vendredi 31 janvier 2014

Le temps avait changé. La neige s'était mise à fondre. Depuis cette nuit qui avait vu la première prise de la ville, les choses étaient devenues très différentes. Si les troupes de Saraya s'étaient bien battues, les pertes avaient été lourdes. Les archers s'étaient révélés inefficaces dans la nuit. Les crammplacs avaient été l'atout décisif de cette bataille, taillant en pièces les plus solides des combattants. Dans la lumière du pâle soleil, les patrouilles de guerriers blancs contrôlaient la ville. Ceux qui s'étaient réfugiés en ville, étaient renvoyés chez eux. Ils partaient avec plaisir. La vue des monstres blancs, comme ils appelaient les crammplacs, réveillait leurs peurs. Pourtant aucun d'entre eux n'avait eu à subir des attaques de leur part. La vue des morts le lendemain du combat avait suffi pour faire naître un sentiment de terreur. Les habitants d'Ainval avaient des sentiments plus partagés. Si la peur était présente, une certaine reconnaissance existait. Ces guerriers blancs et leur animaux dressés à tuer, ne les avaient pas touchés. Seuls ceux qui avaient pris les armes avaient eu affaire à eux. La peur du pillage avait disparu. Depuis que les occupants tenaient la ville, il n'y en avait pas eu. L'armée du roi-dragon recevait son ravitaillement et chassait. On était loin des fastes et des exigences du roi Saraya et de sa reine aux yeux noirs. La rumeur les disait prisonniers. Dans la maison du gouverneur qu'il avait réquisitionnée, le roi-dragon avait fait son quartier général. Saraya et Sacha y habitaient sous le même toit. Ce roi sorcier capable de devenir dragon était le plus grand sujet de peur de tous. Le deuxième jour de l'occupation, ils avaient tous vu, le grand dragon rouge prendre son envol du haut du donjon et revenir en fin de journée. La crainte qu'il avait ainsi inspirée valait mieux qu'une armée.

Dans la ville, la vie avait repris un cours presque normal. Seules les patrouilles dans les rues donnaient un air étrange à la cité. Dans la maison du gouverneur, Sacha restait enfermée, refusant de bouger, refusant de manger. Elle vivait la brûlure de sa main comme une trahison de Salcha. Saraya avait retrouvé une certaine sérénité au moins extérieure. Il avait décidé de lutter pied à pied pour garder ce qui pouvait être gardé. Il vivait mal l’attente que lui imposait Lyanne. Ce dernier semblait se désintéresser de ce qui se passait. Il était parti plusieurs fois pendant plusieurs jours. C’est comme si le temps s’était figé.
Lyanne cherchait. Il était retourné voir Vodcha et Maester. Celui-ci allait mieux et se remettait de ses blessures. Vodcha ne lui en avait pas dit plus. Elle ne savait pas ce que cherchait Lyanne. Le roi-dragon avait fait l'aller retour jusqu'à Tichcou. Même en volant vite cela lui avait pris du temps. Il avait désespéré le prince-roi de Flamtimo en lui apprenant sa victoire sur Saraya. La perspective de ne pas avoir à mourir pour défendre sa patrie et son honneur le rendait amer. Il lui fixa des buts pour organiser le royaume en attendant qu’il revienne. Il devait partir. Il le savait. Mais ne savait ni pour où, ni pour combien de temps.
En revenant vers Ainval, il pensa à la suite. Il lui fallait régler définitivement le problème de frontières avec Saraya. Il se posa sur le toit du donjon, tard dans la nuit. Il regarda les étoiles. Le ciel dégagé était prémices de soleil. Ce serait une belle journée. En atteignant la maison du gouverneur, il convoqua le prince Fays, qui lui fit un rapport détaillé sur les faits et gestes de Saraya et de Sacha. Il donna l’ordre de convoquer Saraya à la première heure.
Celui-ci se présenta habillé comme un roi, entouré de conseillers. Lyanne était seul face au grand parchemin accroché au mur.
- Je vois que tu as dessiné le monde, dit-il à Saraya tout en examinant les dessins faits sur la peau.
- Un roi se doit de connaître son royaume, répondit Saraya.
- En effet, roi Saraya. Je sens ta peur. Rassure-toi, ton royaume est à toi, comme mon royaume est à moi. Je suis venu simplement défendre les miens avant ton attaque. Je crois le problème résolu. Approche.
Saraya s’avança jusqu’à la carte que Lyanne n’avait pas quittée des yeux.
- Montre-moi ton royaume, roi Saraya.
Celui-ci s’approcha encore et examina les symboles sur la carte. Il poussa un petit cri de surprise en découvrant des dessins mordorés.
- Exactement, lui dit Lyanne. Tu as maintenant le pouvoir de voir ce qui est mien. Ton regard a changé comme tes yeux.
Saraya avait remarqué l’étonnement de ses serviteurs quand ils le regardaient et avait exigé de savoir d’où il venait. Un plus courageux que les autres lui avait révélé que ses yeux entièrement noirs depuis le fameux combat avec Sacha, avaient retrouvé un iris aux reflets dorés, tout comme Sacha. Cela avait mis quelques jours pour se faire. Il avait remarqué ainsi que tout vassal de Lyanne était entouré d’une sorte de brume dorée. Les autres ne changeaient pas.
- La reine Sacha est invisible, m’a dit le prince Fays. Sais-tu pourquoi, roi Saraya ?
- Elle souffre de sa main, lui répondit Saraya. Salcha n’a pas été tendre avec elle.
- Un jour ou l’autre, on voit les conséquences de ses choix. Sacha était dans l’ignorance de ce qu’elle demandait et pourtant elle l’a demandé. Aujourd’hui, elle comprend le lien qu’elle a ainsi créé. Demain, elle viendra au banquet que je donne pour notre départ.
Saraya en eut le souffle coupé. A la place de Lyanne, il aurait réduit en cendres la ville et tué tous ses habitants pour en faire son fief. Vraiment, il ne comprenait rien à cet homme sorcier.
- J’y veillerai personnellement. Ce sera un honneur que de fêter votre départ.
- As-tu compris ma condition, roi Saraya ? As-tu bien compris les limites que je mettais à ton pouvoir ?
- Je crois, roi-dragon. Au printemps, j’irai voir chez Altalanos. Nous verrons si une paix honorable peut être trouvée.
- Tu as raison de défendre la paix, roi Saraya. Il serait néfaste pour vous que j’intervienne à nouveau.
Pour demain, présente une requête à la reine Sacha. J’aimerais qu’elle porte Salcha.
- Tout sera fait selon tes désirs, répondit Saraya en s’inclinant.
Il se retira encore sous l’effet de la surprise de cette rencontre. Les guerriers blancs repartaient sans pillage ni tribu. La seule demande de ce roi étrange était de ne pas entrer en guerre contre des pays à la marge de ce qu’il considérait comme son royaume. Il avait le sentiment d’une chance incroyable. Non seulement il était encore en vie, mais il gardait ses possessions. La seule perte était l’or. Le roi dragon avait exigé qu’on lui livre tout l’or présent dans la ville. Ses guerriers semblaient savoir où il se trouvait. Ils avaient fouillé maison par maison et ramené tout ce qui en contenait. Là aussi, Saraya pensa qu’il avait de la chance. Son trésor était gardé loin d’ici dans une forteresse. Les habitants de Ainval avaient laissé faire, trop heureux de garder leur vie. Leur monnaie était surtout de bronze et de fer. Seuls les riches firent grise mine en voyant partir leurs bijoux.

