dimanche 12 janvier 2014

Lyanne n'avait pas besoin de ses éclaireurs pour savoir où il devait aller. Il sentait Salcha. La magie contenue dans l'arme avait à voir avec son bâton de puissance et le guidait. Il commençait à comprendre la force qui l'habitait. Le soir arrivait vite. Si grâce à la neige, ses troupes progressaient vite, beaucoup plus vite que les autres, il ne voulait pas qu'elles arrivent épuisées pour se battre. Régulièrement, Lyanne s'approchait des villages et récupérait des renseignements. Tant qu'ils étaient fascinés par son bâton de puissance, les gens étaient bavards, oubliant tout dès qu'il les avait quittés. Il avait ainsi appris que nombreux étaient ceux qui étaient rentrés sur leurs terres pour l'hiver. Saraya s'était replié dans un de ses fiefs. La haute ville de Ainval l'abritait ainsi qu'une garnison conséquente. On la disait imprenable sur son roc. Plus ils approchaient et plus les renseignements étaient précis. Ainval était ceinturée de falaises et son seul accès était barré par un mur qu'une poignée d'hommes pouvait défendre contre la plus grande des armées. Ses caves nombreuses et profondes lui assuraient une capacité de stockage digne des plus grandes villes. Sioultac les aidait toujours en poussant ses noirs nuages de neige loin des blanches montagnes. Il était leur meilleur allié dans cette guerre.
- Dans une main de jours nous serons à destination, dit Lyanne.
- Oui, mon roi, répondit le prince Fays.
C'est lui qui dirigeait les phalanges. Tous les princes étaient réunis pour le briefing du soir. On y faisait le point des vivres, des blessés et on préparait le lendemain.
- Je vais vous précéder, avec les groupes mixtes. Il nous faut étudier la topographie du terrain pour savoir la meilleure stratégie. Les crammplacs et leurs cavaliers sont déjà partis. Je les rejoindrai demain soir. Cela nous laissera quatre jours pour préparer une stratégie.
- Devons-nous accélérer ? demanda un jeune prince-dixième.
- Je préfère que les guerriers soient en forme pour attaquer. Soyez près de Ainval dans une main de jours sans qu'on vous repère et tout sera bien.
Se tournant vers le prince Fays, Lyanne lui dit :
- Je vous laisse finir, je rejoins les groupes de l'avant-garde.
Lyanne décolla sans attendre.
Il aimait voler dans la nuit. Le vent le portait. Avant que le soleil ne se lève, il serait près de Ainval. Ces guerriers devaient avoir couvert une bonne partie de la distance. La neige avait tout recouvert. Les reliefs s'étaient adoucis. Cela plaisait à Lyanne. Si le gens de la plaine ne savaient pas en profiter, les guerriers blancs y trouvaient avantage. C'est en milieu de nuit qu'il survola la ville. Si Saraya se croyait à l'abri, il se trompait lourdement. Pour les planches de glisse la neige était porteuse, les pentes même raides leur étaient accessibles.
Lyanne se posa dans la forêt. Il était sur la crête en face de la ville. Il regarda les lumières au loin et les fumées des maisons. Les flocons tourbillonnaient mollement mais arrivaient en rangs serrés. Demain, la couche atteindrait au moins une coudée. Cela le fit sourire. Le temps que les guerriers soient là, et la neige serait idéale pour les porter. Une lumière s'alluma, plus haute que les autres, attirant son regard. Le donjon était donc là, surplombant la vallée de toute sa taille, faisant comme un prolongement vertical à la falaise. Celui qui avait construit cette ville avait bien travaillé. Demain les groupes mixtes seraient là. Il regarda les nuages qui se pressaient dans le ciel. La neige allait continuer. Il reporta son regard sur la ville tout en se déplaçant à la lisière de la forêt. Il ne voyait pas de remparts et pas de garde, hormis sur le mur barrant la crête. Les quelques soldats se réchauffaient autour d'un brasero plus attentifs à la chaleur qu'à ce qui pouvait se passer dehors. Le mieux pour le moment était que personne ne se doute de sa présence. Avant de repartir à la recherche d'un lieu de bivouac, il sentit comme une force qui l'attirait vers le donjon : Salcha ! Il regarda et vit une silhouette se découper en ombre chinoise à une des baies. La finesse de cette ombre chinoise ne pouvait appartenir qu'à Sacha. « Bien, pensa-t-il, leurs appartements sont là. Reste à les déloger ! ».
