lundi 30 décembre 2013

La neige précédait Lyanne. Il avait décollé de Felmazik depuis plusieurs heures. Le vent qui poussait les nuages, le portait vers son but. Il avait choisi une taille assez grande mais pas trop, pour aller vite. Tchavo à son réveil, n'avait rien pu dire de plus que la sensation de danger. Lyanne lui avait demandé la permission d'explorer ce qu'elle ressentait. Posant son front sur celui de la jeune fille, il avait alors ressenti un paysage. Quand il s'était redressé, il avait décrit ce qu'il avait lui ressenti. Cela n'avait rien dit à la Tchaulevêté. Vodcha et son père bougeaient beaucoup. Le pays que décrivait Lyanne pouvait être n'importe où entre ici et la mer. Lyanne avait pensé aux charcs. Il les avait mis à contribution. Pénétrant leurs esprits de proche en proche, il avait exploré leurs souvenirs. La réponse était venue tard dans la nuit. Il avait aussitôt quitté Felmazik. La guérisseuse l'avait vu courir trois pas dans la cour et devenir dragon. C'est sous une forme ramassée qu'il avait quitté la ville pour aller vers les montagnes. Loin de tout, il avait ajusté sa taille. En même temps qu'il volait, il avait contacté les crammplacs et leurs compagnons. Une unité faisait route vers le lieu qu'il leur avait décrit. À sa vitesse actuelle, il lui faudrait une demi-journée. Le groupe mixte était assez loin devant lui pour arriver sur les lieux en même temps que lui.
S'il avait assisté au lever du soleil, cela s'était résumé à un bref rayon qui avait fait briller son œil. Les nuages avaient avalé l'astre, n'en laissant filtrer qu'une lumière blanchâtre. Lyanne monta un peu et s'enfonça dans la couche nuageuse, ne descendant que de temps à autre pour se repérer. Des charcs volaient plus bas. Ils ne pouvaient pas le suivre, mais de groupe en groupe se passaient le relais pour accompagner le « grand être volant rouge » comme ils appelaient le dragon. 
Quand le soleil descendit, il y eut un bref flamboiement rouge à l'horizon habillant la neige qui tombait toujours de couleurs de sang. Lyanne redescendit sous les nuages. Il approchait. Il repéra le groupe mixte qui avançait au grand galop. Il sourit et envoya un message mental aux quatre mains de guerriers et de crammplacs qui couraient en bas. Il vit alors le lac, au loin. Les vents favorables lui avaient permis de voler sans trop se fatiguer. Il sentait ses muscles devenir durs. Un peu de repos lui ferait du bien. Les charcs de la région étaient venus vers lui. Lyanne se mit en vol plané pour les suivre. Ils remontèrent le cours d'une rivière et bientôt ils aperçurent des feux. Lyanne se laissa glisser sans bruit au-dessus. Une troupe assez nombreuse, qu'il estima à au moins une phalange, une phalange et demi campait sur cette espèce de promontoire. Une falaise en protégeait l'accès d'un côté. La forêt ceinturait l'endroit rendant difficile la visibilité vue d'en haut. Lyanne ajusta sa taille à celle des charcs. Moins habitué qu'eux à cette envergure, il découvrit que son vol était assez instable. Néanmoins, il s'approcha de cette forteresse naturelle en survolant la canopée. Toujours guidé par les charcs, il zigzagua entre les branches pour venir se poser sur une branche maîtresse d'un litmel. De là, il observa.
Dans la clairière en dessous de lui, des hommes se disputaient sur la qualité de la nourriture autour d'un feu. Un trépied soutenait une marmite. Un des hommes en avait soulevé le couvercle et exprimait son mécontentement. Celui qui tenait le manche de la grande cuillère lui répondit quelque chose qui fit rigoler tout le groupe assis non loin de là. Lyanne compta deux ou trois mains d'hommes. D'autres feux semblaient organisés de la même manière. Les hommes étaient tous l'arme au côté ou proche d'elle. Pour Lyanne, il fut évident qu'il était face à un groupe issu d'une armée mais en rupture, des déserteurs qui s'organisaient en bande armée pour piller en profitant des guerres entre les grands. De temps à autre, on racontait comment, à d'autres époques, ces troupes sans foi ni loi, se sédentarisaient sur une terre. Leur chef en devenait alors le seigneur.
Pour le moment, vu l'état des uniformes et la taille de la forêt, Lyanne ne pensait pas à cette option. Plus loin de lui, mais plus proche de l'eau, il vit des tentes plus grandes. D'arbre en arbre, il s'en rapprocha sans attirer l'attention. Selon les charcs, il fallait chercher dans cette partie celle dont il leur avait transmis l'image. Il surplombait manifestement le poste de commandement. Un homme à l'uniforme chamarré donnait des ordres. Lyanne se laissa descendre sur une branche plus basse. Il vit les sentinelles.
- … on verra quand le messager reviendra. La gamine a parlé d'un roi. Si elle nous a menti, je la laisserai aux hommes. Ils pourront s'amuser avec.
- La neige qui est arrivée, va compliquer les choses.
- T'inquiète pas, Shrima. Saraya est loin et a d'autres choses à faire. Je connais une petite vallée pas trop loin où nous serons bien pour passer l'hiver, si la neige tient.
Lyanne sentit la colère monter en lui. Vodcha était aux mains de ces soudards. Il examina le reste de la clairière et repéra une tente un peu à l'écart, près de la falaise et surplombant l'eau. Deux gardes l'encadraient. En s'approchant, il repéra l'odeur de la jeune fille. Il la ressentait bouleversée.
Comment la sortir de là ?
Il y eut un petit cri au loin. Lyanne découvrit ses crocs dans un sourire de dragon. Les crammplacs poilus étaient proches. Bientôt, il entra en contact mental avec leur chef. Il lui décrivit ce qu'il voyait. Allant d'arbre en arbre, il fit le tour du promontoire, cherchant et trouvant les sentinelles. La soirée était bien avancée quand il se retrouva près de la tente où il sentait la présence de Vodcha. Par contre, il n'avait pas trouvé de trace de son père ni de leur attelage.
- « Leurs cœurs sont mauvais » dit l'esprit de Scomaïa.
Lyanne entendit la pensée du grand crammplacs.
