vendredi 27 novembre 2015

Les mondes noirs : 7

La première dame fut la première à la poignarder. Sans même prendre le temps de retirer son poignard de la poitrine de Dame Longpeng, elle fouilla son surcot. Elle jura et continua son inspection sous la chemise. Elle jura à nouveau, mais ne put se redresser. La quatrième dame venait d’abattre son sabre court sur sa nuque. La tête roulait au loin pendant que giclait le sang. Chimla retint un cri. Pour faire bonne mesure, la quatrième dame assassina deux autres dames du conseil.
- Mon nom de règne sera : Dame Érausot. Quelqu’un veut ajouter quelque chose ?
Sa posture menaçante, sabre haut, découragea les autres femmes qui mirent genou à terre pour prononcer le serment de soumission. Nul ne se faisait d’illusion. Ce serment était purement formel, à la moindre faute, la nouvelle Dame serait éliminée.
Chimla s’était précipitée pour soutenir la tête de Dame Longpeng agonisante. Elle poussa le cadavre de la première dame. Elle vit sa maîtresse ouvrir les yeux, la regarder et les refermer.
- Écoute, murmura-t-elle. Fais bon usage de ce que je vais te dire. Tu seras le moment venu une très bonne Dame du clan bleu, mais pour cela, il te faudra le talisman du clan que m’a volé Karabval.
Chimla comprit à peine les dernières paroles, tellement elles furent dites à voix mourante. Quand elle releva la tête pour regarder ce qui se passait, les gardes étaient entrées. Ces amazones étaient les guerrières les plus féroces du pays. Grâce à elles, le clan bleu avait traversé bien des crises. Leur chef regarda la situation et mit genou à terre. Tout le monde comprit alors d’où venait le sabre court que nul n’avait le droit de porter dans la salle du conseil.
- Chvada, tu seras pour moi, celle que tu as été pour Dame Longpeng et pour te remercier de tes loyaux services, tu superviseras aussi les gardes mâles.
Chvada ne put contenir un sourire en s’inclinant. Son pouvoir s’étendait. Dame Érausot fit un signe pour qu’on évacue les corps. Les servantes s’agitèrent et on installa les sièges un peu plus loin sur le dallage.
- CHIMLA !
La voix claqua comme un fouet.
- Fais-moi ton rapport et ne te permets pas ce que tu osais avec Dame Longpeng.
Chimla s’inclina et débita son rapport sans rien omettre de ce que lui avait dit Kricht. Elle raconta aussi sa rencontre avec Cigmal. Dame Érausot la questionna sur le lien qui l’obligeait face à Cigmal.
- Bien sûr, tu es liée par le code des honneurs, mais peut-être faudra-t-il un jour rompre ce lien.
Cette remarque sonna comme une menace. Chimla ne s’y trompa pas. Le plus simple pour Dame Érausot ne serait pas de tuer Cigmal. Chimla sortit à reculons en s’inclinant tous les trois pas. Elle vit Chvada s’avancer et murmurer à l’oreille de Dame Érausot qui, l’espace d’un instant, eut l’air déconfit. Chimla comprit que la fouille des deux corps n’avait pas permis de trouver le talisman. Pourtant Chvada glissa quelque chose dans la main de Dame Érausot qui se dépêcha de l’enfouir dans son surcot.

