lundi 31 décembre 2012

- Sans les charcs qui m'ont prévenue, je serais au lit, dit La Tchaulevêté avec un grand sourire.
- Maman ! dit Vodcha en se précipitant dans ses bras
- Daïdaï, dit Tchavo en se précipitant dans les bras de Maester.
Brunchma faisait manœuvrer Mimi pour le faire rentrer dans la cour de la maison et Névtelen se tenait sur le pas de la porte avec le coffre. Il fut pris d'une émotion intense. Cette enfant, cette femme, c'étaient... c'étaient... Il ne trouva pas les mots et surtout, il ne trouva pas le souvenir de son émotion. La Tchaulevêté regarda Névtelen. Son regard était aigu. Puis Vodcha attira son attention. Maester fit un signe à Névtelen pour qu'il pose les affaires dans un coin. Au bout d'un moment les deux filles se prirent la main et partirent dans une autre pièce. Maester avait pris les mains de La Tchaulevêté. Ils ne se quittaient pas des yeux.
- Je suis heureuse de te voir.
- Moi aussi, dit Maester d'une voix vibrante.
La Tchaulevêté reprit son rôle de maîtresse de maison. Elle donna des ordres à Névtelen et à Brunchma pour les installer pour la nuit.
Quand le matin arriva, Névtelen fut réveillé par le bruit des deux filles qui se disputaient.
- C'est un ange !
- J'te crois pas !
- Même que j'ai vu ses ailes !
Une voix douce et impérieuse retentit :
- Doucement mes filles ! Les choses sont parfois différentes de ce qu'elles semblent être et vous avez encore beaucoup à apprendre.
Névtelen tira le rideau qui fermait le coin où il avait dormi. La Tchaulevêté préparait à manger. Elle tourna son visage vers lui. Elle lui adressa un sourire. Névtelen lui répondit.
- Tu perturbes mes filles, homme sans nom.
- Pourquoi m'appelles-tu : « homme sans nom » ?
- Sais-tu ton nom ?
- Ma mémoire a été effacée.
- Non, Névtelen, puisque tu te fais appeler comme cela. Ta mémoire t'a été cachée.
Ce fut comme s'il avait reçu un coup de poing dans le plexus.
- Alors qui suis-je ? Dis-le moi !
- Malheureusement, les choses sont plus difficiles que cela. Quelqu'un a bloqué ta mémoire et la débloquer sera difficile. Une porte a une clé, ta mémoire aussi. La trouver est ardu.
- Alors que dois-je...
Il fut interrompu par des coups frappés au portail.
- C'est bien ce que je craignais ! Va ouvrir, Névtelen, s'il te plaît.
En ouvrant le vantail, Névtelen découvrit un cortège d'éclopés. L'homme qui avait frappé, eut un mouvement de surprise :
- La Tchaulevêté n'est pas là ?
- Si, si... Entrez Chef ! dit La Tchaulevêté.
Des blessés entrèrent seuls ou aidés par d'autres. Pendant le reste de la journée, toute la maisonnée fut occupée à donner des soins. Quand tous furent pansés, couchés ou réconfortés, La Tchaulevêté invita ses filles, leur père et les deux hommes à venir s'asseoir dans la cuisine. Névtelen sentit son corps se détendre et la fatigue s'installer. Elle servit une coupe d'une infusion chaude et revigorante. Ils discutèrent à bâtons rompus de ce qu'ils venaient de vivre. Avec la guerre, des bandes armées écumaient le pays. La région n'avait pas été épargnée et le bourgmestre avait décidé de mettre fin à la menace. La troupe avait fait battre la campagne en ce début d'hiver et avait fini par rencontrer les bandits dans une vallée étroite où les combats avaient été violents. A la fin de la journée, la victoire était acquise mais les pertes sévères. Le retour bien que victorieux avait été triste. Les guérisseurs locaux avaient adressé à La Tchaulvêté certains blessés dont les plaies semblaient infectées. Maintenant, ils se reposaient tous, le calme était revenu dans la grande salle. Névtelen regardait les charcs entrer et sortir par une lucarne. Ils venaient se percher de-ci de-là, mais tous à un moment où à un autre venaient sur l'épaule de La Tchaulevêté. Encore une fois de fugitives impressions lui traversèrent l'esprit. C'était toujours la même souffrance, la même angoisse. Il se redressa en sentant le regard de la maîtresse de maison se poser sur lui. Les filles s'étaient endormies sur la table, Maester parlait de choses et d'autres et racontaient ce qu'il avait vu dans ses voyage. Brunchma dodelinait de la tête sur son siège appuyé sur un des poteaux de la maison.
- Je te préparerai un remède, Névtelen.
Entendant la voix de sa compagne, Maester s'arrêta de parler et regarda vers Névtelen. Celui-ci s'était redressé en entendant son nom.
- Alors, je vais guérir !
- Pas si vite, jeune homme, lui répondit La Tchaulvêté. Pas si vite ! Ce que je vais préparer va te guérir mais le plus important sera de déterminer le moment de le prendre. Si tu te trompes, tu pourrais en mourir.
Névtelen fut déçu.
- Ah ! Alors que dois-je faire ?
- Se hâter lentement. Il faut que je prépare le remède et que je cherche le bon moment.
Névtelen était resté avec ces paroles. Les activités de la maison de La Tchaulvêté étaient nombreuses. L'arrivée des trois hommes lui permit de faire face à tous les blessés qui étaient arrivés. Le bourgmestre lui-même, vint rendre visite à la guérisseuse. Il la félicita pour ses résultats, sous-entendit la jalousie des guérisseurs mâles qui trônaient dans la ville et dont elle ne faisait pas partie, elle qui employait des méthodes efficaces, certes, mais tellement peu orthodoxes qu'il serait bon qu'elle se méfie de la vengeance de la corporation des guérisseurs de Getch, leur grand dieu, béni soit son nom. Névtelen était subjugué par l'homme. Comment pouvait-on débiter autant de platitudes en aussi peu de temps ? Puis comme se termine une tornade, se termina la visite du bourgmestre. La Tchaulvêté avait l'air moins émue par ce fait que par la tête de ses filles.
- Allez les filles, vous semblez impressionnées par le bonhomme. Pourtant sa parole est plus vive que sa pensée.
- C'est vrai qu'il a l'air vide, dit Vodcha.
- C'est pas comme Névt, ajouta Tchavo. Lui, lui a l'air trop plein.
Les deux filles se mirent à rire ensemble, laissant Névtelen dans un abîme de perplexité.
Un soir, alors que La Tchaulvêté broyait des herbes dans un bol en bois avec un pilon, il s'approcha d'elle. Elle le regarda s'asseoir sans rien dire. Les filles, Maester et Brunchman étaient partis chercher des provisions au marché. Le soleil qui éclairait était encore assez haut. Les charcs continuaient leur manège. Névtelen en avait pris l'habitude. Il savait qu'ils étaient comme une partie de La Tchaulvêté, comme les autres animaux qui couraient çà et là. Il pensa qu'elle n'allait pas lui faciliter la tâche. Il voulait savoir. Il se lança :
- Tchavo l'autre jour a dit que j'avais l'air trop plein. Que voulait-elle dire ?
La Tchaulvêté le regarda de ses yeux sombres et perçants. Il soutint son regard.
- As-tu déjà vu ton ombre ? Ou ton reflet dans une mare bien calme ?
Névtelen fut interloqué par cette réponse :
- Oui, mais...
- Tu es cette ombre ou ce reflet.
La colère lui emplit le cœur. Il en avait plus qu'assez d'être... d'être et bien, il ne savait pas quoi, pas qui. Il voulait des réponses. Il le dit assez vertement à La Tchaulvêté. Elle lui jeta un regard étonné.
- Vois-tu, Névtelen, ce que je prépare est pour toi. Je comprends ta colère mais qu'y puis-je ?
- Ce n'est pas contre toi que j'en ai, dit Névtelen en parlant plus doucement. J'aimerais tellement être moi.
- Les filles ont bien senti. Vodcha a bien senti. Cet être qui vole et qui est si gros, cet être dont me parlent les charcs, cet être tu dois le rencontrer.
- Je suis en chemin pour cela, lui dit-il. Tel semble être mon destin. Je ne sais pas par où aller. Il vit dans les montagnes mais les montagnes sont vastes.
- Les charcs m'ont renseignée. Il faut que tu quittes la vallée pour aller vers le pays des grands froids qui est de l'autre côté des montagnes. Pour cela, tu dois quitter le chemin facile pour couper par les cols escarpés.
- L'hiver est là !
- Je sais, Névtelen. Les charcs m'ont signalé aussi un fait curieux et inhabituel : des loups.
Névtelen se redressa. Il revit ces silhouettes noires qui semblaient veiller sur lui. Il en parla à La Tchaulvêté.
- Sont-ils des avatars des dieux ?
- Mon savoir est limité dans ce domaine, Névtelen. Je sens la nature et les forces qui y vivent. Cette meute est porteuse d'une sagesse très ancienne et toujours actuelle. Elle sert plus fort qu'elle pour que l'équilibre se maintienne. Voilà ce que je ressens de leur présence ici. Le hasard est étranger à ce fait. Tu y es pour quelque chose.
Névtelen se mit à réfléchir sur ce qu'il venait d'entendre.
- Le remède sera prêt bientôt. Après il sera bon que tu partes.

vendredi 28 décembre 2012

Névtelen apprit aussi que le harda de l'histoire était le père du père du père.... du père de Maester. Qu'on passerait par la Grande Vallée où l'accueil était toujours chaleureux et que si le temps le permettait on pousserait même jusqu'au pied des montagnes. Les nouvelles de la guerre s'éloignaient doucement. Le harda n'allait pas au plus court. Son chemin faisait de nombreux détours. Il était parfois reçu par le seigneur du lieu, comme dans le fief de la Grande Vallée. Névtelen admira la forteresse, formidable machine de guerre. Mais dans la haute cour, le seigneur avait un grand logement confortable empli de trésors comme cette grande tapisserie racontant la légende du Chevalier Blanc. Un détail attira son attention. Celui ou celle qui avait réalisé cet ouvrage avait bien brodé un dragon comme celui qu'il avait vu voler au-dessus de Maskusa. Des impressions fugitives lui traversèrent l'esprit. Il savait des choses sur les dragons. Il essaya de réfléchir, de se souvenir. Rien ne vint, la confusion devenait plus grande dans sa tête. Il frappa le mur pour contenir sa rage.
- T'es en colère, Névt ?
- Pas contre toi, Vodcha !
- Alors viens te promener.
Prenant sa main, elle l'emmena dans les bois autour de la forteresse. Ils jouèrent un bon moment. Quand la lumière se fit plus chiche, Névtelen dit :
- Ton père va s'inquiéter.
- Mais je suis avec toi. Quand on est avec un ange rien ne peut arriver.
Vodcha avait dit cela avec beaucoup de sérieux. Mais elle accepta de rentrer avec lui. Ils revenaient vers le château en discutant de tout et de rien quand ils débouchèrent sur un promontoire qui dominait une partie de la vallée. Le soleil qui avait brillé toute la journée, se dirigeait vers le bord du monde en donnant une lumière chaude.
- Regarde, Névt ! Un autre ange !
Il regarda dans la direction indiquée par Vodcha. Une silhouette se déplaçait dans le ciel en battant des ailes. Il reconnut le dragon, plus rouge dans la lumière que dans ses souvenirs. Il eut un choc. Le dragon l'avait regardé. Il en était sûr. Il y eut un cri long comme une plainte. Des loups y répondirent. Avec un aplomb qui surprit Névtelen, Vodcha dit :
- L'autre ange là, il t'appelle.
Il n'osa pas demander à Vodcha ce qu'elle voulait dire. Il avait maintenant la certitude que leur rencontre était inévitable. Quand le grand saurien eut disparu à l'horizon, ils retournèrent à la forteresse. Maester écouta Vodcha raconter ses exploits dans les bois avec cet air mi-sérieux, mi-goguenard qu'il prenait avec sa fille. Il devint sérieux quand elle raconta l'épisode du dragon.
