mardi 3 décembre 2013

C'est le cœur lourd qu'il quitta la ville. Il lui fallait s'arrêter à Tichcou. Le prince-roi l'attendait. Avant son départ, il avait rencontré Qunienka. Ce dernier n'avait pas assez d'expérience pour diriger le secteur. Il le savait. Lyanne devait nommer quelqu'un pour remplacer Quiloma. En attendant, il le nomma responsable de la ville. Sans raconter ce qu'il savait, il glissa dans la conversation que Quiloma était mort avec honneur et que le Dieu-Dragon lui-même était venu. Qunienka se redressa. Ses yeux  brillèrent. Il n'osa pas interroger le roi-dragon. Lyanne sentit son désir de savoir. Il ne dit rien mais sortit de ses affaires un petit mausolée surmonté de deux épées entrelacées. Il le donna à Qunienka en disant :
- Le Dieu-Dragon a décidé. Ils sont ensemble sous la protection des deux épées du prince.
Qunienka prit la maquette religieusement.
- Nous l'honorerons comme nous aurions honoré le tombeau du prince Quiloma.
Qunienka avait fait une pièce mémorial pour y déposer le cadeau du roi-dragon. Tous les soldats étaient venus spontanément pour rendre l'hommage qu'on doit à un prince-neuvième et surtout au prince qui avait recueilli votre chant du serment.
Lyanne était parti peu après. Il avait été en contact par le bâton de pouvoir avec le prince-majeur. Celui-ci devait envoyer deux phalanges avec un prince-neuvième. Lyanne lui faisait confiance, il ferait le bon choix. Succéder à Quiloma était impossible. Le nouveau prince-neuvième serait choisi en conséquence aussi différent que possible.
Les vents étaient contraires. Ne voulant pas lutter, il se laissa porter. Il reconnut la colline et puis la vallée. Ici aussi les choses avaient changé. Un homme faisait des grands signes. Lyanne alla vers lui. Schtenkel !
Il se posa.
Le grand dragon rouge était manifestement le bien venu. La forêt avait été dégagée pour laisser la place à un ensemble dédié au Dieu-dragon et à son avatar le roi-dragon. Des bâtiments longs et bas entouraient une esplanade ouverte sur le lac qui s'était constitué après son départ. De là une cascade conduisait l'eau dans la vallée en contre-bas. Aux cris de Schtenkel, une foule était sortie des habitations et se prosternait devant le grand dragon en chantant : « Graph ta cron » avec un accent épouvantable. 
- Qu'est-ce que tout cela ? demanda-t-il
- ROI-DRAGON, C'EST UN GRAND HONNEUR...
- Cesse tous ces cris, dit Lyanne, mes oreilles t'entendent !
- Je sais, roi-dragon, je sais, mais c'est pour tous ceux-là ! répondit Schtenkel, en désignant toute la foule prosternée. Votre présence honore ce lieu et signifie que leur pèlerinage est béni. Rares sont ceux qui vous ont vu. 
Lyanne sursauta. Il voulait en savoir plus.
- Bien, dit-il. Sais-tu encore aller dans la vallée en bas ?
- Oui, majesté, mais pourquoi ?
- Retrouve-moi en bas dans la grotte à côté de la cascade !
Lyanne décolla et plongea dans la vallée. Il vit des hommes partout sur les crêtes. Il plongea dans le lac au pied de ce qui fut sa grotte. Il avait senti l'or. Son trésor n'avait pas bougé. Il était sous les roches sous l'eau de l'étang au pied de l'esplanade.  Cela le rendit heureux. Sous l'eau, il ajusta sa taille pour ressortir entre des racines. C'est à l'abri des regards qu'il redevint comme un humain.
Le fond de la vallée aussi avait changé. Un chemin maintenant conduisait vers l'aval. Quand il sortit du bois, il rencontra un groupe de pèlerins. Ils semblaient tous excités.
- Vous l'avez vu ? Vous l'avez-vu ?
Comme il semblait ne pas comprendre, un plus exalté le prit par le bras :
- Le Dragon ! Où est le Dragon !
- Il a plongé dans le lac, répondit Lyanne.
Se tournant vers les autres, l'homme cria :
- Venez, nous allons peut-être le voir !
Tout le groupe se précipita dans le bois d'où venait Lyanne en le bousculant au passage. Lyanne trouva la situation cocasse. Il y avait une saison, on venait dans cette vallée pour le tuer, aujourd'hui, ils voulaient l'adorer. Se retournant pour reprendre son chemin, il vit un homme qui n'avait pas bougé. Son instinct le mit sur ses gardes. Il le regarda. S'il avait la tenue des pèlerins, il n'en avait pas le cœur. Lyanne le sentait noir et retors. Il s'approcha de l'homme.
- Vous n'êtes pas un pèlerrrin, dit l'homme en regardant Lyanne.
- Je suis un passant, répondit Lyanne.
- Arrrmé, dit l'homme en montrant le marteau qui pendait à la ceinture de Lyanne.
- Je viens de régions dangereuses.
- Ccceux qui viennent iccci, viennent pour le drrragon, mais je te prrréviens, il est à moi !