dimanche 26 janvier 2014

Saraya haletait. Autour de lui ses principaux lieutenants le défendaient. Ils reculaient vers le donjon. En face d'eux, des diables avaient surgi de partout et investi la ville. Personne n'aurait pu penser qu'ils passeraient  ainsi de derrière le rempart. Les pentes étaient inaccessibles et pourtant ils étaient passés, aidés par ces énormes bêtes dont les griffes valaient toutes les épées. Surpris par la brutalité de l'attaque en pleine nuit, les défenseurs n'avaient pas réussi à les repousser. Ils reculaient sans cesse. Saraya, de ses puissants moulinets, tenait ses adversaires à distance. Il commençait à fatiguer. Sacha ne l'avait pas rejoint. C'est le premier combat qu'elle manquait. À moins qu'elle ne soit engagée sur un autre front, mais personne ne semblait l'avoir vue.
Le groupe de Saraya se trouva brusquement renforcé par des troupes venues d'une ruelle. Il se dégagea en se repliant vers le donjon, laissant ses soldats d'élite contenir les assaillants. Ses pensées restaient confuses, cherchant des réponses à tout ce qui arrivait. Qui étaient ces guerriers blancs ? Et ces bêtes énormes ? Et ce dragon ? Où était Sacha ? Pour la première fois de sa vie, il avait l'impression que tout lui échappait. À la luminosité des quelques torches qui brûlaient ça et là, il vit bondir ces monstres plus gros que des ours qui venaient tailler en pièces sa garde rapprochée. Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur leur absence avant. Dans un coin de son esprit, il nota le fait que ces bêtes monstrueuses ne l'avaient jamais attaqué. Seuls des soldats l'avaient contraint à reculer. Il arriva au pont du donjon, tout en entendant les cris de ses hommes mourant sous les griffes. Plus par instinct que par réflexion, il fit fermer la lourde porte de bois renforcée de métal après avoir retiré le pont de planches. Ils soufflèrent un moment, le corps heureux de ce moment de répit.
- Combien restons-nous ? demanda-t-il.
- De la trentaine, nous ne sommes plus que dix, répondit l'homme à sa droite.
Saraya frappa la paroi de son poing en jurant.
- Personne n'a jamais vu cela, hurla-t-il. Une attaque en plein hiver !
- Il reste le souterrain mais il faut tenir jusqu'au jour. Nous ne pouvons pas fuir dans la nuit, dit un de ses compagnons.
Autour d'eux, les archers tiraient au jugé. La nuit était trop noire et les torches trop rares pour voir correctement les cibles.
- Ils éteignent toutes les lumières, dit l'un des tireurs. On ne voit plus rien.
- Vu la hauteur du donjon, on va être tranquille un moment, reprit un autre. La porte ne cédera pas facilement et les murs sont assez gorgés d'eau pour ne pas prendre feu.
- Montons, dit Saraya. Il faut que j'évalue ce qui se passe.
Ils se précipitèrent vers l'échelle, laissant les archers scruter l’extérieur. Les réserves de flèches étaient suffisantes pour tenir un bon moment et la tour solide.
Le niveau supérieur était vide depuis le début de l'attaque. Les paillasses traînaient partout. On avait manqué de temps pour les ranger. Les dix hommes continuèrent vers l'échelle suivante. Saraya monta en tête. Les autres les suivirent. C'est le bruit du métal sur le métal qui les alerta, mais trop tard.
Le second à monter tombait en arrière entraînant les autres dans sa chute. Saraya qui déjà se précipitait vers l'accès au toit, se retourna pour voir une silhouette remonter brusquement l'échelle. Il sortit son arme. La nuit l'enveloppa quand la trappe fut fermée. Se fiant à son ouïe, il se fendit sans toucher personne. Il recula vivement pour recommencer. Un coup brutal dévia son épée, la faisant tinter comme une cloche. 
- Bienvenu, roi Saraya ! Je t'attendais, dit une voix dans l'obscurité.
Saraya se recula et se mit en position de parer une attaque. Il avait la montée à la terrasse derrière lui et le couloir devant. La double porte de la chambre devait être à trois pas sur la droite, la trappe à au moins cinq pas devant et  au fond, le réduit avec les toilettes. Vu la puissance de la voix, l'attaquant devait être devant la porte. Il se remémora ce qu'il avait vu en montant l'échelle. La porte de la chambre devait être ouverte. Oui, c'est cela, la porte devait être ouverte. L'homme avait dû se cacher là. Sacha ! C'est pour cela qu'elle n'était pas au combat. Elle avait dû être neutralisée par l'agresseur. Peut-être y en avait-il d'autres ? Son instinct lui disait que non. Il écouta avec attention essayant de repérer un signe dans le noir pour savoir où frapper. Le couloir, bien que large, ne permettait pas de se cacher. Il pensa que l'homme était reparti dans la pièce de vie.
- Entre, Roi Saraya. Entre, fais comme chez-toi, reprit la voix depuis l'intérieur de la chambre.
Saraya se déchaussa pour ne pas faire de bruit et s'avança, tous les sens aux aguets.
Devant la fenêtre une silhouette se tenait debout, une épée à sa droite. Faiblement éclairée par la luminosité reflétée par la neige, elle lui rappela quelqu'un. Avait-il été victime d'une trahison ? Cela pourrait expliquer bien des choses. Il avança à pas de loup, l'épée en avant prête à frapper. L'oreille aux aguets, tous les sens en alerte, il fit un pas, puis un deuxième. Il allait en faire un troisième quand un choc violent lui arracha l'épée de la main, endolorissant son poignet. Il recula brusquement. Deux ! Ils étaient deux. De sa main gauche il chercha sa dague et tomba à la renverse en buttant sur un obstacle imprévu. Il fit une roulé-boulé arrière et fut arrêté par le mur dans une position défavorable. Il tenta de se démener pour se relever quand le poids énorme d'une patte pleines de griffes le cloua au sol. Le souffle coupé, le bras écrasé, il tenta de se dégager. Ses efforts ne firent qu'aggraver sa situation. Il perdit connaissance.
Lyanne regardait ses prisonniers, tout en écoutant les coups portés sur la trappe par ceux qui étaient restés en dessous. Le bois allait résister un bon moment. Sacha le regardait, furieuse, mais rendue muette par son bâillon. Il l'avait assise sur un siège qu'il avait redressé. Saraya était attaché sur celui d'à côté. Il dodelinait de la tête en reprenant doucement conscience. Lyanne prit le temps de rallumer des torches. Si Sacha et lui voyaient dans le noir, pas Saraya. Par la fenêtre largement ouverte, les flocons s'accumulaient en une pente blanche et duveteuse. Lyanne contempla la pièce ravagée par le combat. Il entendit des bruits à l'extérieur. Il sourit en voyant la tête d'un des crammplacs s'encadrer dans l'ouverture.
- « Bien, amène une escouade sur le toit », lui intima Lyanne.
- « Oui, mon roi ! », pensa Scomaïa.
Son cavalier entra dans la pièce.
- Tannoy va dans le couloir et préviens-moi si la trappe cède.
- Oui, mon roi !
Une noria de crammplacs escalada le mur du donjon déchargeant les hommes sur la terrasse. Certains descendirent se mettre aux ordres de Lyanne. Pendant qu'ils dégageaient la chambre, Lyanne gifla doucement Saraya jusqu'à ce qu'il reprenne conscience.
- Roi Saraya ! Roi Saraya ! appela-t-il d'une voix douce.
Celui-ci ouvrit les yeux, battit des paupières et posa un regard encore vide sur Lyanne. Il eut un sursaut en arrière en voyant le visage de Lyanne penché vers lui. Ces yeux d'or le mirent mal à l'aise :
- Qui êtes-vous ?
- HUMMMM !!!!!, s'exclama Sacha à travers son bâillon.
Lyanne se mit à rire. Le couloir grouillait maintenant d'uniformes blancs. On entendait le bruit des griffes des crammplacs sur les parois extérieures. Saraya testa ses liens et en sentit la solidité.
Saraya reporta son regard sur Lyanne.
- Je ne vous connais pas…
- Tu es comme ton maître le roi Yas, aussi sûr et imbu de toi-même, lui répliqua Lyanne. Tu pensais que tu passerais l’hiver tranquille à Ainval, parce que rien qu’à entendre ton nom, le monde tremblait.
- Tu as connu Yas !
- On m’a raconté sa mort.
- HUMMMM !!!!!
Lyanne se tourna vers Sacha avec un sourire.
- La reine Sacha qui ne peut rien dire… voilà qui doit la changer !
Se retournant vers Saraya, il reprit :
- Oui, je suis celui à cause de qui il est mort.
Saraya regarda Lyanne avec un air étrange. Comment un homme qui semblait aussi banal pouvait dire cela ?
Le mot de fou lui vint à l’esprit pour être repoussé tout de suite. Un fou ne sait ni commander comme lui ni se battre comme cela, pensa-t-il. En face de qui était-il ?
Lyanne se rapprocha de Saraya quand son visage ne fut plus qu’à une main du visage de Saraya, il reprit la parole :
- Je suis …
Tout en parlant, son corps se transforma, s’allongeant, devenant gueule, crocs, écailles et griffes.
- … le roi-dragon. Celui dont parlent les légendes et dont les guerriers blancs surpassent tous les guerriers. La neige, le froid, la nuit sont sans pouvoir pour nous arrêter. C’est toi le pauvre fou qui croyais pouvoir t’en prendre à ceux qui sont mes vassaux.
Saraya ouvrit des grands yeux en se retenant de hurler. Devant lui une gueule aux crocs aussi gros que sa dague proférait d’une voix douce des paroles d’homme. En lui le monde et ses certitudes basculaient. Les vieilles légendes qu’on lui avait racontées, devenaient vraies. C’était d’autant plus facile que le dragon était là devant lui.
Lyanne de ses yeux d’or, observa la décomposition de Saraya. Il eut un sourire de dragon quand Saraya mouilla son pantalon. Celui-ci crut sa dernière heure arrivée.
- Tu as quand même de la chance, roi Saraya...
Dans les yeux pleins de panique devant lui, passa une lueur d’espoir.
- Oui, tu as de la chance. Tu as rencontré Sacha. On m’a raconté votre combat. Celui qui l’a fait disait vrai… Le feu du ciel vous a bien touchés tous les deux…
A chacune des pauses de Lyanne, Saraya suspendait sa respiration. Lyanne jouait avec lui reprenant la parole quand il sentait que son interlocuteur étouffait presque.
- Vois-tu, roi Saraya. Les rois-dragons ont partie liée avec le feu… Il est notre serviteur au point que parfois nous pouvons l’enfermer dans la noire coque d’un acier pour une épée…
Redevenant brusquement comme un homme, il fit sauter le bâillon de Sacha :
- Oui, reine Sacha, tu as fini par me reconnaître. Je suis celui qui forgea Salcha. Contre moi, elle est sans pouvoir puisque de moi, elle tient son pouvoir.
Saraya les regardait, le regard de plus en plus perdu.
- Je te parlais de chance, roi Saraya et je disais vrai. J’ai forgé Salcha et j’en suis responsable. Sans elle, votre rencontre était impossible. Je suis à l’origine de ce que vous êtes devenus. Le monde a changé par mes actes. Reste à savoir si cela est bien ou mal. Si je vous tue….
Lyanne eut un sourire en voyant se dilater les pupilles de Saraya et en entendant Sacha intervenir :
- Tu… TU ES UN MONSTRE...
Il se mit à rire.
- C’est toi qui dis cela, toi qui te réjouis des morts que tu causes lors de tes combats. Sais-tu, folle que tu es, que tu as tué plus de monde que moi...
Ce fut au tour de Sacha d’ouvrir de grands yeux. Lyanne attrapa Salcha qui était restée plantée non loin de là.
- Regarde, femme ! Regarde bien ! Ta lame est autre !
Sacha regarda Salcha et elle faillit hurler. Le noir de la lame était maintenant rehaussé d’un filet d’or qui brillait juste en son milieu.
- Tu es dans l’incompréhension. Quand j’ai forgé Salcha, j’ignorais tant et tant de choses. Aujourd’hui, je suis roi-dragon et j’ai la connaissance avec moi.
Le couple regarda Lyanne avec des yeux emplis d’incompréhension et de peur. Lyannne faisait des moulinets avec Salcha la faisant passer au ras de leur oreilles, sans même les regarder, tout en parlant. La ligne d’or qui brillait sur ses flancs dessinait dans l’espace des figures complexes et envoûtantes.
Elle s’arrêta brusquement devant leurs yeux. Pendant un instant, ils ne virent que la lumière d’or.
- Salcha vous a sauvé la vie en se soumettant à son créateur.
Ayant dit cela, il fit un moulinet rapide et coupa les liens des deux prisonniers qui mirent quelques instants à comprendre qu’ils n’étaient plus attachés.
- Vous êtes libres d’aller et venir. Libres mais limités par le lien qui a été créé.
Sacha  fut  la première à se mettre debout. Saraya le fit plus lentement. Un guerrier blanc s’approcha de lui en lui présentant la garde de son épée et de sa dague. Lyanne fit un moulinet avec Salcha et comme la première fois la présenta à Sacha. Incrédule, celle-ci la regarda, regarda Lyanne puis à nouveau la garde de Salcha avant d’oser la prendre.
- Et si je te tuais, maintenant ? dit-elle.
- Tu te heurterais au lien tissé, reine Sacha. Si ta lame a changé, tes yeux aussi.
Regardant Saraya qui venait de récupérer ses armes, il dit :
- Vos yeux ont changé. Pour toujours votre regard sera différent.
Saraya et Sacha s’entreregardèrent pour découvrir un cercle d’or au milieu de leurs yeux noirs. Ils se tournèrent vers Lyanne :
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Je vous l’ai dit, vous êtes libres mais liés par le lien que porte Salcha. Quand tu poseras ton regard sur quelqu’un tu auras le savoir. S’il est mon vassal, tu sauras et tu le respecteras, sinon tu mourras. Pour les autres, tu es libre de faire selon ta volonté.
Ce fut à ce moment-là que tinta Salcha en tombant par terre. Lyanne se retourna pour voir Sacha se tenant la main droite qui fumait.
- Je savais que tu essayerais d’outrepasser la limite. Regarde ta main maintenant. Tu as usé ta seule chance. Si tu recommences, tu mourras.
Sacha ouvrit doucement en grimaçant sa main droite. Salcha l’avait brûlée. Quand elle vit sa paume, elle contempla, fumant encore, la silhouette d’un dragon incrustée dans sa chair.