Le lendemain, il en parla avec Névtelen.
- Je voulais te dire, Névtelen, que ma fille est différente des autres enfants.
- Comment cela, maître ?
- Sa mère n'est pas morte comme tout le monde le croit. Sa mère est une guérisseuse que j'ai beaucoup aimée. Elle voulait un enfant de moi. J'ai accepté son contrat. Ce qu'elle n'avait pas prévu c'est qu'elle aurait des jumelles. Elle n'a pas pu garder les deux. Quand elle a sevré ses filles, elle a choisi celle qui devrait lui succéder. Elle m'a demandé de garder l'autre.
- Vodcha sait cela ?
- Bien sûr, mais elle n'en parle jamais en public. Nous nous revoyons quand vient le temps d'aller dans la région haute. Ce que je voulais te dire, c'est que si elle n'a pas les dons de sa sœur, elle a des dons. Je ne l'ai jamais vu se tromper dans son jugement sur un homme.
- C'est pour cela que vous m'avez fait confiance si vite ! Cela m'avait étonné.
- Oui, c'est pour cela. Aujourd'hui, elle vient de dire que le dragon t'appelle. Un jour tu auras besoin de nous quitter pour y aller. Je comprendrai. Je vais demander au Seigneur de la Grande Vallée de me prêter un homme pour que tu sois libre.
- Je ne voudrais pas vous obliger...
- C'est le désir de Vodcha.
Comme ils arrivaient dans la grande salle, leur conversation s'arrêta. La journée se passa sans événement particulier. Le soir une fête était donnée en l'honneur de Maester et de son départ.
Le lendemain, Névtelen marchait en réfléchissant à tout ce qu'il savait sur lui. Il lui manquait l'essentiel. Qui était-il ? De tous les hommes qu'il avait rencontrés, il n'en était pas un qui lui ressembla vraiment. On le traitait toujours à part. Seuls Vodcha et Maester l'avaient accueilli sans faire de remarque. Avec eux, il était bien.
La région devenait plus montagneuse. Névtelen avait été étonné. Maester avait évoqué un retour dans la plaine et pour le moment, ils montaient régulièrement. Le seigneur de la Grande Vallée avait décidé d'honorer Maester en l'accompagnant au moins jusqu'à la vallée de Trisman. Il avait détaché un de ses soldats pour servir d'escorte. Ce dernier amusait beaucoup Vodcha qui l'avait surnommé : Brunchma, la montagne qui marche. Après une dernière salutation au seigneur du lieu, ils se dirigèrent vers un col. Brunchma marchait devant tenant Mimi par les rênes. Vodcha trônait dans la carriole enveloppée de couvertures. Maester se tenait à sa hauteur et Névtelen fermait la marche.
- Il n'y a pas de village par ici. Il faudra qu'on bivouaque avant le col. Je connais une grotte où nous serons bien.
- La région est désolée, maître Maester. Vous ne craignez pas les bandits ?
- Non, Névtelen. Le fief de la Grande vallée est sûr. Les ennuis risquent d'arriver après le col. Le temps se couvre. Je crains plus la neige que les bandits.
- Non, Maître Maester, intervint Brunchma. Le temps va se couvrir mais la neige ne viendra pas. Enfin pas tout de suite.
Vodcha ajouta :
- De toutes façons tant qu'ils seront là, nous ne risquons rien !
- Qui est là ? demanda Maester.
- Ben, les serviteurs de l'ange, DaïDaï.
Il la regarda l'air étonné, mais n'ajouta rien. Névtelen s'interrogea aussi sur ce qu'il venait d'entendre jusqu'à ce qu'il remarque une ombre noire à la limite de son champ de vision. Les loups ! Curieusement, il fut rassuré.
Les jours suivant passèrent sans incident et sans neige. Ils avançaient bien. Maester était content. Il expliqua qu'ils allaient vers la région haute pour voir la mère de Vodcha. Alors qu'habituellement, ils passaient l'hiver dans la douceur d'un pays plus chaud, la fillette avait déclaré sur un ton sans réplique qu'il fallait aller voir sa mère. Maester avait toujours respecté ses désirs, mais là avec le froid, il avait essayé de discuter avec sa fille. Vodcha s'était butée. Il fallait y aller maintenant, car c'est maintenant qu'il fallait y aller. Il avait cédé comme toujours. Il avait pris son temps pour monter et puis depuis l'histoire de l'ange, Vodcha était devenue impatiente. Maester avait décidé de couper par les montagnes de Tompaado. Les villages étaient pauvres et les gens rudes. Ils purent se faire héberger plusieurs fois. À d'autres moments, Vodcha faisait « non » de la tête et son père n'insistait pas. Ils reprenaient la route. Si Névtelen avait un don pour le feu, Brunchma avait le don de trouver un abri.
- Là ! Felmazik !
Névtelen rejoignit le groupe qui s'était arrêté. À leurs pieds dans la vallée, il découvrit une ville. Elle était nichée dans une vallée qui s'élargissait. Vodcha s'écria :
- On y sera ce soir, Daïdaï ?
- On va essayer mais Mimi commence à fatiguer. On fera peut-être halte à mi-pente, à moins que la neige...
Brunchma intervint :
- Le vent vient du septentrion, maître Maester. La neige sera là dans la nuit, au plus tard demain.
- Alors si nous n'avons pas le choix. Allons-y !
Brunchma reprit les rênes de Mimi et se mit à lui parler pour l'aider à avancer. Ils allumèrent des torches en arrivant à mi-pente. Par précautions, ils sortirent les armes. Ainsi éclairés, il faisait une proie parfaite pour des brigands. Seule Vodcha ne s'inquiétait pas et parlait de son plaisir à revoir sa mère.
- Regarde, Daïdaï ! Elle a fait allumer des feux pour nous guider.
Effectivement, contre toute attente, de chaque côté de la porte de la ville, des feux brûlaient. Ils atteignirent la route du fond de la vallée à la deuxième veille. Les feux brûlaient toujours. En s'approchant, ils virent les soldats sur le pied de guerre. Ils rangèrent leurs armes.
Maester fut reconnu par le gradé :
- Ah ! C'est vous ! Vous avez de la chance, si nous n'attendions pas le bourgmestre, vous auriez passé la nuit dehors.
Maester insista un peu pour lui faire un cadeau, juste pour la forme, tellement il était évident que l'homme n'attendait que cela. Il leur fit ouvrir la porte. Dans les rues sombres, à la mouvante lumière des torches, ils suivirent Maester.

lundi 24 décembre 2012

Il était une fois, il y a longtemps une famille de puissants guerriers. Le grand-père avait été nommé chevalier après la bataille des mille-morts pour avoir sauvé la vie du roi. A son retour, il était devenu le seigneur de la basse vallée. Il avait fait construire par ses serfs une bâtisse faite de troncs d'arbres emboîtés. Sa position sur un promontoire la rendait sûre. Son fils avait amélioré les défenses en faisant un rempart autour. Il avait même agrandi son territoire en gagnant un combat avec son voisin plus haut dans la vallée. Il était devenu le seigneur de la vallée du Trisman, comme s'appelait le ruisseau qui y courait. Son propre fils vint au monde alors que le chevalier du Trisman comme il aimait à se faire appeler, avait des vues sur la vallée voisine. Il n'avait pas de souvenir de ce père tué lors d'un engagement avec le seigneur voisin. Il était maintenant le vassal du seigneur Totmel, vainqueur honni mais vainqueur. La vallée du Trisman devait fournir des hommes, des vivres et du matériel au seigneur Totmel. Il fallut que passent trois hivers pour que le jeune homme soit assez grand et assez fort pour avoir droit à son titre de chevalier du Trisman. Ce jour-là, il contemplait la demeure familiale. Les remparts avaient été abattus sur ordre du suzerain, il n'en restait que les traces. Ohtman attendait son maître d'armes. Il s'agissait d'un vieux soldat rescapé des guerres du roi. L'homme était rusé mais fatiguait vite. Ses rhumatismes et sa vieillesse le handicapaient face à la rapidité et l'endurance de son élève.
- Ne crois-tu pas, Silmion, que je devrais renforcer à nouveau notre demeure. J'entends parler d'attaque venue par le fleuve.
- Totmel ne sera pas content, Monseigneur.
Ils reprirent leur assaut. Silmion l'interrompit quelques temps plus tard.
- Dois-je attendre qu'on massacre mes gens pour réagir ?
- Les pirates... ne sont pas venus... jusqu'ici... pour le moment.
- Non, mais leurs raids vont chaque jour plus dans les terres.
Essoufflé, Silmion se tenait penché en avant.
- Jeune maître... je suis trop vieux... il te faudrait maintenant un vrai maître d'armes...
- Tu es le meilleur, Silmion.
- Peut-être, monseigneur, mais trop vieux quand même...
Il fut interrompu par un serviteur qui arriva en courant.
- Monseigneur ! Monseigneur ! Le seigneur Totmel en appelle aux vassaux !
Ohtman se rembrunit. Totmel demandait des hommes. La situation devait être grave.
- Silmion, je vais prendre la moitié des hommes et tu garderas les autres pour défendre la vallée. Je prendrai les plus jeunes. Tu garderas les meilleurs. Prépare-les, nous partirons demain.
Alors que le maître d'armes allait partir, Ohtman reprit la parole :
- Trouve-moi aussi cinq jeunes de chez nous prêts à tenter l'aventure.
Il remonta à la maison. Encore vêtu de son pourpoint d’entraînement, il croisa sa mère qui lui en fit le reproche. Pour une fois, il ne répondit pas comme à son habitude à sa taquinerie. Voyant cela, elle devint grave et l'interrogea.
- Totmel en appelle aux vassaux. Je pars demain.
Sa mère mit ses deux mains sur la bouche pour ne pas crier et écarquilla les yeux.
- Non, Mamouchna, je ne ferai pas comme mon père. Mais tu connais les lois...
Le lendemain de bonne heure, il était parti. Il était le seul à monter un mauvais tracks. Ses dix hommes allaient à pied avec leurs piques. Ohtman était un petit vassal. Il devait fournir dix hommes. Il avait recruté cinq jeunes prêts à tout pour faire illusion. Il ne voulait pas laisser sa maison sans défense. Silmion était trop vieux pour le combat. Il lui avait laissé les meilleurs. Tout en avançant, il s'interrogeait sur les raisons de l'appel de Totmel. Il pensa aux pirates qui avaient été signalés pas très loin. Ils avaient dû lui jouer un sale tour et il voulait se venger.
A son arrivée à la citadelle, un mot bien flatteur pour cette butte de terre entourée de palissades, le maître d'armes de Totmel le dirigea vers la basse cour pour rejoindre les fantassins. Ceux qui avaient fourni des cavaliers, étaient conviés à la cour sur la butte. Ohtman et ses hommes furent réunis avec d'autres vassaux pour former le gros de la troupe. Ça représentait une centaine d'hommes. Si certains plus riches avaient fourni un uniforme à leurs gardes, la plupart comme ceux de la vallée de Trisman étaient habillés de bric et de broc. Seules les armes que Silmion avait fournies étaient de bonne facture.