- « Oui, tu as raison ! Ils s'éloignent du bien. Leurs actes amènent mort et désolation et leurs esprits sont incapables de penser plus loin que l'immédiate satisfaction. »
- « Ils ne méritent pas de vivre, ils n'ont pas d'honneur ! »
- « Je sais, Scomaïa. Notre but est de délivrer la demoiselle. Si la justice est faite en même temps, ce sera bien. Préparez l'attaque. Le sommeil commence à gagner les sentinelles. »
Lyanne se posa derrière l'arbre le plus proche de la tente qu'il surveillait. Il reprit forme humaine. Derrière lui, quelques bruits légers venant de la falaise, l'informèrent qu'un crammplacs grimpait. Lyanne sourit. La neige tombait plus dru, étouffant les bruits.
- « Scomaïa, certains ont le cœur moins noir que les autres, laissez-les vivre. Ils passeront l'épreuve de la vérité ! »
- « Bien, roi-dragon. Nous accomplirons ta volonté. »
Sans bruit, Lyanne avança vers la tente. La sentinelle qui la gardait, somnolait appuyée sur un tronc, le regard tourné vers le camp. L'homme n'eut pas un cri quand le marteau de roi-dragon le mit hors de combat. Le garde ne toucha même pas le sol. Un grand crammplacs l'avait saisi dans sa gueule et l'entraîna. Son cavalier ayant démonté au vol, et les deux épées à la main, arriva vers Lyanne. Par gestes-ordres, le roi-dragon lui donna la marche à suivre. Lui-même pénétra dans la tente. Il vit le geste de terreur d'un corps qui se rétractait le plus loin possible de l'entrée, un bras protégeant la tête. Il s’accroupit :
- Vodcha ! Vodcha !
L'instant d'après une jeune fille lui sautait dans les bras en pleurant :
- Nevt ! J'ai eu si peur...
Lyanne la rassura du mieux qu'il put en lui caressant les cheveux. Il la berça doucement, chantant d'une voix grave une chanson à faire dormir. Il sentit le corps de Vodcha se laisser aller. Il continua son chant jusqu'à ce qu'il soit sûr qu'elle dorme profondément. Il la déposa sur le sol et sortit de la tente. Le guerrier blanc était aux aguets. Lyanne lui fit signe et lui dit :
- Garde-la !
Le marteau à la main, Lyanne s'éloigna. Il ne fut rapidement plus qu'une silhouette indistincte perdue dans la neige qui tombait toujours recouvrant tout. Il se guida aux sons. Vingt crammplacs montés par vingt guerriers étaient plus dangereux que ce semblant d'armée. Quand il arriva sur ce qui devait servir de place de rassemblement, il n'avait vu que des cadavres. Quelques hommes grelottants y avaient été rassemblés par les grands fauves. Un konsyli s'approcha de lui :
- Voilà ceux qui restent. Les autres avaient le cœur trop noir pour être épargnés par Scomaïa et les siens.
Le grand crammplacs arrivait en poussant devant lui un dernier groupe de prisonniers :
- « Roi-dragon, tes ordres ont été exécutés ! Seuls survivent les moins noirs ! »
- « Bien, vous avez fait vite et bien. Que l'un des tiens aille vers la tente où sont Vodcha et la garde. »
Scomaïa fit un mouvement de tête et un autre crammplacs partit en courant vers le bout du promontoire. Lyanne se tourna vers le groupe disparate des prisonniers. Un homme se jeta à genoux :
- Pitié, grand roi ! La petite avait dit qu'un roi viendrait la délivrer. Sarkar et Shrima ont eu tort de ne pas la croire. Je ne voulais pas cela...
- Que refusais-tu ? demanda Lyanne.
- Je ne voulais pas qu'on la prenne en otage.
Le roi-dragon ressentait de la répulsion face à cet homme. Il lui dit :
- Soit tu dis vrai et quand tu toucheras ce bâton tu vivras, soit ta parole est fausse et tu mourras.
Ayant dit cela, il tendit le bâton de pouvoir à portée de main de l'homme. Ce dernier regarda le bout du bâton avec des yeux exorbités. Il s'effondra en poussant un cri, tenant sa main droite avec sa main gauche. Il la plongea dans la neige qui se mit à fondre.
Lyanne regarda les autres :
- Voici votre choix. Devenir mes serviteurs porteurs de la marque du roi-dragon, ou mourir.
Il n'avait pas fini de parler qu'un homme tenta de s'enfuir. Il n'avait pas fait cinq pas qu'un coup de patte de crammplacs l'avait coupé en deux.
- Allez qu'on en finisse ! dit Lyanne. L'un derrière l'autre les prisonniers approchèrent et mirent la main sur la bâton. Seuls quelques uns s'effondrèrent sans vie dans la neige. Les autres serrèrent les dents pour ne pas crier lors de la brûlure. Les derniers n'avaient pas fini de passer qu'un des crammplacs dressa l'oreille. Lyanne les vit partir au galop avec leurs cavaliers. Quelques instants plus tard, il entendit les hurlements des hommes mourant sous les griffes de ses guerriers. Il eut un sourire triste. Il avait bien senti un groupe qui s'échappait, mais il pensait qu'ils auraient eu l'intelligence de fuir. Les hommes qui restaient, se hâtèrent de toucher le bâton de pouvoir. Lyanne arrêta le plus jeune :
- D’où viens-tu ?
Ce dernier, s’il avait des larmes qui coulaient, n’avait pas poussé un cri quand le feu l’avait marqué à la main. Il répondit les dents serrées :
- Je suis du pays de Trinoy.
- Où est-ce ?
- Loin d’ici près de la mer, c’est un pays tout en vallée et en vertes collines.
- Tu en es bien loin…
- On ne peut pas tous rester sur nos terres. Nos enfants sont trop nombreux. Les plus hardis prennent la mer, les plus forts partent mercenaires.
- Depuis quand êtes-vous ainsi dans la région ?
- La mort du roi Yas a donné beaucoup de liberté aux capitaines. Sarkar en a profité. Nous étions sous ses ordres. Nous avons suivi. Il nous a donné le goût de la puissance et des plaisirs faciles. Mon père disait toujours que cela avait un coût. Il avait raison. Votre venue en est la preuve.
- D’où vient l'enfant de la tente et où est celui qui l’accompagnait ?
