jeudi 29 décembre 2011

Le dislocateur était revenu

Le dislocateur était revenu le lendemain à la clairière. Les loups noirs l'avaient précédé. Ils avaient dispersé ses tas. La femme avait presque disparu. De l'enfant il ne restait que quelques lambeaux de vêtements. De l'homme étranger, il ne trouva aussi que quelques fragments de ce qu'il portait et une main entière, la droite. Il pensa qu'il pourrait récupérer l'anneau sur le majeur maintenant que les loups étaient passés. Il continua l'inventaire de ce qui restait. Il fut étonné. Tous les restes des villageois étaient présents. Il eut un instant de panique. Cela n'était pas normal. Les loups noirs d'habitude mangeaient tout ou rien mais jamais il ne les avait vus sélectionner comme cela. Il remit au lendemain le projet de prendre la bague de l'étranger pour lui. Il sortit de sous ses fourrures un bâtonnet de spimjac. Cette herbe avait la propriété d'apaiser les loups noirs. Il en utilisait régulièrement et fumait ses vêtements avec. Autant les citadins adoraient des esprits divers, menés par leur sorcier, autant le dislocateur comme tous les marginaux de la forêt et des montagnes neigeuses rendait un culte au Grand Loup Noir. Il connaissait les deux meutes qui passaient assez régulièrement par la région. La plus impressionnante était menée par une grande louve au regard rouge. C'est cette meute, il en était sûr, qui était à l'origine de ce prodige. Il se remit à l'œuvre, prenant bien soin de ne pas toucher aux restes des étrangers. Le soir venu, il avait presque fini le transfert. Si demain, il trouvait encore quelque chose, il l'emmènerait vers la faille. Il leva le regard. La nuit tombait vite, comme toujours en cette saison. Cotban devait tenir le ciel car il n'y avait pas un nuage. Le vent venait des montagnes neigeuses. Il était glacé. Les étoiles brillaient. Le dislocateur récupéra le bois qu'il avait ramené lors de ses voyages de retour. Il se félicita. Il avait bien travaillé. La clairière était presque nettoyée et il avait un bon chargement de bois. Au moment où il chargeait le premier fagot, un hurlement se fit entendre au loin vers le col de l'homme mort. Comme toujours, il eut une pensée pour cet homme dont on ne savait rien, retrouvé gelé là et qui avait donné ce nom au col. Lui aussi était un étranger. La lune était pleine. Un cycle s'achevait. Encore une dizaine de cycle et le printemps arriverait. Il se pencha pour prendre le deuxième fagot. La lumière baissa brusquement. Le temps qu'il se relève, elle était revenue. Une odeur flottait dans l'air. Une odeur qu'il ne connaissait pas. Il se pensa en danger et hâta le pas vers sa grotte d'habitation.

lundi 26 décembre 2011

Le soleil se couchait

Le soleil se couchait quand le groupe qui avait fait procession arriva à la porte. Chan savait que le malch noir attendait les hommes, qu'on parlerait de ce nouveau signe. Une des pierres de la clairière de la dislocation avait cassé. Vraiment, il se passait de drôles de choses pendant cet hiver. Même au temps de Hut le fondateur, les légendes ne racontaient pas autant de choses. On allait gloser sur le phénomène jusqu'à que le malch noir s'épuise. Il aurait bien aimé que Kyll vienne partager ce moment avec les autres. Il pensait que cela aurait calmé l'esprit des gens. Kyll avait suivi la tradition, avec ses disciples, il était retourné au temple.