Rapidement, ils apprirent la vérité. Totmel avait constaté la disparition de sa fille, juste après le passage des pirates. Il était d'autant plus en rage, qu'il avait essayé de les amadouer en leur faisant un présent. Il avait envoyé des éclaireurs qui avaient trouvé la trace des pirates en aval dans les ruines d'un fortin sur un coude de la rivière. Le plan était simple. La cavalerie attaquerait les positions ennemies, puis les fantassins suivraient. Par précaution une vingtaine d'hommes fut missionnée pour couper la retraite possible des pirates. Ohtman et Chmalno partirent au petit jour pour être à temps pour bloquer la rivière. Ils allèrent à marche forcée. Si Ohtman ne savait que peu de choses sur les pirates, Chmalno dont le fief était plus bas, en avait entendu parler. Les pirates venaient de la mer. Ils ne repartaient pas après chaque raid. Ils établissaient une base et pillaient les alentours. Quand ils avaient fini ou quand une armée intervenait, ils montaient sur leurs bateaux et disparaissaient au loin... jusqu'à la prochaine fois. La petite troupe arriva à l'aube du deuxième jour au gué du grand bois. Si Totmel avait raison, ils n'auraient rien à faire. Tout se passerait en amont à une demi-journée de marche. Chmalno et Ohtman tirèrent à la courte paille pour savoir qui passerait sur l'autre rive. Le gué était assez profond et les récentes pluies l'avait rendu favorable aux bateaux et difficile aux hommes. Si son tracks avait mauvaise allure, il était puissant. Il s'en servit pour traverser avec la corde qui aurait deux usages : permettre aux hommes de passer et bloquer la rivière. La traversée fut éprouvante pour l'homme et pour la bête. Arrivé sur l'autre rive, il entoura un arbre avec la corde et alla la bloquer sur un autre tronc. Ses hommes avaient à peine fini de traverser que le guetteur hurla. Les pirates arrivaient. Chmalno et ses archers devaient cribler les bateaux de flèches depuis la haute rive et Ohtman les attendait de pied ferme avec ses piques. Il était encore à vérifier les nœuds de la corde quand le premier bateau rentra dedans. Il y eut un craquement sinistre et l'arbre cassa. Le bateau tangua violemment, bloqué par le cordage tendu. Sous l'effet de sa vitesse et de la puissance du courant, le bateau dont l'étrave s'était fendue, prit de la gîte et commença à passer sous l'obstacle. Dans le même temps brutalement bousculé par le tronc cassé, Ohtman fut précipité dans l'eau. La dernière chose qu'il vit avant de se retrouver sous l'eau fut le deuxième navire arrivant. Si Ohtman luttait pour ne pas mourir noyé, les pirates tentaient de se libérer du piège. Sous la pluie de flèches, l'un d'eux arriva à couper la corde du côté des archers, le bateau qui put se redresser, vira sur lui-même. La poupe passant en avant, le filin se bloqua dans la brisure de l'étrave. Le deuxième navire heurta la corde entre le bateau et la berge où les hommes de Ohtman pensaient plus à chercher leur maître qu'à combattre. Sous la violence de ce deuxième impact, les brins de fibre se rompirent. Ohtman n'entendit rien, ne vit rien. Seuls ses doigts se cramponnèrent par instinct à ce qu'ils trouvèrent. C'est ainsi qu'il fut entraîné dans le sillage des bateaux pirates.
La corde oscillait au gré de l'avancement des embarcations. Ohtman suivait le mouvement. Tantôt il pouvait aspirer de l'air ou plutôt un mélange d'air et d'eau, tantôt il lui semblait que ses poumons allaient exploser. Lors d'une remontée, il eut la vision fugitive des deux navires pirates et d'un bout de berges. À un autre moment, il remarqua les avirons qui frappaient l'eau en cadence. Ce fut une nouvelle submersion. Le cycle se répéta plusieurs fois avant qu'il ne prenne conscience que personne ne viendrait l'aider. Au mieux, les pirates couperaient la corde et ce serait la fin pour lui. Il tenta de se hisser le long de la corde. Ce fut un échec. S'il lâchait une main, l'autre ne suffisait pas à le tenir avec la force du courant. Il crut désespérer quand à une de ses émergences, il vit un homme faire des signes. Il replongea dans son enfer liquide. Le courant sembla devenir plus violent. Avec toute l'énergie, il se cramponna. Il se sentit bientôt attrapé et hissé, puis jeté mais à l'air libre. Il tomba sur le fond du bateau, toussant, crachant, essayant d'aspirer l'air qui lui avait tant manqué.
- Mbana carantou simousin !
- NON !!!
Le hurlement lui fit rouvrir les yeux. Juste au-dessus de lui, l'épée levée, se tenait un pirate. Une jeune femme avait crié. Ohtman la reconnut. C'était la fille de Totmel. Un autre homme dit :
- Es baya titua canaba.
Le pirate baissa son épée, la remit au fourreau. Sans ménagement, il attrapa Ohtman et l'assit de force sur un banc de nage. Incapable de résister, il se retrouva assis à côté d'un homme à la peau sombre et au visage dur :
- Schmaya !
Ohtman le regarda sans comprendre. Une grande bourrade dans le dos le plaqua sur le manche de l'aviron :
- SCHMAYA !
Attrapant le bois à pleine main, il se mit à faire comme son voisin. Il rama, comme les autres sans interruption jusqu'à la nuit. La rivière était devenue large et puissante. Une île leur servit de refuge pour la nuit. On le fit débarquer sans douceur.
Complètement perdu, il se demandait ce qui allait se passer pour lui. Il voyait l'équipage préparer le repas. Personne ne semblait s'occuper de lui. C'est alors qu'il vit arriver la fille de Totmel :
- Tiens-toi tranquille, chevalier et tu vivras. Ils ont eu des morts lors de l'attaque et ont besoin de bras pour les rames. N'essaie rien sinon tu mourras.
- Vous n'êtes pas prisonnière ? demanda Ohtman.
- Pas du tout. Bwanenga ne m'a pas enlevée. Nous sommes tombés amoureux dès que nous nous sommes vus. Mon père n'aurait jamais voulu d'une telle alliance alors je me suis enfuie.
Ohtman resta sans voix. La fille de Totmel posa une écuelle devant lui et repartit rejoindre un homme qui devait être de Bwanenga. Il mangea en écoutant les autres parler sans comprendre ce qu'ils disaient. Parfois, ils le regardaient, faisaient une remarque et tout le monde riait.
Quand il s'allongea pour trouver le sommeil, le bruit des ébats de la fille de Totmel et de son amoureux l'en empêchèrent.
Le lendemain, ils repartirent sur le même rythme. Quelques jours plus tard, ils arrivèrent près de l'embouchure du fleuve. Voir la mer fut un choc pour Ohtman, il n'avait jamais pensé qu'une telle étendue d'eau pouvait exister. Ils se dirigèrent vers un camp fortifié près duquel étaient amarrés de nombreux bateaux. Il comprit alors que ceux qui l'avaient récupéré n'étaient qu'un petit groupe d'une grande expédition. À leur arrivée, il y eut un regroupement autour de la fille de Totmel et de Bwanenga. Bientôt arriva un imposant personnage. Il était plus grand et plus large que tous les présents. Il portait une coiffure faite de cuir et de cornes. Tous les autres le laissèrent passer. Il fit le tour de la fille de Totmel comme on aurait fait le tour d'un tracks sur le marché aux bestiaux. Le silence s'était fait. Une fois revenu près de Bwanenga, il dit :
- Besmenga silauto comme toudi berzugi yaouli titimonga berger.
Ayant dit cela, il donna une grande bourrade dans le dos de Bwanenga, tout en éclatant de rire. Ce fut comme un signal pour les autres qui partagèrent son hilarité.
Ils ne restèrent pas là. Toute l'expédition reprit la mer. C'est ainsi que Ohtman se retrouva à chevaucher les vagues. L'immensité de l'étendue et la hauteur des vagues lui firent peur. Les premiers jours, il fut prit de vomissements. Heureusement, tous les soirs, ils touchaient terre. S'il perdit le compte des jours, il apprit petit à petit la langue de ces hommes. Il n'était pas le seul enrôlé involontaire de l'expédition. Chaque bateau en comptait un ou deux. Ils étaient comme lui reconnaissables à leur teint trop pâle et à leur isolement.
Un soir alors que le convoi de bateaux s'était scindé en plusieurs groupes, il fut prit à partie par un des pirates. Alors qu'il ne maîtrisait que quelques mots, il avait tenté de répondre à une question qu'on lui avait posée. L'autre s'était emporté, avait crié des mots qu'il ne comprit pas et dégainé une épée. Ohtman se retourna en tous sens pour voir comment il allait pouvoir se protéger. Un autre pirate lui lança une arme. Les cris fusèrent autour d'eux pendant que se formait un cercle :
- Semlaya !
- Tiltea !
Ohtman crut même comprendre :
- Mange-le !
Il n'essaya pas d'en savoir plus, il avait entamé une ronde d'observation avec l'autre pirate. Celui-ci lança la première attaque qu'il para facilement. Les passes se succédèrent faites de feintes, de contre-attaques, d'erreurs aussi. Les deux hommes s'étaient déjà entaillés plusieurs fois quand une voix s'éleva :
-KILTA !
Il fallut quelques instants à Ohtman pour comprendre l'ordre d'arrêt. Bwenenga venait d'arriver. Il se tourna vers l'adversaire d'Ohtman et lui dit :
- Tiltaguet kilta difmaya transmec.
Ce dernier rengaina son arme et s'éloigna sans un mot et sans un regard. Bwenenga se tourna vers Othman et lui dit des paroles qu'il comprit à peu près :
- Toi, bien battu, maintenant tranquille.
Ayant dit cela, il repartit vers le bateau. Ohtman tout étonné, tendit l'épée à celui qui la lui avait lancée. Ce dernier s'approcha. D'une main il prit son arme, et de l'autre lui donna une grande tape dans le dos :
- Bien battu, snok bien battu. Bilonga moins bon, smalatga Bilonga.
D'autres s'approchèrent aussi et le félicitèrent. À partir de ce moment-là, ils devinrent amis. L'homme s'appelait Tuisma. Il lui apprit la langue des cousmains et leurs règles.
Habitants une terre aride et désolée, ils ne pouvaient survivre qu'avec peine. Si par malheur les récoltes n'étaient pas bonnes, il fallait se procurer le nécessaire ailleurs. Certains devenaient mercenaires. Ce faisant, ils étaient rejetés du peuple. Se battre pour de l'argent était mal. On ne se vendait pas chez les cousmains. Se battre pour vivre était honorable. Celui qui avait assez devait donner à celui qui avait moins. Malheureusement, ce n'était pas l'avis des autres peuples, alors les cousmains prenaient ce qu'ils estimaient nécessaire.
Le voyage continua. Plus les jours avançaient et plus il faisait chaud. Un jour Tuisma lui indiqua une côte au loin :
- Chez nous !
Les vents jusque là portant, avaient économisé les rameurs. Ohtman put ainsi regarder l'approche. De hautes falaises ocre jaune, plongeaient dans la mer. Un nuage de même couleur les recouvrait.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.
- C'est le Ngalma ! Le vent qui vient des terres brûlées et qui amène poussières et mort. Nous ne pourrons pas accoster aujourd'hui. Il souffle trop fort. Il faut attendre qu'il tombe.
