser Moayanne le rejoindre.
- Où allons-nous ? demanda-t-elle
- Avant de commencer une nouvelle vie, il est bon de se connaître entièrement. Nous allons là où cela va arriver.
- Mais Savalli et les autres, que vont-ils dire ?
- Mais, ils diront ce qu’ils veulent… Tu es reine et ils obéiront, répondit Lyanne dans un grand rire.
Il se laissa planer au-dessus d’une forêt, attendant que Moayanne se positionne sur son flanc légèrement en retrait.
- Je t’ai parlé des Montagnes Changeantes, jeune reine. Nous allons y passer à nouveau.
- Qu’est-ce ?
- Dans mon pays, cela désigne une région. La vérité est plus vaste. Le monde entier est parcouru par des chemins venant des Montagnes changeantes. Regarde autour de toi. Cherche ce qui est autre.
Les deux dragons volaient vers le soleil, indifférents aux mouvements d’étonnement ou de panique qu’ils déclenchaient en dessous d’eux.
- Que dois-je voir ? demanda Moayanne. Tout semble normal.
- Regarde mieux, jeune reine, regarde mieux. Nous avons déjà passé plusieurs portes. Ah ! En voici une plus facile à voir. Regarde le canyon en dessous.
- Les falaises en sont hautes et escarpées, mais que faut-il voir ?
- Viens !
Lyanne replia ses ailes, n’en laissant dépasser qu’une infime surface. Sa vitesse devint terrifiante. Moayanne décida de le suivre. S’il pouvait le faire, alors elle devait aussi pouvoir. Le vent devint dur contre ses yeux au fur et à mesure qu’elle accélérait. Elle sentit ses paupières protectrices venir devant ses yeux. Elle vit Lyanne prendre une autre direction. Elle s’interrogea un instant sur ce qu’il avait fait. La vérité s’imposa dans son esprit. Ses ailes ! Il ne les avait pas complètement repliées… Elle fit de même et s’aperçut qu’en déplaçant un petit morceau de son aile droite, elle virait. Elle s’exerça tout en suivant le grand dragon rouge, qui allait bientôt survoler le canyon. Elle le rattrapait. Cela la mit en joie. Elle eut envie de lui envoyer une petite langue de feu pour le taquiner. Comme s’il avait deviné, le grand dragon rouge avait fait un brutal écart. Elle le vit remonter presque à la verticale et étendre ses ailes. Ce fut douloureux pour elle de le suivre. Elle y parvint juste avant qu’il ne rentre dans la faille entre les falaises.
- C’est bien, jeune reine. Tu apprends vite !
Moayanne sentit comme une moquerie dans le ton de son compagnon de vol.
- Nulle moquerie dans mes pensées, jeune reine… Juste la joie de voir comme tu progresses ! Maintenant regarde là-bas devant toi ! Vois-tu les deux grands arbres droits comme des piliers ?
Moayanne porta son regard au loin. Elle voyait ce que lui montrait Lyanne. Les deux arbres étaient droits comme des “i” avec une touffe de verdure en haut. Tout cela semblait banal et pourtant, elle ne parvenait pas à détacher son regard de cet endroit.
- Bien, jeune reine ! Tu commences à comprendre. Suis sans crainte !
Lyanne sans même ralentir passa entre les deux arbres. Si la logique voulait qu’il s’écrase contre la paroi toute proche, sa disparition ne surprit pas Moayanne. C’étaient des arbres-porte. Elle l’avait senti. Sans plus ralentir, elle passa la ligne des deux arbres et le monde s’obscurcit brutalement. Elle se retrouva survolant des collines noires et blanches. Seule la tache rouge de Lyanne se détachait au fond. Elle se mit à battre des ailes plus vite pour le rattraper.
- Est-ce ici, les Montagnes Changeantes ?
- Nous sommes en effet dans leurs mondes. Les êtres qui vivent ici sont monstrueux. Reste attentive. Le mal y existe.
Tout en suivant Lyanne, elle regarda en bas. Des ombres les suivaient à terre, se glissant de blocs noirs en blocs noirs.
- Tu as raison, jeune reine. Si nous descendions, nous serions obligés de nous battre. Aujourd’hui, nous resterons en haut. Regarde au loin, la chaîne de montagnes. Vois-tu la sombre marque ?