samedi 24 décembre 2011

Il regarda partir les autres

Il regarda partir les autres, ceux de la ville, comme il les désignait. Le maître sorcier ne lui facilitait pas la tache. Il se demanda s'il pourrait porter le corps entier. Il commença par rassembler les morceaux par genre. Puis quand les tas furent faits, il en chargea un dans un grand sac de cuir et partit vers les profondeurs de la forêt. Il marcha ainsi d'un bon pas longtemps, jusqu'à un escarpement. Il y avait là une faille pas très large mais tellement profonde qu'il n'avait jamais vu le fond même en jetant une torche enflammée dedans. Il se débarrassa de son premier chargement et repartit vers la clairière. En cette saison, il savait qu'il ne pourrait pas tout transporter en un jour surtout avec tous ces corps. Si le temps se maintenait et si les loups noirs passaient par là, il ne mettrait pas longtemps à finir sa besogne, deux peut-être trois jours.

jeudi 22 décembre 2011

Ce matin-là, le soleil brillait

Ce matin-là, le soleil brillait. Sa lumière ne réchauffait pourtant pas. Il éclairait un air sec et glacial. Les familles portaient leurs morts sur des brancards faits de longues perches reliés par un tissu de laine blanc orné de dessin géométrique en laine rouge. Chaque famille avait tissé le sien. Pour qui savait lire les signes, il retraçait la vie de celui, ou celle qui était couché dessus. Les étrangers n'avaient eux droit qu'à des couvertures blanches sans motifs. Le vieux maître sorcier partait, porté par ses disciples sur un linceul somptueux. Mélangeant laine, cuir et fibres végétales, il avait demandé des mois de travail. Devant les porteurs, en robe de cérémonie Kyll psalmodia les hymnes nécessaires. De chaque côté, se tenaient des porteurs de torches de Clams dont la fumée entourait la procession. Chan se joignit à eux quand ils passèrent devant la maison commune. Il avait revêtu ses habits de commandement. Il y aurait une autre cérémonie comme cela dans plusieurs dizaines de dizaines de jours. Chan ressentait toujours de l'émotion lors de ces cérémonies. Le temps de la neige était un temps particulier. Les morts étaient laissés au froid, ce qui les conservait jusqu'à ce que le soleil revienne suffisamment pour faire la dislocation. Cette année avait été particulièrement difficile, Sioultac trop présent. Chan avait accompagné la cérémonie des premières neiges et espérait qu'il n'y en aurait pas trop pendant la saison froide. Pas comme l'année de l'ouragan, encore jeune homme, il y avait eu une épidémie de décès. A chaque nouvelle lune, il avait vu le chef de ville accompagner un cortège comme celui-là. Il remuait toutes ces pensées pendant qu'ils approchaient de la porte haute. Elle fut ouverte devant eux. Les miliciens patrouillaient devant eux. Il y avait peu de risques que les loups reviennent. Pourtant Sstanch avait l'arme à la main en menant sa troupe. Ils passèrent devant la pierre qui bouge, tournèrent à droite et allèrent vers la clairière du sacrifice. Le chemin avait été dégagé la veille. La neige bien tassée, ne glissait pas. Le passage dans la forêt fut assez bref, quelques centaines de pas. Il n'y eut que le bruit des paquets de neige tombant des branches. Quand ils débouchèrent dans l'espace dégagé de la clairière, Kyll s'arrêta un moment. Levant les bras vers le ciel, il psalmodia le chant qui apaise les esprits. Le dislocateur