Névtelen apprit aussi que le harda de
l'histoire était le père du père du père.... du père de Maester.
Qu'on passerait par la Grande Vallée où l'accueil était toujours
chaleureux et que si le temps le permettait on pousserait même
jusqu'au pied des montagnes. Les nouvelles de la guerre s'éloignaient
doucement. Le harda n'allait pas au plus court. Son chemin faisait de
nombreux détours. Il était parfois reçu par le seigneur du lieu,
comme dans le fief de la Grande Vallée. Névtelen admira la
forteresse, formidable machine de guerre. Mais dans la haute cour, le
seigneur avait un grand logement confortable empli de trésors comme
cette grande tapisserie racontant la légende du Chevalier Blanc. Un
détail attira son attention. Celui ou celle qui avait réalisé cet
ouvrage avait bien brodé un dragon comme celui qu'il avait vu voler
au-dessus de Maskusa. Des impressions fugitives lui traversèrent
l'esprit. Il savait des choses sur les dragons. Il essaya de
réfléchir, de se souvenir. Rien ne vint, la confusion devenait plus
grande dans sa tête. Il frappa le mur pour contenir sa rage.
- T'es en colère, Névt ?
- Pas contre toi, Vodcha !
- Alors viens te promener.
Prenant sa main, elle l'emmena dans les
bois autour de la forteresse. Ils jouèrent un bon moment. Quand la
lumière se fit plus chiche, Névtelen dit :
- Ton père va s'inquiéter.
- Mais je suis avec toi. Quand on est
avec un ange rien ne peut arriver.
Vodcha avait dit cela avec beaucoup de
sérieux. Mais elle accepta de rentrer avec lui. Ils revenaient vers
le château en discutant de tout et de rien quand ils débouchèrent
sur un promontoire qui dominait une partie de la vallée. Le soleil
qui avait brillé toute la journée, se dirigeait vers le bord du
monde en donnant une lumière chaude.
- Regarde, Névt ! Un autre ange !
Il regarda dans la direction indiquée
par Vodcha. Une silhouette se déplaçait dans le ciel en battant des
ailes. Il reconnut le dragon, plus rouge dans la lumière que dans
ses souvenirs. Il eut un choc. Le dragon l'avait regardé. Il en
était sûr. Il y eut un cri long comme une plainte. Des loups y
répondirent. Avec un aplomb qui surprit Névtelen, Vodcha dit :
- L'autre ange là, il t'appelle.
Il n'osa pas demander à Vodcha ce
qu'elle voulait dire. Il avait maintenant la certitude que leur
rencontre était inévitable. Quand le grand saurien eut disparu à
l'horizon, ils retournèrent à la forteresse. Maester écouta Vodcha
raconter ses exploits dans les bois avec cet air mi-sérieux,
mi-goguenard qu'il prenait avec sa fille. Il devint sérieux quand
elle raconta l'épisode du dragon.
Le lendemain, il en parla avec
Névtelen.
- Je voulais te dire, Névtelen, que ma
fille est différente des autres enfants.
- Comment cela, maître ?
- Sa mère n'est pas morte comme tout
le monde le croit. Sa mère est une guérisseuse que j'ai beaucoup
aimée. Elle voulait un enfant de moi. J'ai accepté son contrat. Ce
qu'elle n'avait pas prévu c'est qu'elle aurait des jumelles. Elle
n'a pas pu garder les deux. Quand elle a sevré ses filles, elle a
choisi celle qui devrait lui succéder. Elle m'a demandé de garder
l'autre.
- Vodcha sait cela ?
- Bien sûr, mais elle n'en parle
jamais en public. Nous nous revoyons quand vient le temps d'aller
dans la région haute. Ce que je voulais te dire, c'est que si elle
n'a pas les dons de sa sœur, elle a des dons. Je ne l'ai jamais vu
se tromper dans son jugement sur un homme.
- C'est pour cela que vous m'avez fait
confiance si vite ! Cela m'avait étonné.
- Oui, c'est pour cela. Aujourd'hui,
elle vient de dire que le dragon t'appelle. Un jour tu auras besoin
de nous quitter pour y aller. Je comprendrai. Je vais demander au
Seigneur de la Grande Vallée de me prêter un homme pour que tu sois
libre.
- Je ne voudrais pas vous obliger...
- C'est le désir de Vodcha.
Comme ils arrivaient dans la grande
salle, leur conversation s'arrêta. La journée se passa sans
événement particulier. Le soir une fête était donnée en
l'honneur de Maester et de son départ.
Le lendemain, Névtelen marchait en
réfléchissant à tout ce qu'il savait sur lui. Il lui manquait
l'essentiel. Qui était-il ? De tous les hommes qu'il avait
rencontrés, il n'en était pas un qui lui ressembla vraiment. On le
traitait toujours à part. Seuls Vodcha et Maester l'avaient
accueilli sans faire de remarque. Avec eux, il était bien.