- Nous avons fait un raid sur une ville plus loin vers où le soleil se lève. Nous avons subi des pertes et le butin n’était pas extraordinaire. Sur le chemin du retour nous sommes tombés sur cette carriole. Il y avait deux hommes et un jeune fille. Shrima qui menait l’avant-garde, a lancé ce facile assaut. Ce type transportait plus de biens que ce que nous avions trouvé en ville. Il s’est défendu avec son garde, mais nous étions trop nombreux. Le garde a été tué et lui, je ne sais pas. Quand je suis arrivé avec Sarkar et le gros de la troupe, il gisait par terre. La fillette se démenait comme une diablesse. Shrima a failli la laisser aux hommes pour qu’ils en profitent mais elle hurlait que viendrait le grand roi rouge et que nous serions tous punis. Qui dit roi dit or. Sakar a donné l’ordre de l’entraver et de lui amener. Il l’a un peu malmenée mais juste pour qu’elle révèle où était ce roi. Elle a parlé de Tichcou, la ville où était mort Yas et que le nouveau roi de Tichcou viendrait pour tous nous punir. Elle a dit des choses insensées qu’il viendrait sur les ailes du vent et qu’il serait accompagné par les serviteurs de la blanche mort. Sarkar a surtout entendu la richesse derrière ses paroles. Il a envoyé un messager vers la ville et attendait son retour pour savoir ce qu’il ferait… et vous êtes arrivé, Majesté.
Ce disant l’homme avait mis genou à terre. Lyanne connaissait le processus. Le bâton ne faisait pas que marquer la paume des hommes comme au fer rouge, il liait leurs âmes à celle du roi-dragon pour toujours.
- Ton père était un homme sage, homme de Trinoy. Quel est ton nom ?
- Pavura, Majesté.
- Tu étais chef de ton détachement sous les ordres de Sarkar, alors tu seras chef de ce détachement sous mes ordres.
Se tournant vers les guerriers blancs, il appela :
- Scomaïa et Tannoy, venez !
Le grand crammplacs et son cavalier arrivèrent.
- Désignez une main mixte pour aider ici. Ce promontoire doit devenir forteresse. Que les hommes liés et vous fassiez ce qui est bon pour le renforcer et le tenir. J’enverrai des troupes pour le renforcer en temps et en heure.
Ayant dit cela, il se détourna pour retourner vers la tente où était Vodcha. Quand il pénétra sous la toile, la jeune fille dormait encore. Il fit un signe au garde qui répondit que rien n’avait bougé depuis son départ. Doucement Lyanne lui prit la tête dans sa main et l’appela pour la réveiller. Quand elle ouvrit les yeux, il y eut comme une interrogation puis elle cria :
- Nevt !
- Sois sans peur, petite fille, sois sans peur, je suis là pour te protéger.
Il lui laissa du temps qu’elle passa à se blottir contre lui. Puis avec douceur, il l’écarta :
- Sens-tu ton père ?
- Oui, il est vivant, mais je ne sais pas où.
- Bien, Vodcha, bien, nous allons partir à sa recherche. Je sais où a eu lieu l’attaque, nous allons le retrouver.

lundi 23 décembre 2013

Lyanne était revenu à Tichcou avec de précieux renseignements et des alliés. Ouldanabi avait jeté les osselets pour son peuple. L'avenir était avec Lyanne. Virnita au nom des siens, avait prêté serment de fidélité. Pour Lyanne le mont solitaire pouvait devenir une puissante forteresse défendant l'accès aux vallées vers le Royaume Blanc. En attendant cet avenir, il fallait gagner la guerre contre Saraya. Le Prince-roi y voyait surtout une manière de mourir avec gloire. Pourtant, il préparait la campagne avec sérieux et efficacité. Les forgerons forgeaient avec entrain les armes qui demain sèmeraient la mort. L'intendance réunissait tout le nécessaire pour une troupe en campagne. Les entrepôts se remplissaient au fur et à mesure qu'arrivaient les réquisitions.
La tension était palpable. Partir en guerre en hiver était insensé pour la majorité des présents. Les déplacements et le ravitaillement seraient les pires ennemis des guerriers. Lyanne soutenait les uns et les autres. Se déplaçant beaucoup, il trouvait le temps d'aller à la forge, soit à Tichcou, soit à la Ville chez Kalgar. Sa venue était toujours une fascination pour les hommes. Le feu se prêtait à toutes ses demandes comme un être vivant. Entre ses doigts, le métal devenait pointe de flèche ou de lance, épée ou dague avec grâce et rapidité. Les gestes fluides de Lyanne dansaient un ballet aérien dont la musique était le tintement du métal.
Ce temps de calme tendu dura jusqu'à l'arrivée des phalanges. La neige les avait précédées. Dans un alignement impeccable, elles rendirent hommage à leur roi. Elles ne restèrent pas à Tichcou. Le Dieu-Dragon les accompagnait puisque la neige tombait régulièrement devant eux, couvrant le terrain d'une couche régulière les favorisant. C'est de toute la vitesse de leurs planches de glisse que progressaient les phalanges.  Lyanne était heureux de les accompagner, non qu'il aime la guerre. Ils progressaient en pleine nature, dépassant les villages sans que ceux-ci ne les remarquent. Au bivouac, il se retrouvait à discuter librement avec les princes. Chaque soir, grâce à son bâton de puissance, il rentrait en contact avec le prince-majeur et Monocarana. Le Royaume Blanc vivait cette expédition comme le commencement de la réalisation des prophéties légendaires. Lyanne espérait. Il savait que même sans les mercenaires, l'armée de Saraya restait plus importante que la sienne. Il profitait de ce temps à glisser comme les autres tout au long de la journée. Les  éclaireurs devant, traçaient la route. Après la troupe suivait. C'était un long ruban d'hommes avançant d'un même mouvement. Dans cette région de montagnes, le rôle des éclaireurs était primordial pour trouver la route la plus rapide. Lyanne avait réformé l'ancienne répartition. Si chaque phalange avait encore des guerriers pisteurs, les crammplacs poilus étaient beaucoup plus efficaces. Ils allaient vite, exploraient de grandes régions sans fatigue. Pour eux et pour leurs partenaires, cette expédition étaient l'occasion de prouver et leur bravoure et leur fidélité au roi-dragon. Quand le soir venait, les crammplacs partaient préparer la voie pour le lendemain. Lyanne en profitait pour s'envoler. Il dirigeait ainsi plus facilement la colonne en évitant les villes les plus importantes. Même si elles avaient fait soumission à Saraya, elles ne représentaient pas une menace pour lui. Leurs forces étaient justes suffisantes pour les protéger des bandes armées qui couraient le pays.