Le convoi de bateaux se disloqua devant les côtes du pays cousmain. Chacun essayait de regagner son village. Ils louvoyèrent pendant trois jours devant les falaises avant que le Ngalma faiblisse. Enfin le vent tourna et une brise marine se mit à souffler. Bwanenga fit établir la voile et manœuvra pour se rapprocher de la côte. Les falaises formaient comme un mur, parfois entaillées d'une profonde ombre noire. C'est vers une de ces ombres qu'ils se dirigèrent. À mesure qu'ils s'approchaient, Ohtman put découvrir avec le soleil qui baissait sur l'horizon, que ces ombres étaient en fait de profondes vallées occupées par la mer. Bientôt, ils naviguèrent entre deux murs de pierre. Tuisma lui avait expliqué que le pays cousmain était imprenable. Aucun bateau ne pouvait se risquer dans ces goulets sans s'exposer à des jets de pierres. Quant à venir par la terre, il aurait fallu aux ennemis traverser les terres brûlées, où l'eau ne coulait jamais. Le soleil éclairait maintenant toute la gorge d'une lumière dorée. Le capitaine était content. Le soleil qui descendait et la mer qui montait était un heureux présage. Ils passeraient sans difficulté les écueils qui parsemaient la passe. Ohtman découvrit après un étranglement, que la gorge s'élargissait brusquement formant comme un lac. Au bout une pente, pas très douce, permettait de rejoindre le plateau. Des gens étaient réunis sur la berge agitant les bras et chantant un chant de bienvenue et de victoire. La fille de Totmel et Bwanenga étaient à l'avant. Les avirons qu'on avait repris pour traverser le lac frappaient l'eau en cadence. Sur un ordre de Bwanenga, on cessa de nager. Bilonga qui tenait le gouvernail, dirigea le bateau. Courant sur son erre, il toucha la plage tout en douceur et s'échoua dans un raclement de sable accompagné des cris de joie. Pendant le débarquement si Ohtman eut droit à quelques regards, ce fut la fille de Totmel qui monopolisa l'attention. Le soir, on fit une grande fête pour honorer la nouvelle épouse de Bwanenga et le retour des guerriers. La fille de Totmel avait été parée de bijoux et de vêtements cousmains. Hormis son teint pâle, elle ne différait pas des autres. Il y eut de longues palabres, des échanges de cadeaux entre familles. Il y avait celles dont tous les membres étaient tous revenus et celles qui pleuraient des morts. Les premières devaient compensation aux secondes. Le butin était ainsi partagé en fonction des besoins de chacun et des pertes. Les tractations avaient lieu sous l’œil des chefs d'expédition. Plus la nuit avançait et plus montaient les cris et les rires. Ohtman lui-même, ne savait plus très bien où il en était. Il avait consommé sans modération de la boisson locale. Son dernier souvenir fut l'invitation de Tuisma à se resservir.
Il se réveilla le lendemain avec mal à la tête et la nausée. Il mit quelques temps à se rappeler où il était et ce qu'il faisait ici dans cette grande pièce.
Les jours succédèrent aux jours. Sur cette terre aride, rien ne poussait ou presque. Il fallait beaucoup se battre pour de maigres résultats. De plus, les cousmains étaient très conservateurs et ne voulaient rien entendre des propositions qu'il faisait pour améliorer les choses. Quand le Ngalma se remit à souffler, le sable cingla tous ceux qui s'aventuraient dehors. Les quelques plantes qui avaient commencé à pousser, furent détruites.
Ohtman habitait la maison des célibataires. Les conversations tournaient autour de la durée trop longue de cet épisode de vent.
- Il va falloir repartir.
Ohtman ne savait plus qui avait émis cette idée en premier. Elle se propagea comme un feu de paille. Tout le monde la reprit. Il allait falloir aller chercher ailleurs ce qui ne poussait pas ici. À la première occasion, ils redescendirent avec armes et bagages la pente raide qui menait aux bateaux. C'est ainsi que Ohtman devint un pirate comme tous les cousmains, pour survivre. Ici, on n'avait pas le choix. Les bouches inutiles mouraient.
Quand ils partirent, Ohtman garda la vision de la fille de Totmel pleurant sur la plage. Ils atteignirent la mer et établirent la voilure. Ohtman pensa que si l'occasion se présentait, il partirait pour rejoindre les siens. La navigation dura une dizaine de jours. Ils arrivèrent à l'embouchure d'une rivière la nuit. L'expédition comptait une dizaine de bateaux venus de différents endroits du pays cousmains. Le vent favorable les poussa vers une ville dont on voyait les lumières. Ohtman fut déçu qu'ils ne remontent pas le fleuve. Au lieu de cela, ils accostèrent. Leurs coques sombres et leurs voiles noires étaient discrètes dans cette nuit sans lune. Ohtman se retrouva à courir en hurlant avant d'avoir réalisé ce qui lui arrivait. Un des gardes de la ville tenta de l'embrocher. Ses réflexes furent à la hauteur de ce que lui avait enseigné Silmion. Ohtman vit la lumière s'éteindre dans les yeux du garde. Il resta ainsi un instant son épée soutenant encore le corps mort de son adversaire. Le temps lui manqua pour réfléchir davantage. D'autres gardes arrivaient. Quand le soleil se leva, ils étaient maîtres de la bourgade. Alors commença le pillage. Ceux qui tentaient de s'y opposer étaient passés au fil de l'épée. Les bateaux se remplirent rapidement de tous les biens de la ville. Ohtman les vit aussi se remplir d'hommes et de femmes qui furent enchaînés. À la marée descendante du deuxième jour, ils reprirent la mer. Ohtman fut étonné de ne pas faire voile vers le pays cousmain. Les bateaux mirent cap au large. Lourdement chargés, ils allaient doucement. Même avec l'aide des rameurs, la traversée fut longue. Le guetteur du premier bateau donna l'alerte dès qu'il vit la terre. Ohtman s'interrogea : était-ce sa terre ? Le vent assez puissant évita de ramer sur la fin du trajet. Il put ainsi se rendre à la proue et observer. Le capitaine arriva :
- C'est Sumbaya ! On y trouve tout et on y vend tout. C'est la première fois que tu viens. C'est la première fois que tu y viens. Reste sur tes gardes.
Sambaya était une île. Ohtman fut déçu. Au pied d'un volcan, il découvrit une ville dominant un port où étaient amarrés des navires venant de toute la terre, à en juger par leur diversité.
La flottille cousmain s'aligna pour passer la passe. Il remarqua les cordes qui pouvaient fermer le port. Il ignorait qu'il était possible d'en tresser d'aussi grosses. Le premier navire s'amarra et les autres se mirent à couple. Tuisma prit Ohtman par le bras.
- Tu vas voir. Ça c'est la vie !
Tuisma passa son quartier libre à initier Ohtman aux différents plaisirs de l'île. Le lendemain, il se réveilla avec l'impression que sa tête allait exploser. Tuisma ne semblait pas mieux. Ils durent quand même décharger la cargaison. Bwanenga avait échangé son butin contre ce qui était nécessaire aux siens. Ohtman n'avait plus rien de sa part. Ses agapes de la veille en avaient eu raison. Le deuxième soir, ce fut la part de Tuisma qui servit à retouver l'ivresse et le vertige des plaisirs faciles. Le lendemain fut encore douloureux. Il n'y eut pas d'autre soir de fête, ils étaient partis pour le pays cousmain. À leur arrivée, ils furent fêtés pour les vivres qu'ils ramenaient. Le village pourrait tenir le temps que le Ngalma se calme.
Les jours succédèrent aux jours et Ohtman connut l'ennui. Le Ngalma ne laissa que peu de répit. On affûtait les armes. On jouait à se battre ou aux palets. C'était un jeu complexe. Les meilleurs étaient ceux qui en plus de l'adresse, étaient capables de développer un bon sens stratégique.
La monotonie fut rompue par Soualmi. Il était le chef d'un village plus loin sur la côte. Le Ngalma avait fait trop de dégâts. Il n'avait plus assez d'hommes pour armer un bateau et venait demander de l'aide. Il vint proposer aux célibataires de venir avec lui pour une expédition. Ohtman accepta tout de suite. Tuisma accepta aussi mais presque à contre cœur. Quand il eut assez d'hommes Soualmi eut un grand sourire. Il allait pouvoir aller chercher des vivres. Avant d'embarquer, ils connurent l'enfer du voyage jusqu'au village de Soualmi alors que le Ngalam soufflait en rafale. Ohtman fut heureux de reprendre la mer. Il pensait déjà aux combats, au butin et à Sambaya.
Ce fut une expédition victorieuse. Ohtman avait particulièrement brillé au moment de l'assaut. Il s'était même emparé d'une arme de qualité, une épée sacrée que le peuple qu'ils avaient attaqué attribuait à leur dieu premier. Il parada avec à Sumbaya. Quand il se réveilla le lendemain matin, la tête en feu, il ne l'avait plus. Il se rappela du bouge où il était entré, des premiers verres qu'il avait payés, des suivants qu'on lui avait payés et... Après c'était le trou noir. Il s'assit dans la venelle où il venait de reprendre conscience. Il avait mal partout et encore plus aux cheveux. Il se redressa péniblement et marcha difficilement jusqu'au port. Tuisma le repéra et courut vers lui. Tout en le soutenant, il lui demanda :
- Mais où t'étais ?
Ohtman haussa les épaules en signe d'impuissance. Tuisma reprit :
- T'aurais jamais dû te promener avec un tel trésor sur toi.
Ils n'eurent pas le temps de rechercher le coupable. Soualmi était trop pressé de ramener des vivres chez lui.
Malgré la perte de l'épée, Ohtman se retrouva avec la réputation de porter chance. D'autres chefs de village vinrent le chercher pour monter de nouvelles expéditions. Si ce fut une saison terrible pour le pays Cousmain, ce fut pour lui, une vie qu'il jugea exaltante. Tout semblait lui réussir. Les coups de main les plus audacieux ramenèrent beaucoup de butin.
Les choses changèrent pour lui lors d'un passage à Sumbaya. À leur arrivée, la ville était en ébullition. Il y avait eu des combats et des morts après une attaque en règle. Une flotte importante était venue. Les attaquants n'avaient rien pillé, ils cherchaient une épée, une épée tellement sacrée qu'elle valait tous les sacrifices. Si Ohtman avait manqué de temps pour la retrouver, eux étaient restés le temps nécessaire. Ils avaient interrogé, torturé, massacré pour en retrouver la trace. Ils étaient repartis deux jours plus tôt à la recherche du navire du Guilleton, pirate connu pour sa brutalité et sa cruauté. Sur l'île, les attaquants avaient sacrifié tous ceux qui avaient touché l'épée. Ohtman apprit tous ces détails de la bouche d'un tavernier qui n'avait conservé ses yeux qu'en disant tout ce qu'il savait avant qu'on ne le torture.
- Tu comprends, racontait-il encore à la cantonade, j'allais pas risquer ma peau pour un de ses bâtards de cousmain. D'ailleurs, dès qui zauront fait la fête au Guilleton, ils vont le chercher le mec et il va falloir qui paye, ce fils de ...
Othman n'entendit pas la fin du discours, il était déjà parti. Quand il arriva au bateau, ce fut pour entendre que le préfet de Sumbaya, ainsi que tout le monde appelait celui qui avait un semblant d'autorité sur la ville, avait convoqué Soualmi. Le choix à faire était simple : ou il lui livrait Othman, ou les cousmains ne pourraient plus venir à Sumbaya. Soualmi avait jusqu'à la nuit pour donner sa réponse. C'est comme cela que Soualmi lui présenta l'alternative.
- J'ai pas le choix, Ohtman. Les cousmains ne peuvent se passer de Sumbaya. D'un autre côté, je peux pas te livrer comme ça,avec tout ce que tu as fait pour les cousmains...
Ohtman ne voyait pas où il voulait en venir. Soualmi le livrait-il ? Oui ou non ? Soualmi continua un discours alambiqué d'où il ressortait que Tuisma avait volé un bateau, que celui-ci contenait des vivres et de l'eau, qu'il devait être amarré dans la petite crique derrière la source et qui si par hasard, les liens de Ohtman ne tenaient pas, qu'il volait une épée et qu'il disparaissait pendant son transfert, ce n'est pas lui Soualmi qui donnerait la chasse, surtout par cette nuit sans lune.
C'est ainsi que les choses se passèrent sous les yeux des gardes du préfet qui furent soulagés de voir Othman prendre le large. Ils le poursuivirent un peu parce que tels étaient les ordres. Dans cette nuit noire, ils ne firent pas de zèle et c'est bredouilles qu'ils revinrent faire leur rapport. Un homme avait observé tout cela. Lui aussi prit la mer peu après.
Ohtman avait appris assez de choses chez les cousmains pour naviguer seul. Restait un problème : pour aller où ? Il ne savait pas où était son pays d'origine. Retourner chez les cousmains était impossible. Les terres pillées étaient les seules autres qu'il connaissait. Il mit le cap vers elles. Quand il vit les nuages s’amonceler, il pensa que son bateau était bien petit et la tempête bien grande. Plus d'une fois, il crut chavirer.
