Le miracle occupa l'esprit des gens, les jours suivants. Comment la pierre qui bouge avait-elle pu chauffer comme cela? Tous les habitants de la ville à un moment ou à un autre vinrent mettre la main sur la pierre qui bouge. Elle mit cinq jours à refroidir. La neige s'était remise à tomber doucement mais sans s'arrêter. Le temps restait gris mais sans vent. Le paysage reprenait son aspect habituel en cette saison avec un blanc uniforme. Cela laissait le temps de dégager les rues. La ville aurait probablement pu passer complètement inaperçue sans les fumées qui s'échappaient des maisons. Talmab, la femme de Kalgar s'occupait des deux petits. Si sa fille l'enchantait, l'autre lui faisait un peu peur. Il n'était pourtant pas bien grand mais regardait les gens fixement comme s'il scrutait leurs pensées. Pour l'instant, il n'avait pas de nom. La petite fille non plus, mais pour elle c'était simple. Bien que hors-saison, elle avait été agréée par les esprits et pouvait rejoindre le lot commun des enfants qui naîtraient au printemps. Elle recevrait son nom à ce moment. D'ici là, elle aurait droit aux surnoms de sa famille. Elle avait rejoint la maison près de la forge. Pour eux la vie reprenait un cours plus habituel, même si l'arrivée de deux petits était très perturbante. Elle allait moins à la forge tout occupée par ses occupations près des enfants. Kalgar se prenait à regretter ces temps à deux. Il était toujours le maître de la maison, pourtant il se sentait dépossédé. Pour ne pas trop y penser, il travaillait dur, d'autant plus que Chan lui avait passé commande de points de flèches, de lances et d'épées. L'arrivée des étrangers avait réveillé la peur. Il la sentait quand il allait à la maison commune. On ne le regardait plus pareil. Les gens disaient les mêmes mots que d'habitude. Lui, il sentait leur réticence à lui parler. Père d'une hors-saison et hébergeur d'un étranger, il devenait suspect. On ne pouvait se passer de lui. Même s'il avait quelques jeunes en formation, aucun ne savait manier le marteau correctement et encore moins ne connaissait les secrets d'une bonne trempe. Il pensait que tout cela se tasserait avec le printemps. Il soupira une fois de plus. Le printemps n'arriverait pas avant un temps de grossesse. Maintenant que la fête de la longue nuit était passée, les conceptions allaient commencer. Talmab et lui étaient surtout coupables de n'avoir pas attendu pour s'unir. La réprobation était d'autant plus forte qu'elle se doublait de la jalousie de ne pas avoir pu faire pareil. Il pensait à tout cela en montant la fabrication du jour. Comme peu d'hommes savaient manier l'épée, il se concentrait sur des pointes de lance et sur des lames courbes de serpe. Arrivé à la maison commune, il entra. Le silence se fit. Il n'y était pas encore habitué. Il se sentit blessé. Sans un mot il se dirigea vers Sstanch :
- Voilà ce que j'ai fait aujourd'hui. Je pense pouvoir faire autant demain.
- Merci, Kalgar. Ne prends pas les choses mal. Tout le monde est inquiet avec cette histoire. La femme est morte aujourd'hui. Les esprits avaient raison. La Solvette essaye de s'occuper de l'homme, mais la fièvre s'est emparée de lui et il délire. Chan s'inquiète peut-être pour rien, mais c'est un homme prudent. Si tu as le temps, fais-moi une nouvelle épée.
- Je te la ferai ces jours-ci, Sstanch. Je vais rentrer.
- Attends, Kalgar!
Celui-ci se retourna en entendant la voix de l'ancien.
- Viens partager le malch noir avec nous.
Kalgar faillit refuser. Il ne se sentait pas de faire cet affront à un ancien. Il s'approcha de la table. Le minimum de politesse voulait qu'il boive un verre même debout. Il décida de ne pas se laisser aller et de repartir vite.
Un batch lui fut apporté. Il fut sensible à cet honneur. Servir le malch noir dans un batch était un signe d'honneur.
- Assieds-toi, Kalgar.
Au lieu du banc habituel, Chan lui désigna un siège.
- Pourquoi autant d'honneurs?
Chan reprit la parole.
- Je pense, nous pensons tous au sein du conseil, que tu mérites les honneurs et non la réprobation. Bien sûr, tu as fait une hors-saison, mais les esprits l'ont agréée. Mieux que cela, sans ce fait, nous n'aurions pas pu remplir nos devoirs d'hospitalité envers l'enfant étranger. Personne n'aurait pu le nourrir. Le maître sorcier qui voit souvent des présages mauvais, pense que cette histoire pourrait bien finir.
Kalgar regarda les anciens qui opinaient de la tête pour approuver les paroles de Chan. Son malch noir eut soudain meilleur goût.
- Toi, qui es maître de forge, peut-être as-tu une idée sur la pierre qui bouge?
- Elle était chaude, comme les pierres de ma forge, mais je ne sais pas ce qui a pu ainsi la chauffer. Les loups ont profité de sa chaleur mais ce n'est pas eux qui ont pu faire cela. Qu'en dit le maître sorcier?
- Il est perplexe. Il n'a jamais vu cela, ni personne d'ici d'ailleurs. Les esprits lui ont révélé que le phénomène était lié aux étrangers. Peut-être que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes avec leur mort.
- Le père du père de mon père racontait que seuls les grands êtres peuvent faire cela. Dans la tradition de la forge, ils sont nos maîtres. Les secrets viennent d'eux, comme le feu et le métal. Ils étaient capables de faire du feu avec leur bouche et de forger le métal à mains nues. Si leurs yeux se posaient sur quelque chose, ou quelqu'un ils pouvaient le consumer d'un coup d'un seul!
- Où trouve-t-on les grands êtres?
- D'après les légendes, ils ont disparu de la surface de la terre.
- J'en parlerai au maître sorcier. Peut-être pourra-t-il nous en dire plus?
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