Moayanne scruta l’horizon pour repérer la faille dans la roche. Ils s’en rapprochèrent. Elle était immense et sombre. En pénétrant en son sein, Moayanne se mit à penser aux moineaux qui parfois s’égaraient dans les couloirs du château. Elle se sentit semblable à eux.
Et tout devint noir.
Le manque de lumière ne la gêna pas longtemps. Bientôt, Les parois s’écartèrent. Moayanne tendit son esprit vers celui de Lyanne. Il devait avoir baissé ses défenses morales car elle ressentit sa puissance. Elle en fut réconfortée.
Le dragon au regard d’or, lisait la nuit et les vents. Moayanne le suivait, s’imprégnant de ce qu’il ressentait. Bientôt, un malaise la pénétra comme elle pénétrait en Lyanne. Des présences inamicales hantaient ces lieux.
- Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
- Dans le sombre gouffre de Vorjiak.
Moayanne frissonna en découvrant les ombres qui hantaient ses lieux.
- Ressens-tu la peur ? demanda Lyanne.
- Les voir me révulse, répondit Moayanne.
Autour d’eux des formes aux contours improbables s’agitaient et se convulsaient. Lyanne et Moayanne devaient se contorsionner parfois pour passer sans les toucher.
- L’idée de leur contact me répugne, souffla Moayanne en évitant un méandre pâle et luminescent.
- Mon instinct me souffle la même chose, répliqua Lyanne.
Leur vol était difficile. Les changements de direction et de rythme incessants fatiguaient les ailes. Arrivés à une fourche, Lyanne choisit la branche la plus étroite. Moayanne poussa un petit cri en voyant devant eux comme un mur laiteux.
- Il est impossible de passer là ! dit-elle.
Lyanne n’eut pas le temps de répondre qu’ils furent enveloppés par cette présence.
- “Ainsi, tu reviens ici, sinueux roi-dragon… et accompagné qui plus est.”
Un instant passa, des tourbillons blancs se déplaçaient autour d’eux, les obligeant au vol stationnaire.
- “Qui es-tu, jeune reine-dragon ? Ton diadème ne m’est pas inconnu !”
Moayanne entendait la voix en elle sans pouvoir détecter une forme qui l’émettait.
- Je suis fille de roi, descendante de la reine qui reçut le premier oiseau de feu.
- “Sais-tu ton nom, ton vrai nom ?”
Moayanne connut un moment de panique. Elle s’appelait Moayanne, simplement.
- “NON !” rugit la voix.
Lyanne intervint.
- Toi qui es l’ombre de l’ombre du Dieu dragon et qui gardes ce lieu, explique !
- “Ce nom est le nom des humains pour un humain. Elle est reine dragon et son nom dans la langue sacré des dragons est autre. Le connaît-elle ? Le connais-tu ?”
Moayanne comprit que la dernière question était pour elle.
- J’ai suivi le rouge dragon pour le chercher. Je suis venue libre et libre je repartirai.
La forme se mit à vibrer. Les deux dragons sentirent comme un bourdonnement profond les remuant jusqu’au cœur.
- “Joie en moi… Tu es bien celle qui s’est liée à l’oiseau de feu, librement devenue reine-dragon et qui a déjà vaincu… Va, ton nom t’attend et plus encore !”
Un espace se libéra devant eux. Lyanne s’y glissa. Il le regarda s’agrandir devenant comme une arche. Moayanne y passa, blanche silhouette reflétant tout un arc-en-ciel. Lyanne remarqua alors toutes ces petites explosions de couleur au sein même de l’ombre de l’ombre du Dieu dragon. Cela le fit sourire. Comme à son premier passage, la forme chantait et rayonnait de joie.
- “Que la force du Dieu dragon soit avec toi, sinueux roi-dragon du clan Louny.”
- “Que la lumière du Dieu dragon soit en toi, blanche espérance du peuple des dragons.”
Les deux dragons s’éloignèrent dans les méandres sombres de la faille laissant derrière eux, l’étrange présence qui scintillait.
- Qu’a-t-il voulu dire ? demanda Moayanne.
- Le Dieu dragon l’a mis ici comme signe de son emprise sur ce monde. Cet être ou cette ombre nous a reconnus. Nous ne sommes plus loin des grottes des dragons. Ton nom, ton vrai nom, a à voir avec ses paroles.