Un matin, un groupe d'éclaireurs s'était arrêté à un col. Lyanne arriva avec Karagali, le prince-cinquième qui commandait l'expédition. L'un d'eux désigna le bas de la vallée :
- La ville avec des remparts !
Lyanne s'approcha.
- C'est Felmazik. Bien, nous sommes où nous devons être. Karagali !
- Oui, mon roi !
- Continue avec les phalanges. Je vais aller saluer quelqu'un. Je vous rejoindrai plus tard.
Karagali fit un geste d'acceptation et fit les gestes-ordres pour indiquer qu'ils repartaient sans descendre. Lyanne resta un moment à regarder passer la colonne en enlevant ses planches de glisse.  Puis il se détourna et commença à descendre à pied. Sa tenue blanche le rendait difficilement visible. Il attendit d'être à mi-pente,  dans un bois, pour enlever son vêtement blanc. Quand il déboucha à l'orée de la forêt, il sentit le mouvement des sentinelles. Il était repéré. Il descendit sur le chemin tranquillement et arriva à proximité de la ville. Les portes étaient fermées. Des gardes patrouillaient sur les remparts. Il s'arrêta devant la porte. Il sentait sur lui les regards de surveillance. Un archer le tenait en joue. Un garde l'interpella :
- Qui es-tu ? Et que cherches-tu ?
- Je viens voir la Tchaulevêté. J'ai besoin de ses services.
Le garde regarda derrière Lyanne et vers les sommets.
- Tu es seul ?
- Oui, la neige m'a surpris.
- Où sont tes armes ?
- Je n'ai que mon couteau et mon marteau de forgeron.
- Approche !
La porte s'entrouvrit sur un ordre du garde. De l'autre côté, les gardes le fouillèrent.
- Tu n'as pas d'argent !
- Non, mon macoca est tombé dans la montagne. J'ai laissé mes affaires là-bas.
Le chef des gardes le secoua.
- Et bien, tu vas aller les chercher et tu reviendras...
Lyanne ne voulait pas se battre. Il réfléchissait à la meilleur manière de réagir quand une voix les interrompit.
- Je ne crois pas, Sergent !
L'homme se retourna brutalement. La Tchaulevêté toisait l'homme. Celui-ci bredouilla quelques mots et fit des gestes pour faire reculer ses hommes. Lyanne regarda la guérisseuse qui lui fit signe de le suivre.
- Tu savais que je venais.
- Oui, les charcs n'arrêtent pas de piailler. Toi et les tiens faites beaucoup de bruit.
Lyanne se mit à sourire.
- Pourquoi es-tu revenu ?
- J'avais promis à Tchavo de venir lui dire mon nom.
Ce fut au tour de la Tchaulevêté de sourire.
- Elle t'attendait. Les charcs nous ont apporté les nouvelles mais à la manière des charcs.
Ils arrivèrent en vue de la maison. La neige tombait doucement. Les bruits étouffés, donnaient une impression de calme et de douceur.
- Je voulais aussi te remercier, La Tchaulevêté. Ton remède était le bon.
Elle fit un sourire tout en ouvrant la porte de la maison. Une douce chaleur y régnait. Lyanne pensa à Sabda et à la Solvette. L'ambiance était similaire. Les charcs présents dans la maison s'envolèrent. La guérisseuse les écouta piailler.
- Ta présence les rend nerveux. Ils sont sensibles à ta nature...
Une porte s'ouvrit laissant passer une jeune femme fine. Lyanne reconnut Tchavo. Elle avait bien grandi et avait atteint cet âge où on voit l'enfant dans l'adulte qui se devine.
- Nevt ! dit-elle en se précipitant dans ses bras. Vodcha sera heureuse de savoir que tu es revenu.
Elle l'entraîna vers son coin. Comme dans ses souvenirs, la pièce était encombrée de toutes sortes de choses et des blessés occupaient les différentes paillasses. Felmazik avait connu plusieurs épisodes de razzia. L'affaiblissement du pouvoir leur avait laissé le champ libre. Une troupe de Saraya était passée aussi. Elle n'avait tué personne mais avait exigé et la soumission au roi Saraya et des vivres. Pour les habitants, cela n'avait été qu'un pillage de plus. Après son départ d'autres bandes étaient réapparues rendant la campagne peu sûre et multipliant les exactions. On espérait que l'hiver allait tuer la vermine. L'espoir était ténu. Un messager venu de Tulka, une ville à cinq jours de marche, avait apporté la nouvelle de son occupation par une troupe de hors-la-loi. Tchova racontait cela à Lyanne tout en jouant les maîtresses de maison. Elle avait maintenant droit à son espace, derrière une cloison de tissu. Elle avait aménagé l'endroit avec soin. Une alcôve  délimitée par d'autres tentures abritait sa paillasse. Un passage en hauteur restait toujours ouvert pour que les charcs puissent aller et venir selon leur bon vouloir.
- ...le bourgmestre nous tient en haute estime. Les charcs sont de précieux informateurs. Grâce à eux nous savons quand approche une troupe. Ils nous ont signalé ton arrivée. Nous savions que tes hommes et toi passaient non loin d'ici. Curieusement ils ne nous ont pas fait peur. Comme le grand être qui vole, était à leur tête, nous avons compris que Felmazik n'était pas leur but.
Tchavo s'arrêta de parler un instant, regarda Lyanne et lui dit :
- Les charcs ont raison ! Tu es devenu immense.
Lyanne était toujours étonné de la capacité de ces femmes à sentir tant de choses derrière les apparences.
- Alors tu sais, lui répondit-il.
- Non, je ne sais pas, mais je le sens. Autant quand tu étais Nevt, je te sentais incomplet, autant aujourd'hui que je te sens immense.
- J'ai fait une erreur quand ta mère m'a donné son remède. Je l'ai pris trop tôt. Tout compte fait, cela m'a été favorable, car j'ai fait ce que je devais faire pour être qui je suis. Que sais-tu ?
Tchavo ne quittait pas Lyanne des yeux.
- Je sais que tu as accompli ce que ces temps demandaient, malgré les esprits mauvais qui rôdent. Je sais que la puissance est en toi depuis. Mais... je ne sais pas ton nom.
- Je suis un homme-dragon !
En disant cela, il y eut comme une aura de puissance qui emplit la pièce. Tchavo eut un regard étonné presque apeuré.
- Comme ceux des vieilles vieilles légendes !
- On peut dire cela. Je ...