mardi 21 janvier 2014

- La neige revient, mon roi.
- Oui, prince Fays. Elle est notre alliée. 
- Les paysans se sont mis en mouvement. Nous n'avons pas voulu les massacrer selon tes ordres. Ils vont aller se réfugier à Ainval.
- C'est bien. Cela fera plus de monde, plus de pression sur les soldats. Je suis sûr que les pires histoires circulent maintenant.
C'est sous un ciel bas que les phalanges se mirent en route. Ils atteignirent la vallée au milieu de la matinée. Sur le chemin, des paysans se dépêchaient d'atteindre la poterne du pont des soupirants. Lyanne fit un geste-ordre. Avec des branches les guerriers blancs se mirent à frapper sur des troncs en rythme. Le roi-dragon put observer l'effet sur la vallée et sur la ville. Ce fut comme un coup de pied dans une fourmilière. Il fit un signe à Fays qui se rapprocha.
- On garde ce rythme au moins jusqu'à ce soir. Je vais aller faire un tour au-dessus de la ville, histoire d'améliorer leur moral.
Fays eut un sourire carnassier en entendant son roi. Il fit un signe et les messagers s'approchèrent pendant que Lyanne allait vers le haut de la colline. Il décolla à l'abri des regards des gens de Ainval. Il prit de la hauteur dans les nuages. Il s'aligna sur la crête avant de plonger et de remonter la route d'accès en vol en rase-motte.
Il vit les soldats sur le rempart pousser des cris d'alarme. Les servants des grands arcs s'agitèrent pour essayer de charger l'arme. Il ouvrit la gueule et vomit un torrent de flammes au moment où les archers s’apprêtaient à tirer. Le temps qu'ils se mettent à couvert, il était passé. En dessous de lui, il entendit les hurlements de habitants et des soldats. Quelques flèches volèrent mais mal ajustées, elles se perdirent dans le ciel. De quelques vigoureux coups d'ailes, il se hissa à la hauteur du sommet du donjon. Les hommes furent aussi impressionnés par les flammes que ceux du mur. Seule une silhouette ne bougea pas. L'épée tendue, elle hurlait quelque chose qui se perdit dans les cris de peur des soldats.
Lyanne n'avait pas besoin d'entendre pour savoir que c'était un cri de défi. Il fit une brusque volte-face et se mit en vol stationnaire à la hauteur de la plateforme. Sous le souffle du vent, les hommes roulèrent par terre. Seule Sacha resta debout l'épée tendue vers le rouge dragon.
- Regarde-moi, femme. Bientôt je serai là !
- Viens, monstre rouge, viens et tu sauras qui je suis !
Lyanne partit d'un grand éclat de rire. D'un dernier battement d'ailes, il se redressa et se laissa glisser en vol plané vers le fond de la vallée.
Sacha hurlait sa haine en entendant rire le dragon qui s'éloignait. Elle le vit bientôt remonter sans effort en face et disparaître au-dessus de la crête opposée dans le seul rayon de soleil ayant réussi à traverser les nuages.
Elle courut jusqu'à la balustrade. En face apparurent les uns après les autres des guerriers à l'uniforme aussi blanc que la neige qu'ils foulaient. Lentement dans la nuit qui arrivait, rang après rang, une armée blanche prit position sur les bords de la rivière, pendant que résonnait sans s'interrompre le bruit des troncs martelés. 
Le prince Fays faisait faire mouvement à ses troupes sans se presser. Le soir venait et les choses sérieuses ne commenceraient qu'une fois la nuit noire arrivée.
Quand le soir fut là, des feux furent allumés sur les remparts et dans la ville. Habitués aux longues nuits du  Pays Blanc, les guerriers de Lyanne se rangèrent en ligne sur les berges. Ce fut la dernière vision dans la lumière du soir que purent contempler les assiégés. La neige se mit à tomber plus serrée rendant la visibilité nulle. C'est le moment que Lyanne choisit pour lancer ses troupes.
Les crammplacs sortirent de leur cachette dans les bois. Ils s'avancèrent dans l'eau avec prudence. En ce début d'hiver les basses eaux n'offrirent aucune difficulté à leur progression. Ils s'arrêtèrent au milieu du courant les uns à côté des autres. Ce fut bientôt comme un pont. Aussitôt prêt, Lyanne sur ses planches de glisse, ouvrit la route aux phalanges. Il glissa sur le dos des crammplacs poilus comme sur la neige. Son tomcat faisait entendre son petit bruit malgré le tambourinement venu de la forêt. Derrière lui rapidement, phalange après phalanges, ils empruntèrent le passage pour se retrouver sur l'autre rive. Lyanne s'était arrêté laissant un groupe mixte continuer à guider. Il regarda vers le petit fort sur le pont des soupirants. Même si la neige étouffait les bruits, des centaines d'hommes avec des tomcats ne pouvaient passer inaperçus. Il sentit les soldats sur le remparts qui scrutaient la nuit. Bientôt une flèche enflammée partit des remparts pour aller se planter sur le pont. Sa faible lumière éclaira un groupe de guerriers blancs qui progressait. L'alerte fut donnée. Peu après, de la ville haute, partirent des volées de flèches enflammées qui allèrent se planter au bout du pont provoquant une débandade dans les mains de guerriers blancs qui allèrent se réfugier dans le noir hors de portée des arcs. Les autres volées portèrent un peu plus loin, mais guère plus. Dans le cercle de lumière qu'elles délimitaient, on ne voyait que la neige.
Lyanne était content. La diversion marchait. Tant que les yeux scruteraient là où ils n'étaient pas, ils ne couraient aucun risque. La neige s'était accumulée partout transformant le paysage et autorisant des passages improbables. Lyanne scruta la pente. Il estima le temps nécessaire pour que ces hommes arrivent en haut. De nouveau des flèches volèrent du haut des falaises venant rafraîchir le cercle de lumière devant le pont des soupirants. Si les soldats de la poterne avaient regardé derrière eux, ils auraient vu un homme monter malgré la raideur de la pente. Obnubilés par leur peur, ils scrutaient l'autre côté décochant de temps à autre une flèche sur une ombre entr'aperçue.
Lyanne debout dans la pente contemplait de ses yeux d’or les guerriers blancs se ruant sur la rive et remontant les pentes menant à la ville. Ils devaient se séparer en deux groupes et investir la ville en évitant le rempart. La neige leur en donnait l’occasion en leur permettant de se déplacer sur un relief autrement inaccessible. Quand toutes ses troupes auraient traversé, les crammplacs et leurs compagnons feraient de même et à ce moment l’assaut commencerait.
- Bien, se dit-il, il est temps.
Se jetant dans le vide, il déploya ses ailes. La neige lui chatouillait le corps. Le vol n’en était que plus voluptueux. Il se laissa planer profitant de ce moment de calme et de répit avant la confrontation. Il fit le tour de la ville pour se retrouver à l’opposé du pont des soupirants. Son vol se fit plus puissant et il s’éleva dans les airs. La nuit et la neige étaient son meilleur camouflage. Quand il arriva à la hauteur des premières maisons, il vit que personne ne veillait. Il cria l’information sur un mode suraigu inaudible aux hommes mais audible aux crammplacs. Il fit ainsi le tour des différents quartiers. Quand il eut transmis les informations, et les ordres, il commença à s’élever pour atteindre le sommet du donjon en évitant la face qui surplombait le pont des soupirants. Il dépassa la terrasse et scruta ce qui s'y passait. Les hommes étaient accoudés au bord commentant ce qu’ils pensaient voir en bas. Par moment, un d’eux criait un ordre et de plus bas partait une volée de flèches aux pointes enflammées. Dans le plus grand silence, il se posa derrière eux. Reprenant forme humaine, il se dirigea vers l’escalier. Il souhaitait être en bas quand l’alerte surviendrait. Arrivé à l’étage du logement de Sacha et Saraya, il scruta le couloir. Quand il le découvrit vide, il s’avança. Une trappe permettait de descendre à l’étage en dessous. Une échelle dépassait. Il écouta les bruits que faisaient ceux qui discutaient et se préparaient au combat. Les supputations allaient bon train sur leurs adversaires sans qu’aucune hypothèse ne soit en rapport avec lui ou le peuple du Pays Blanc. Il calcula combien il lui faudrait de temps pour retirer l’échelle et isoler l’étage. Au-dessus sur la plateforme, il y avait deux ou trois mains d’hommes, équipés pour le froid, mais ne disposant que d’armes légères. Plus bas, tous les soldats devaient être de rudes combattants. Il attendit près des commodités sans bruit, sans bouger. Puis vint le signal. Un cri de crammplacs, non pas un de ces cris signal que les hommes n’entendaient pas mais un rugissement de combat et de défi. L’attaque de la ville venait de commencer.