Quand elle laissa le fragile fétu qu'était son embarcation, il constata les dégâts. Des réparations étaient nécessaires. Il fut heureux d'apercevoir une côte. Elle lui était étrangère. Comme son bateau avait un équipement de pêche, il décida de jouer le rôle d'un pêcheur perdu, victime d'une mauvaise fortune de mer. Il revêtit les vieilles frusques qui traînaient et faisant une boule de ses habits cousmains, il les jeta à la mer. Son épée connut un meilleur sort. Il la cacha sous un couple, ne gardant que son couteau. Il examina la côte se disant que dans quelques heures, il serait fixé. Il vit de loin quelques criques prometteuses. Il les évita pourtant, préférant un accès plus rapide et plus discret pour débarquer.
Quand il toucha terre, il tira le plus possible son bateau sur la plage et entreprit de le camoufler. Bien que semblant déserte, la côte ne lui disait rien qui vaille. Il avait l'impression que quelqu'un le regardait. Les arbres étaient grands presque tout en tronc avec juste un plumet de feuille tout en haut qu'il trouva ridicule. Il entreprit d'en escalader un pour pouvoir se repérer. Arrivé à mi-hauteur, il dut s'avouer vaincu. Il glissait trop pour arriver en haut. S'il ne pouvait voir l'horizon, son escalade lui rendit service en montrant derrière les arbres une colline. Le mieux était d'en atteindre le sommet pour avoir un vue sur toute la région. Autant le bord de mer était dégagé autant partout ailleurs, la végétation était dense. Il progressait avec difficulté sur un sol spongieux et dangereux. Il tomba plusieurs fois. Les racines étaient traîtresses dans ce pays. Quand il eut suffisamment monté, il atteignit un sol plus ferme fait de roches noires qui donnaient naissance à des plantes étranges et piquantes. Si la colline ne semblait pas très haute, elle se révéla plus ardue à gravir. Arrivé en haut d'un premier épaulement, il aperçut un mont plus loin, un mont noir de roches torturées. À son sommet sortait de la fumée. Il se retourna. Tout l'horizon était rempli par la mer, immense, grise des nuages qui la surplombaient. Au loin un bateau chargé de voiles filait vers le couchant, derrière une flotte de navires bas sur l'eau semblait le suivre. Ohtman pensa à Guilleton. Vers la terre, il ne voyait rien, la vue était bouchée par cette montagne noire. Il reprit son ascension. Bientôt la végétation laissa la place à la pierre. Sous ses pieds le sol était tiède et la pierre acérée. Il trouva un chemin, pas très net, une trace à suivre qui semblait monter en pente douce vers le sommet. Il la suivit. Sa marche en fut facilitée. Les aspérités de la roche étaient plus usées. Le sentier semblait faire le tour de la montagne fumante. Devant lui, la mer s'étendait encore et toujours. Il prit conscience qu'il était sur une île. Au loin, il devinait comme une ombre. Peut-être était-ce la terre ou une autre île ? Il décida de monter plus haut pour mieux voir. En s'approchant du sommet, le sol devenait plus chaud. Par endroits, il ne pouvait rester sur place sans avoir peur de se brûler les pieds. Il continua l'ascension. L'air lui-même, était chaud et chargé d'odeurs piquantes. Il ne savait plus bien où était son bateau. Vu d'ici toutes les côtes se ressemblaient. Une montée plus raide le fit se pencher en avant. Quand il arriva en haut et qu'il se redressa, il découvrit un porche immense creusé dans le basalte noir. Le chemin y conduisait tout droit. La nuit était presque tombée. Dans la lumière du crépuscule, il ne voyait pas bien les détails. Le mieux était qu'il reste là pour être bien placé quand le soleil se lèverait. Il saurait où aller. Il regarda vers la grotte. Elle aurait pu contenir plusieurs bateaux cousmains. Il se retourna une dernière fois pour voir les dernières lueurs du soleil qui avait disparu derrière l'horizon. Les oranges sanguinolents disputaient le ciel aux noirs profonds des nuages et au bleu de la nuit.
- Entre, Petit Homme.
Ohtman sursauta. Derrière lui, une voix douce venait de retentir. Il se retourna, scrutant la grotte sans pour autant bouger, laissant ses yeux s'habituer à la pénombre du lieu.
- Il y a là une pierre froide pour ceux qui sont comme toi.
Ohtman cherchait la personne qui lui parlait. Il ne voyait que de noirs rochers. Il y eut un mouvement sur sa droite, il tourna la tête mais ne distingua rien. Un autre bruit sur sa gauche ne le renseigna pas plus. Il ne discernait pas où pouvaient être les occupants de la grotte.
- Je suis venu en paix, dit-il. Je suis un pêcheur perdu à cause de la tempête.
- Il vaut mieux que tu sois venu en paix.
Ohtman leva la tête. La voix venait d'en haut. Il vit mais ne comprit pas. Un disque d'or fendu verticalement venait de s'éclairer. Il eut un mouvement de recul quand le disque bougea subitement pour descendre vers lui. Un monstre ! Il était dans la tanière d'un monstre ! Il jeta un coup d’œil à droite et à gauche pour trouver une possibilité de fuir.
- Tu ne venais pas pour voir, Petit Homme. C'est normal que tu sois surpris. Je suis le seigneur de ce lieu, l'oracle de la montagne.
- Je...Je suis désolé de vous déranger, Monseigneur. Je suis juste à la recherche d'un lieu pour m'y établir en paix.
- J'entends ton désir, Petit Homme, mais sache qu'il ne te sera pas donné.
- Et pourquoi ? demanda Ohtman.
Le monstre se mit à rire.
- Je suis l'oracle et mon savoir est grand. Sache que celui qui vient me consulter doit me donner quelque chose. Que me donneras-tu pour savoir ?
- Je n'ai nul besoin d'oracle. Je cherche juste la direction de la terre.
De nouveau la masse énorme de l'oracle fut secouée de rire.
- Que tu es prétentieux, Petit Homme. La violence est en toi, ainsi que d'autres noirs sentiments et tu penses échapper aux Tiembeaux !
- Qui sont-ils ?
- Ah ! Voilà une question ! Que me donneras-tu ?
- Mais je n'ai rien !
- Alors donne-moi ce rien !
- Comment repartirais-je si je te donne mon bateau ?
- Est-il à toi ?
Ohtman se sentit mal à l'aise. Cet être gigantesque semblait savoir tant de choses.
- En quelque sorte ! Un ami l'a mis à ma disposition.
- Ta réponse est vraie, Petit Homme, mais tellement insuffisante. Si tu veux que je réponde à tes questions, tu devras me donner ton histoire. J'aime beaucoup les histoires, surtout quand elles sont vraies ! Par contre, Petit Homme, sache que je déteste les mensonges.
Ayant dit cela, le monstre cracha du feu tout autour de lui. Des dizaines de torches s'allumèrent sous ce souffle brûlant.
Ohtman fut sidéré de ce qu'il voyait. Son interlocuteur était plus grand que tous les êtres qu'il avait pu voir. Sa tête était grosse comme un bateau. Sa gueule était remplie de crocs plus gros que son bras. Tout son corps semblait scintiller du reflet des torches. Il avala sa salive. Personne ne pouvait lutter contre un être aussi grand, aussi puissant et au regard aussi hypnotique. Il commença le récit de sa vie. Quand il eut fini, l’œil rond à la prunelle fendue n'avait pas cligné. Le silence se fit. Ohtman se dandina sur place en se demandant ce qui allait se passer.
- Es-tu heureux ? demanda l'oracle au bout d'un moment.
- Je le croyais, Monseigneur, mais je m'aperçois en vous parlant que ma vie semble vide. Je ne peux que la recommencer dans une région où je suis inconnu.
- C'est un des chemins possibles, Petit Homme.
- Je n'en vois pas d'autres !
- Sache, Petit Homme qu'on ne recommence jamais sa vie, on la continue. Si je te parle, me donneras-tu ton bateau et tout ce qu'il contient ?
Ohtman pensa à ses armes cachées au fond.
- Mais comment repartirais-je ?
- Aujourd'hui, tu as le choix. Soit tu repars avec ce bateau et tout ce qu'il contient. Ton chemin sera alors de violence et de destruction jusqu'à ta mort. Soit tu fais le choix de la confiance. Tu abandonnes le bateau et tout ce qu'il contient et je te guiderai. Maintenant, Petit Homme, va sur la pierre blanche là-bas et dors. Quand le soleil se lèvera, tu me donneras ta réponse.
Le soleil le réveilla. Il cligna des yeux, regardant autour de lui pour se remettre les idées en place. La caverne se révéla un grand tunnel orienté du levant au couchant. Il n'y avait aucune trace de l'oracle. Ohtman se demanda un instant s'il n'avait pas rêvé. Il se leva, se dirigea vers le soleil et s'arrêta au seuil de la cavité. Il surplombait un vaste cratère rempli d'un bouillonnement rouge et de vapeurs qui lui piquèrent les yeux. Il recula. Heureusement un courant d'air frais venant par le tunnel repoussa les émanations toxiques. Quand il leva la tête, il vit un aigle qui tournoyait au-dessus du cratère. Il le vit descendre en spirale. Brusquement il comprit que ce qu'il voyait ne pouvait pas être un aigle. C'était trop gros, trop volumineux, trop... trop tout. La vérité se fit dans son esprit. C'était l'oracle. D'ailleurs celui-ci vira sur l'aile et se dirigea vers lui à grande vitesse. Ohtman se poussa précipitamment pour voir atterrir la masse énorme du seigneur du mont.
- Alors, Petit Homme, quelle est ta réponse ?
- Je suis fatigué de la violence et de ces plaisirs vains qui au fond ne me mènent à rien.
- Ton choix est-il arrêté ? Définitivement ?
- Depuis que je suis parti, j'ai semé la mort et la désolation. Je pensais servir à la survie des cousmains, mais ils ne veulent rien changer. J'ignore ce qu'est devenue ma mère, ma vallée. Mon esprit s'en inquiète sans avoir de réponse. Oui, ma décision est prise. Ma place est là-bas, mais je ne sais où c'est.
- Bien, Petit Homme. Alors tu vas commencer par me servir... Pour un temps, puis tu partiras avec ceux qui viendront m'offrir un taureau blanc. Quand tu seras sur leur bateau, regarde bien la mer. Tu y trouveras celle qui te conduira là où tu souhaites aller. Alors tu pourras racheter tes fautes en rétablissant justice et paix. Maintenant, Petit Homme, change les torches.
C'est ainsi que Ohtman se retrouva au service du dragon, oracle de l'île de Winan. Les jours succédèrent aux jours. Il vit venir des gens de tous les horizons, entendit parler toutes sortes de langues.
Un jour, un cortège arriva, poussant devant lui un taureau blanc. Le cœur de Ohtman fit un bond dans sa poitrine. Le jour de son départ arrivait. L'oracle les fit patienter sur l'aire devant la grotte. Il attendit deux jours avant de les autoriser à approcher.
Leur chef posa les questions et l'oracle répondit... de manière sibylline. Leur chef reconnaissable à son casque orné de plumes semblait déçu.
- Comment fut votre voyage, hommes de Naïsama ?
- Les vents nous furent favorables, Oh grand oracle. Depuis que les vaisseaux Tiembeaux sillonnent les mers, les voyages sont plus sûrs.
- Que cela est curieux, homme de Naïsama. Les Tiembeaux étaient des gens de terre.
- Ils cherchent le Voleur, Oh grand oracle, celui qui a dérobé l'épée de leur dieu. Ils ont châtié celui qui la possédait mais n'ont pu découvrir la cachette du Voleur. Ils courent le vaste monde à sa poursuite. Certains disent qu'il est mort dans la grande tempête de la saison des pluies. Cependant la majorité pense que le Voleur est toujours vivant.
Ohtman avait blêmi. Heureusement personne ne faisait attention à lui. Il continua malgré tout son service. Un des hommes de la délégation se leva. Le chef fit la grimace mais ne protesta pas. Une fois debout, il avança péniblement en s'aidant de son bâton :
- Oh grand Oracle, tu nous as éclairés par tes réponses. Sois-en remercié.