dimanche 22 novembre 2015

Les mondes noirs : 6

Chimla fit un semblant de révérence et reprit sa course. Elle n’avait pas donné l’information principale mais ne doutait pas que Cigmal la trouverait rapidement. Il ne fallait plus perdre de temps. Le clan bleu était en danger. Elle prit des couloirs moins sûrs mais aussi plus rapide. Tous les sens en alerte, elle évita plusieurs fois des rencontres plus ou moins agréables avant d’arriver en vue du palais du clan bleu. Elle montra patte blanche au portier. On appelait ainsi ce rituel propre à chaque clan.
Les portiers étaient des brutes épaisses et sans intelligence. Elles ne connaissaient que le morceau de cuir avec lequel on les avait élevées. Chaque clan élevait ses portiers avec un cuir dont l’odeur était infalsifiable. Chacun dans le clan en avait un morceau et c’est lui que Chimla devait montrer à chaque fois qu’elle rentrait. Le portier la regardait, la reniflait et se détournait. Malheur à celui qui ne l’avait pas. Les portiers avaient le corps plus dur que la pierre et bloquaient alors le passage laissant le soin aux gardes d’intervenir.
Chimla se précipita, sous le regard étonné des gardes, peu habitués à la voir courir ainsi. Elle bouscula même un mâle dominant qui exprima vertement ce qu’il allait lui faire dès qu’il l’aurait attrapée. Elle connaissait les lieux par cœur et prit les raccourcis lui évitant le flot des serviteurs. C’est ainsi qu’elle déboucha près de celle qui gardait la porte de Dame Longpeng. C’était heureusement une fille qui lui devait des services, elle se fit reconnaître et tout essoufflée lui demanda d’ouvrir la porte sans attendre.
Dame Longpeng était en conférence avec ses dames premières. Elles étaient le conseil qui gouvernait le clan. Elle s’interrompit au milieu d’une phrase en voyant entrer Chimla comme une flèche sans respecter les conventions. Cette dernière se jeta au sol avant d’être à bonne distance et finit son parcours en glissant sur les coudes et sur le ventre :
    -  Dame Longpeng… C’est une catastrophe !
Dame Longpeng fit taire d’un geste les dames premières qui manifestaient bruyamment leur désaccord à cette interruption.
    -  Parle Chimla !
    -  Karabval est compromis avec la bande de la taverne du puits sans fond.
Ce fut une cacophonie dans la salle du conseil. Toutes les dames parlaient en même temps, seule Dame Longpeng se taisait. Elle était devenue livide. Elle qui s’était mise debout pour imposer le silence se laissa tomber lourdement sur son siège. Le bruit mou qu’elle fit, imposa un silence complet plus efficacement que des cris.
    -  Nous sommes perdus… murmura-t-elle.
Chimla en fut peinée pour elle. Dans ce monde sans pitié, Dame Longpeng l’avait toujours épargnée. Elle remarqua pour la première fois ces rides profondes sur le visage de sa maîtresse. Dame Longpeng était une vieille femme. Ce fut un choc pour Chimla qui l’avait toujours considérée comme un roc inébranlable dirigeant le clan bleu.

mardi 17 novembre 2015

Les mondes noirs : 5

Elle fut brutalement arrêtée dans sa course. Quelqu’un venait de lui attraper le bras. Elle se retourna pour fusiller du regard celui qui venait de la stopper. Elle jura intérieurement. Cigmal du clan jaune ! Elle allait devoir jouer serré. Cigmal était un des mâles dominants de son clan.  Il se tenait dans le premier cercle de Dame Ségaze. Chimla grimaça de douleur.
 -   Lâche-moi ! Tu me fais mal. Je vais être en retard.
 -   Tout doux, ma belle. N'oublie pas ce que tu me dois.
Chimla se mordit la lèvre inférieure. Elle n'était  pas prête de l'oublier. Cigmal lui avait sauvé la vie. C'était un hasard mais elle était depuis définitivement liée par le code des honneurs.
 -    Quelqu’un m’a dit que tu avais vu ton gardien amoureux…
 -    Et alors… j’essaye juste de savoir ce qui se passe.
 -    Et tu cours comme une folle voir Dame Longpeng ! Ne me prends pas pour un idiot. Que sais-tu?
Chimla se débattit pour faire lâcher Cigmal, mais elle savait que si elle partait, il avait le droit de la tuer avant qu’elle n’ait fait trois pas.

 -    Rien qui intéresse le clan de Dame Ségaze!
 -    Ce n’est pas à toi de juger cela, ne m’impatiente pas !
 -    C’est la bande de la taverne du puits sans fond qui serait derrière tout ça.
Cigmal fronça les sourcils. Cette bande était composée d’un ramassis de vauriens dont certains du clan jaune. Ce n’était pas une bonne nouvelle. Il lui fallait en savoir plus.
 -    Que sais-tu d’autre ?
 -    Les gardiens les ont presque tous tués, mais certains seraient dans les mondes noirs, ce qui revient au même.
 -    Tu n’as pas tort, et ton amoureux prognathe n’a rien dit d’autre ?
 -    Il avait peur pour sa vie. La reine a donné carte blanche à Karvach.
Cigmal eut un rire mauvais :
 -    Qu’on élimine des gardiens est une bonne affaire pour les clans. Va et cours vers ta maîtresse, j’ai à faire. On se retrouvera.