Tchavo eut un haut-le-cœur et tomba par terre comme une masse. Elle fut secouée de soubresauts. Lyanne appela sa mère.
En voyant sa fille, celle-ci dit :
- Vodcha !
Elle se tourna vers Lyanne :
- Aide-moi à la porter sur sa paillasse.
- Qu'arrive-t-il ?
- Les deux filles sont jumelles. Si une vit un malheur l'autre le ressent. Vodcha est en danger !
Le cœur de Lyanne fit un bond dans sa poitrine :
- Où ça ?
- Je ne sais pas, homme-dragon. Tchavo nous en dira plus si je peux la réveiller.

samedi 14 décembre 2013

Une intense activité régnait à Tichcou. S'il y avait quelques chutes de neige, Cotban refusait de partir et faisait régner une certaine douceur. Lyanne avait du temps. Le prince-roi et Sstanch géraient la situation. Le prince-majeur faisait de même à la Blanche. Ainsi libre de ses allées et venues, Lyanne volait souvent. Il avait décidé de se faire une idée de ce qui se passait aux alentours. Ses souvenirs de jeune dragon étaient assez flous.
Ce matin-là, il décolla et prit de la hauteur. La ligne blanche de la neige était à mi-chemin entre Tichcou et la Ville. Lyanne se concentra sur ce qu'il voyait. Une barre de moyennes montagnes s'étendait derrière la ville. Plus loin dans les nuages soulevés par Sioultac, il y avait le pays blanc. De cette ligne de sommets descendaient des ruisseaux plus ou moins encaissés. Tichcou était sur la berge de l'un d'eux. En descendant un peu la rivière, on trouvait le confluent avec le cours d'eau qui venait de la vallée du dragon. Il le survola et continua son chemin. Un moutonnement plutôt régulier de monts s'élevait jusqu'à la vallée des Izuus.
Vu de très haut, la vallée des Izuus était séparée en deux par la neige. Il revit la rivière et ses gorges et le col que la caravane avait emprunté. Plus loin, il survola la ville de l'eau. En lui affluèrent les souvenirs du dragon et ceux de Puissanmarto. Mocsar ! Si ses yeux humains ne l'avait jamais vue, il se rappelait le mouvement de panique quand il l'avait survolée. Il s'était posé sur une plateforme qui n'avait pas résisté à son poids. Il avait alors battu des ailes pour se stabiliser, déclenchant une mini tornade. Les hommes avaient fui. Il avait alors suivi l'odeur de l'or en progressant vers une grande bâtisse. De passerelles qui s’effondraient en maisons qu'il écrasait, il avait atteint son but. Si quelques hommes s'étaient dressés contre lui, la majorité s'était enfuie. Une groupe plus structuré avait tiré des flèches et des lances. Un jet de feu les avait réduits à merci. Le dragon avait pu alors déchiqueter la baraque et trouver le lieu où était caché l'or. Il avait alors tout raflé avant de redécoller. Aujourd'hui, la ville avait retrouvé son aspect. Lyanne préféra ne pas descendre. Il n'était pas nécessaire de réveiller de vieilles blessures. Il continua son trajet en revenant vers la vallée de Tichcou, reconnaissant çà et là des lieux où il était passé.
Au loin un mont dont déjà le haut se couvrait de neige, attira son attention. La montagne solitaire !  C'était un bon endroit pour se reposer et avoir des nouvelles. Virnita et Ouldanabi étaient-ils encore là ? Lyanne dirigea son vol vers le sommet du grand cratère. Il descendit en vol plané. Arrivé au sommet, il resta un moment à faire des cercles. Il ne voulait pas les surprendre. Il les vit s'agiter en bas. L'alerte était donnée. Il vit les hommes s'armer et se répartir près de chaque grande maison. Lyanne les sentait attentifs, prêts au combat sans désirer se battre. Quand il vit arriver la petite silhouette boitillante, il commença sa descente. De nouveau les hommes manœuvrèrent. Les arcs furent bandés. Presque paresseusement, Lyanne perdait de l'altitude. Même si l'ordre ne fut pas crié, il entendit distinctement : « Ne tirez pas tout de suite, attendez qu'il soit à portée ! ». Il était presque à hauteur de tir quand il entendit la première vibration. Il ne fut pas le seul. Les hommes en bas détendirent leurs armes en se regardant. Alors que Lyanne poursuivait son tour de cratère, d'autres vibrations vinrent se mêler à la première. C'est alors qu'il les repéra. Ils commençaient à briller d'une lumière rouge tranchant avec le vert profond de la forêt de résineux. 
- Les simalbabas chantent ! hurla la voix aiguë de Ouldanabi. Ne bougez pas, C'est leur maître qui arrive.
Avec difficulté, elle mit genou à terre. Les guerriers la voyant faire, hésitèrent. Lyanne eut le temps de faire un autre tour avant que tous aient imité Ouldanabi.
D'une brusque cambrure de ses ailes, il se posa et prit immédiatement figure humaine. Il s'approcha de la vieille chamanesse et lui tendit la main :
- Tu me fais trop d'honneur, toi qui sais si bien voir dans les osselets. Relève-toi, nous avons à parler.
- Qu'est-ce qui se passe ici ? cria l'homme qui arrivait, à la tête d'un détachement d'hommes et l'épée à la main.
Il s'arrêta brusquement, jeta un regard autour de lui, nota que les simalbabas brillaient tout en émettant des sons qui s'accordaient comme une mélodie et se retourna vers Lyanne :
- Toi ! Tu es... Tu es...
- Oui, Virnita, Je suis revenu.
Ouldanabi qui s'était péniblement relevée, souriait de toutes ces quelques dents :
- Les simalbabas chantent pour toi ! Tu as trouvé ton nom ! Il faut faire la fête.
Lyanne entendit un murmure passer dans toute l'assemblée des présents : « L'homme-dragon est là ! Les légendes sont vivantes ! »
Lyanne se dit qu'il n'avait pas le choix. Il devait rester avec eux au moins pour ce jour.

La fête battait son plein sous un ciel chargé de nuages. Lyanne avait admiré l'efficacité des Ouatalbi. Le maître de forge était arrivé, dans la main, une épée neuve. Fier de son ouvrage, il l'avait montré à Lyanne qui n'avait pu que constater les progrès.
- Ton passage a été une bénédiction pour nous, lui dit Virnita. Nos guerriers vont presque tous rentrer et les récoltes ont été bonnes.
- Comment se passe la guerre en dehors ?