Le dragon inclina la tête en guise de réponse.
- Tes paroles laissent ouvertes de nombreuses voies et le voyage de retour est long. Peux-tu nous éclairer de ta sagesse ? Quel est pour nous le meilleur chemin ?
- Sage parmi les hommes, ta question est la bonne. A quoi vous serviraient mes paroles si vous n'arrivez pas à bon port ? Ta sagesse mérite récompense. Mon serviteur sera votre aide pour ce voyage. Lui saura vous amener là où vous souhaitez. Son nom est Haute-Manne.
- Ce nom sonne comme une promesse à mes oreilles, Oh Grand Oracle.
- Sage parmi les hommes, heureux ceux que tu conseilles et qui écoutent. Pour toi, je vais dire ces paroles : quand l'image de ton Dieu tu verras, dans le soleil tu plongeras et ton désir tu trouveras.
Le silence suivit la proclamation de l'oracle.
- Maintenant, hommes du pays de Naïsama, allez. Mon serviteur vous rejoindra dans la descente.
Le groupe se leva, salua plusieurs fois, remercia. Puis ils prirent le chemin pour rejoindre la côte.
Quand ils furent assez loin, le dragon se tourna vers Ohtman.
- Maintenant va Petit Homme. Ton nom est et reste ce qu'il est. Il y a mille façons d'entendre ce qui est et d'en comprendre la vraie nature. Pour les hommes du pays de Naïmasa, tu es une promesse. Pour les Tiembeaux, tu es une malédiction. À toi de faire que tu sois ce que tu es.
- Et les Tiembaux, grand oracle, que vont-ils faire ?
- Ils viendront me voir bientôt, Petit Homme. Je leur dirai la vérité. Le bateau qui est parti de Sumbaya a coulé et Ohtman du pays Cousmains n'est plus.
Ohtman partit à son tour. Il n'avait pour bagage que la confiance mise dans la parole d'un autre. C'est le cœur léger qu'il s'engagea sur le chemin.
Dès le premier jour, le conflit s'invita à bord. Le capitaine du bateau s'opposa à Ohtman. Il était soutenu par le chef de la délégation du pays Naïsama, alors que le sage ancien était venu soutenir les paroles de Ohtman. La discussion s'était engagée sur le meilleur chemin pour quitter la crique de l'île de l'oracle. Si le capitaine voulait passer par tribord, Ohtman lui conseillait de tirer par bâbord. Sur les ordres de Maltoga, coiffé de son casque à plumes, il avait tenté la passe tribord et le bateau avait talonné. Ils avaient alors dû retourner s'échouer pour réparer les dégâts à la coque. Cela avait pris quelques jours. À leur deuxième départ, le capitaine avait regardé Ohtman. Celui-ci d'un signe de tête avait indiqué, une des deux passes. Le capitaine sans rien dire avait mis le cap dessus. Maltoga s'était une fois de plus renfrogné. Chef, fils de chef, il supportait mal que d'autres puissent avoir une opinion différente. Coulmaba, vieux sage, ne s'opposait pas directement à Maltoga. Il donnait son avis, puis semblait se désintéresser de la question. Il revenait dessus aux moments les plus inattendus. Les autres personnes de la délégation l'écoutaient toujours avec respect. Ses cheveux blancs étaient son meilleur atout pour être écouté. Chaque village était ainsi gouverné par l'alliance de la sagesse et l'autorité, en théorie. Leurs différends reflétaient ce qui se passait au pays de Naïsama. Les sages devaient conseiller les chefs. Les chefs devaient écouter les sages et décider, sans toujours en tenir compte. Être obligés d'écouter exaspérait certains chefs et ne pas être suivis dans leurs conseils énervait certains sages. Malheureusement le pays de Naïsama était confronté à des événements inconnus dans le passé. Un peuple nouveau arrivait. Voyageant lentement au gré de leurs troupeaux, ils avaient traversé les grandes plaines et commençaient à s'installer dans le pays de Naïsama. Les sages n'avaient pas de conseils et les chefs ne savaient que faire. Ils étaient venus voir l'Oracle, envoyés par le grand conseil pour être éclairés sur la conduite à tenir. Maltoga n'était pas satisfait. Les paroles de l'Oracle étaient trop... trop vagues pour lui donner une conduite à tenir. Comme si cela ne suffisait pas, Coulmaba était intervenu. La seule satisfaction de Maltoga était que les paroles qu'il avait reçues étaient tout aussi, obscures.
Ohtman avait eu besoin de temps pour comprendre tout cela. Il avait rangé en deux camps les gens de la délégation. Si celui du sage le regardait d'un bon œil, les partisans du chef semblaient se méfier de lui.
Le début de la navigation se passa sans autre incident. Le capitaine connaissait son bateau et la mer. Il s'était sagement rapproché de la côte. Un matin, les vents se firent contraires. La mer devint hachée, secouant choses et gens. Ohtman croisait des gens au teint verdâtre se précipitant vers le bastingage. Le capitaine avait l'air soucieux. Il s'approcha de lui.
- Je n'aime pas ces vents, serviteur de l'Oracle. En cette saison, cela ne devrait pas être. Les dieux sont contrariés.
Ohtman regarda la mer. Elle ne lui semblait pas hostile surtout vers le levant.
- Le levant est une bonne direction. Nous irons plus vite que de lutter contre les vents et les dieux.
Le capitaine lui jeta un regard en biais, mais donna des ordres.
Le bateau tangua moins. Les uns et les autres reprirent des couleurs. Il leur fallut une journée entière avant de s'apercevoir du changement de route. Maltoga vint aux nouvelles. Ohtman entendit le capitaine parler de route plus sûre sans le citer. La préoccupation du chef était de savoir combien le détour ferait perdre de temps. Le capitaine fut assez évasif sur sa réponse.
- As-tu participé à cette décision, serviteur de l'Oracle ?
Ohtman se retourna pour voir Coulmaba accoudé au bastingage derrière lui.
- J'ai fait ce que l'Oracle m'a demandé, répondit-il.
La navigation suivit son cours. La nervosité du capitaine augmentait avec l'éloignement de la terre.
- Je ne sais plus où nous sommes, dit-il à Ohtman un matin.
Ils étaient tous les deux seuls sur le pont avec celui qui tenait le gouvernail. Ohtman leva les yeux au ciel et dit :
- Regarde les étoiles, elles donnent et l'espoir du soleil et la direction que tu cherches.
Le capitaine leva les yeux.
- Je ne sais pas lire le ciel, serviteur de l'oracle.
Ohtman lui fit un cours sur le ciel et surtout sur cette étoile fixe, là dans le groupe si brillant. Le vent changea avec le lever du soleil, leur route aussi. Ils allaient maintenant vers de lourds nuages noirs.
- Il y a eu une tempête, dit un des matelots.
- Irons-nous dedans, demanda Maltoga, alarmé ?
- Non, chef Maltoga, dit Ohtman. La tempête est terminée. Nous allons retrouver le pays de Naïsama bientôt.
Pour la première fois depuis qu'il l'avait rencontré, Ohtman eut un sourire de sa part.
- Quelque chose, là-bas ! cria Ohtman.
Tout le monde arriva à la proue.
Les commentaires allèrent bon train, sans qu'on puisse réellement dire ce qu'était l'embarcation.
- Il serait préférable de l'éviter, déclara Coulmaba. Ce genre de choses est toujours source d'ennuis.
Maltoga par principe eut une opinion contraire. Dans l'oreille d'Ohtman, il y eut l'écho des paroles de l'Oracle.
- Je ne crois pas au danger, dit-il. Il me semble que c'est une épave due à la tempête. Notre route passe à proximité. Nous verrons bien.
Quand ils approchèrent, ils virent une barque démâtée. La voile déchirée recouvrait le fond de la barque comme un linceul.
- Là un pied, cria un matelot.
Le capitaine donna les ordres pour l'abordage. Bientôt les deux bateaux furent amarrés à couple. Ohtman fit partie de ceux qui descendirent dans la barque. Il souleva la voile. Il sursauta. Une femme cousmain était étendue sur le fond, ballottée par le roulis dans l'eau qui avait envahi le fond de l'embarcation. La tête recouverte de sa coiffe, ne permettait pas de voir son visage.
- Elle est vivante, dit-il.
- Remontez-la à bord et ne traînons pas. Cette barcasse ne tiendra pas à flot bien longtemps, répondit le capitaine.
Ohtman prit la femme dans ses bras et aidé des matelots rejoignit le bateau. Ils l'allongèrent. La manœuvre ne lui permit pas de s'en occuper tout de suite. Il regarda la coque de noix s'éloigner. Basse sur l'eau, il pensa qu'elle ne tarderait pas à couler. Dès que possible, il revint vers la femme. Il trouva Maltoga et Coulmaba autour d'elle.
- C'est une cousmain !
- Elle est bien loin de chez elle.
- La tempête l'a poussée bien loin.
Il lui avait enlevé sa coiffe. Ohtman eut un choc. La fille de Totmel !
- L'Oracle m'avait prévenu, dit-il. Notre voie est la bonne, nous l'avons trouvée.
Elle avait la peau craquelée de celle qui n'a pas bu depuis longtemps. Il lui versa un peu d'eau dans la bouche. Elle toussa sans pour autant reprendre conscience. Ohtman s'interrogea sur ce que lui avait dit le dragon. Il eut un sourire sur ce retournement. Que faisait-elle dans une barque de pêche du pays Cousmain. Les femmes n'étaient pas autorisées à les manœuvrer. Il s'interrogea sur les évènements qui l'avaient amenée là.
Elle mit quelques jours avant de pouvoir raconter son périple. Ohtman traduisait. Elle s'appelait Sil-Huette. Ce qui veut dire « la belle ». Elle raconta que séduite par un beau jeune homme, elle avait fui avec lui, abandonnant tout derrière elle. Si les premiers temps avaient été heureux, la suite était devenue un calvaire. Le beau jeune homme avait ramené d'autres conquêtes de ses expéditions. La loi du pays lui permettait. Elle avait été reléguée quand une des suivantes avait accouché d'un enfant mâle. À la fin n'en pouvant plus, elle avait de nouveau fui avec un pêcheur. Son époux leur avait donné la chasse. Le bateau de guerre Cousmain, plus rapide, avait rejoint la barque au moment où une tempête se levait. Le pêcheur avait bien manœuvré mais avait été blessé avant que les bateaux ne fuient sous la violence des éléments. Ils avaient lutté des jours et des jours contre le vent et les vagues. L'homme était mort de ses blessures. Quant à elle, elle avait bien tenté d'établir la voilure pour se diriger. Son inexpérience avait provoqué la catastrophe. Un coup de vent avait cassé le mât et son dernier souvenir était de le voir tomber sur elle.
Elle s'intégra à la vie à bord. Le capitaine était réservé sur sa présence. Une femme sur un bateau était toujours source de problèmes. La discipline se renforça. Elle partagea l'auvent de Coulmaba. Elle jetait toujours des regards vers Ohtman. Celui-ci portait la tenue que le dragon lui avait offerte. Cette tenue, blanche, couvrait tout son corps et était complétée d'un tissu encadrant son visage. Il en ramenait une partie devant sa bouche, expliquant que l'Oracle lui avait commandé de se méfier de la lumière de la mer.
Un jour qu'il scrutait l'horizon à la proue, elle s'approcha.
- Ta voix ne m'est pas inconnue, serviteur de l'Oracle. Ton nom sonne presque comme celui d'un compagnon de mon époux.
- Curieuses sont les voies du destin, lui répondit-il. Quand je t'ai vue, des souvenirs sont aussi venus à ma mémoire, ceux d'une terre verte et de rivières limpides...
Les yeux de Sil-Huette se voilèrent.
- Tu es le chevalier de Trisman.
- Je fus cet homme, je fus aussi ce compagnon dont tu parlais. Je suis devenu serviteur du dragon oracle. Maintenant je suis en devenir.