Les trompes sonnèrent. Ce fut le branle-bas de combat à l’étage en dessous. La porte s’ouvrit avec fracas non loin de lui, livrant passage à Saraya en armure noire. Il sauta plus qu’il ne descendit l’échelle. Toujours sans bruit, il s’avança dans le couloir. La porte était ouverte. Quelqu’un souffla la lumière dans la pièce mettant tout dans l’obscurité. Lyanne sourit. Il était attendu.
- Qu’est-ce que tu attends ? Mon épée est là. Viens en goûter le tranchant !
Lyanne rit à haute voix et sentit la perplexité de son adversaire. Il se glissa jusqu’à la porte, tous les sens en alerte. Elle était là, prête à bondir et aussi dangereuse qu’une femelle crammplacs défendant ses petits. Il patienta, écoutant la pièce, humant la présence. Des bruits venaient de l’extérieur, cris d’alarme ou ordre hurlé. Les bruits des armes viendraient plus tard. Il avait demandé à ses troupes d’épargner les non-combattants, mais il savait que quand reviendrait la lumière, la neige serait rouge.
Une respiration s’accéléra sur sa droite, il fit un pas de côté. Salcha trancha sans effort le montant contre lequel il était appuyé.
Il était maintenant dans la pièce. Il fit face. Aussi noire que lui était rouge, elle le regardait.
- Serviteur du monstre, tu ne m’intéresses pas ! Va dire à ton maître que c’est lui que j’attends.
- Je n’ai d’autre maître que moi ! répondit-il. Tu devrais le savoir, toi qui vois dans le noir.
Sacha attaqua. Lyanne sans effort esquiva. Elle se fendit puis frappant de taille et d’estoc, tenta d’acculer Lyanne dans un coin. Plus rapide qu’elle, il se déplaçait l’obligeant à multiplier les attaques. Sans qu’elle n’eut l’air de s’en apercevoir, il avait planté son bâton de pouvoir au centre de la pièce. Armé de son marteau de combat qui avait forgé la sinueuse épée qu’elle tenait, il la testa une ou deux fois sans vraiment chercher à la toucher. Il admira son armure. Légère et très bien faite, elle était parfaitement ajustée à ce corps musclé et nerveux qui dansait presque en face de lui. Il remarqua même les points prévus pour accrocher ces voiles noirs qu’elle affectionnait quand elle combattait.
- Ta vie n’est-elle que combat ?
- Que sais-tu de ma vie, toi qui te crois ton maître ?
Il sourit. Elle n’avait toujours pas compris qui il était vraiment. En la voyant se déplacer et porter ses attaques, Lyanne pensa au récit qu’il avait entendu dans cette auberge, sur le combat de Sacha et de Saraya.
- Tu te dis ange de la mort et tu danses comme une fille de joie !
Sous l'insulte, Sacha perdit toute mesure. Elle frappa encore plus vite encore plus fort, détruisant tout ce que la pièce contenait pour essayer de toucher Lyanne qui esquivait à chaque pas. À chaque coup, elle hurlait sa rage et sa colère. Certains gardes venus de la terrasse, vinrent pour l'aider. Ils furent balayés comme des flocons. Quand il sentit qu'elle s'essoufflait, Lyanne cessa de reculer pour se rapprocher du bâton de pouvoir. Il guida son adversaire pour l'amener à un face à face avec le bâton au centre. Sacha haletait. Elle tenait encore l'épée haute, mais n'avait plus de souffle. Son corps lui faisait mal. Elle avait trop couru après cet adversaire insaisissable qui avait semblé se jouer d'elle tout au long de la joute. Intérieurement, et c'était la première fois qu'elle envisageait cela, elle se sentait inférieure à ce combattant au marteau. Elle avait même l'impression que les quelques coups qu'elle n'avait pas pu parer, n'avaient fait que l'effleurer. Elle se sentait jouet entre les mains de plus fort qu'elle. Elle respirait à fond pour se préparer à une nouvel assaut. Depuis qu'elle maîtrisait Salcha, elle avait découvert qu'elle voyait la nuit. Dans cette pièce sans lumière, cela lui servait bien. Elle observa la silhouette en face. Entre eux un bâton qu'elle ne connaissait pas. Des impressions lui revenaient sans pouvoir devenir des souvenirs.
- Alors, reine Sacha,...
Elle sursauta en entendant son nom. Rares étaient ceux qui le connaissaient.
- … Voudrais-tu te reposer ?
La voix ne lui était pas étrangère. L'accent était curieux mais elle l'avait déjà entendu. Il fallait qu'elle le fasse parler.
- Nous étions en paix et tu nous attaques. Que cherches-tu ?
- Je cherche la paix, mais tu es, vous êtes des êtres de guerre. Les combats font rage autour de vous. Tu rêves de victoire à la pointe de ton épée. J'aimerais la tranquillité.
- Tu mens, serviteur du démon ! Ce monstre qui nous a survolés en crachant ses flammes ne peut chercher la paix. Seuls le chaos et la destruction sont ses passe-temps. Toutes les légendes le disent !
- Mes légendes sont différentes. Elles parlent de paix et de tranquillité troublées par les passions humaines.
- Tu mens ! hurla Sacha en se précipitant en avant.
Lyanne ne bougea que le bras pour enlever le capuchon du bâton de pouvoir.
Ce fut un éclair dans la pièce. Salcha en fut immobilisée. Sacha, emportée par son élan, continua son mouvement pour se retrouver brutalement bloquée. Elle eut un regard étonné d'incompréhension. Salcha la noire était gaînée d'une lumière aussi dorée que les yeux de l'homme qu'elle avait en face de lui. Sacha regarda son épée, puis Lyanne, puis de nouveau Salcha en essayant de la forcer à bouger, puis de nouveau Lyanne. Ses yeux s'agrandirent :
- Tu es... Tu es...
- Tu commences à comprendre, reine Sacha. Je suis qui j'ai été appelé à être. 
En entendant cela, elle s'agita encore plus, forçant pour dégager Salcha de sa gangue lumineuse.
- Tu t'épuises en vain. C'est impossible de la faire bouger. J'ai forgé Salcha. Elle m'obéira. Que vaux-tu sans cette arme ?
Sacha hurla sa rage, lâcha son arme et courut sus à Lyanne avec sa dague. Il reconnut une de ces vieilles armes noires forgées il y a des temps immémoriaux. Au moment où elle armait son bras, il devint dragon. Le haut plafond suffisait à peine à le contenir. La dague glissa sur ses écailles pour aller se planter profondément dans le sol. Sacha tira dessus de toutes ses forces. Il l'envoya bouler d'un coup de pattes, déchiquetant de ses  griffes l'armure qu'elle portait. Ses réflexes lui permirent de tomber et de se relever dans le même mouvement.
Dans la lumière du bâton, elle regarda les dégâts faits à son armure. Elle vit le blanc de sa peau ressortir sur le noir du métal. Quelques traces rouges trahissaient la profondeur de la découpe. Elle regarda autour d'elle ce qu'elle pourrait utiliser comme arme contre lui. Elle pensa que vu sa taille, le dragon serait gêné pour bouger. Elle trouva une tige de métal qu'elle agrippa à deux mains. Elle essaya de trouver l'endroit où frapper pour atteindre le monstre.
Lyanne suivait ses pensées. Elle n'avait pas renoncé, pas encore. Elle allait charger avec cette ridicule barre de métal. Il la vit se ramasser. Quand elle bondit, il reprit sa forme humaine et la laissa passer. Emportée par son élan, elle alla se fracasser contre le mur en face. Elle resta allongée par terre sans conscience. Lyanne s'approcha. Il la retourna. Elle s'était assommée sur le morceau de métal qu'elle brandissait quelques instants avant. Il la débarrassa de son armure. Elle était vêtue d'une tunique légère. Elle était déchirée par endroits. Les plaies étaient superficielles. Elle ne risquait rien. Lyanne fit un geste-ordre. La lumière s'éteignit. Salcha tomba au sol. Sur chacun de ses flancs courait une ligne sinueuse et dorée. Il la ramassa, prit son bâton de pouvoir et s'approcha de Sacha. Il la lia et la bâillonna. Les bruits de combat se rapprochaient. Saraya n'allait pas tarder à se réfugier dans son donjon.