était déjà là. Il se tenait non loin des pierres plates qui avaient été amenées aux cours des âges par les ancêtres. Sa position était particulière. Sa charge était indispensable mais personne ne l'aimait, ni ne le fréquentait. Il était impossible de dire si son caractère de loup noir était la cause de sa désignation comme dislocateur, ou le contraire. Il vivait seul à l'écart de la ville. Il venait se servir chez l'un ou l'autre sans jamais rien payer. Il chassait aussi, amenant des peaux qu'il troquait parfois. Un mystère était que jamais aucun animal ne l'avait attaqué alors qu'il errait régulièrement seul dans les bois. Il regarda Kyll et prépara sa lourde lame. Les brancards arrivaient les uns derrière les autres. Ils furent déposés chacun sur une pierre. Seule la femme étrangère partageait sa pierre avec l'enfant qui fut fils de Chountic.
Les porteurs firent un cercle. Les torches de clams furent plantées en terre formant le dessin d'une main. Kyll fit une station devant chacun des doigts ainsi symbolisés et chanta l'hymne qui lui correspondait. Ceux qui regardaient répondaient par un chant monophonique bouche fermée.
- Que les esprits accueillent ceux qui passent le passage! Qu'ils les accompagnent sur les chemins de l'au-delà. Que nous soyons bénis si nous gardons leur souvenir, que nous soyons maudits si nous les oublions.
Baissant les bras, il se tourna vers le dislocateur et lui dit:
- Les esprits sont satisfaits, fais ton ouvrage.
L'homme s'approcha du corps gelé du vieux sorcier. Levant bien haut sa lame, il l'abattit avec force. La lame sonna en tapant sur le rocher après avoir séparé la tête du corps. Il reprit son élan et disloqua ainsi le corps en morceaux.
Kyll le regardait faire. Le vieux sorcier avait de la chance. Celui qui le disloquait connaissait son affaire. Il travaillait adroitement. Les morceaux ne bougeaient pas malgré la violence du choc. Il savait que l'homme allait faire ainsi avec tous les corps puis qu'il irait disperser les morceaux dans différents endroits de la forêt. Lui seul saurait où, mais nul le demanderait.
Arrivé à la femme et l'enfant, il continua son cérémonial. Ils étaient les derniers corps entiers. La lame s'abattit une nouvelle fois en tintant. Mais le bruit fut différent. Le dislocateur s'arrêta. La pierre venait de se fendre. Il se tourna vers Kyll. Il n'avait jamais vu cela. Ils avaient tous toujours connu ces pierres. La légende faisait remonter l'installation de la première à Hut le fondateur. Quant aux autres, personne ne pouvait retracer leur histoire. Tous les regards convergèrent vers Kyll. Celui-ci se sentit affreusement seul. Tous attendaient qu'il interprète ce signe. Il n'avait pas d'idée. Pourtant il ne fallait pas qu'il laisse le silence s'installer.
Il avança d'un pas et prit la parole. Il sentit le soulagement des participants
- L'esprit de la pierre a parlé. Que la femme et l'enfant restent comme ils sont. Ainsi en a décidé l'esprit de la pierre. Dislocateur, tu ne toucheras pas ces deux corps. Laisse-les là. Les esprits enverront leurs messagers.
Il ne savait pas pourquoi, il disait cela. Continuer la dislocation des corps, lui semblait impossible. Personne ne contesta ses dires. Kyll reprit le cours des psalmodies. Les porteurs de torches, reprirent leurs flambeaux et tout le monde reprit la route de la ville, laissant seul le dislocateur avec les corps.