- J'ai entendu l'homme à la coiffe à plume, Maltoga. Sans toi, je serais restée dans mon bateau et je me serais noyée.
- L'oracle m'a éclairé. J'étais dans l'ignorance que tu étais celle dont il m'avait parlé.
- Que t'a-t-il encore dit ?
- Que viendrait en son temps ce que nous cherchons.
Coulmaba arrivant, ils firent silence.
- Serviteur de l'Oracle, le capitaine m'a montré quelque chose au loin, je sollicite ton avis.
Ohtman accompagna le vieux sage vers la plateforme arrière.
- Regarde au loin, regarde bien, cette forme là-bas. Elle m'évoque la statue du Dieu Magnata. Le capitaine parle de nuage. Quelle est ta parole ?
Ohtman regarda sur tribord. Il vit des masses nuageuses au loin. Leurs formes évoquaient un cavalier sur sa monture.
- Les vents nous sont favorables. Allons voir si le soleil sera au rendez-vous.
Le capitaine dérouta le bateau. Ohtman fut étonné de la persistance des formes dans les nuages.
- On voit la terre dans le lointain, dit Maltoga.
- Nous ne sommes pas loin du pays de Naïsama, grand chef. Même avec ce dernier détour nous verrons les côtes de ta nation.
Bientôt, un îlot solitaire apparut au ras de l'eau. Encore assez loin, on devinait le rivage de la terre. Le capitaine retrouvait ses repères. La vue de l'îlot lui fit redoubler de précautions. Des hauts-fonds pouvaient exister tout autour. La lumière déclinait avec le soir. Ils longèrent ce bout de terre sans rien voir d'autres que de grands oiseaux blancs.
- Des rois-bleus ! s'exclamèrent ensemble tous les hommes du pays de Naïsama. Des milliers de rois-bleus !
Ohtman fit part de son interrogation. En quoi ses oiseaux étaient-ils si curieux ?
- Sache, serviteur du dragon-oracle, que pour le peuple de Naïsama, les rois-bleus sont les messagers des dieux. Ils sont rares en notre nation. Leurs plumes sont les parements des casques de nos rois. Un duvet de leur ventre est un honneur. L'oracle avait raison, nous sommes sur le territoire des dieux.
Coulmaba n'avait pas fini de parler que le soleil fit son apparition entre deux nuages sur l'horizon derrière eux. Une longue langue de lumière s'étendit sur la mer pour venir éclairer le rivage qu'ils longeaient.
- Plonge dans le soleil ! Plonge dans le soleil ! a dit l'Oracle. Capitaine stoppe le navire. Il faut aller voir.
Coulmaba ne tenait plus en place. Il allait d'un bout à l'autre du bateau en criant qu'il fallait aller sous la mer.
Le capitaine vira de bord. Il manœuvra habilement pour garder sa vitesse. Coulmaba criait :
- Plus vite ! Plus vite ! Le soleil va être couché avant qu'on arrive.
Tout le monde, même Maltoga, semblait gagné par sa fièvre. Le soleil, indifférent à cette agitation, s'enfonçait derrière l'horizon. Il jeta ses derniers feux quand le bateau atteignait enfin son but.
- Là, jetez une bouée, vite ! hurla Coulmaba.
Le capitaine fit ancrer son navire. Il refusa tout net de faire plonger un de ses matelots avec la nuit qui tombait. Coulmaba déploya toute son éloquence en vain. Les démons de la mer étaient trop dangereux la nuit. Ne pouvant obliger personne à explorer la mer dans le noir, il se rangea à l'avis général. Ohtman entendit Maltoga dans la nuit, expliquer à Coulmaba, que peut-être, ils ne trouveraient rien. Les dieux seraient sûrement mécontents qu'ils n'aient pas plongé dans le soleil. Ce dernier n'en dormit pas.
L'aube réveillait à peine le ciel que Coulmaba était prêt. Quand le soleil se leva il poussa un cri. Tous se tournèrent vers lui. Il semblait tétanisé, le bras tendu montrant quelque chose. Sa bouche s'ouvrait et se fermait sans qu'aucune parole n'en sorte. Ohtman regarda ce qu'il désignait ainsi. Les dieux avaient décidé d'être favorables, le soleil levant faisait une tache sur l'eau juste autour du cordage de l'ancre. Quelqu'un cria : « le soleil ! ». Cela déclencha une agitation générale. Le capitaine donna ses ordres. Un des matelots se glissa dans l'eau, dûment attaché par un bout. Un de ses compagnons en tenait l'extrémité. Arrivé à la ligne de mouillage, il plongea. Tout le monde à bord retint son souffle. Il remonta après un temps qui leur parut interminable. Il fit des signes qu'il avait vu quelque chose. Il dit aussi des paroles qui furent emportées par le vent. Il replongea dans la tache que le soleil faisait. Quand il remonta, il nagea vers le bateau. Avant même qu'il ne monte à bord, Coulmaba lui demanda ce qu'il avait trouvé.
- Je... sais... pas.... Il y a... q'que... chose... qui dépasse... je l'ai attaché... Faut tirer...
Il avait à peine fini de parler que Coulmaba donnait l'ordre de tirer. Un homme, puis deux, puis tous les matelots se mirent à la manœuvre. Le bateau était maintenant à la verticale de son ancre. Sous la traction, il commença à gîter. Le capitaine donna l'ordre à tous ceux qui ne participaient pas à l'effort de se mettre sur l'autre bord. Dès que ce fut fait, les marins reprirent leurs efforts. Malgré cela, le navire gîta encore. Les matelots regardèrent le capitaine quand le plat bord approcha de la surface. Celui-ci fit signe de continuer. Il y eut une petite secousse et doucement le bateau se redressa. Le poids se fit moins lourd et ils purent commencer la remontée. Coulmaba ne put attendre l'autorisation du capitaine. Il s'était précipité pour voir ce qu'il se passait.
- Une ombre, je vois une ombre qui vient vers nous !
Le capitaine fit un geste impératif pour empêcher que les autres ne se précipitent pour voir.
- Attendez ! Vous allez nous faire chavirer.
Coulmaba fut le premier à voir émerger ce qui avait été trouvé. Au moment une main de pierre trouait la surface, tous les rois-bleus décolèrent dans un grand tumulte de cris et de battements d'ailes. Ils passèrent tellement près au-dessus du bateau que tous baissèrent la tête. Les marins se redressèrent en reprenant leur effort.
Bientôt émergea une statue. Si un bras et une main étaient couverts de concrétions, le reste était d'une couleur vert d'eau. Ohtman pensa à Turka, le dieu des enfers en la voyant. Coulmaba et Maltoga ainsi que tous les hommes du pays de Naïsama, mirent un genou au sol. Les matelots regardaient le visage grimaçant de la statue visiblement mal à l'aise.
- Que grâce soit rendue au dragon-oracle et à son serviteur qui nous ont conduits jusqu'ici. Les rois-bleus messagers gardaient Sraksik, le grand dieu perdu. Maintenant s'éclairent les paroles données pour le pays de Naïsama.
Ohtman se rappela les paroles du dragon à Maltoga : «  Quand ce qui a été perdu émergera, alors ceux qui suivent l'herbe se prosterneront et la paix pourra régner ! »
Le jour qui suivit, se passa dans l'exaltation pour les hommes du pays de Naïsama. Ils étaient dans l’impatience de rejoindre la terre. Ils étaient maintenant persuadés d'avoir la réponse. Le roi les attendait et le peuple Nheule lui-même, même s'il ne le savait pas encore, viendrait rendre hommage avec ses troupeaux. Le capitaine semblait aussi pressé qu'eux de les débarquer.
- La statue du dieu Sraksik est un bien lourd fardeau pour le navire, lui dit Ohtman.
- Plus vite, ils seront partis, plus vite je serais débarrassé de ça ! lui répondit-il. Là où ils voient un dieu de paix, je vois un démon de l'océan. Cette pierre verte est maudite.
- Parfois l'enfer est plus près du paradis qu'on ne le croit.
Quand arriva la nuit, ils furent en vue des côtes. En scrutant le rivage, le capitaine déclara :
- Le serviteur de l'Oracle nous a bien guidés, nous serons à Nmahn la grande demain. Les vents nous sont favorables et la marée aussi.
Les hommes du pays de Naïsama firent la fête cette nuit-là. Ils ouvrirent les pots de salaison et de boissons qu'ils avaient emportés pour fêter cette occasion. Quand le soleil se leva, les vents reprirent de la force. Ils gagnèrent en vitesse. Nmahn la grande se profila à l'horizon avant que le soleil ne soit au zénith. Le flux commençait sa montée quand ils se présentèrent à la passe. Ils furent les premiers à entrer dans le port. Derrière arrivant en meute, les embarcations des pêcheurs se pressaient pour être les premiers à quai. Délaissant le port de pêche et son agitation, le capitaine manœuvra pour rejoindre l'autre extrémité. De lourds cargos attendaient leurs chargements. L'agitation y était moins grande. Ils accostèrent à un quai libre. Les fonctionnaires de Nmahn se présentèrent pour toucher les taxes. Arrogant et sûr de ses droits, le premier qui vit la statue, changea d'expression. Ohtman vit le sang refluer de son visage.
- Que... qua... Qu'est-ce que c'est que ça ? dit-il en montrant la statue.
- C'est Sraksik, le grand dieu perdu ! répliqua Maltoga. Sa bénédiction nous accompagne et la malédiction sera sur ceux qui s'opposent à lui.
- D'où venez-vous ?
- Notre roi nous a missionnés pour voir le dragon oracle de l'île de Clacmos. Sur sa parole nous avons cherché et trouvé. Maintenant le roi nous attend au pays de Naïsama.
- Alors courez-y vite et ne restez pas à Nmahn, dit le fonctionnaire en redescendant la passerelle au pas de course.
Coulmaba dit :
- Voyez la puissance du dieu Sraksik ! Allons et soyons vainqueurs !
Ils ne purent trouver de chariot à louer, ils en achetèrent un et dès le soir, ils partirent vers leur pays. Curieusement, nota Ohtman, on laissa les portes de la cité ouverte après le crépuscule pour qu'ils s'en aillent. Il apprécia l'onde de peur qui accompagnait cette statue. Il avait pu débarquer avec Sil-Huette sans se faire remarquer. Le capitaine lui avait remis une somme d'argent pour le remercier. Il était persuadé que seule sa présence avait éloigné le mauvais œil. Pour lui, cette statue était celle du démon de l'eau qui attire les bateaux sur les écueils. Le capitaine avait avoué à Ohtman avoir tremblé jusqu'à son arrivée à Nmahn la grande. Il avait accompagné le couple en ville pour chercher un prêtre du dieu Salmsui, le dieu protecteur des marins. Il était persuadé qu'un exorcisme était nécessaire pour son navire.
Ohtman et Sil-Huette partirent quelques jours plus tard. À l'auberge, il n'avait rien dit de son passé et s'était présenté comme le chevalier de Trisman et son épouse. Sil-Huette, fille de Totmel, Seigneur du fief de la Grande Vallée dans le royaume du roi Slamtis, n'avait rien dit. Elle savait le peu d'argent dont ils disposaient. Sa tenue blanche et le manque d'arme à sa ceinture firent tiquer l'aubergiste qui demanda à être payé trois jours d'avance. Ohtman sortait tous les jours pour chercher une place dans la caravane partant vers le pays du roi Slamtis. À chaque fois, on lui opposait que nul ne le connaissait. On préférait des soldats à la réputation, ou à la mine plus patibulaire. Un jour, alors que le départ approchait sans qu'il n'ait de place, il fut bousculé par un spadassin aux muscles saillants et aux cicatrices nombreuses. Il venait d'essuyer un refus supplémentaire. Non seulement l'homme ne s'excusa pas mais il le prit à partie :
- Alors blanc-bec, on ne regarde pas où l'on va.
Ohtman avait comme souvent, ramené son écharpe devant le visage. Il fixa sur l'homme son regard.