samedi 18 janvier 2014

Saraya tournait en rond dans la pièce du donjon :
- Je sais que tu ne mens pas et que tu ressens le danger avant qu'il n'arrive. Mais aujourd'hui, je ne comprends pas. Tu es nerveuse. Les guetteurs n'ont rien vu et avec cette neige...
- Je sais, Sar. L'autre jour je sentais une puissance qui approchait mais hier Salcha a pris une couleur que je ne lui connaissais pas.
- Mais elle est toujours noire.
- Tu la vois toujours noire. Elle est de toutes sortes de noirs différents suivant les forces qui tendent le monde autour d'elle. Hier soir, elle était noire lumineuse.
- Je la vois toujours pareille. Je l'ai juste trouvée plus propre.
- Si tu veux ! Le métal en était comme neuf. Elle en a connu des combats et pourtant hier soir elle brillait. Celui que j'ai senti approcher, est là !
- Et tu crois qu'il va répondre au défi ?
Sacha n'eut pas le temps de répondre, quelqu'un venait de frapper à la porte.
- ENTREZ, cria Saraya.
Le serviteur s'inclina :
- Mon roi, les guetteurs ont vu quelque chose.
Sacha et Saraya se regardèrent et allèrent sur le toit du donjon.
La neige recouvrait tout. Si les nuages étaient bas, le vent était tombé. La visibilité était bonne. Les soldats étaient tournés vers le vieux pont.
-  LÀ ! cria l'un deux en montrant quelque chose. 
- C'est gros et ça se déplace dans la forêt, dit un autre.
Ils se mirent au garde-à-vous en voyant arriver le couple.
- Où ? demanda Saraya.
Un soldat désigna du doigt une partie de la forêt de l'autre côté de la vallée. Certains arbres semblaient comme agités par le vent.
- On ne voit pas ce que c'est, dit Sacha.
- Non, répondit un guetteur. On a commencé à voir les arbres de la ligne de crête bouger puis maintenant ceux-là.
- Pour faire bouger des arbres comme ceux-là, ça doit être un monstre.
Saraya se tourna vers un messager :
- Va, cours, et transmets. Qu'on prépare deux grands arcs sur le rempart. Si cette chose approche, il faut pouvoir l'accueillir.
L'homme salua et partit en courant.
- Ce n'est pas ça, dit Sacha. Mon épée ne vibre pas...
- L
À ! cria le guetteur de l'autre côté du toit. 
Tout le monde fit mouvement pour voir le même spectacle.
Saraya tapa du poing sur le parapet.
- On ne voit rien non plus. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas une armée qui se déplace.
- Mon arme reste sage, dit Sacha, là aussi ! Ce sont des leurres. Le danger est ailleurs.
Lentement elle tira l'épée sinueuse de son fourreau. Elle se mit au centre du toit et la tint tendue à l'horizontale devant elle. Elle ferma les yeux et se mit à tourner doucement sur elle-même, écoutant les sensations qu'elle ressentait. Elle avait presque fait un tour quand elle s'arrêta. Elle ouvrit les yeux :
- Le vrai danger vient de par là !
Saraya alla au parapet. Il regarda. En bas la rivière coulait indifférente à ses interrogations. Sur la poterne qui fermait le pont des soupirants, les gardes étaient à leur place. Ils y avaient quelques allées et venues sur la route mais la neige et le froid bloquaient les déplacements. Sur le coteau en face, les champs étaient d'un blanc immaculé. Un peu plus haut quelques taillis précédaient la forêt de résineux.
- Là, en rouge ! dit un des soldats qui avait accompagné le mouvement de son maître, sous les basses branches du litmel.  
Tous les regards fouillèrent l'orée du bois sans rien voir.
- Qu'as-tu vu ? demanda Sacha.
- Ma reine, j'ai vu quelqu'un en rouge vif se jeter en arrière.
- En rouge vif ? reprit Saraya, c'est des gens de Targertun.
- Targertun ? questionna Sacha.
- C'est une petite principauté près des grands lacs à plusieurs semaines de marche d'ici. Il n'y a qu'eux pour savoir faire des vêtements d'un tel rouge. Je ne comprends pas ce qu'ils viennent faire ici.
- Mon roi, ce que j'ai vu est juste un mouvement comme un pan de manteau qui vole au vent.
- Juste une cape ou un manteau ! Ce ne sont peut-être pas eux. Je ne vois pas comment ils pourraient mobiliser des bêtes assez grosses pour faire bouger les arbres.
- À moins que ce soient des monstres avec des humains à leur service.
- Qu'on envoie des patrouilles, dit Saraya.
Ils restèrent un moment sans rien voir. Saraya fit un signe à Sacha et ils redescendirent, allant vers le rempart pour voir comment se passerait l'installation des grands arcs. Ils étaient encore à inspecter quand ils virent arriver un coureur.
- Mon roi, mon roi...
L'homme fit son rapport. Les patrouilles avaient toutes disparues sauf une dont un était revenu. Le soldat rescapé était grièvement blessé et avant de mourir, avait décrit des traces monstrueuses de bêtes encore plus monstrueuses qui les avaient attaqués et réduits en pièces, littéralement en pièces.
Saraya et Sacha se regardèrent. Avec de telles nouvelles, la peur allait s'installer dans la ville.
Le soir tombait quand ils retournèrent au donjon. La soirée fut sinistre. Ils supputaient sur ce qu'ils auraient à affronter et sur les chances que les messagers aient pu passer.
- Ce sont les êtres de la neige qui nous attaquent, dit Saraya.
- Quels qu'ils soient, Salcha les taillera en pièces.
Leur réveil fut douloureux. Le serviteur qui était venu les chercher avait peur. Sacha le sentait. Elle avait ceint Salcha avant de sortir. Quand ils étaient arrivés sur la place haute, les gardes tenaient les habitants à distance. Autour du puits, réparties régulièrement, il y avait les têtes des messagers, de tous les messagers. Saraya resta sidéré un moment. Ce fut en hurlant qu'il donna ses ordres. Il déclencha le branle-bas de combat. Sacha, de son côté, tenta d'avoir des informations sur qui avait pu faire cela. Elle interrogea les gardes sans rien apprendre. Le nuit était noire et la place sans lumière. Seule une femme parlait d'une ombre volante qu'elle aurait aperçue lors d'un lever nocturne. Sacha ne savait pas si elle devait la croire. Cette femme de mauvaise vie qui noyait sa peine dans les boissons fortes, était-elle crédible ?
La journée se passa ainsi. Les troupes se mettaient en place contre un ennemi invisible qui les remplissait d'effroi. Le bourgmestre était venu voir le roi. Saraya n'avait pas pu le rassurer. Les garnisons des deux poternes avaient été renforcées. Les habitants de la vallée avaient demandé d'être hébergés dans la ville haute. Tout le monde se préparait au combat.
Le troisième jour fut pire encore. Rien ne se passa. Le vent se releva en fin de journée, ramenant son lot de nuages sombres et bas qui firent jurer plus d'un. Annonciateurs de neige, ils venaient compliquer la situation.
- La seule chose positive, dit Saraya, c'est que la neige va aussi compliquer la vie de nos ennemis.
Sacha lui jeta un regard dubitatif :
- Tu vois, Sar, je n'en suis même pas sûre !

mercredi 15 janvier 2014

- Mon roi, mon roi !
Un guerrier monté sur un crammplacs arrivait au grand galop. Lyanne se leva et se tourna vers les arrivants.
- Ils ont ouvert les portes et pavoisé les remparts !
- « Nous étions en surveillance, roi-dragon, et nous avons entendu sonner les trompes. »
Lyanne se rapprocha d'eux accompagné des konsylis et du prince qui commandait le groupe.
- Nous avons vu sortir en grande pompe sur des tracks magnifiques une femme vêtue de bleu et de nuit et un homme en pourpre et or. Derrière eux, toute l'armée de la ville.
- Quelle heure était-il ?
- C'était le milieu de la journée quand la neige avait cessé de tomber et qu'un rayon de soleil est venu se poser sur la ville.
- Et alors ? demanda quelqu'un.
- Ils ont défilé jusqu'au premier tournant sur la route, là où il y a un belvédère qui surplombe la rivière. Arrivés là, ils se sont alignés face au soleil et ont commencé à crier quelque chose que le vent a emporté. Puis ils ont fait demi-tour. Les deux cavaliers se sont approchés de l'autre bord. Plusieurs hommes se sont avancés jusqu'au bord du précipice et là, ils ont aussi crié. Nous étions sur la crête en face, invisibles sous les arbres.
- Que disait le message ? demanda Lyanne.
- Il vous a injurié, Mon roi !
Lyanne eut un regard étonné.
- Il a appelé vos ancêtres avec des noms inqualifiables et vous a comparé à des choses que je ne répéterais pas. 
Lyanne se mit à rire et dit :
- Et il attend que je me présente...
- Oui, dit le guerrier, mais comment...
- Comment je le sais ? Ils viennent de me défier et dans les règles du pays Izuus. Sacha est derrière tout cela. Repartez et surveillez. Je veux savoir si des messagers sont partis.
Des couples guerriers-crammplacs partirent immédiatement. Lyanne se retourna vers le prince :
- Ils croient que je vais venir mais telle n'est pas ma volonté.
- Que vas-tu faire, roi-dragon ?
- Je vais jouer le jeu comme je dois le jouer et non comme ils veulent que je le joue. Les nôtres arriveront dans trois jours. D'ici-là nous avons à faire.