mardi 20 décembre 2011

Les deux jours qui suivirent

Les deux jours qui suivirent furent consacrés aux préparatifs de la cérémonie de la dislocation. Les corps furent exposés au froid très vif de la nuit hivernale dans la pièce des morts, revêtus d'un simple drap sauf les deux étrangers. L'homme et la femme furent déposés habillés de leur parure sans leur fourrure. Le fils de Chountic fut déclaré vivant et le corps de l'enfant qu'on exposait fut revêtu des habits de l'enfant étranger. Ainsi le voulait la coutume. Talmab fut heureuse du  départ de l'enfant sans nom. Elle se sentait épuisée par ces deux enfants à nourrir. La femme de Chountic avait encore du lait. Elle prit l'enfant sans un mot et rentra chez elle. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit de se plaindre, ni d'assister à la cérémonie. Pour tous Brtanef était redevenu vivant.

dimanche 18 décembre 2011

Quand Chan vit arriver Kyll

Quand Chan vit arriver Kyll, il comprit tout de suite. Sa tenue ne laissait aucun doute.
- Bonjour, Maître Sorcier. Le vieux Maître est mort.
- Oui, Chan, chef de ville. Le Maître est très bien passé. Il nous faut prévoir la suite.
- Nous avions l'habitude de faire une cérémonie pour tous les morts de la première période. Voulez-vous faire pareil ou bien préférez-vous faire une cérémonie à part pour votre maître?
Kyll fut étonné du changement de ton. Plus encore que le changement d'habits, ces marques de déférence marquaient le passage du statut de premier disciple à celui de maître.
- Je pense qu'en unissant nos morts, la cérémonie serait plus belle. Il y a combien de personnes à accompagner dans le passage et la dislocation?
- Il y a les anciens, Stamoul, Barton, Schimtal et Stouf, puis deux troisième saison, Biscal fils de Stoun et puis Brtanef qui est resté aussi petit qu'un première saison fils de Chountic. Je ne sais pas si on rajoute l'étrangère? Il faut peut-être...
- Chan !
Chan et Kyll se tournèrent vers le nouvel arrivant.
- Oui, Sstanch?
- L'étranger vient de mourir. Il a fini de souffrir. Le mal noir était remonté jusqu'à son épaule.
- Nos problèmes vont se régler. L'enfant restera. On le confiera à Stoun ou à Chountic. Cela leur fera les bras qu'ils ont perdus.
Kyll sentit monter en lui la chaleur caractéristique de ses visions. Il poussa un cri et se sentit tomber.
Sstanch rattrapa Kyll au vol. Il le posa à terre avec un respect et une crainte que Chan lui avait rarement vus.
- Qu'est-ce qui se passe, Chef de ville?
- L'ancien Maître Sorcier m'en avait parlé mais je ne l'avais jamais vu. Selon lui, notre nouveau Maître Sorcier pourrait contacter les esprits directement sans faire de rite spécifique. A moins que ce ne soient les esprits qui le contactent.
Kyll était agité de soubresauts. Les yeux révulsés, il avait un peu de bave qui lui coulait de la bouche. Ni Chan ni Sstanch ne savaient quoi faire. Heureusement la crise dura peu. Sstanch aida le maître sorcier à s'asseoir.
- Comment vous sentez-vous Maître Sorcier?
- Les esprits m'ont visité, dit Kyll d'une voix tremblante. Leur visite est un honneur et une épreuve. Aidez-moi à me relever.
Quand il fut remis sur ses pieds, le nouveau maître sorcier, brossa sa robe et remit sa cape en place.
- La voie est dite par les esprits. Les étrangers doivent participer à la cérémonie de la dislocation avec leurs biens. Qu'on les expose cette nuit. Je ne sais pas pourquoi c'est si important, mais il ne faut pas parler de l'enfant comme un étranger, jamais et à personne!
- Bien, Maître Sorcier. Nous ferons comme cela, puisque telle est la volonté des esprits.

jeudi 15 décembre 2011

La neige cessa de tomber.