Ils émergèrent du gouffre de Vorjiak pour découvrir un paysage blanc qui fit pousser des petits cris d’étonnement à Moayanne. Elle, qui ne connaissait de la neige que la fine couche blanche et froide qui parfois saupoudrait ses paysages d’enfance, découvrait une étendue rayonnante dans la lumière du couchant. Si la première fois qu’il était venu par ce chemin, Lyanne avait joué la carte de la discrétion, ce soir, il continua son vol au-dessus des vallées qui convergeaient vers la plaine où s’ouvrait le porche de la caverne des dragons.
Son oeil repéra sans peine les longues silhouettes blanches des crammplacs poilus. Il sentit leur appel et décida de se poser. Moayanne le suivit. C’est à l’orée d’une forêt qu’ils rencontrèrent le premier groupe.
Le grand mâle fit soumission devant Lyanne en s’avançant. Moayanne, légèrement en retrait, regardait ces animaux inconnus pour elle. Elle pensa aux féroces prédateurs du désert qui bordait son royaume. Ces animaux à la fourrure blanche en avaient le port royal et donnaient la même impression de puissance.
Derrière le mâle, s’avança la femelle dominante. Elle s’inclina simplement devant Lyanne.
- “Salutations, Oh Roi-dragon. Mon nom est Maflosmia. Je suis celle qui dit pour les hardes d’ici.”
Moayanne ne put retenir sa surprise en entendant la voix de la femelle crammplac dans son esprit. Elle vit la lourde tête aux crocs longs comme son poignard, se tourner vers elle.
- “Saluations, Compagne du Roi-dragon, Je sens ton étonnement.”
Lyanne s’était transformé en homme et Moayanne fit de même. Plus petite que Lyanne, elle se trouva impressionnée par la taille des crammplacs. Maflosmia était tout proche d’elle. Prise d’une brusque envie, Moayanne avança la main. La grande crammplac se laissa faire quand elle lui toucha la tête. Une onde de douceur s’écoula de la paume de Moayanne vers son corps. Elle ne s’attendait pas à un tel contact :
- Je te salue, Maflosmia, reine des groupes de ce lieu. Te rencontrer est un honneur et un plaisir pour moi.
La déclaration de Moayanne fut accueillie avec un ronronnement de plaisir par la femelle dominante et fut repris par le choeur des crammplacs qui entouraient le lieu.
Lyanne regarda cela avec un sourire empli de douceur.
- Wafadar est-il là ? demanda-t-il au bout d’un moment.
- “Ton serviteur est devant le grand porche.”
- Alors envoie un messager lui annoncer ma venue. Je serais près de lui demain matin. La nuit sera belle et claire. Nous irons vers là où commence toute chose.
- “Aurons-nous l’honneur de vous escorter ?” demanda la grande crammplac.
Lyanne jetta un coup d’œil à Moayanne dont le sourire, semblable à celui d’un enfant, en disait long sur son désir.
- Toi qui connais chaque recoin de ton territoire, tu connais l’Entrée.
Une image surgit dans l’esprit de Lyanne. Maflosmia préférait les images qu’elle maîtrisait, aux mots.
- C’est exactement cela.
- “Mon peuple n’a pas oublié comment tu nous as libérés de celui qui voulait nos peaux”
Des images défilaient dans l’esprit de Lyanne. Il regarda vers Moayanne qui semblait voir les mêmes images. Lyanne lui adressa un sourire. Moayanne lui rendit :
- Maflosmia est éloquente dans ce qu’elle montre. Ce fut une époque terrible que celle de ton enfance.
- Depuis j’ai fait Shanga et je suis passé dans les Grottes. Es-tu prête ?
- Il m’est impossible de l’être, mais je suis venue pour cela.
Lyanne allait inviter Moayanne à reprendre la route, quand il la sentit prête à poser une question :
- Oui ? l’invita-t-il.
- La grande crammplac m’a appelée compagne du roi-dragon. Que voulait-elle dire ?
- J’ai quitté mon pays, car je vivais le manque. Ma quête a été longue et tu es venue. J’ai su dès que j’ai vu tes blanches écailles que tu étais celle que je cherchais. Reste l’autre question : suis-je celui que tu cherches ?