- La guerre est loin, homme-dragon. Depuis que les Izuus ont rejoint Saraya, Altalanos a dû céder du terrain. Pour le moment, l'hiver arrive. La trêve est là depuis les premières neiges. Saraya va hiverner dans la plaine assez loin d'ici. Tous les mercenaires ont été renvoyés.    
- Combien de jours de marche ? 
- Pour des Ouatalbi, dix jours de marche, le double pour les autres, ils ne vont pas bien vite.
- Tous les tiens sont rentrés, as-tu dit ?
- Non pas encore. Les premiers sont arrivés. Les autres suivront rapidement, mais au rythme des chariots pour les vivres. Si la récolte a été bonne, elle ne permet pas de nourrir tout le monde pendant tout l'hiver. Les nôtres reviennent avec ce qu'il leur est nécessaire.
- Combien serez-vous ?
- Les miens forment plusieurs escouades dans l'armée de Saraya.
- Vous êtes un peuple fidèle. Si la guerre éclate entre les gens de la montagne et Saraya, pour qui vous battrez-vous, peuple du mont solitaire ?
- Les Ouatalbi sont fidèles à leur parole. Saraya les avaient engagés pour cette année. Quand l'hiver sera passé, nous verrons à qui nous vendons nos bras. Qui est le peuple de la montagne ?
- Il est mon peuple.
Virnita mit genou à terre :
- Nous ne pourrons pas nous battre contre ton peuple.
- Saraya se bat contre tous les petits royaumes. La mort du roi Yas les a libérés. Mais Saraya roi, leur refuse le droit de décider pour eux. Sais-tu cela ?
- Oui, homme-dragon. Nous avons marché sur de nombreuses villes. Toutes se sont rendues sans combattre devant la grandeur de notre armée sauf une ou deux que Saraya a fait raser. Ils restent plus loin vers le soleil levant quelques nations qui ont refusé les émissaires. La guerre les rejoindra au prochain printemps.
- J'ai pour certaines de ces populations beaucoup d'attachement. Elles m'ont juré fidélité et je les protégerai de Saraya.
- Ton rôle sera difficile, homme-dragon, car l'armée de Saraya est vaste et puissante même sans les Ouatalbi.
Quand elle est en marche, seul Altalanos a une armée suffisante pour l'arrêter.
- Celle de Yas a échoué aux portes de ce qui est devenu mon royaume. L'hiver verra la chute de Saraya ou sa soumission.
- Quelle armée se battrait en hiver ?
Lyanne sourit en pensant aux phalanges qui allaient déferler bientôt. Dans la plaine, personne ne pourrait soutenir l'assaut de ses guerriers blancs.

dimanche 8 décembre 2013

Lyanne était reparti le lendemain avant la levée du jour. Il avait pris la route de Tichcou. La bourgade vue d'en haut avait bien changé en une saison. Plusieurs chantiers avaient été menés. Le Milmac blanc s'agrandissait et s'embellissait. Des remparts commençaient à prendre forme. Lyanne pensa que le prince-roi allait faire de Tichcou une quasi-capitale. Les guetteurs signalèrent son arrivée en sonnant de la trompe. Devant le fort, la place avait été dégagée et aplanie. À plusieurs endroits, la forêt avait été dégagée pour de futurs bâtiments dont on voyait déjà les premiers murs.
Lyanne se posa et dans le même mouvement devint comme un homme. Les soldats couraient vers lui pour faire une haie d'honneur.
Dramtel les suivait de près. Il mit genou à terre :
- Mon roi ! Si nous avions su pour votre arrivée, nous aurions fait une réception.
- Nul besoin de fête ou de réception. Je viens voir le prince Kaltrim.
- Il est au Milmac.
Lyanne se dirigea vers l'ancienne auberge devenue résidence du prince de Flamtimo. Une escorte l'accompagnait. Dans Tichcou, il rencontra de nombreux pèlerins qui voulurent le voir, le toucher. Le plus gros travail des soldats fut de les maintenir à distance. Son arrivée au Milmac fut saluée par des ovations et des cris de joie. Kaltrim était sorti à sa rencontre, Sstanch suivait.
- Majesssté, c'est une joie..., commença Kaltrim
- Ici aussi les choses ont bien changé en une saison, le coupa Lyanne.
- Oui, dit Sstanch. Votre ascension sur le trône a bouleversé le monde.
Ils entrèrent dans la grande salle. Lyanne ne la reconnut pas. Des cloisons avaient été abattues, seuls persistaient quelques piliers. Kaltrim avait fait décorer la pièce au goût des flamtimiens. Lyanne trouvait cela surchargé, mais le prince de Flamtimo lui détaillait avec fierté tout ce qu'il avait fait. Il y avait maintenant une statue de tête de dragon peint d'un rouge criard. Lyanne ne s'y reconnut pas. Kaltrim vantait le savoir-faire de l'artiste qui venait de son pays d'origine.
- Ccce ssserrrait un honneurrr pourrr le pays de Flamtimo que de vous accueillirrr !
Lyanne opina de la tête, écoutant d'une oreille plutôt distraite le prince Kaltrim lui vanter les mérites d'un tel voyage. Son devoir de roi-dragon était d'y aller un jour. Mais était-ce pour maintenant ? Il redevint attentif quand il entendit le prince-roi parler de la situation militaire. Les flamtimiens allaient pouvoir prouver leur bravoure. Les deux généraux qui avaient passé l'été à se battre, avaient conclu un accord, séparant le monde en deux. Maintenant les armées étaient libres de faire régner l'ordre dans les pays conquis. Les flamtimiens en reconnaissant le roi-dragon se mettaient hors cette loi... Lyanne entendit une certaine jubilation dans la voix de Kaltrim. Ils allaient enfin pourvoir se battre et prouver que les chevaliers de Flamtimo étaient les meilleurs des guerriers. Lyanne soupira. Le combat ne finirait-il jamais ?
Il demanda comment s'établissait la nouvelle répartition entre Saraya et Altalanos.
Altalanos avait consolidé sa position loin près de la mer. Il avait tenu le long de frontières naturelles qui lui avaient servi de remparts. En bloquant quelques passages, il avait fait du pays une forteresse. Le lac de Jelentos était le seul point faible. Mais une grande partie des troupes du général Altalanos, pardon, du roi Altalanos, étaient massées sur la rive du lac dans une série de forts que Saraya n'avait jamais réussi à circonvenir.