La neige cessa de tomber. Ce n'était pas encore le soleil d'hiver que tous espéraient. Le ciel restait gris comme le moral des uns et des autres. Personne n'avait oublié la présence étrangère. Cela planait comme une menace sourde. Le vieux sorcier s'éteignait comme il l'avait prédit.
- Ne crains pas, Kyll. Je ne fais que changer de bord. Je rejoins ce monde que j'ai tant de fois scruté. Tu es maintenant assez expérimenté pour prendre la suite et guider la communauté de notre ville.
- Je me sens pourtant si faible sans votre présence pour me guider.
- Tu vas t'inscrire dans la lignée des sorciers de ce lieu. Ton premier rite sera de célébrer ma dislocation. Je compte sur toi pour la réussir. Je n'aimerais pas être perdu là-bas.
Kyll assura son maître qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que la cérémonie soit une réussite. Il était au bord des larmes. Le maître sorcier l'avait élevé depuis qu'il était enfant. S'il n'avait jamais été un père, il avait su révéler Kyll. Sous la conduite de son maître, il avait développé des talents de médium qui étaient précieux dans les rites.
- Tu seras un bon sorcier, meilleur que moi Kyll. Tu as le don que je n'ai jamais eu. Tu es proche du monde des esprits.
Le vieux sorcier eut un soubresaut.
- Le moment est proche maintenant. Commençons.
Kyll se releva. Aidé par un des assistants, il enfila la robe de maître sorcier. D'une voix qu'il espérait assurée, il dit:
- Que commence le passage, que s'ouvrent les portes devant celui qui part. Que l'on allume le premier fanal.
Le plus jeune des apprentis alluma une torche de bois de Clams. Son odeur était lourde et suave. Les volutes de fumée montèrent doucement. La pièce parut se remplir de présences.
Kyll sentit arriver les esprits, les uns après les autres au fur et à mesure que l'on allumait les torches de Clams. Il avait la tête qui commençait à lui tourner. Certains apprentis étaient déjà partis dans des voyages oniriques. Kyll sentait ses sens s'affiner. Autour de lui, si les objets réels semblaient perdre de leur consistance, les objets sacrés chargés de forces spirituelles devenaient plus présents. Il avait l'impression qu'en avançant la main, il pourrait toucher un des esprits. Ceux-ci faisaient cercle autour du vieux sorcier, petite silhouette desséchée sur sa couche. Pourtant il ne l'avait jamais vu aussi lumineux. Il vit le passage se faire quand la lumière qui irradiait se leva. Les esprits firent demi-tour et entamèrent une procession. La forme lumineuse qui avait été son maître leur emboîta le pas. Quand tous furent sortis la pièce sembla rapetisser. Ne restaient qu'une dépouille et un homme à la peine immense.
Kyll savait qu'il ne pouvait se laisser aller aux larmes. Le rite n'était pas fini. Sur son ordre, les apprentis commencèrent à préparer le corps.
Kyll se dévêtit doucement.
- Maître, préparons-nous la dislocation maintenant?
- Maître! Maître ?
Kyll s'aperçut que c'était à lui qu'on s'adressait. Il était le maître sorcier. C'est à lui qu'incombait maintenant la direction du temple et des rites.
- Non, attendez, il faut que je prévienne le chef de la ville. Nous ne pouvons pas faire le rite sans qu'il soit là.

lundi 12 décembre 2011

La Solvette examinait

La Solvette examinait le bras de l'étranger. Elle jurait contre les loups noirs. Ces morsures s'infectaient quasiment toujours. Les os juste au-dessus du poignet étaient broyés. La teinte verte avec des reflets noirs de la peau malgré ses cataplasmes d'herbe de tench l'inquiétait beaucoup. L'homme délirait de fièvre. Il n'arrêtait pas de babiller des mots incohérents, en tout cas que personne ne comprenait. Il n'avait pas fait de vrai repas depuis dix jours. Elle arrivait à lui faire passer un peu d'eau et de bouillon entre les dents. C'était tout.
Elle refit le plus doucement possible le pansement. L'homme gémit quand même malgré le bouillon coupé de tisane calmante. La femme était morte depuis trois jours. Celui-là n'irait pas bien loin. Seul l'enfant qu'elle avait été voir semblait se porter comme un charme. La Solvette était rarement d'accord avec le maître sorcier. Pour une fois, elle pensa comme lui que Talmab capable d'allaiter était une bénédiction.
Bientôt une autre image remplaça celle de l'enfant étranger devant ses yeux. Le fils de Chountic, avait une fièvre avec des diarrhées vertes. Il était né au printemps dernier. Malgré les soins de sa mère, il était resté chétif. Avec le froid survivrait-il?