dimanche 12 janvier 2014

Lyanne n'avait pas besoin de ses éclaireurs pour savoir où il devait aller. Il sentait Salcha. La magie contenue dans l'arme avait à voir avec son bâton de puissance et le guidait. Il commençait à comprendre la force qui l'habitait. Le soir arrivait vite. Si grâce à la neige, ses troupes progressaient vite, beaucoup plus vite que les autres, il ne voulait pas qu'elles arrivent épuisées pour se battre. Régulièrement, Lyanne s'approchait des villages et récupérait des renseignements. Tant qu'ils étaient fascinés par son bâton de puissance, les gens étaient bavards, oubliant tout dès qu'il les avait quittés. Il avait ainsi appris que nombreux étaient ceux qui étaient rentrés sur leurs terres pour l'hiver. Saraya s'était replié dans un de ses fiefs. La haute ville de Ainval l'abritait ainsi qu'une garnison conséquente. On la disait imprenable sur son roc. Plus ils approchaient et plus les renseignements étaient précis. Ainval était ceinturée de falaises et son seul accès était barré par un mur qu'une poignée d'hommes pouvait défendre contre la plus grande des armées. Ses caves nombreuses et profondes lui assuraient une capacité de stockage digne des plus grandes villes. Sioultac les aidait toujours en poussant ses noirs nuages de neige loin des blanches montagnes. Il était leur meilleur allié dans cette guerre.
- Dans une main de jours nous serons à destination, dit Lyanne.
- Oui, mon roi, répondit le prince Fays.
C'est lui qui dirigeait les phalanges. Tous les princes étaient réunis pour le briefing du soir. On y faisait le point des vivres, des blessés et on préparait le lendemain.
- Je vais vous précéder, avec les groupes mixtes. Il nous faut étudier la topographie du terrain pour savoir la meilleure stratégie. Les crammplacs et leurs cavaliers sont déjà partis. Je les rejoindrai demain soir. Cela nous laissera quatre jours pour préparer une stratégie.
- Devons-nous accélérer ? demanda un jeune prince-dixième.
- Je préfère que les guerriers soient en forme pour attaquer. Soyez près de Ainval dans une main de jours sans qu'on vous repère et tout sera bien.
Se tournant vers le prince Fays, Lyanne lui dit :
- Je vous laisse finir, je rejoins les groupes de l'avant-garde.
Lyanne décolla sans attendre.
Il aimait voler dans la nuit. Le vent le portait. Avant que le soleil ne se lève, il serait près de Ainval. Ces guerriers devaient avoir couvert une bonne partie de la distance. La neige avait tout recouvert. Les reliefs s'étaient adoucis. Cela plaisait à Lyanne. Si le gens de la plaine ne savaient pas en profiter, les guerriers blancs y trouvaient avantage. C'est en milieu de nuit qu'il survola la ville. Si Saraya se croyait à l'abri, il se trompait lourdement. Pour les planches de glisse la neige était porteuse, les pentes même raides leur étaient accessibles.
Lyanne se posa dans la forêt. Il était sur la crête en face de la ville. Il regarda les lumières au loin et les fumées des maisons. Les flocons tourbillonnaient mollement mais arrivaient en rangs serrés. Demain, la couche atteindrait au moins une coudée. Cela le fit sourire. Le temps que les guerriers soient là, et la neige serait idéale pour les porter. Une lumière s'alluma, plus haute que les autres, attirant son regard. Le donjon était donc là, surplombant la vallée de toute sa taille, faisant comme un prolongement vertical à la falaise. Celui qui avait construit cette ville avait bien travaillé. Demain les groupes mixtes seraient là. Il regarda les nuages qui se pressaient dans le ciel. La neige allait continuer. Il reporta son regard sur la ville tout en se déplaçant à la lisière de la forêt. Il ne voyait pas de remparts et pas de garde, hormis sur le mur barrant la crête. Les quelques soldats se réchauffaient autour d'un brasero plus attentifs à la chaleur qu'à ce qui pouvait se passer dehors. Le mieux pour le moment était que personne ne se doute de sa présence. Avant de repartir à la recherche d'un lieu de bivouac, il sentit comme une force qui l'attirait vers le donjon : Salcha ! Il regarda et vit une silhouette se découper en ombre chinoise à une des baies. La finesse de cette ombre chinoise ne pouvait appartenir qu'à Sacha. « Bien, pensa-t-il, leurs appartements sont là. Reste à les déloger ! ».
Lyanne s'enfonça sous le couvert des arbres. Plus loin, il trouva une petite vallée avec un abri qui serait très bien pour ses guerriers et les crammplacs. En cette saison, il ne devait pas être fréquenté...
Les premiers groupes mixtes arrivèrent le lendemain en milieu de journée. Lyanne avait été à leur rencontre. La petite vallée et son abri sous roche les avaient accueillis. Ils étaient repartis à la nuit. Blancs sur blanc, ils étaient invisibles. Ils s'arrêtèrent à la lisière de la forêt. La nuit était noire. Seules les lumières de la ville se distinguaient derrière le rideau mouvant de la neige.
- Approchons-nous, murmura Lyanne.
Sans bruit grâce à la neige et avec l'instinct de prédateur qui était le leur, les crammplacs poilus furent rapidement au pied de pente. Devant eux la rivière faisait une barrière naturelle. Le pont des soupirants était sur leur gauche et l'autre pont de l'autre côté de la ville. Des rapides barraient toutes possibilités de navigation mais les rochers à moitié submergés furent d'excellents points d'appui pour leur passage. Ils se déplacèrent jusqu'à être sous le mur qui barrait la crête. Sans un bruit, ils commencèrent leur ascension. Les roches offraient des prises solides à leurs griffes. Si Lyanne s'était transformé en dragon, il avait choisi d'avoir deux fois la taille d'un charc. Il s'était élevé au-dessus de la ville, près du mur d'enceinte. La neige s'était accumulée par endroit en raison du vent, faisant des tas par-ci, par-là. Il survola le mur désert. Qui aurait eu idée de rester dehors par cette neige et ce vent glacé? Il sourit de toutes ses dents et se posa à côté de la porte, à l’intérieur. Là-haut, il entendait les gardes des remparts se plaindre du froid et réclamer après des boissons fortes pour se réchauffer.
- T’frais mieux d’aller faire une ronde !
- T’es fou, personne n’oserait être dehors.
- Discute pas ! Tu connais les ordres. Va.
L’homme grommela mais s’habilla d’une chaude pelisse. Lyanne entendit la porte s’ouvrir en grinçant :
- Saloperie !
- Dépêche-toi de refermer, y gèle !
Le garde grommela tout en refermant la porte.
Un crammplacs se glissa à côté de Lyanne. Dans la nuit sans lune, posé sans un mouvement, il était in-repérable. Lyanne reprit sa forme humaine. On entendait au-dessus les bruits de la conversation des soldats. D’autres crammplacs, tout aussi silencieux, arrivèrent.
- « Les hommes, là-haut, faut-il les tuer ? »
- « Attendez, que deux d’entre-vous restent ici. Agissez s’ils veulent donner l’alerte. »
Lyanne, ombre dans la nuit, se mit à remonter la rue déserte. Plusieurs portes le séparaient du donjon. Arrivé à la première, s’il entendit les hommes à l’intérieur, personne ne sortit. Silencieusement, avec les grands fauves et les guerriers blancs, il passa. Il montra une porte basse renforcée de ferrures :
- « Bloquez-les s’ils veulent sortir. »
Deux guerriers et deux crammplacs se mirent en poste. Le reste du groupe avança. Aux deux autres portes fortes, ce fut le même scénario. Personne n’était dehors. La ville était à eux. Ils passèrent sur une place, sur la droite une grande rue descendait vers le quartier des cantonnements. Le roi-dragon laissa là un groupe mixte, charge à eux d’empêcher tout mouvement de troupe. Les grands fauves se courbèrent prenant entre leurs pattes leur cavalier. Ainsi posés, ils devenaient semblables aux tas de neige tombés des toits. La rue continuait à serpenter en montant vers le donjon. Une lumière les alerta. Lyanne et deux mains d’hommes précédaient les crammplacs. Ils se renfoncèrent sous les arcades là où le noir était le plus profond. La lumière vacillante se révéla être une torche portée par un homme à la capuche enfoncée jusqu’aux yeux. Lentement le roi-dragon et ses hommes se déplacèrent en faisant le tour des piliers. L’homme portait la livrée de Saraya. Lyanne le scruta :
- « Probablement un serviteur, laissez-le passer . »
Protégé par les arcades, l’homme avançait vite. Il passa devant Lyanne et les guerriers blancs sans les remarquer. Avant d’avoir atteint la place, il ouvrit une porte et se glissa à l’abri. La nuit reprit ses droits. D’un claquement de langue, Lyanne donna le signal du départ. S’il était à l’aise dans la nuit, les crammplacs servaient d’yeux pour les guerriers blancs. Chacun était lié à un homme. Ils arrivèrent ainsi jusqu’au dernier pont-levis. Le donjon s’élevait, masse sombre sans ouverture.
- « Veux-tu que nous l’escaladions ? » demanda le chef des crammplacs.
- « Vous allez m’attendre là. Nul besoin de se battre sans nécessité. »
Une rampe en bois permettait de se retrouver à hauteur de la porte. Étroite et raide, elle ne permettait que le passage d’un homme. Au bout, une poutre pouvait supporter le poids du pont-levis. Lyanne n’en vit aucune trace. Devant lui, de l’autre côté du vide, une lourde porte ferrée fermait la tour. Il leva la tête. D’étroites meurtrières la surplombaient. Il se jeta dans le vide et déploya ses ailes. Salcha l’attendait. Il la sentait toute proche. Il s’éleva en faisant le tour cherchant les ouvertures. Il atteignit ainsi le troisième étage avant de trouver un passage. Il pensa que les deux premiers niveaux étaient réservés aux gardes et aux cuisines. Il se glissa par une petite ouverture. L’odeur était épouvantable. Il rit intérieurement à l’idée d’être entré dans le donjon par la lucarne des commodités. Il reprit sa forme humaine et le marteau à la main, il tira sur la porte doucement. Celle-ci émit quelques protestations mais s’ouvrit assez pour qu’il voie le couloir plongé dans l’obscurité. À cette heure de la nuit, çà et là, à même le sol, enveloppés dans leur manteau, des hommes dormaient. Il écouta leurs respirations. Le bruit de la porte avait un peu alerté l’un ou l’autre. Il attendit que de nouveau les respirations retrouvent leur calme et leur régularité avant de s’avancer. Il ne devait pas être loin. Les hommes allongés étaient des guerriers Izuus de la haute garde. Sacha devait avoir ses appartements juste à côté.
Toujours aussi silencieux, Lyanne avança jusqu'à la porte. Avant de l'atteindre il s'était arrêté. Deux gardes dormaient contre les vantaux. Si l'un était un Izuus, l'autre portait la livrée de Saraya. Il était impossible d'ouvrir la porte sans les réveiller. Contrarié, il se dirigea vers une des fenêtres. De lourds volets de bois y étaient assujettis. La barre qui les retenait était entrée en force dans ses taquets. Lyanne imagina le bruit s'il essayait de passer par là. Il fit demi-tour. Son parcours de retour se passa aussi doucement et aussi silencieusement. En cette heure du milieu de la nuit, le sommeil était le plus lourd. Il entendit un homme bouger alors qu'il n'était qu'à deux pas de son but. Ce dernier se leva. Il n'avait pas fait un pas qu'il buttait dans son voisin tellement la nuit était profonde. Il y eut des grognements et des jurons, les hommes se réveillèrent les uns les autres en chuchotant. Celui qui était le plus près du brasero se leva en maugréant, jetant des branches de résineux sur les braises qu'il venait de remuer. Le premier debout profita de ces premières lueurs pour se diriger vers les commodités. Quand il y arriva, elles étaient vides. Il regarda par la lucarne jurant en voyant la neige qui tombait encore. Un peu en-dessous, une silhouette de la taille d'un grand charc faisait un vol plané.
Lyanne avait juste profité de la confusion du réveil pour se précipiter vers la fenêtre. D'un même mouvement, il s'était transformé et jeté dans le vide. C'est trois pieds plus bas qu'il avait étendu ses ailes, entamant une ressource qui l'éloignait de la seule entrée sur cette face de la tour. Il continua à monter, atteignant bientôt le sommet. Une petite guérite protégeait l'échelle et le guetteur, qui ne guettait rien, réfugié sous l'abri. La couche de neige était immaculée, aucune trace ne la violait. Il vit le bout de l'échelle dépasser. Il en conclut qu'une trappe existait entre le toit et l'étage inférieur. Il redescendit au niveau du pont levis et se posant, il donna l'ordre de partir :
- « On se retrouve au bivouac ! » leur transmit-il avant de s'envoler.

