dimanche 16 décembre 2012

- Je sais que tu ne resteras pas, Névtelen.
Virnita était venu à la forge.
- Pourquoi dis-tu cela Virnita ? Je suis bien ici. L'hiver vient d'arriver. Regarde la neige tombe encore !
Névtelen avait cessé le travail quand Virnita était arrivé dans l'abri sous roche. Cela faisait maintenant deux lunaisons que Névtelen travaillait le métal pour les Ouatalbi. C'était un petit peuple, mais un peuple ancien. Les légendes disaient qu'ils avaient connu les grands êtres, ceux qui volaient et qui étaient grands comme des montagnes. Les légendes disaient aussi qu'ils avaient été un grand peuple qui couvrait la plaine. Mais maintenant, ils s'étaient réfugiés dans ce cratère. La terre y était dure et peu généreuse mais, personne ne pouvait les en déloger. Il avait quand même fallu composer avec les puissants voisins. Quand Yas avait pris le pouvoir, Virnita avait négocié pour garder la paix. Ils n'avaient pas d'or, pas de métal, ils avaient donc donné des hommes pour les armées de Yas. Mais des hommes, ils en avaient donné depuis si longtemps. Les jeunes partaient dans d'autres régions pour survivre. Ici, dans le cratère, on était pauvre. La terre ne permettait que de nourrir un nombre limité de personnes. Il fallait faire des choix. Un homme restait quand cinq partaient. Il se trouvait chef de famille, avec plusieurs épouses puisque les femmes ne partaient pas. C'est elles qui assuraient la plus grande partie du travail. Dix chefs faisaient un clan reconnaissable à son chapeau fait de tresses végétales. Chaque clan, chaque famille avait le sien. Les chefs de clan se réunissaient pour faire un conseil et on désignait le Virnita. Celui qui était ainsi désigné, prenait ce nom. Névtelen avait voulu en savoir le sens. Virnita lui avait expliqué qu'à l'origine, il s'agissait d'un nom propre mais qu'il était devenu à la fois le nom et le terme pour désigner la fonction de chef. Ce nom avait un écho de bienfaits et de sagesse. Avant de s'appeler Virnita, et bien, il était fils de Toulma du clan des Voualdi.
- Je sais que tu ne resteras pas car notre chamanesse l'a vu quand elle a lancé les os de la divination. Ton destin est ailleurs, comme ton nom est ailleurs. Elle m'avait déjà prévenu avant que tu n'arrives. « Viendra l'homme aux loups, maître du feu. Alors les temps changeront et reviendra le temps des légendes. Accueille-le nous participerons à sa joie, repousse-le nous connaîtrons les ténèbres. Mais surtout ne le retiens pas quand reviendront les loups ! »
Névtelen était toujours étonné du crédit que Virnita accordait à la chamanesse. C'était une vieille femme qui semblait hors d'âge. Toute courbée, elle avançait appuyée sur un bâton tordu. Elle lisait les réponses aux questions qu'on lui posait, dans la position des petits os qu'elle jetait sur le sol.
- Mes soldats ont vu les loups noirs quand tu es arrivé. Je ne me mettrais pas sur ton chemin.
- Je ne sais pas où aller. Aller tuer un monstre volant comme le voulait le gouverneur de Maskusa, me semble vain. 
- Tu devras demander à Ouldanabi la chamanesse. J'étais venu te remercier pour tout ce que tu as déjà fait. Nos armes n'ont jamais été aussi bonnes.
- Virnita ! Virnita ! Il y a eu un effondrement dans le clan des Maldana.
Un homme venait de surgir dans l'abri. Virnita lui emboîta le pas. Névtelen le regarda partir avant de se remettre au travail. Quand la lumière se mit à baisser, il entendit parler de l'effondrement. Parmi les hommes qui amenaient du combustible, il y avait des célibataires du clan des Maldana qui attendaient la fin de l'hiver pour partir. Ils étaient de corvée pour amener le combustible. Ils étaient partis derrière Virnita pour aller aider à dégager. Névtelen vit à leurs visages fermés que les évènements étaient graves. Il les laissa raconter. La terre au-dessus de la grande maison avait glissé emportant la maison et ceux qui étaient dedans. Le chef de la famille était resté sous la masse de terre et de neige. Il y avait aussi trois femmes et des enfants. Ils avaient passé la journée à dégager neige et boue pour dégager les corps. Le reste du clan avait fait bloc et était venu à la rescousse. Les survivants avaient été répartis dans les autres maisons. Virnita avait coordonné les secours. Deux enfants avaient été retrouvés vivants. Pour eux, on ferait la fête ce soir. Les autres auraient le droit à la cérémonie de l'ensevelissement des braves. Depuis son arrivée, Névtelen avait entendu parler de leurs dieux. Il y avait un dieu de la chaleur et un dieu du froid. Leurs rencontres étaient toujours une bataille. Ce qui arrivait aujourd'hui était une des conséquences de ces combats entre les dieux. Névtelen avait ainsi forgé des petites statues qui lui évoquaient ces conflits. Il en donna une au chef des hommes du clan Maldana.
- On dirait un gros oiseau ! dit celui-ci.
- Oui, dit Névtelen, ce sont les capes des dieux qui font comme des ailes.
- Montre-les à Ouldanabi, répondit l'homme, en lui rendant.