samedi 10 décembre 2011

Tu as été bien généreux

- Tu as été bien généreux avec Kalgar!
- Je sais, Maître Sorcier. Mais la ville a besoin de lui. Il est le seul forgeron capable de toute la région. Ses outils et ses armes sont réputés dans toute la vallée.
- Oui, je sais, mais de là à offrir du Milmac blanc à sa femme...
- Tu connais bien les esprits, mais moi je connais les hommes. Avec ça, Kalgar ne partira pas.

jeudi 8 décembre 2011

Tu as été bien long

- Tu as été bien long, Kalgar.
- Je sais, Talmab. Mais regarde!
Talmab se retourna.
- Oh! Une cape de Milmac. Et blanche en plus! Mais tu es fou, nous ne pouvons nous permettre cela.
- C'est un remerciement pour toi, pour nous!
- Mais pourquoi?
- Sans la petite, nous aurions eu l'opprobre de ne pas pouvoir nous occuper de l'étranger. Fut-il un enfant! Chan sait bien la manière de se conduire des habitants de la ville par rapport aux familles où naissent les hors-saisons. Le conseil tient à ce que tout le monde sache que cette hors-saison-là est une bénédiction. Il veut que tu saches que tu as son estime.

lundi 5 décembre 2011

Le miracle occupa l'esprit des gens

Le miracle occupa l'esprit des gens, les jours suivants. Comment la pierre qui bouge avait-elle pu chauffer comme cela? Tous les habitants de la ville à un moment ou à un autre vinrent mettre la main sur la pierre qui bouge. Elle mit cinq jours à refroidir. La neige s'était remise à tomber doucement mais sans s'arrêter. Le temps restait gris mais sans vent. Le paysage reprenait son aspect habituel en cette saison avec un blanc uniforme. Cela laissait le temps de dégager les rues. La ville aurait probablement pu passer complètement inaperçue sans les fumées qui s'échappaient des maisons. Talmab, la femme de Kalgar s'occupait des deux petits. Si sa fille l'enchantait, l'autre lui faisait un peu peur. Il n'était pourtant pas bien grand mais regardait les gens fixement comme s'il scrutait leurs pensées. Pour l'instant, il n'avait pas de nom. La petite fille non plus, mais pour elle c'était simple. Bien que hors-saison, elle avait été agréée par les esprits et pouvait rejoindre le lot commun des enfants qui naîtraient au printemps. Elle recevrait son nom à ce moment. D'ici là, elle aurait droit aux surnoms de sa famille. Elle avait rejoint la maison près de la forge. Pour eux la vie reprenait un cours plus habituel, même si l'arrivée de deux petits était très perturbante. Elle allait moins à la forge tout occupée par ses occupations près des enfants. Kalgar se prenait à regretter ces temps à deux. Il était toujours le maître de la maison, pourtant il se sentait dépossédé. Pour ne pas trop y penser, il travaillait dur, d'autant plus que Chan lui avait passé commande de points de flèches, de lances et d'épées. L'arrivée des étrangers avait réveillé la peur. Il la sentait quand il allait à la maison commune. On ne le regardait plus pareil. Les gens disaient les mêmes mots que d'habitude. Lui, il sentait leur réticence à lui parler. Père d'une hors-saison et hébergeur d'un étranger, il devenait suspect. On ne pouvait se passer de lui. Même s'il avait quelques jeunes en formation, aucun ne savait manier le marteau correctement et encore moins ne connaissait les secrets d'une bonne trempe. Il pensait que tout cela se tasserait avec le printemps. Il soupira une fois de plus. Le printemps n'arriverait