jeudi 12 novembre 2015

Les mondes noirs : 4

La suivante n’en demanda pas plus et prit la fuite pour aller exécuter l’ordre. Karabval était un cas particulier dans le clan. Le moindre mâle qui aurait fait ce qu’il faisait aurait été éliminé. Il avait un pouvoir particulier sur Dame Longpeng. Tout le monde cherchait son secret.
La suivante courut le long des couloirs. Elle devait voir Kricht. Elle savait qu’il n’était pas parmi ceux qui avaient fauté. Elle l’avait rendu fou amoureux par un filtre que lui avait donné sa maîtresse. Elle avait compris qu’il était parti en patrouille. Elle le rencontra alors qu’il arrivait à la porte du temple. Il était un géant parmi les géants. S’il avait eu autant d’intelligence que de prestance, il aurait probablement commandé tous les gardiens. S’il était reconnu pour être le meilleur, cela n'empêchait pas les autres de se moquer de lui... derrière son dos. Elle grimaça. Il était avec Sschmall. Elle n’aimait pas Sschmall. Son regard lubrique la mettait mal à l’aise ainsi que ses sous-entendus. Pourtant elle s’avança minaudant pour attirer l’attention de Kricht. Elle fut soulagée de voir que son compagnon avait l’air trop préoccupé pour lui parler. Elle remarqua les goulques. D’habitude, elles ne demandaient qu’à rentrer. Aujourd’hui, elles rechignaient et sans sa ceinture de commande, Kricht ne les auraient pas dominées.
 -    Salut, mon grand ! Comment vas-tu ? minauda-t-elle.
 -    Ah ! C’est toi, Chimla. J’vais pas avoir le temps. On a couru après l’voleur mais l’est parti dans les mondes noirs.
Chimla sursauta. Les mondes noirs étaient à la fois leur protection et leur malheur. Si aucun étranger ne les traversait, personne ici n’en était revenu.
 -    Et c’est qui ce fou ?
 -    Tu dois pas connaître… C’est un mâle du clan bleu.
Pour Chimla se fut comme un électrochoc. Si pour Kricht, elle était une des nombreuses suivantes de la reine, Chimla appartenait  viscéralement au clan bleu. Elle se fit plus câline. Kricht n’avait pas la tête à la bagatelle. Il savait qu’il risquait de finir entre les mains de Karvach.
 -    Écoute, Chimla, C’est pas que j’voudrais pas, mais là j’ai pas l’temps.
 -    Allez, dis-moi… que j’me fasse mousser auprès des copines, répondit-elle avec un sourire enjôleur.
 -    Ah ! Ya pas ! T’sais y faire ! Mais tu m’retrouves après ton service….
 -    Quand tu veux et où tu veux… tu sais que j’peux rien te refuser...
Pour avoir l’information, Chimla était prête à tout. Elle lui fit un rapide baiser sur les lèvres en lui laissant plonger le regard dans son décolleté. L’effet fut immédiat. Le visage de Kricht se congestionna.
 -    Tu dragueras plus tard, lui cria Sschmall, on nous attend.

Kricht quitta à regret Chimla en lui disant :
 -    C’est la bande de la taverne du puits sans fond… Y’en a qu’un qui nous a échappé…
 -    Et qui ?
Kricht passait déjà sur le pas de la porte quand il répondit :
 -    Karabval !
Chimla retint un cri. Elle partit en courant vers Dame Longpeng. Karabval dans les mondes noirs ! La nouvelle était d’une importance capitale. Que sa bande de vauriens se soit fait massacrer par les gardiens et que Karabval ait disparu désignait le clan bleu comme coupable.