- Et puis j'aime pas les déguisés dont on sait même pas ce qu'il pense ! dit le mercenaire en avançant la main pour lui enlever le tissu.
Ohtman lui prit le poignet. De l'autre il enserra la main droite de l'homme dans la sienne, bloquant son petit doigt et l'écrasant d'un mouvement tournant. Surpris, hurlant de douleur, le spadassin se retrouva à genoux. D'une voix blanche Ohtman lui dit :
- Je pense qu'il serait préférable que tu t'excuses.
L'homme à genoux, tordu sur le côté, grimaçant de douleurs, balbutia de vagues mots d'excuses. Ohtman le relâcha en donnant une poussée qui le fit s'étaler par terre. Se détournant, Ohtman reprit le chemin de l'auberge.
Le cri n'avait pas fini de quitter la gorge du marchand, que le spadassin qui avait attaqué Ohtman par derrière avec sa dague, était étalé mort, sa propre arme dans le cœur. Quand Ohtman reprit son chemin, personne ne chercha à le retenir. Il avait presque rejoint l'auberge quand une voix essoufflée l'appela :
- Monsieur, Monsieur, attendez, mon maître voudrait vous voir.
Ohtman se retourna. Un serviteur en livrée avançait presque en courant pour le rattraper.
- Qui est ton maître ?
- C'est un harda qui voyage pour ses affaires. Il a peur des brigands et souhaite engager un mercenaire. Tu lui as fait forte impression sur la place. Il dit que tu es ce qu'il cherche.
Ohtman fit demi-tour et l'accompagna.
L'affaire se conclut rapidement. Non seulement, Ohtman et Sil-Huette n'auraient pas à payer leur voyage mais ils auraient des gages pour leur travail. Le harda voyageait avec son épouse dans une carriole. Ils avaient un serviteur. Le harda avait apprécié l'efficacité de Ohtman et son aspect moins grandiloquent que celui des autres mercenaires. Il avait juste exigé de voir son visage. Il lui avait dit après :
- Ton histoire doit être une épopée, chevalier pour que tu aies ces yeux-là. Rassure-toi, je ne te demanderai pas de la raconter.
C'est revêtus du surplis aux armes du harda, que Ohtman et Sil-Huette partirent avec la caravane vers leur pays d'origine. Rapidement, on le surnomma le chevalier blanc, à cause de son habit. Il ne cherchait pas les disputes mais son exploit à Nmahn la grande lui valait un respect des autres mercenaires. Il y eut bien quelques jeunes écervelés pour le pousser à bout. Ils mordirent la poussière tellement vite, que pour tous les autres, le chevalier blanc était un exemple à suivre, au grand bonheur des différents marchands.
Ils arrivèrent enfin au bout des grandes plaines. Vialmad la blanche les accueillit. La caravane se dispersa. Le harda leur proposa de continuer avec lui. Comme Sil-Huette l'avait entendu parler du pays du roi Slamtis, ils acceptèrent. Ils progressèrent par petites étapes en fonction des achats et des ventes du Harda. Ils passèrent ainsi l'hiver dans une région au climat doux et quand les jours commencèrent à rallonger ils prirent la route du nord. Ils avancèrent à la vitesse du printemps. Le temps doux se réchauffa. Sil-huette avait préparé la tente pour la nuit. Quand Ohtman entra, elle lui dit :
- Tu nous présentes comme mari et femme depuis si longtemps...
Ohtman se tourna vers elle.
- Il serait peut-être temps que cela devienne réalité...
Othman sentit son cœur s'accélérer.
Un jour la main dans la main, ils se retrouvèrent au bord du fleuve. Le harda les salua. Lui continuait vers le nord, eux allaient vers l'amont et la Grande Vallée de Totmel. Ils se mirent en route, l'inquiétude au cœur. Les bruits sur la Grande Vallée n'étaient pas bons. Othman proposa de passer par la vallée de Trisman. Ce serait plus long mais plus sûr. Quand il arriva sur ses terres, il fut atterré. Au lieu des verts pâturages et des champs bien tenus, il découvrit des friches et des bêtes efflanquées. Ils s'arrêtèrent dans une ferme. Ohtman reconnut l'homme, compagnon de ses jeunes années, lui, ne le reconnut pas. Il demanda le gîte et le couvert en se présentant comme des voyageurs égarés qui cherchent la route de la capitale. Maschiman se laissa aller aux confidences à la veillée, autour d'un pauvre feu qui ne chauffait pas et n'éclairait que chichement. Dans la pénombre, il se mit à décrire la décadence du fief après l'enlèvement de la fille de Totmel. Ce dernier s'était laissé aller à boire encore plus et c'est son maître d'armes qui avait pris le contrôle du pouvoir. Au nom du seigneur de la Grande Vallée, il exigeait plus de taxes. Les soldats le suivaient. Bien nourris et sûrs de leur impunité, ils pouvaient piller du moment qu'ils ramenaient du butin. La forteresse de Totmel, grosse butte de terre surmontée de palissades en bois, avaient maintenant des remparts en pierre, réalisés avec la sueur des paysans. La grogne montait. Certains avaient pris le maquis et étaient devenus brigands, si bien que les gens comme lui étaient victimes des uns et des autres. Il n'osait plus cultiver trop loin de sa maison. Son troupeau était devenu squelettique et sa femme s'était fait agresser sous ses yeux sans qu'il puisse la défendre. Ohtman apprit aussi la mort de Silmion et la relégation de sa mère au fin fond du plateau le plus froid et le plus venté. La maison forte était devenue la résidence d'un second de Limpouga, le maître d'armes honni de Totmel.
- La maîtresse de la vallée de Trisman va-t-elle bien ? demanda Ohtman d'une voix qui fit lever la tête de Maschiman.
- Nous l'aidons comme nous pouvons, répondit-il en scrutant le visage de Ohtman. Mais vous, d'où venez-vous ?
Ohtman n'eut pas le temps de répondre. Un bruit avait retenti dehors alertant Maschiman et sa femme.
- Les gardes de Limpouga ! Il faut vous cacher. Passez par derrière !
Ohtman et Sil-huette sortirent dans la nuit. Ils entendirent des bruits de voix sans comprendre le sens des paroles. Ohtman fit signe à sa femme de rester à l'abri, lui-même fit le tour de la maison et s'embusqua plus loin sur le chemin qui menait à la ferme de Maschiman.
Bientôt il vit arriver des soudards portant deux poules.
- C'est maigre et il a fallu le bousculer beaucoup pour l'avoir.
- Bah ! Il s'en remettra.
Othman assomma le premier soldat d'un coup de son bâton. Le deuxième se retourna à moitié avant de se retrouver inconscient au sol.
La nouvelle se répandit comme un éclair dans le fief de la Grande Vallée. Deux soldats avaient été retrouvés pendus la tête en bas au carrefour de la source froide. Une mystérieuse ombre blanche les aurait attaqués. C'est ainsi que commença la légende du chevalier blanc.
Limpouga entra dans une colère noire, fit des enquêtes et des battues sans résultats. Il fit répandre la nouvelle que le fait était sans importance. Il y eut régulièrement des actions mettant hors de combat ses hommes. Quand la moitié de ses soldats furent hors de combat, la vérité s'imposa à lui. Le chevalier Blanc existait. Il devait avoir des complicités dans le pays pour échapper ainsi à toutes ses recherches. Le premier de ses seconds à mourir fut celui de la vallée de Trisman. Un rescapé lui raconta :
- On rentrait de patrouille. Schalman nous guidait. La nuit tombait. Nous étions bredouilles. Aucune trace du chevalier Blanc. Mais ça, ça ne nous étonnait pas.
Limpouga ne releva pas. Son regard se fit plus dur, plus noir.
- Et alors, raconte !
- Pardonnez-moi, Seigneur Limpouga, mais on a l'impression de courir après un fantôme. Donc on arrivait près de la maison forte de Trisman, quand on l'a vu au milieu du chemin, tout seul, appuyé sur son épée, comme s'il nous attendait. Schalman a crié « Sus ! ». Nous somme partis au galop. Notre charge a pas été loin. Y a une corde qui s'est tendue et tous, on s'est retrouvés par terre. Y a que Schalman qui a réussi à arrêter son tracks à temps. On s'relevait quand ils nous sont tombés dessus. Alors le chevalier Blanc s'est avancé. Schalman a chargé. J'ai même cru qu'il allait me piétiner. Heureusement qu'sa bête m'a évité. Le chevalier Blanc a pas bougé, enfin pas tout de suite. Quand Schalman a été sur lui, il a fait un bond. J'y aurais jamais cru si j'l'avais pas vu. Le tracks est tombé. Schalman a été tout de suite debout. Ils se sont battus, mais l'autre était l'plus fort. Schalman l'a même pas touché une fois. Lui, il saignait comme un tibur à l'abattoir, mais y continuait quand même. Puis on l'a vu, Schalman, il a trébuché et l'est tombé sur un pieu. On a tout de suite compris qui s'relèverait pas. Quand on s'est retourné vers le chevalier Blanc, l'avait disparu comme tous les autres. On était deux trois pas trop abîmés, alors on a fait des civières pour les autres et on s'est traînés jusqu'ici.
Limpouga avait fait fouetter les survivants pour leur échec. Enflammé de colère, il avait parcouru son fief en tous sens. Il faisait fouetter ou pendre sans discernement. Quand avec sa dizaine d'hommes valides et sûrs, il arriva dans le village de Mulpar, il ne s'attendait pas à ça. Arrivés sur la place, ils virent tous les paysans, armés de leur fourche ou de leur fléau faire une muraille devant eux.
- Quoi, une révolte ! Manants, Vous allez voir ! À moi, soldats !
L'épée haute, ils se mirent en position. Limpouga allait donner le signal quand les paysans s'écartèrent. Une femme apparut.
- Vous ! s'écria-t-il.
Baissant son épée, il cria :
- Sus ! Chargez !
Les quelques hommes qui le suivirent furent criblés de flèches. Limpouga n'arriva jamais jusqu'à Sil-Huette. Son tracks s'effondra, les jarrets coupés par deux hommes en embuscade avec des grandes faux. Il fut debout rapidement, regardant en tous sens d'où viendrait l'attaque. C'est alors qu'il vit la forme blanche s'avançant vers lui. Sans plus réfléchir, il se rua. Le choc des épées tinta comme un gong. Si Limpouga avec son épée longue et son armure de cuir renforcée de métal semblait avantagé, Ohtman était beaucoup plus vif. Son épée et sa dague semblaient deviner où allait frapper son adversaire. Trop habitué à une vie facile, Limpouga fatiguait. Sa rage le tenait pourtant debout malgré le sang qui commençait à couler. Il hurla quand il réussit à blesser Ohtman.
Quand il vit que Ohtman semblait ne plus pouvoir se servir de son bras gauche, il repartit à l'assaut.
- Quand je t'aurai tué, j'exposerai ta tête pour que tous voient bien que tu es bien mort.
Il frappa de taille, manqua son coup et planta son épée dans le sol.
- Regarde, Limpouga, renégat à ton serment, dit Othman en enlevant ce qui lui couvrait le visage.
Limpouga poussa un hurlement de surprise qui lui fit perdre quelques instants :
- Toi ! Tu ne t'es pas noyé !
Othman ne le laissa pas reprendre ses esprits. Portant attaque sur attaque, il repoussa Limpouga jusqu'au pied de Sil-Huette. Dans un dernier mouvement que Silmion lui avait appris, il désarma son adversaire et le blessa au bras droit.
- J'ai appris ce que tu as fait à mon père, renégat. J'ai vu ce que tu as fait à mes gens. La Loi du Roi est juste. Tu mérites la mort.
À l'annonce de la sentence, les paysans hurlèrent leur joie. Dégainant son couteau de sa main gauche, Limpouga se lança en avant pour transpercer Sil-Huette. Il n'alla pas au bout de son mouvement. La dague de Othman venait de l'empaler.