jeudi 9 janvier 2014

- L’hiver est précoce, cette année !
La femme aux yeux noirs enveloppée dans une cape de fourrure regardait par la fenêtre le vent ramener de nouveaux nuages.
- Nous serons obligés de passer la mauvaise saison ici, ajouta-t-elle.
- On aurait pu tomber plus mal, répondit Saraya.
La ville était sur un plateau rocheux escarpé. La seule entrée se situait vers le ponant. C'était une longue crête étroite qui surplombait la vallée. Aucun soldat ne pouvait gravir ces pentes les armes à la main. Quelques chèvres et quelques moutons parvenaient à tenir l'équilibre précaire nécessaire pour atteindre quelques plateformes herbeuses qui faisaient leurs délices. À part dans la direction du soleil levant, où que se porte le regard, il voyait la tranchée profonde de la rivière. Étroite et encaissée, elle ne laissait que deux points de passage, le pont des soupirants au septentrion, appelé ainsi depuis que la princesse Davana, il y a bien longtemps, avait fait attendre des jours et des jours ses prétendants devant la poterne qui en défendait l'accès, et le vieux pont, ainsi appelé car nul ne savait qui l'avait construit. Étroit, il était fait d'une grande dalle de pierre que la légende disait avoir été apportée là par les êtres de légendes. On lui avait adjoint il y a peu, des rambardes en bois qui le rendaient plus sûr mais empêchaient le passage des chariots. La route elle-même était difficile. Après avoir traversé le pont des soupirants, elle serpentait en suivant le fond de la vallée jusqu'au vieux pont. Après avoir passé la deuxième poterne, elle s’élevait en lacets courts et pentus vers le haut de la crête puis après un dernier virage revenait vers la ville.
Saraya était dans un de ses fiefs traditionnels. Les hommes qui vivaient là, lui étaient dévoués et prêts à défendre la position contre tout ennemi. Yas ne l'avait pas conquise. La ville avait suivi Saraya quand il avait fait soumission au roi.
Sacha avait du mal à se résigner à l'inaction, comme toutes les folles de guerre, elle ne vivait que par et pour le combat. Elle pensa tout ce temps où elle allait devoir patienter simplement en s’entraînant sans connaître l'ivresse des vrais combats.
Saraya s'il aimait les combats, avait aussi le pouvoir et l'exerçait. Depuis leur rencontre et leur union, il était comblé. Son royaume s'agrandissait. Il y avait bien Altalanos pour s'opposer à lui. Mais l'un comme l'autre, dans une sorte de consensus, avaient mis l'accent sur la consolidation de ce qu'ils avaient. Saraya avait ainsi pris le contrôle de plus de la moitié du royaume de Yas. Quand reviendrait le printemps, il soumettrait les quelques royaumes qui se voulaient indépendants en commençant par ces gens de Flamtimo. Leur réputation était telle que les autres ne combattraient même pas. S'il avait écouté Sacha, ils auraient fait campagne immédiatement. Mais les hommes étaient fatigués et, qui se battait quand l'acier gelait ? Saraya avait renvoyé l'armée et les mercenaires, charge à eux de passer l'hiver dans leurs clans. Aux beaux jours, il savait qu'il les verrait tous revenir. La paye était bonne et la victoire, c'est-à-dire les pillages, quasiment assurée.    
Sacha se retourna vers Saraya :
- Te rappelles-tu le jour de notre rencontre ?
- Rien ne saurait me le faire oublier, répondit Saraya en se levant.
Il vint enlacer Sacha et lui posa un baiser dans le cou.
- Je pense encore à notre combat-union.
Le repoussant doucement pour le regarder dans les yeux, elle lui dit :
- Aujourd'hui, j'ai ce même ressenti. Le monde change sous nos yeux,... Majesté, ajouta-t-elle avec un brin de moquerie.
Saraya essaya de l'embrasser à nouveau mais elle se dégagea.
- Non, je ne parle pas de ce combat-là..., dit-elle. Je ressens approcher le moment de la confrontation.
- De quoi parles-tu ?
- De mon ressenti ! Salcha vibre d'excitation. Je la sens.
Saraya regarda Sacha dans les yeux. Il y vit cette lueur qu'il connaissait bien, celle qui précédait les combats.
- Qui pourrait venir nous chercher querelle alors que la neige tombe ?
- Lui ! répondit Sacha en montrant le ciel du doigt.
Saraya regarda la direction que montrait sa compagne. Des nuages formaient des silhouettes mélangées et mouvantes dont certaines évoquant d'étranges créatures volantes.
- Ce ne sont que des nuages changeants !
- Ceux-là peut-être mais Il vient.