- Il a raison. Elle saura si c'est une bonne chose, dit un des autres membres du clan.
Névtelen les posa sur une étagère en pierre creusée dans la paroi. Ouldanabi devait passer par la forge dans la soirée. Il se dit que le mieux était de l'attendre.
Il était dans sa tente près de la forge quand elle arriva. C'est ainsi qu'il appelait l'abri qu'il déployait le soir comme les autres célibataires dans l'abri. En tant que maître du feu, il avait une place près du foyer. Les autres avaient déployé les leurs selon des règles de hiérarchie que Névtelen ne possédait pas. Il entendit une voix aiguë dire :
- Qui a fait ça ?
Il sortit de sa tente, bientôt rejoint par les autres. Ouldanabi appuyée sur son bâton torve, se tenait debout devant les statuettes. Névtelen la rejoignit.
- J'ai fait ce que je pensais devoir faire.
Un regard de feu se tourna vers lui.
- Qu'as-tu fais ?
- Le malheur frappait le clan Maldana. J'ai senti son malheur et mes doigts ont forgé.
- Viens par là, et vous autres allez dormir !
Ouldanabi prit Névtelen par la main et l'entraîna dans des couloirs. Elle lui avait fait prendre les avatars qu'il avait forgés. Ils marchèrent un bon moment. En cette heure avancée ils ne croisèrent personne. Le silence régnait, simplement troublé par la démarche à trois temps de Ouldanabi. Ils atteignirent enfin une caverne creusée fermée par une peau blanche aux poils longs. La chamanesse prit la torche qui était dans le couloir, souleva la tenture et lui dit d'entrer. La pièce était assez grande pour que la périphérie reste dans le noir. Ouldanabi s'assit sur un banc de pierre en soupirant.
- Assieds-toi, Névtelen. Je veux te rencontrer depuis longtemps. Virnita m'a trop retenue. J'ai négligé cela et ce que je craignais est arrivé.
Névtelen s’assit, étonné par le discours. Depuis qu'il était dans le cratère, il avait ressenti sa vie comme calme et sereine.
- Quelle est cette crainte ?
- Notre peuple vit retiré des grands mouvements du monde depuis des générations. Sa survie en dépendait. Aujourd'hui le monde change beaucoup. Mes augures me montrent que de nouvelles forces sont en action dans notre aujourd'hui. Et tu arrives avec ta maîtrise du feu. Ta présence fait bouger la terre. Tes figurines sont remplies de puissance. Reste une question : laquelle ?
Névtelen sursauta. Avait-il encore fait un objet comme la lame noire ? Son intention était toute différente. Il avait voulu consoler et rassurer les gens du clan qui, comme tous les autres l'avaient bien accueilli. Il ne savait pas combien ils étaient, alors il avait fait un nombre de figurines au hasard. En écoutant Ouldanabi, il avait l'impression que le hasard n'était pas si hasardeux que cela.
- Tu as fait autant de représentations du combat des dieux que de clans. Savais-tu le nombre de clans ?
- Non, je n'ai pas rencontré tout le monde.
- Alors regarde !
Ouldanabi sortit des osselets de sa poche et les jeta au sol sur une zone couverte de terre. La dizaine d'ossements se dispersa un peu. La chamanesse grogna en regardant son jet.
- Étonnant ! Tu vois comme la puissance est là.
Névtelen ne voyait rien. Il avait posé les statuettes près de l'entrée. Il les regarda en s'interrogeant. Elle posa un doigt sur un des petits os.
- Là, regarde !
Ses yeux semblaient briller de plaisir.
- Des simalbabas !
Elle se mit à rire :
- Des simalbabas !
- Qu'est-ce ?
- Tu es vraiment un être hors de l'ordinaire. Je ne pensais pas voir un tel évènement.
- Mais qu'est-ce que c'est ? s'énerva Névtelen.
- C'est vrai que ta mémoire t'a été volée. Les simalbabas sont des relais de la puissance des dieux. Là où ils sont, la force est là. Les tiens sont particuliers. Ce sont des simalbabas à fixer le monde.
- Je ne comprends pas. Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Tu n'es pas un humain, Névtelen. En tout cas pas un humain comme Virnata ou même comme moi. Tu es un relais des dieux. Voilà pourquoi leur puissance coule par tes doigts. Regarde, regarde les augures. Tes simalbabas sont accordés au cratère. Nous allons les enfouir à côté de chaque poteau de clan. Ainsi ce qui est arrivé aujourd'hui ne pourra advenir à nouveau.
Névtelen s'en réjouit.
- Ne crie pas victoire trop tôt, Homme qui ne sait pas son nom.
- Pourquoi m'appelles-tu comme cela ?
- C'est ce que veut dire ton nom, que tu n'en as pas. Tu ne peux rester ici, Homme qui ne sait pas son nom.
- Mais pourquoi n'y a-t-il pas de lieu pour moi ?
- Attends, Névtelen, je vais relancer.
Ramassant tous les osselets, Ouldanabi les secoua entre ses deux mains et refit un lancé. Elle scruta la position de tous les éléments de son étrange jeu :
- Tu trouveras ce lieu quand le chasseur sera chassé. Pour cela, il faut que tu reprennes ta route. Maintenant va, les augures signalent que celle dont les yeux sont rouges t'attend.

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