- Je sais que tu ne resteras pas,
Névtelen.
Virnita était venu à la forge.
- Pourquoi dis-tu cela Virnita ?
Je suis bien ici. L'hiver vient d'arriver. Regarde la neige tombe
encore !
Névtelen avait cessé le travail quand
Virnita était arrivé dans l'abri sous roche. Cela faisait maintenant
deux lunaisons que Névtelen travaillait le métal pour les Ouatalbi.
C'était un petit peuple, mais un peuple ancien. Les légendes
disaient qu'ils avaient connu les grands êtres, ceux qui volaient et
qui étaient grands comme des montagnes. Les légendes disaient aussi
qu'ils avaient été un grand peuple qui couvrait la plaine. Mais
maintenant, ils s'étaient réfugiés dans ce cratère. La terre y
était dure et peu généreuse mais, personne ne pouvait les en
déloger. Il avait quand même fallu composer avec les puissants
voisins. Quand Yas avait pris le pouvoir, Virnita avait négocié
pour garder la paix. Ils n'avaient pas d'or, pas de métal, ils
avaient donc donné des hommes pour les armées de Yas. Mais des
hommes, ils en avaient donné depuis si longtemps. Les jeunes
partaient dans d'autres régions pour survivre. Ici, dans le cratère,
on était pauvre. La terre ne permettait que de nourrir un nombre
limité de personnes. Il fallait faire des choix. Un homme restait
quand cinq partaient. Il se trouvait chef de famille, avec plusieurs
épouses puisque les femmes ne partaient pas. C'est elles qui
assuraient la plus grande partie du travail. Dix chefs faisaient un
clan reconnaissable à son chapeau fait de tresses végétales.
Chaque clan, chaque famille avait le sien. Les chefs de clan se
réunissaient pour faire un conseil et on désignait le Virnita.
Celui qui était ainsi désigné, prenait ce nom. Névtelen avait
voulu en savoir le sens. Virnita lui avait expliqué qu'à l'origine,
il s'agissait d'un nom propre mais qu'il était devenu à la fois le
nom et le terme pour désigner la fonction de chef. Ce nom avait un
écho de bienfaits et de sagesse. Avant de s'appeler Virnita, et
bien, il était fils de Toulma du clan des Voualdi.
- Je sais que tu ne resteras pas car
notre chamanesse l'a vu quand elle a lancé les os de la divination.
Ton destin est ailleurs, comme ton nom est ailleurs. Elle m'avait
déjà prévenu avant que tu n'arrives. « Viendra l'homme aux
loups, maître du feu. Alors les temps changeront et reviendra le
temps des légendes. Accueille-le nous participerons à sa joie,
repousse-le nous connaîtrons les ténèbres. Mais surtout ne le
retiens pas quand reviendront les loups ! »
Névtelen était toujours étonné du
crédit que Virnita accordait à la chamanesse. C'était une vieille
femme qui semblait hors d'âge. Toute courbée, elle avançait
appuyée sur un bâton tordu. Elle lisait les réponses aux questions
qu'on lui posait, dans la position des petits os qu'elle jetait sur
le sol.
- Mes soldats ont vu les loups noirs
quand tu es arrivé. Je ne me mettrais pas sur ton chemin.
- Je ne sais pas où aller. Aller tuer
un monstre volant comme le voulait le gouverneur de Maskusa, me
semble vain.
- Tu devras demander à Ouldanabi la chamanesse. J'étais venu te remercier pour tout ce que tu as déjà fait. Nos armes n'ont jamais été aussi bonnes.
- Tu devras demander à Ouldanabi la chamanesse. J'étais venu te remercier pour tout ce que tu as déjà fait. Nos armes n'ont jamais été aussi bonnes.
- Virnita ! Virnita ! Il y a
eu un effondrement dans le clan des Maldana.
Un homme venait de surgir dans l'abri.
Virnita lui emboîta le pas. Névtelen le regarda partir avant de se
remettre au travail. Quand la lumière se mit à baisser, il entendit
parler de l'effondrement. Parmi les hommes qui amenaient du
combustible, il y avait des célibataires du clan des Maldana qui
attendaient la fin de l'hiver pour partir. Ils étaient de corvée
pour amener le combustible. Ils étaient partis derrière Virnita
pour aller aider à dégager. Névtelen vit à leurs visages fermés
que les évènements étaient graves. Il les laissa raconter. La
terre au-dessus de la grande maison avait glissé emportant la maison
et ceux qui étaient dedans. Le chef de la famille était resté sous
la masse de terre et de neige. Il y avait aussi trois femmes et des
enfants. Ils avaient passé la journée à dégager neige et boue
pour dégager les corps. Le reste du clan avait fait bloc et était
venu à la rescousse. Les survivants avaient été répartis dans les
autres maisons. Virnita avait coordonné les secours. Deux enfants
avaient été retrouvés vivants. Pour eux, on ferait la fête ce
soir. Les autres auraient le droit à la cérémonie de
l'ensevelissement des braves. Depuis son arrivée, Névtelen avait
entendu parler de leurs dieux. Il y avait un dieu de la chaleur et un
dieu du froid. Leurs rencontres étaient toujours une bataille. Ce
qui arrivait aujourd'hui était une des conséquences de ces combats
entre les dieux. Névtelen avait ainsi forgé des petites statues qui
lui évoquaient ces conflits. Il en donna une au chef des hommes du
clan Maldana.
- On dirait un gros oiseau ! dit
celui-ci.
- Oui, dit Névtelen, ce sont les capes
des dieux qui font comme des ailes.