dimanche 5 janvier 2014

Les grands crammplacs marchaient discrètement dans les bois bordant le chemin. Lyanne et Vodcha cheminaient ensemble. Le jeune fille ne lâchait pas le main de son compagnon. Son regard apeuré restait en alerte. Lyanne avait renoncé à la convaincre qu'elle ne risquait rien. Il faudrait du temps pour qu'elle reprenne confiance, si jamais, elle y arrivait. Il lui parlait de ce qu'elle avait fait avant. De leur chemin et de leur vie dans les bourgades. Vodcha racontait comment la peur avait monté en elle petit à petit et comment son père n'avait pas entendu. C'est elle qui lui avait fait quitter Liubia avant l'attaque. Mais ils étaient partis trop tard pour ne pas être rattrapés par les soudards. Elle avait peur pour son père, même s'il était en vie... Comment allaient-ils le retrouver ? La journée passa comme cela. Doucement, Vodcha sembla se calmer. La paix que Lyanne diffusait semblait l’imprégner.
- Nous allons bivouaquer ici, dit Lyanne.
Il poussa un cri qui aurait pu être celui d'un jako. Dans les instants qui suivirent une main de crammplacs avec leurs cavaliers arriva près d'eux. La neige était tombée en abondance. Il n'y en avait toutefois pas assez pour faire des briques. Les flocons qui paraissaient dans le ciel étaient juste suffisants pour effacer leurs traces. Avec des branches de résineux aux aiguilles serrées, ils firent une cabane.
- « On vient, majesté », pensa un crammplacs.
- « Qui sens-tu ? »
- « Une meute de loups ».
Lyanne fut étonné. Les loups se tenaient le plus éloigné possible des crammplacs. À moins que ce ne soit des loups noirs. Mais RRling était loin. Perplexe, il attendit.
- Que se passe-t-il ? demanda Vodcha. Les grosses bêtes blanches semblent nerveuses.
- Nous avons des visiteurs.
Un éclair de panique passa dans le regard de la jeune fille.
- Les crammplacs sont là. La situation est sans danger.
Dans la nuit noire apparut une tache blanche qui se précisa sous la forme d'une grande louve. En file indienne, comme il sied à une meute en paix qui se déplace, suivaient les mâles dominants puis les autres loups noirs. Ils passèrent sans un écart entre deux crammplacs pour se diriger vers Lyanne. Arrivée à quelques pas du roi-dragon, la grande louve se coucha et présenta sa gorge en signe de soumission. Derrière elle, les autres s'étaient arrêtés, attendant l'issue de la reconnaissance. Lyanne s'approcha de la louve, lui mit la main sur la gorge et dit :
- Bienvenue à toi, meute gardienne de ce lieu.
La louve blanche se releva. Les autres loups se couchèrent ou s’assirent.
- Quel est ton nom ?
La louve émit une sorte de ronronnement. Vodcha regardait cela d’un air étonné.
- Tu comprends les loups ?
Lyanne se tourna vers elle et fit oui de la tête.
- Les loups noirs sont des êtres meutes qui vivent ensemble. La meute est quasi-immortelle puisque chaque mort est compensée par chaque naissance. RRling fut la première des meutes. Elle a eu des descendants. Celle-ci est une des filles de RRling. Son nom est Wasch. Elle est ancienne aussi, elle est la trois ou quatrième des filles de RRling. La meute a connu les dragons quand ils étaient maîtres de la terre. Elle a senti ma présence et vient rendre hommage. C’est une chance pour nous qu’elle soit gardienne de ces lieux.
Lyanne se retourna vers la louve et lui posa la main sur la tête. La louve se mit à ronronner.
- Voilà une bonne nouvelle, Vodcha. Elle a vu le combat quand tu as été capturée. Elle a vu les hommes à terre et a vu ce qui s’est passé ensuite. Ton père est vivant. Elle a vu une femme qui est comme ta mère venir et le recueillir. Demain, elle nous conduira.
- Pourquoi pas maintenant, dit Vodcha soudain ragaillardie.
- Il se fait tard et tu as besoin de dormir. Allez petite fille ! Au lit !
Vodcha râla un peu pour le principe mais se laissa conduire dans la cabane qui venait d’être construite. Lyanne attendit qu’elle s’endorme. Il donna des ordres pour qu’on la garde en son absence. Il fit signe à Wasch de se mettre en route. Lui-même fit trois pas sur le chemin et se transforma pour s’envoler. La meute courait en-dessous de lui. Comme toujours les loups noirs filaient comme le vent. Pour un dragon, cela n’allait pas trop vite. Ils furent bientôt dans une clairière proche d’une ville. De haut, Lyanne vit les stigmates d’une attaque. Il se posa dans un chemin un peu plus loin. Il préférait finir le chemin avec ses pieds d’homme. Il ne voulait pas inquiéter celle qui habitait là.
Il arriva en vue de la maison. Wasch s’était mise en retrait. Lyanne était encore à dix pas quand la porte s’ouvrit. Une femme s’avança :
- Bonjour étrange étranger. Les animaux m’ont prévenue de la venue d’un grand être. Je ne pensais pas voir un homme.
- Bonjour, guérisseuse. Je suis venu voir l’homme que tu soignes.
- Tu as bien fait, étrange étranger. Il ne va pas bien. Mon savoir ne peut pas plus pour lui. La fièvre ne le quitte pas. Sa vie s’en va de ne pouvoir lutter contre ce mal. Peut-être, toi qui irradie la puissance, peux faire quelque chose pour lui.
- Guide-moi, répondit Lyanne.
La femme s’effaça pour laisser passer le roi-dragon. Lyanne en rentrant reconnut la même ambiance que chez la Solvette ou la Tchauvêlté.
- Qui t’a ainsi prévenue de mon arrivée et de ma puissance ?
- Il y a non loin une meute de loups noirs. Son alpha est une grande louve blanche. Elle est venue hier. J’ai senti que la personne à qui elle allait se soumettre était un grand être. Le dernier connu était un être de légende.
Lyanne sourit. Ici aussi couraient des légendes sur les grands êtres dragons qui peuplèrent le monde. La femme reprit :
- Il irradie de toi, puissance et force, ton aura est rouge et le feu doit couler dans tes veines. Alors si quelqu’un peut sauver cet homme, c’est toi. Je ne crois pas au hasard, étrange étranger. Si tu es là ce soir, c’est que le destin est en marche et tu en es le messager.
Ils arrivèrent près de l’homme allongé. Son souffle était court, sa respiration hachée. Lyanne eut du mal à reconnaître Maester dans cette silhouette amaigrie au visage creusé et à la barbe folle. Il s'agenouilla à côté de lui. Son teint blafard ne lui disait rien de bon. Il regarda les différents pansements. Ils avaient été faits avec art, mais ils dégageaient une odeur nauséabonde, laissant échapper des sanies verdâtres. Lyanne se pencha sur lui. Lui touchant le front, il le trouva sec et brûlant. Il se pencha sur lui et mit son front contre celui du harda. Et... il plongea dans le monde de ses souvenirs.
Il y eut un temps noir, puis une lumière brutale qui diminua doucement. Une balle passa devant ses yeux, il essaya de l'attraper en hurlant de joie. La scène changea. La falaise était vertigineuse et le chemin très étroit. Il marchait dessus d'un pas mal assuré mais sûr de ne pas renoncer. Derrière jaillissaient les cris de dépit des autres qui lui avaient couru après et qui n'osaient pas s'aventurer sur ce sentier entre deux à-pics. Comme un rideau qu'on tire, un autre paysage apparut. Lyanne le reconnut. C'était le chemin où il avait rencontré Maester et Vodcha. Il vit l'attaque et tomber le serviteur. « Sauver Vodcha ! » était la seule pensée cohérente dans cet esprit enfiévré. Il sentit le désespoir des blessures qui l'affaiblissaient. Et il fut sur le chemin face à la troupe de Sarkar. Les pensées de Maester devinrent regrets amers de ne pas avoir écouté sa fille, jusqu'à ce choc. Lyanne quitta le tourbillon des pensées qui pouvaient l'entraîner n'importe où, pour descendre plus loin dans le corps.
Il y retrouva les signes de la lutte et d'un organisme qui menait un combat d'arrière-garde. Le désir ? Où était le désir de vivre qu'il aurait dû trouver, même affaibli ? Lyanne continua son exploration. Partout la même désolation entraînait le même recul. C'est comme si la question : « À quoi bon lutter ? » ne trouvait plus sa réponse. Seul planait le désir de mort. Lyanne doucement inséra de la puissance dans ce cœur qui donnait des signes de faiblesses, dans ces défenses qui étaient débordées. Il savait pourtant que cela ne suffirait pas. Il se déplaça vers le monde des émotions de Maester. C'était un maelström de courants puissants, le pire étant cette culpabilisation. Le harda se sentait seul responsable de ce qui était arrivé à sa fille qu'il pensait morte.
Lyanne pensa que seule Vodcha avait la réponse. Doucement, après avoir vérifié que ce qu’il avait fait rendait Maester assez fort pour tenir, il se retira.
Quand il se releva, il vit la guérisseuse qui le regardait d’un air perplexe.
- Tu es un être étonnant, étrange étranger. Tu as passé presque toute la nuit à t’occuper de ce corps souffrant. Que lui dois-tu?
- Vois-tu, guérisseuse, quand j’ai eu besoin, il était là. Sa fille va venir. Elle achèvera ce que j’ai commencé. Le jour va bientôt se lever. Je dois y aller. Nous allons nous revoir bientôt.
Ayant dit cela, Lyanne se leva et sortit. L’aube s’annonçait. Une lueur bleutée se devinait, là où le soleil se lève. La neige ne tombait plus. Un tapis blanc s’étendait tout autour d’eux. Il repéra la louve blanche qui attendait. Il s’approcha d’elle :
- Wash, serviteur comme l’est RRling, reste ici et veille. Je reviens.
Lyanne s’appuyant sur son bâton, reprit le chemin vers la ville voisine. Dès qu’il fut hors de vue, il devint dragon et vola à tire-d’ailes vers le bivouac où dormait Vodcha.
Quand elle se réveilla, Lyanne faisait chauffer le petit déjeuner. L'air sérieux, elle regarda le roi-dragon.
- Quand tu es venu, je ne t'ai pas bien regardé. Ces hommes m’effrayaient. Tu es devenu grand. Tu es toujours un ange, mais tu es devenu grand.  
Inclinant la tête, comme un dessinateur pour mieux voir son modèle, elle ajouta :
- Tu trouveras. Même si tu ne sais pas ce que tu cherches, tu trouveras.
Ayant dit cela, elle retrouva le sourire et se jeta dans les bras de Lyanne :   
- Je ne t'ai pas assez remercié ! Sans toi...
- Oui, mais il faut aussi remercier les autres qui ont permis cela.
- Daïdaï ne m'a pas écoutée. Nous aurions dû être loin avant que ces brutes n'arrivent.
- Il doit le regretter.
- J'ai hâte de le retrouver. Il doit s'en vouloir, alors que finalement c'est une bonne chose puisque tu es là.
- Allons, jeune demoiselle, il est temps de manger et de reprendre la route.
Les crammplacs avaient déjà fait mouvement et exploraient le chemin quand ils se mirent en marche. Leur voyage se déroula sans incident. Ils arrivèrent devant la maison de la guérisseuse. Si Lyanne remarqua la silhouette d'un loup derrière les buissons qui bordaient la clairière, Vodcha ne sembla pas s'en apercevoir. Elle était devant la porte semblant hésiter. Elle jeta un regard inquiet vers Lyanne comme pour lui dire une fois encore sa peur. Elle n'eut pas à attendre, la porte s'ouvrit toute seule.
- Entre, Jeune fille, quelqu'un t'attend.
La femme qui se tenait devant elle lui rappela sa mère. Dans la pièce un peu sombre, elle repéra l'homme allongé et s'immobilisa comme interdite. La silhouette allongée bougea un peu. Elle s'approcha, s'agenouilla à côté de lui. Elle posa sa main sur le front. Il était chaud mais sec. Maester bougea en gémissant. Vodcha lui entoura le cou de ses mains, posa la tête sur son épaule et pleura en murmurant :
- Daïdaï ! Daïdaï !
Lyanne s’approcha d’elle, contempla la scène un instant. Puis il s’agenouilla et mettant une main sur chaque tête, commença à réciter une étrange litanie. Tous ceux qui l’entendirent connurent une certaine torpeur. Ce fut comme si le temps et l’espace se dilataient en une immensité sans limites... Et puis, la réalité sembla redevenir réalité et le temps se remit à courir. La main de Maester se souleva et vint se poser sur la tête de Vodcha. Lyanne se releva et s'éloigna, préférant les laisser seuls pour se retrouver.
La femme qui n’avait rien perdu de la scène, invita Lyanne à venir s’asseoir à la table.
- Ta  puissance est aussi étrange que toi, étrange étranger. Je ne sais pas faire cela.
- Ta puissance est grande aussi, guérisseuse. Nombreux sont ceux qui te doivent la vie. Tu es liée au monde et à sa trame. Toutes celles que j’ai rencontrées et qui ont le même don, sont comme des balises sur le bord du chemin. L’enfant qui est là est fille d’une autre guérisseuse, plus loin vers les montagnes. Elle te racontera. Son père va mieux, il guérira vite maintenant. Je vais partir avec les miens.
- Ceux qui sont dehors ?
- Oui, ceux-là mêmes dont la force te remplit de crainte. La jeune fille m’a dit quelque chose. Comme toujours, elle dit des choses qui ont besoin de se dévoiler. Le temps me confirmera. Mon avenir est plus loin.
- Elle ressent ce que je ressens. Va, grand être, va vers ceux qui te ressemblent. Celui qui est comme la montagne te guidera mieux que moi.
- Tu parles aussi en énigme, femme. Mais je sais que tu ressens sans voir clairement.
Lyanne se leva, regarda derrière lui, Maester et sa fille se dire ce que se disent ceux qui s’étaient perdus et qui se retrouvent. Il se dirigea vers la porte.
- Dis-leur au revoir de ma part. Les loups veilleront sur eux.
- Je ferai comme tu le souhaites, dit la guérisseuse. Que ta quête soit favorable.
- Que tes jours soient emplis de paix.
Ayant dit cela, il s’éloigna dans le chemin. Saraya l’attendait.