samedi 7 novembre 2015

les mondes noirs : 3

Tous les courtisans étaient sur le qui-vive. Il n’était pas bon de traîner sur le chemin de la reine. Mais il n’était pas bon non plus de ne pas savoir ce qui se passait et ce qui se tramait. Trop de gens s’étaient retrouvés avec un poignard dans le dos par ignorance. C’était un jeu subtil d’évitement ou de rencontres furtives.
Dame Longpeng était de celles qui étaient passées maître dans l’art de jouer à ce jeu. Elle avait envoyé ses suivantes rappeler à certains toutes les faveurs qu’ils devaient et surtout tout ce qu’ils risquaient à ne pas obéir. Toutes les grandes familles de la cour faisaient de même. Les couloirs furent rapidement remplis de gens. Chacun mettait ses réseaux en œuvre. La nouvelle du vol de l’Idole se propagea à la vitesse d’un feu de paille par grand vent. Dame Longpeng en eut un rictus de contentement. Elle allait pouvoir pousser ses prétentions devant cette reine qu’elle haïssait. Sans l’Idole, la royauté vacillait sur ses bases. L’Idole donnait le pouvoir mais en contrepartie, les rois et reines lui devaient protection. L’Idole était l’avatar, le réceptacle de la divinité sur cette terre. Ses suivantes ramenaient les informations. Dame Longpeng les triait et donnait ses ordres. Tout son clan était sur le pied de guerre. Ce vol était une chance de s’approcher du pouvoir suprême. La déroute des gardiens la combla de joie. Elle grimaça en apprenant que Karvach s’en occupait. Elle soupesa le risque qu’il trouve des indices de ce qui s’était passé. Il n’avait à sa disposition que les gardiens en poste ce soir-là. Elle pensa que ce n’étaient que des pions manipulés par un vrai joueur. Elle passa en revue dans sa tête, les différents clans, cherchant si l’un d’eux aurait pu préparer et surtout réussir une telle action.
- Ma Dame, dit Kinch. Les gardiens torturés semblent raconter n’importe quoi. Ils disent avoir vu bouger l’Idole. 
Dame ricana en entendant ce récit. L’Idole ne pouvait bouger toute seule. Ce n’était qu’un tas de pierres recouvertes d’or. Le vrai pouvoir de l’Idole était dans l'homuncule scellé dans son thorax là où un homme aurait eu un cœur. Elle était une des rares à connaître la vérité sur l’Idole et à la mépriser. Ce tas de cailloux n’avait d'intérêt que par la peur qu’il engendrait dans le peuple. Si elle affichait une foi inébranlable dans la divinité, elle n’y croyait absolument pas, comme les autres chefs de clan. Seule la puissance lui faisait courber l’échine. 
- Combien en a-t-il tué ?
- Il n’en restait plus que cinq quand je suis partie, Ma Dame. Tous ont raconté la même chose et pourtant Karvach n’a pas ménagé sa peine. J’ai commencé à entendre les cris en arrivant par le couloir des cuisines.
Dame Longpeng apprécia la performance. Vraiment Karvach était doué. Le meilleur bourreau du clan ne lui arrivait pas à la cheville. Elle eut un léger regret de ne pouvoir l’avoir à son service en entendant cela. Le plus important n’était pas là. S’il n’arrivait pas à tirer d’autres informations, on ne saurait jamais la vérité. Elle reprit ses supputations. Qui pouvait être derrière tout cela ? Une autre suivante entra.
- Vos ordres sont exécutés, Ma Dame. Nos hommes de main ont éliminé les gêneurs.
- Bien, et nous quelles sont nos pertes ?
Chaque crise était  l’occasion de se débarrasser de ceux qu’on ne pouvait atteindre facilement. La désorganisation engendrée était propice à ces coups de main.
La suivante cita quelques noms que Dame Longpeng balaya d’un revers de la main, rien que des proies prévues. Aucun des hommes du conseil n’était dans la liste.
- Seul Karabval manque à l’appel, Ma Dame.
Le front et les joues de Dame Longpeng s’empourprèrent. La suivante s’aplatit encore plus. La colère de sa Dame était redoutable.
- Trouvez-le ! dit-elle les dents serrées. Et amenez-le !

lundi 2 novembre 2015

Les mondes noirs : 2

Les hurlements de la reine couvraient ceux des gardiens achevant de mourir sur les pals. La garde noire menaçait les autres. La reine les avait fait rassembler en un troupeau, tous les gardiens présents dans le temple cette nuit-là. Légèrement détaché du lot, Mircht n’en menait pas large. Il n’avait eu la vie sauve que parce qu’il avait donné l’alerte. L’Idole avait disparu quand il était arrivé pour assurer la deuxième veille. Son cri avait réveillé les goulques qui somnolaient et leurs rugissements avaient fait le reste.
- Qu’on me trouve ceux qui gardaient la pièce sacrée !
Le chef de la garde noire fit une grimace d’assentiment. Il s’avança vers les gardiens agenouillés, et hurla sa demande. Les gardiens tremblèrent.
Tant que l’Idole était là, ils étaient intouchables. Tout le monde, même la reine, leur devait le respect. Ils en avaient bien profité, pillant et détroussant en toute impunité. Certains même s’étaient attaqués à l’entourage royal. On les avait retrouvé morts égorgés. Le coupable n’avait jamais été puni. Les goulques, elles-mêmes, à la vue perçante et à l’odorat infaillible, n’avaient pas pu suivre de trace. Quand Karabval avait laissé entendre que c’était l’Idole qui avait fait cela pour se venger des gardiens qui la déshonoraient, cela avait engendré une double rumeur. “Les pouvoirs de l’Idole étaient sans limite” était la première. La deuxième faisait de Karabval le tueur mystérieux.
La perte de l’Idole les laissait aussi démuni qu’un smoul sans sa coquille. Les gardiens pourtant gardèrent le  silence. Le rictus de Karvach s’agrandit. Il adorait torturer et aujourd’hui, il allait se rassasier.
La reine était partie quand il commença ses basses besognes sur le premier de ses prisonniers. Étalé sur une planche, dépouillé de ses vêtements et surtout de sa ceinture, le gardien tremblait de peur. Si leur race était grande, celle qui fournissait la garde noire était encore plus grande. Karvach avait la réputation d’avoir tué une goulque à mains nues. Quand on voyait sa carrure et les énormes battoirs qui lui tenaient lieu de mains, quand on observait les griffes qui les prolongeaient, on ne pouvait que le croire. Il entreprit d’ailleurs de faire parler le gardien en lui découpant la peau avec.