- Montre-les à Ouldanabi, répondit
l'homme, en lui rendant.
- Il a raison. Elle saura si c'est une
bonne chose, dit un des autres membres du clan.
Névtelen les posa sur une étagère en
pierre creusée dans la paroi. Ouldanabi devait passer par la forge
dans la soirée. Il se dit que le mieux était de l'attendre.
Il était dans sa tente près de la
forge quand elle arriva. C'est ainsi qu'il appelait l'abri qu'il
déployait le soir comme les autres célibataires dans l'abri. En
tant que maître du feu, il avait une place près du foyer. Les
autres avaient déployé les leurs selon des règles de hiérarchie
que Névtelen ne possédait pas. Il entendit une voix aiguë dire :
- Qui a fait ça ?
Il sortit de sa tente, bientôt rejoint
par les autres. Ouldanabi appuyée sur son bâton torve, se tenait
debout devant les statuettes. Névtelen la rejoignit.
- J'ai fait ce que je pensais devoir
faire.
Un regard de feu se tourna vers lui.
- Qu'as-tu fais ?
- Le malheur frappait le clan Maldana.
J'ai senti son malheur et mes doigts ont forgé.
- Viens par là, et vous autres allez
dormir !
Ouldanabi prit Névtelen par la main et
l'entraîna dans des couloirs. Elle lui avait fait prendre les
avatars qu'il avait forgés. Ils marchèrent un bon moment. En cette
heure avancée ils ne croisèrent personne. Le silence régnait,
simplement troublé par la démarche à trois temps de Ouldanabi. Ils
atteignirent enfin une caverne creusée fermée par une peau blanche
aux poils longs. La chamanesse prit la torche qui était dans le
couloir, souleva la tenture et lui dit d'entrer. La pièce était
assez grande pour que la périphérie reste dans le noir. Ouldanabi
s'assit sur un banc de pierre en soupirant.
- Assieds-toi, Névtelen. Je veux te
rencontrer depuis longtemps. Virnita m'a trop retenue. J'ai négligé
cela et ce que je craignais est arrivé.
Névtelen s’assit, étonné par le
discours. Depuis qu'il était dans le cratère, il avait ressenti sa
vie comme calme et sereine.
- Quelle est cette crainte ?
- Notre peuple vit retiré des grands
mouvements du monde depuis des générations. Sa survie en dépendait.
Aujourd'hui le monde change beaucoup. Mes augures me montrent que de
nouvelles forces sont en action dans notre aujourd'hui. Et tu arrives
avec ta maîtrise du feu. Ta présence fait bouger la terre. Tes
figurines sont remplies de puissance. Reste une question :
laquelle ?
Névtelen sursauta. Avait-il encore
fait un objet comme la lame noire ? Son intention était toute
différente. Il avait voulu consoler et rassurer les gens du clan
qui, comme tous les autres l'avaient bien accueilli. Il ne savait pas
combien ils étaient, alors il avait fait un nombre de figurines au
hasard. En écoutant Ouldanabi, il avait l'impression que le hasard
n'était pas si hasardeux que cela.
- Tu as fait autant de représentations
du combat des dieux que de clans. Savais-tu le nombre de clans ?
- Non, je n'ai pas rencontré tout le
monde.
- Alors regarde !
Ouldanabi sortit des osselets de sa
poche et les jeta au sol sur une zone couverte de terre. La dizaine
d'ossements se dispersa un peu. La chamanesse grogna en regardant son
jet.
- Étonnant ! Tu vois comme la
puissance est là.
Névtelen ne voyait rien. Il avait posé
les statuettes près de l'entrée. Il les regarda en s'interrogeant.
Elle posa un doigt sur un des petits os.
- Là, regarde !
Ses yeux semblaient briller de plaisir.
- Des simalbabas !
Elle se mit à rire :
- Des simalbabas !
- Qu'est-ce ?
- Tu es vraiment un être hors de
l'ordinaire. Je ne pensais pas voir un tel évènement.
- Mais qu'est-ce que c'est ?
s'énerva Névtelen.
- C'est vrai que ta mémoire t'a été
volée. Les simalbabas sont des relais de la puissance des dieux. Là
où ils sont, la force est là. Les tiens sont particuliers. Ce sont
des simalbabas à fixer le monde.
- Je ne comprends pas. Qu'est-ce que
cela veut dire ?
- Tu n'es pas un humain, Névtelen. En
tout cas pas un humain comme Virnata ou même comme moi. Tu es un
relais des dieux. Voilà pourquoi leur puissance coule par tes
doigts. Regarde, regarde les augures. Tes simalbabas sont accordés
au cratère. Nous allons les enfouir à côté de chaque poteau de
clan. Ainsi ce qui est arrivé aujourd'hui ne pourra advenir à
nouveau.
Névtelen s'en réjouit.
- Ne crie pas victoire trop tôt, Homme
qui ne sait pas son nom.
- Pourquoi m'appelles-tu comme cela ?
- C'est ce que veut dire ton nom, que
tu n'en as pas. Tu ne peux rester ici, Homme qui ne sait pas son nom.
- Mais pourquoi n'y a-t-il pas de lieu
pour moi ?
- Attends, Névtelen, je vais relancer.
Ramassant tous les osselets, Ouldanabi
les secoua entre ses deux mains et refit un lancé. Elle scruta la
position de tous les éléments de son étrange jeu :
- Tu trouveras ce lieu quand le
chasseur sera chassé. Pour cela, il faut que tu reprennes ta route.
Maintenant va, les augures signalent que celle dont les yeux sont
rouges t'attend.
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