pas avant un temps de grossesse. Maintenant que la fête de la longue nuit était passée, les conceptions allaient commencer. Talmab et lui étaient surtout coupables de n'avoir pas attendu pour s'unir. La réprobation était d'autant plus forte qu'elle se doublait de la jalousie de ne pas avoir pu faire pareil. Il pensait à tout cela en montant la fabrication du jour. Comme peu d'hommes savaient manier l'épée, il se concentrait sur des pointes de lance et sur des lames courbes de serpe. Arrivé à la maison commune, il entra. Le silence se fit. Il n'y était pas encore habitué. Il se sentit blessé. Sans un mot il se dirigea vers Sstanch :
- Voilà ce que j'ai fait aujourd'hui. Je pense pouvoir faire autant demain.
- Merci, Kalgar. Ne prends pas les choses mal. Tout le monde est inquiet avec cette histoire. La femme est morte aujourd'hui. Les esprits avaient raison. La Solvette essaye de s'occuper de l'homme, mais la fièvre s'est emparée de lui et il délire. Chan s'inquiète peut-être pour rien, mais c'est un homme prudent. Si tu as le temps, fais-moi une nouvelle épée.
- Je te la ferai ces jours-ci, Sstanch. Je vais rentrer.
- Attends, Kalgar!
Celui-ci se retourna en entendant la voix de l'ancien.
- Viens partager le malch noir avec nous.
Kalgar faillit refuser. Il ne se sentait pas de faire cet affront à un ancien. Il s'approcha de la table. Le minimum de politesse voulait qu'il boive un verre même debout. Il décida de ne pas se laisser aller et de repartir vite.
Un batch lui fut apporté. Il fut sensible à cet honneur. Servir le malch noir dans un batch était un signe d'honneur.
- Assieds-toi, Kalgar.
Au lieu du banc habituel, Chan lui désigna un siège.
- Pourquoi autant d'honneurs?
Chan reprit la parole.
- Je pense, nous pensons tous au sein du conseil, que tu mérites les honneurs et non la réprobation. Bien sûr, tu as fait une hors-saison, mais les esprits l'ont agréée. Mieux que cela, sans ce fait, nous n'aurions pas pu remplir nos devoirs d'hospitalité envers l'enfant étranger. Personne n'aurait pu le nourrir. Le maître sorcier qui voit souvent des présages mauvais, pense que cette histoire pourrait bien finir.
Kalgar regarda les anciens qui opinaient de la tête pour approuver les paroles de Chan. Son malch noir eut soudain meilleur goût.
- Toi, qui es maître de forge, peut-être as-tu une idée sur la pierre qui bouge?
- Elle était chaude, comme les pierres de ma forge, mais je ne sais pas ce qui a pu ainsi la chauffer. Les loups ont profité de sa chaleur mais ce n'est pas eux qui ont pu faire cela. Qu'en dit le maître sorcier?
- Il est perplexe. Il n'a jamais vu cela, ni personne d'ici d'ailleurs. Les esprits lui ont révélé que le phénomène était lié aux étrangers. Peut-être que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes avec leur mort.
- Le père du père de mon père racontait que seuls les grands êtres peuvent faire cela. Dans la tradition de la forge, ils sont nos maîtres. Les secrets viennent d'eux, comme le feu et le métal. Ils étaient capables de faire du feu avec leur bouche et de forger le métal à mains nues. Si leurs yeux se posaient sur quelque chose, ou quelqu'un ils pouvaient le consumer d'un coup d'un seul!
- Où trouve-t-on les grands êtres?
- D'après les légendes, ils ont disparu de la surface de la terre.
- J'en parlerai au maître sorcier. Peut-être pourra-t-il nous en dire plus?