Saraya, depuis son mariage avec Salcha, avait été moins présent sur le terrain. Il avait surtout profité de l'été pour consolider son pouvoir. Contrairement à Altalanos, Saraya avait à gérer une multitude de petits royaumes dont certains avaient été tentés par l'indépendance. Heureusement pour lui, son adversaire était aussi occupé à faire face aux pirates. Même si aucun traité n'avait été signé, dans les faits une sorte de trêve s'était installée. C'est à peine si quelques combats autour du lac symbolisaient l'absence de paix.
Les flamtimiens faisaient partie de ces peuples qui posaient problème au nouveau roi. Yas les avaient soumis après de longs combats. Saraya les avaient laissés tranquilles le temps nécessaire pour soumettre les autres. L'hiver arrivant, les armées allaient se mettre au repos. Au prochain printemps Kaltrim prévoyait déjà la guerre. Ses espions l'avait prévenu. Saraya se disant roi, ne supporterait pas de les laisser faire. Le prince-roi organisait déjà la résistance. Les forgerons allaient passer la saison froide à créer des armes.
- Nous vaincrrrons ou nous mourrrrrrons ! affirmait Kaltrim.
Lyanne le croyait. Il se souvenait de ce qu'il avait vu avant son arrivée à Tichcou. Les flamtimiens allaient se battre à un contre cent. La victoire ne lui semblait pas possible. Cela ferait encore beaucoup de morts, beaucoup trop. À moins...
- Prince-roi, croyez-vous qu'en tant que roi-dragon je puisse laisser mon peuple se faire massacrer ?
- Mon rrroi, ccc'est notrrre rrrôle de prrrotéger le cœurrr du rrroyaume. Sarrraya nous passsssserrra sur le corrrps avant de pouvoirrr arrrrrriver iccci. Tout le pays entrrre Tichcou et le Flamtimo vous est acquis.
- Bien, Prince-roi, très bien. Je suis un roi de paix qui doit se battre. Cela me déplaît mais Saraya me l'impose. Alors j'agirai comme je le sens et non en lui laissant l'initiative.
Kaltrim se mit à sourire :
- Quels sssont les ordres ?
- Préparez des vivres pour une armée. Nous allons attaquer.
- Mais l'hiverrr...
- Les guerriers blancs sont les serviteurs du Dieu-dragon et se moquent de l'hiver.
Lyanne avait contacté le prince-majeur à travers son bâton de pouvoir. Les phalanges allaient se mettre en route dans une main de jours. Dans une lunaison au plus, elles seraient à Tichcou. Dans deux, elles frapperaient Saraya. Restait à savoir, où ?

mardi 3 décembre 2013

C'est le cœur lourd qu'il quitta la ville. Il lui fallait s'arrêter à Tichcou. Le prince-roi l'attendait. Avant son départ, il avait rencontré Qunienka. Ce dernier n'avait pas assez d'expérience pour diriger le secteur. Il le savait. Lyanne devait nommer quelqu'un pour remplacer Quiloma. En attendant, il le nomma responsable de la ville. Sans raconter ce qu'il savait, il glissa dans la conversation que Quiloma était mort avec honneur et que le Dieu-Dragon lui-même était venu. Qunienka se redressa. Ses yeux  brillèrent. Il n'osa pas interroger le roi-dragon. Lyanne sentit son désir de savoir. Il ne dit rien mais sortit de ses affaires un petit mausolée surmonté de deux épées entrelacées. Il le donna à Qunienka en disant :
- Le Dieu-Dragon a décidé. Ils sont ensemble sous la protection des deux épées du prince.
Qunienka prit la maquette religieusement.
- Nous l'honorerons comme nous aurions honoré le tombeau du prince Quiloma.
Qunienka avait fait une pièce mémorial pour y déposer le cadeau du roi-dragon. Tous les soldats étaient venus spontanément pour rendre l'hommage qu'on doit à un prince-neuvième et surtout au prince qui avait recueilli votre chant du serment.
Lyanne était parti peu après. Il avait été en contact par le bâton de pouvoir avec le prince-majeur. Celui-ci devait envoyer deux phalanges avec un prince-neuvième. Lyanne lui faisait confiance, il ferait le bon choix. Succéder à Quiloma était impossible. Le nouveau prince-neuvième serait choisi en conséquence aussi différent que possible.
Les vents étaient contraires. Ne voulant pas lutter, il se laissa porter. Il reconnut la colline et puis la vallée. Ici aussi les choses avaient changé. Un homme faisait des grands signes. Lyanne alla vers lui. Schtenkel !
Il se posa.
Le grand dragon rouge était manifestement le bien venu. La forêt avait été dégagée pour laisser la place à un ensemble dédié au Dieu-dragon et à son avatar le roi-dragon. Des bâtiments longs et bas entouraient une esplanade ouverte sur le lac qui s'était constitué après son départ. De là une cascade conduisait l'eau dans la vallée en contre-bas. Aux cris de Schtenkel, une foule était sortie des habitations et se prosternait devant le grand dragon en chantant : « Graph ta cron » avec un accent épouvantable. 
- Qu'est-ce que tout cela ? demanda-t-il
- ROI-DRAGON, C'EST UN GRAND HONNEUR...
- Cesse tous ces cris, dit Lyanne, mes oreilles t'entendent !
- Je sais, roi-dragon, je sais, mais c'est pour tous ceux-là ! répondit Schtenkel, en désignant toute la foule prosternée. Votre présence honore ce lieu et signifie que leur pèlerinage est béni. Rares sont ceux qui vous ont vu. 
Lyanne sursauta. Il voulait en savoir plus.
- Bien, dit-il. Sais-tu encore aller dans la vallée en bas ?
- Oui, majesté, mais pourquoi ?
- Retrouve-moi en bas dans la grotte à côté de la cascade !
Lyanne décolla et plongea dans la vallée. Il vit des hommes partout sur les crêtes. Il plongea dans le lac au pied de ce qui fut sa grotte. Il avait senti l'or. Son trésor n'avait pas bougé. Il était sous les roches sous l'eau de l'étang au pied de l'esplanade.  Cela le rendit heureux. Sous l'eau, il ajusta sa taille pour ressortir entre des racines. C'est à l'abri des regards qu'il redevint comme un humain.
Le fond de la vallée aussi avait changé. Un chemin maintenant conduisait vers l'aval. Quand il sortit du bois, il rencontra un groupe de pèlerins. Ils semblaient tous excités.