Lyanne fut surpris de l’intonation de l'homme. Celui-ci dégaina une épée qui était caché sous sa chasuble de pèlerinage et menaça Lyanne qui resta imperturbable.
- Oui, il est à moi ! Et perrrsonne ne m'empécherrra de le tuer, alors passsssse ton chemin.
- Mon but est autre. Je vais vers Tichcou.
L'homme sembla se radoucir sans perdre son regard soupçonneux. Il rangea son arme.
- J'aurrrais ccce qui me rrreviens ! Ne me gêne pas !
Ayant dit cela, il monta lui aussi vers le lac. Lyanne le laissa passer. Il resta pensif tout en descendant vers la grotte plus bas. Les flamtimiens n'étaient manifestement pas tous convaincus par sa royauté. Il entendit l'eau qui tombait de la falaise au-dessus. Elle avait commencé à modeler le terrain. Elle avait décapé le rocher à son arrivée, puis formait un ruisseau qui rejoignait la rivière un peu plus loin. Elle tombait en rideau devant un creux maintenant bien visible, porche d'entrée d'une grotte. Lyanne passe derrière. Le sol était sec et sablonneux. Il s’assit et attendit l'arrivée de Schtenkel. 
Il étendit ses perceptions tout autour.
Il ressentit l’excitation du groupe de pèlerins autour du lac. Tous les esprits étaient concentrés sur la scrutation de l’eau qui stagnait. À part, traînait le flamtimien dont la colère brillait comme une aura autour de lui. Il vivait une injustice. Lyanne ne comprenait pas laquelle mais cela motivait son action. Contrairement aux autres, il examinait les environs. Son esprit fourmillait de désir de vengeance, élaborant des plans, oscillant entre délire et réalité. Plus haut d'autres groupes suivaient leur chemin. Près de la forêt, ceux qui avaient vu le roi-dragon préparaient une grande fête. Leurs cœurs étaient légers, tellement ils étaient persuadés qu'ils étaient bénis pour le reste de leur vie.
Lyanne passant de groupes en groupes, comprit ce qu'était devenu ce lieu. Il l'avait connu caverne profonde, il le retrouvait esplanade ouverte à tous les vents, fréquentée par une foule en mal de bénédiction. La neige pourtant déjà profonde n'avait pas encore ralenti la fréquentation du lieu. Schtenkel aurait beaucoup à raconter.
Ce dernier était arrivé tard dans la journée. Il avait sursauté en voyant Lyanne:
- L’chasseur ! Qu’est-ce que tu fais là ?
- J’attendais ta venue.
- Et l’dragon qu’est-ce t’en as fait ?
- Le dragon est là où je suis et je suis là où est le dragon.
- C’est pas banal, ça ! dit Schtenkel en se laissant tomber à côté de Lyanne. Ça doit pas être marrant tous les jours !
Il soupira.
- Tu sais, l'chasseur, toi comme moi, on est victime du destin, t'crois pas ? Si on l'avait pas rencontré c'dragon, on en serait pas là.
- Le regrettes-tu ?
- Ben non. J'ai jamais été aussi considéré qu'maintenant. Depuis qu'ma main a repoussé, les gens m'regardent pas pareil. Ici j'suis quelqu'un. Y'en a eu d'autres qu'ont été guéris mais j'suis l'seul dont la main ait repoussé. Les guerriers blancs et surtout leur prince, t'sais, l'Quiloma, un sacré çui-là, y m'ont aidé. L'coin est y devient un grand sanctuaire. C'qu'est sûr, c'est q'c'est déjà un grand lieu sacré. En plus on a le trésor du dragon et ça c'est encore mieux. J'apprends les légendes par ceux qui viennent. En fait l'trésor y restera là jusqu'à c'que le dragon y trouve une compagne. Ça m'laisse du temps.
Dans la nuit qui tombait Lyanne écouta Schtenkel lui raconter sa vie depuis leur dernière rencontre. Quiloma avait décidé de faire de ce lieu un haut lieu sacré. Comme cela la ville serait protégé des pèlerins envahisseurs pasicifiques mais envahisseurs quand même. Quelques uns y allaient mais la guérison de la main de Schtenkel attirait plus que tout le reste. Bientôt la neige rendrait les lieux impraticables. Même Schtenkel redescendrait à Tichcou pour rejoindre sa maison.
- T'sais qu'ton feu y brûle toujours ! T'es un sacré mec l'chasseur !
Lyanne l'orienta après sur les pèlerins et sur le flamtimien. Il apprit ainsi que certains défendaient encore la position du prince-roi qui avait été vaincu. Schtenkel les reconnaissait sans difficulté. Ils avaient le regard fou des chasseurs de dragon.
- Et tu vas faire quoi, l'chasseur ?
- Mon destin est ailleurs. Je reprend la quête. Je cherche ce qu'il me manque.
Schtenkel se mit à rire.
- J'en étais sûr. Un chasseur est toujours un chasseur. Maintenant que t'as réglé l'sort du dragon, te v'là parti sur une autre piste !
Lyanne sourit à cette remarque. Schtenkel n'avait pas tort. Il était encore à la recherche de quelque chose. Sa vie entière serait-elle une quête ?

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