La région devenait plus montagneuse.
Névtelen avait été étonné. Maester avait évoqué un retour dans
la plaine et pour le moment, ils montaient régulièrement. Le
seigneur de la Grande Vallée avait décidé d'honorer Maester en
l'accompagnant au moins jusqu'à la vallée de Trisman. Il avait
détaché un de ses soldats pour servir d'escorte. Ce dernier amusait
beaucoup Vodcha qui l'avait surnommé : Brunchma, la montagne
qui marche. Après une dernière salutation au seigneur du lieu, ils
se dirigèrent vers un col. Brunchma marchait devant tenant Mimi par
les rênes. Vodcha trônait dans la carriole enveloppée de
couvertures. Maester se tenait à sa hauteur et Névtelen fermait la
marche.
- Il n'y a pas de village par ici. Il
faudra qu'on bivouaque avant le col. Je connais une grotte où nous
serons bien.
- La région est désolée, maître
Maester. Vous ne craignez pas les bandits ?
- Non, Névtelen. Le fief de la Grande
vallée est sûr. Les ennuis risquent d'arriver après le col. Le
temps se couvre. Je crains plus la neige que les bandits.
- Non, Maître Maester, intervint
Brunchma. Le temps va se couvrir mais la neige ne viendra pas. Enfin
pas tout de suite.
Vodcha ajouta :
- De toutes façons tant qu'ils seront
là, nous ne risquons rien !
- Qui est là ? demanda Maester.
- Ben, les serviteurs de l'ange,
DaïDaï.
Il la regarda l'air étonné, mais
n'ajouta rien. Névtelen s'interrogea aussi sur ce qu'il venait
d'entendre jusqu'à ce qu'il remarque une ombre noire à la limite de
son champ de vision. Les loups ! Curieusement, il fut rassuré.
Les jours suivant passèrent sans
incident et sans neige. Ils avançaient bien. Maester était content.
Il expliqua qu'ils allaient vers la région haute pour voir la mère
de Vodcha. Alors qu'habituellement, ils passaient l'hiver dans la
douceur d'un pays plus chaud, la fillette avait déclaré sur un ton
sans réplique qu'il fallait aller voir sa mère. Maester avait
toujours respecté ses désirs, mais là avec le froid, il avait
essayé de discuter avec sa fille. Vodcha s'était butée. Il
fallait y aller maintenant, car c'est maintenant qu'il fallait y
aller. Il avait cédé comme toujours. Il avait pris son temps pour
monter et puis depuis l'histoire de l'ange, Vodcha était devenue
impatiente. Maester avait décidé de couper par les montagnes de
Tompaado. Les villages étaient pauvres et les gens rudes. Ils purent
se faire héberger plusieurs fois. À d'autres moments, Vodcha
faisait « non » de la tête et son père n'insistait pas.
Ils reprenaient la route. Si Névtelen avait un don pour le feu,
Brunchma avait le don de trouver un abri.
- Là ! Felmazik !
Névtelen rejoignit le groupe qui
s'était arrêté. À leurs pieds dans la vallée, il découvrit une
ville. Elle était nichée dans une vallée qui s'élargissait.
Vodcha s'écria :
- On y sera ce soir, Daïdaï ?
- On va essayer mais Mimi commence à
fatiguer. On fera peut-être halte à mi-pente, à moins que la
neige...
Brunchma intervint :
- Le vent vient du septentrion, maître
Maester. La neige sera là dans la nuit, au plus tard demain.
- Alors si nous n'avons pas le choix.
Allons-y !
Brunchma reprit les rênes de Mimi et
se mit à lui parler pour l'aider à avancer. Ils allumèrent des
torches en arrivant à mi-pente. Par précautions, ils sortirent les
armes. Ainsi éclairés, il faisait une proie parfaite pour des
brigands. Seule Vodcha ne s'inquiétait pas et parlait de son plaisir
à revoir sa mère.
- Regarde, Daïdaï ! Elle a fait
allumer des feux pour nous guider.
Effectivement, contre toute attente, de
chaque côté de la porte de la ville, des feux brûlaient. Ils
atteignirent la route du fond de la vallée à la deuxième veille.
Les feux brûlaient toujours. En s'approchant, ils virent les soldats
sur le pied de guerre. Ils rangèrent leurs armes.
Maester fut reconnu par le gradé :
- Ah ! C'est vous ! Vous avez
de la chance, si nous n'attendions pas le bourgmestre, vous auriez
passé la nuit dehors.
Maester insista un peu pour lui faire
un cadeau, juste pour la forme, tellement il était évident que
l'homme n'attendait que cela. Il leur fit ouvrir la porte. Dans les
rues sombres, à la mouvante lumière des torches, ils suivirent
Maester.
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