vendredi 2 décembre 2011

Aux premières lueurs du jour

Aux premières lueurs du jour, Kalgar s'habilla rapidement. Il était resté dans la maison commune avec sa femme. Lorsqu'il ouvrit la porte, il grimaça. La neige s'était accumulée. Il avait devant lui un mur de neige qui lui arrivait à mi-cuisse. En cette saison, ce n'était pas rare. La vie n'avait pas encore repris dans la ville. Il soupira, retourna chercher la pelle à neige et entreprit de se dégager un chemin. Il lui fallut du temps pour arriver jusqu'à la petite place où se dressait la tour de guet.
- Ah, Kalgar! C'est bien que tu m'aies dégagé la route.
Se retournant, Kalgar vit arriver Filt avec sa pelle à neige sur l'épaule.
- Sstanch m'a demandé de faire le guet ce matin. Cette histoire d'étrangers ne lui plaît pas.
- Monte et dis-moi si c'est libre dehors.
- J'ai pensé que tu serais là. J'ai amené mon arc.
Les deux hommes se séparèrent. Chacun faisant un chemin, qui vers la tour, qui vers la porte.
Kalgar arrivait à la porte quand Filt escaladait l'échelle.
- Knam ! Il y a toute une meute !
Kalgar se retourna en entendant le cri de Filt. Il fit tomber la lourde barre de bois qui barrait la porte.
- Attends Kalgar, il y a au moins vingt loups noirs.
- Qu'est-ce qu'ils font?
- C'est ça qui est étrange, ils sont couchés près de la pierre qui bouge.
- Tu vois la pierre qui bouge?
- Ben oui!
- Avec toute cette neige tu la vois?
- Comme je te vois!
Kalgar se précipita sur la porte. Bandant ses muscles, il tira pour entrebâiller le battant. Elle grinça comme si elle protestait pour se mettre en mouvement. Filt banda son arc, encocha une flèche et se prépara à tirer.
- N'ouvre pas, Kalgar! Les loups pourraient rentrer!
Celui-ci ne l'écoutait pas. Il força encore plus. Il eut bientôt assez de place pour se glisser dehors.
Certains loups se levèrent, dressant les oreilles. Une grande femelle monta sur la pierre qui se mit à osciller doucement. Elle regarda vers Kalgar puis tourna la tête vers l'endroit où avaient été déposés les enfants. Filt aurait voulu l'abattre mais il savait qu'à cette distance, il manquait de précision. Il préféra garder sa flèche pour le moment où ils allaient attaquer Kalgar, espérant que quelqu'un viendrait fermer la porte avant que les loups ne rentrent dans la ville.
La louve leva la tête et poussa un long hululement. A son cri, les autres loups se mirent sur leurs pattes. Elle descendit tranquillement de la pierre qui bouge pour se diriger vers la forêt, derrière elle en file indienne, les grands loups noirs lui emboîtèrent le pas. Kalgar se démenait comme un sqach sous le sort du sorcier. De sa pelle, il traçait un chemin. Il n'était pas arrivé à la moitié que les loups avaient atteint la forêt. La louve s'arrêta alors. Elle regarda l'homme qui allait vers la pierre.
Filt tenait toujours son arc bandé. Lentement il laissa aller son bras vers l'avant. Il n'avait jamais vu cela. Une meute de loups ne pas attaquer une proie facile pour eux. Ce n'est pas avec deux bébés qu'ils avaient pu être rassasiés.
Kalgar ne voyait rien de ce que faisaient les loups. Il voulait savoir. La Solvette lui avait dit que ces enfants étaient pleins d'énergie vitale, surtout le garçon.
Plus il approchait de la pierre qui bouge et moins il y avait de neige. Il se demandait ce qu'il allait trouver. Cette meute de loups n'avait pas dû laisser grand chose. Il donna un coup de pelle, encore un, encore un. Le dernier n'avait pas ramené grand chose. Il regarda devant lui. La neige avait fondu. Il lâcha sa pelle et courut vers la pierre qui bouge. Il s'arrêta brusquement.
La louve hurla un cri bref et s'enfonça dans la forêt.
Kalgar n'en croyait pas ses yeux. Sous la pierre qui bouge, sans l'ombre d'un flocon de neige, les deux enfants dormaient dans la douce chaleur du lieu. La douce chaleur du lieu? Ce n'était pas possible. Entre la tempête et la neige, il devait geler à pierre fendre. Il regarda autour de lui. Il avança la main. La pierre qui bouge était chaude. Les esprits avaient décidé. Il prit les deux enfants et se rua vers la maison commune.