Lyanne s'enfonça sous le couvert des arbres. Plus loin, il trouva une petite vallée avec un abri qui serait très bien pour ses guerriers et les crammplacs. En cette saison, il ne devait pas être fréquenté...
Les premiers groupes mixtes arrivèrent le lendemain en milieu de journée. Lyanne avait été à leur rencontre. La petite vallée et son abri sous roche les avaient accueillis. Ils étaient repartis à la nuit. Blancs sur blanc, ils étaient invisibles. Ils s'arrêtèrent à la lisière de la forêt. La nuit était noire. Seules les lumières de la ville se distinguaient derrière le rideau mouvant de la neige.
- Approchons-nous, murmura Lyanne.
Sans bruit grâce à la neige et avec l'instinct de prédateur qui était le leur, les crammplacs poilus furent rapidement au pied de pente. Devant eux la rivière faisait une barrière naturelle. Le pont des soupirants était sur leur gauche et l'autre pont de l'autre côté de la ville. Des rapides barraient toutes possibilités de navigation mais les rochers à moitié submergés furent d'excellents points d'appui pour leur passage. Ils se déplacèrent jusqu'à être sous le mur qui barrait la crête. Sans un bruit, ils commencèrent leur ascension. Les roches offraient des prises solides à leurs griffes. Si Lyanne s'était transformé en dragon, il avait choisi d'avoir deux fois la taille d'un charc. Il s'était élevé au-dessus de la ville, près du mur d'enceinte. La neige s'était accumulée par endroit en raison du vent, faisant des tas par-ci, par-là. Il survola le mur désert. Qui aurait eu idée de rester dehors par cette neige et ce vent glacé? Il sourit de toutes ses dents et se posa à côté de la porte, à l’intérieur. Là-haut, il entendait les gardes des remparts se plaindre du froid et réclamer après des boissons fortes pour se réchauffer.
- T’frais mieux d’aller faire une ronde !
- T’es fou, personne n’oserait être dehors.
- Discute pas ! Tu connais les ordres. Va.
L’homme grommela mais s’habilla d’une chaude pelisse. Lyanne entendit la porte s’ouvrir en grinçant :
- Saloperie !
- Dépêche-toi de refermer, y gèle !
Le garde grommela tout en refermant la porte.
Un crammplacs se glissa à côté de Lyanne. Dans la nuit sans lune, posé sans un mouvement, il était in-repérable. Lyanne reprit sa forme humaine. On entendait au-dessus les bruits de la conversation des soldats. D’autres crammplacs, tout aussi silencieux, arrivèrent.
- « Les hommes, là-haut, faut-il les tuer ? »
- « Attendez, que deux d’entre-vous restent ici. Agissez s’ils veulent donner l’alerte. »
Lyanne, ombre dans la nuit, se mit à remonter la rue déserte. Plusieurs portes le séparaient du donjon. Arrivé à la première, s’il entendit les hommes à l’intérieur, personne ne sortit. Silencieusement, avec les grands fauves et les guerriers blancs, il passa. Il montra une porte basse renforcée de ferrures :
- « Bloquez-les s’ils veulent sortir. »
Deux guerriers et deux crammplacs se mirent en poste. Le reste du groupe avança. Aux deux autres portes fortes, ce fut le même scénario. Personne n’était dehors. La ville était à eux. Ils passèrent sur une place, sur la droite une grande rue descendait vers le quartier des cantonnements. Le roi-dragon laissa là un groupe mixte, charge à eux d’empêcher tout mouvement de troupe. Les grands fauves se courbèrent prenant entre leurs pattes leur cavalier. Ainsi posés, ils devenaient semblables aux tas de neige tombés des toits. La rue continuait à serpenter en montant vers le donjon. Une lumière les alerta. Lyanne et deux mains d’hommes précédaient les crammplacs. Ils se renfoncèrent sous les arcades là où le noir était le plus profond. La lumière vacillante se révéla être une torche portée par un homme à la capuche enfoncée jusqu’aux yeux. Lentement le roi-dragon et ses hommes se déplacèrent en faisant le tour des piliers. L’homme portait la livrée de Saraya. Lyanne le scruta :
- « Probablement un serviteur, laissez-le passer . »
Protégé par les arcades, l’homme avançait vite. Il passa devant Lyanne et les guerriers blancs sans les remarquer. Avant d’avoir atteint la place, il ouvrit une porte et se glissa à l’abri. La nuit reprit ses droits. D’un claquement de langue, Lyanne donna le signal du départ. S’il était à l’aise dans la nuit, les crammplacs servaient d’yeux pour les guerriers blancs. Chacun était lié à un homme. Ils arrivèrent ainsi jusqu’au dernier pont-levis. Le donjon s’élevait, masse sombre sans ouverture.