- Vous l'avez vu ? Vous l'avez-vu ?
Comme il semblait ne pas comprendre, un plus exalté le prit par le bras :
- Le Dragon ! Où est le Dragon !
- Il a plongé dans le lac, répondit Lyanne.
Se tournant vers les autres, l'homme cria :
- Venez, nous allons peut-être le voir !
Tout le groupe se précipita dans le bois d'où venait Lyanne en le bousculant au passage. Lyanne trouva la situation cocasse. Il y avait une saison, on venait dans cette vallée pour le tuer, aujourd'hui, ils voulaient l'adorer. Se retournant pour reprendre son chemin, il vit un homme qui n'avait pas bougé. Son instinct le mit sur ses gardes. Il le regarda. S'il avait la tenue des pèlerins, il n'en avait pas le cœur. Lyanne le sentait noir et retors. Il s'approcha de l'homme.
- Vous n'êtes pas un pèlerrrin, dit l'homme en regardant Lyanne.
- Je suis un passant, répondit Lyanne.
- Arrrmé, dit l'homme en montrant le marteau qui pendait à la ceinture de Lyanne.
- Je viens de régions dangereuses.
- Ccceux qui viennent iccci, viennent pour le drrragon, mais je te prrréviens, il est à moi !
Lyanne fut surpris de l’intonation de l'homme. Celui-ci dégaina une épée qui était caché sous sa chasuble de pèlerinage et menaça Lyanne qui resta imperturbable.
- Oui, il est à moi ! Et perrrsonne ne m'empécherrra de le tuer, alors passsssse ton chemin.
- Mon but est autre. Je vais vers Tichcou.
L'homme sembla se radoucir sans perdre son regard soupçonneux. Il rangea son arme.
- J'aurrrais ccce qui me rrreviens ! Ne me gêne pas !
Ayant dit cela, il monta lui aussi vers le lac. Lyanne le laissa passer. Il resta pensif tout en descendant vers la grotte plus bas. Les flamtimiens n'étaient manifestement pas tous convaincus par sa royauté. Il entendit l'eau qui tombait de la falaise au-dessus. Elle avait commencé à modeler le terrain. Elle avait décapé le rocher à son arrivée, puis formait un ruisseau qui rejoignait la rivière un peu plus loin. Elle tombait en rideau devant un creux maintenant bien visible, porche d'entrée d'une grotte. Lyanne passe derrière. Le sol était sec et sablonneux. Il s’assit et attendit l'arrivée de Schtenkel. 
Il étendit ses perceptions tout autour.
Il ressentit l’excitation du groupe de pèlerins autour du lac. Tous les esprits étaient concentrés sur la scrutation de l’eau qui stagnait. À part, traînait le flamtimien dont la colère brillait comme une aura autour de lui. Il vivait une injustice. Lyanne ne comprenait pas laquelle mais cela motivait son action. Contrairement aux autres, il examinait les environs. Son esprit fourmillait de désir de vengeance, élaborant des plans, oscillant entre délire et réalité. Plus haut d'autres groupes suivaient leur chemin. Près de la forêt, ceux qui avaient vu le roi-dragon préparaient une grande fête. Leurs cœurs étaient légers, tellement ils étaient persuadés qu'ils étaient bénis pour le reste de leur vie.
Lyanne passant de groupes en groupes, comprit ce qu'était devenu ce lieu. Il l'avait connu caverne profonde, il le retrouvait esplanade ouverte à tous les vents, fréquentée par une foule en mal de bénédiction. La neige pourtant déjà profonde n'avait pas encore ralenti la fréquentation du lieu. Schtenkel aurait beaucoup à raconter.
Ce dernier était arrivé tard dans la journée. Il avait sursauté en voyant Lyanne:
- L’chasseur ! Qu’est-ce que tu fais là ?
- J’attendais ta venue.
- Et l’dragon qu’est-ce t’en as fait ?
- Le dragon est là où je suis et je suis là où est le dragon.
- C’est pas banal, ça ! dit Schtenkel en se laissant tomber à côté de Lyanne. Ça doit pas être marrant tous les jours !
Il soupira.
- Tu sais, l'chasseur, toi comme moi, on est victime du destin, t'crois pas ? Si on l'avait pas rencontré c'dragon, on en serait pas là.
- Le regrettes-tu ?
- Ben non. J'ai jamais été aussi considéré qu'maintenant. Depuis qu'ma main a repoussé, les gens m'regardent pas pareil. Ici j'suis quelqu'un. Y'en a eu d'autres qu'ont été guéris mais j'suis l'seul dont la main ait repoussé. Les guerriers blancs et surtout leur prince, t'sais, l'Quiloma, un sacré çui-là, y m'ont aidé. L'coin est y devient un grand sanctuaire. C'qu'est sûr, c'est q'c'est déjà un grand lieu sacré. En plus on a le trésor du dragon et ça c'est encore mieux. J'apprends les légendes par ceux qui viennent. En fait l'trésor y restera là jusqu'à c'que le dragon y trouve une compagne. Ça m'laisse du temps.
Dans la nuit qui tombait Lyanne écouta Schtenkel lui raconter sa vie depuis leur dernière rencontre. Quiloma avait décidé de faire de ce lieu un haut lieu sacré. Comme cela la ville serait protégé des pèlerins envahisseurs pasicifiques mais envahisseurs quand même. Quelques uns y allaient mais la guérison de la main de Schtenkel attirait plus que tout le reste. Bientôt la neige rendrait les lieux impraticables. Même Schtenkel redescendrait à Tichcou pour rejoindre sa maison.
- T'sais qu'ton feu y brûle toujours ! T'es un sacré mec l'chasseur !
Lyanne l'orienta après sur les pèlerins et sur le flamtimien. Il apprit ainsi que certains défendaient encore la position du prince-roi qui avait été vaincu. Schtenkel les reconnaissait sans difficulté. Ils avaient le regard fou des chasseurs de dragon.
- Et tu vas faire quoi, l'chasseur ?
- Mon destin est ailleurs. Je reprend la quête. Je cherche ce qu'il me manque.
Schtenkel se mit à rire.
- J'en étais sûr. Un chasseur est toujours un chasseur. Maintenant que t'as réglé l'sort du dragon, te v'là parti sur une autre piste !
Lyanne sourit à cette remarque. Schtenkel n'avait pas tort. Il était encore à la recherche de quelque chose. Sa vie entière serait-elle une quête ?