- « Veux-tu que nous l’escaladions ? » demanda le chef des crammplacs.
- « Vous allez m’attendre là. Nul besoin de se battre sans nécessité. »
Une rampe en bois permettait de se retrouver à hauteur de la porte. Étroite et raide, elle ne permettait que le passage d’un homme. Au bout, une poutre pouvait supporter le poids du pont-levis. Lyanne n’en vit aucune trace. Devant lui, de l’autre côté du vide, une lourde porte ferrée fermait la tour. Il leva la tête. D’étroites meurtrières la surplombaient. Il se jeta dans le vide et déploya ses ailes. Salcha l’attendait. Il la sentait toute proche. Il s’éleva en faisant le tour cherchant les ouvertures. Il atteignit ainsi le troisième étage avant de trouver un passage. Il pensa que les deux premiers niveaux étaient réservés aux gardes et aux cuisines. Il se glissa par une petite ouverture. L’odeur était épouvantable. Il rit intérieurement à l’idée d’être entré dans le donjon par la lucarne des commodités. Il reprit sa forme humaine et le marteau à la main, il tira sur la porte doucement. Celle-ci émit quelques protestations mais s’ouvrit assez pour qu’il voie le couloir plongé dans l’obscurité. À cette heure de la nuit, çà et là, à même le sol, enveloppés dans leur manteau, des hommes dormaient. Il écouta leurs respirations. Le bruit de la porte avait un peu alerté l’un ou l’autre. Il attendit que de nouveau les respirations retrouvent leur calme et leur régularité avant de s’avancer. Il ne devait pas être loin. Les hommes allongés étaient des guerriers Izuus de la haute garde. Sacha devait avoir ses appartements juste à côté.
Toujours aussi silencieux, Lyanne avança jusqu'à la porte. Avant de l'atteindre il s'était arrêté. Deux gardes dormaient contre les vantaux. Si l'un était un Izuus, l'autre portait la livrée de Saraya. Il était impossible d'ouvrir la porte sans les réveiller. Contrarié, il se dirigea vers une des fenêtres. De lourds volets de bois y étaient assujettis. La barre qui les retenait était entrée en force dans ses taquets. Lyanne imagina le bruit s'il essayait de passer par là. Il fit demi-tour. Son parcours de retour se passa aussi doucement et aussi silencieusement. En cette heure du milieu de la nuit, le sommeil était le plus lourd. Il entendit un homme bouger alors qu'il n'était qu'à deux pas de son but. Ce dernier se leva. Il n'avait pas fait un pas qu'il buttait dans son voisin tellement la nuit était profonde. Il y eut des grognements et des jurons, les hommes se réveillèrent les uns les autres en chuchotant. Celui qui était le plus près du brasero se leva en maugréant, jetant des branches de résineux sur les braises qu'il venait de remuer. Le premier debout profita de ces premières lueurs pour se diriger vers les commodités. Quand il y arriva, elles étaient vides. Il regarda par la lucarne jurant en voyant la neige qui tombait encore. Un peu en-dessous, une silhouette de la taille d'un grand charc faisait un vol plané.
Lyanne avait juste profité de la confusion du réveil pour se précipiter vers la fenêtre. D'un même mouvement, il s'était transformé et jeté dans le vide. C'est trois pieds plus bas qu'il avait étendu ses ailes, entamant une ressource qui l'éloignait de la seule entrée sur cette face de la tour. Il continua à monter, atteignant bientôt le sommet. Une petite guérite protégeait l'échelle et le guetteur, qui ne guettait rien, réfugié sous l'abri. La couche de neige était immaculée, aucune trace ne la violait. Il vit le bout de l'échelle dépasser. Il en conclut qu'une trappe existait entre le toit et l'étage inférieur. Il redescendit au niveau du pont levis et se posant, il donna l'ordre de partir :
- « On se retrouve au bivouac ! » leur transmit-il avant de s'envoler.

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