lundi 31 décembre 2012

- Sans les charcs qui m'ont prévenue, je serais au lit, dit La Tchaulevêté avec un grand sourire.
- Maman ! dit Vodcha en se précipitant dans ses bras
- Daïdaï, dit Tchavo en se précipitant dans les bras de Maester.
Brunchma faisait manœuvrer Mimi pour le faire rentrer dans la cour de la maison et Névtelen se tenait sur le pas de la porte avec le coffre. Il fut pris d'une émotion intense. Cette enfant, cette femme, c'étaient... c'étaient... Il ne trouva pas les mots et surtout, il ne trouva pas le souvenir de son émotion. La Tchaulevêté regarda Névtelen. Son regard était aigu. Puis Vodcha attira son attention. Maester fit un signe à Névtelen pour qu'il pose les affaires dans un coin. Au bout d'un moment les deux filles se prirent la main et partirent dans une autre pièce. Maester avait pris les mains de La Tchaulevêté. Ils ne se quittaient pas des yeux.
- Je suis heureuse de te voir.
- Moi aussi, dit Maester d'une voix vibrante.
La Tchaulevêté reprit son rôle de maîtresse de maison. Elle donna des ordres à Névtelen et à Brunchma pour les installer pour la nuit.
Quand le matin arriva, Névtelen fut réveillé par le bruit des deux filles qui se disputaient.
- C'est un ange !
- J'te crois pas !
- Même que j'ai vu ses ailes !
Une voix douce et impérieuse retentit :
- Doucement mes filles ! Les choses sont parfois différentes de ce qu'elles semblent être et vous avez encore beaucoup à apprendre.
Névtelen tira le rideau qui fermait le coin où il avait dormi. La Tchaulevêté préparait à manger. Elle tourna son visage vers lui. Elle lui adressa un sourire. Névtelen lui répondit.
- Tu perturbes mes filles, homme sans nom.
- Pourquoi m'appelles-tu : « homme sans nom » ?
- Sais-tu ton nom ?
- Ma mémoire a été effacée.
- Non, Névtelen, puisque tu te fais appeler comme cela. Ta mémoire t'a été cachée.
Ce fut comme s'il avait reçu un coup de poing dans le plexus.
- Alors qui suis-je ? Dis-le moi !
- Malheureusement, les choses sont plus difficiles que cela. Quelqu'un a bloqué ta mémoire et la débloquer sera difficile. Une porte a une clé, ta mémoire aussi. La trouver est ardu.
- Alors que dois-je...
Il fut interrompu par des coups frappés au portail.
- C'est bien ce que je craignais ! Va ouvrir, Névtelen, s'il te plaît.
En ouvrant le vantail, Névtelen découvrit un cortège d'éclopés. L'homme qui avait frappé, eut un mouvement de surprise :
- La Tchaulevêté n'est pas là ?
- Si, si... Entrez Chef ! dit La Tchaulevêté.
Des blessés entrèrent seuls ou aidés par d'autres. Pendant le reste de la journée, toute la maisonnée fut occupée à donner des soins. Quand tous furent pansés, couchés ou réconfortés, La Tchaulevêté invita ses filles, leur père et les deux hommes à venir s'asseoir dans la cuisine. Névtelen sentit son corps se détendre et la fatigue s'installer. Elle servit une coupe d'une infusion chaude et revigorante. Ils discutèrent à bâtons rompus de ce qu'ils venaient de vivre. Avec la guerre, des bandes armées écumaient le pays. La région n'avait pas été épargnée et le bourgmestre avait décidé de mettre fin à la menace. La troupe avait fait battre la campagne en ce début d'hiver et avait fini par rencontrer les bandits dans une vallée étroite où les combats avaient été violents. A la fin de la journée, la victoire était acquise mais les pertes sévères. Le retour bien que victorieux avait été triste. Les guérisseurs locaux avaient adressé à La Tchaulvêté certains blessés dont les plaies semblaient infectées. Maintenant, ils se reposaient tous, le calme était revenu dans la grande salle. Névtelen regardait les charcs entrer et sortir par une lucarne. Ils venaient se percher de-ci de-là, mais tous à un moment où à un autre venaient sur l'épaule de La Tchaulevêté. Encore une fois de fugitives impressions lui traversèrent l'esprit. C'était toujours la même souffrance, la même angoisse. Il se redressa en sentant le regard de la maîtresse de maison se poser sur lui. Les filles s'étaient endormies sur la table, Maester parlait de choses et d'autres et racontaient ce qu'il avait vu dans ses voyage. Brunchma dodelinait de la tête sur son siège appuyé sur un des poteaux de la maison.
- Je te préparerai un remède, Névtelen.
Entendant la voix de sa compagne, Maester s'arrêta de parler et regarda vers Névtelen. Celui-ci s'était redressé en entendant son nom.
- Alors, je vais guérir !
- Pas si vite, jeune homme, lui répondit La Tchaulvêté. Pas si vite ! Ce que je vais préparer va te guérir mais le plus important sera de déterminer le moment de le prendre. Si tu te trompes, tu pourrais en mourir.
Névtelen fut déçu.
- Ah ! Alors que dois-je faire ?
- Se hâter lentement. Il faut que je prépare le remède et que je cherche le bon moment.
Névtelen était resté avec ces paroles. Les activités de la maison de La Tchaulvêté étaient nombreuses. L'arrivée des trois hommes lui permit de faire face à tous les blessés qui étaient arrivés. Le bourgmestre lui-même, vint rendre visite à la guérisseuse. Il la félicita pour ses résultats, sous-entendit la jalousie des guérisseurs mâles qui trônaient dans la ville et dont elle ne faisait pas partie, elle qui employait des méthodes efficaces, certes, mais tellement peu orthodoxes qu'il serait bon qu'elle se méfie de la vengeance de la corporation des guérisseurs de Getch, leur grand dieu, béni soit son nom. Névtelen était subjugué par l'homme. Comment pouvait-on débiter autant de platitudes en aussi peu de temps ? Puis comme se termine une tornade, se termina la visite du bourgmestre. La Tchaulvêté avait l'air moins émue par ce fait que par la tête de ses filles.
- Allez les filles, vous semblez impressionnées par le bonhomme. Pourtant sa parole est plus vive que sa pensée.
- C'est vrai qu'il a l'air vide, dit Vodcha.
- C'est pas comme Névt, ajouta Tchavo. Lui, lui a l'air trop plein.
Les deux filles se mirent à rire ensemble, laissant Névtelen dans un abîme de perplexité.
Un soir, alors que La Tchaulvêté broyait des herbes dans un bol en bois avec un pilon, il s'approcha d'elle. Elle le regarda s'asseoir sans rien dire. Les filles, Maester et Brunchman étaient partis chercher des provisions au marché. Le soleil qui éclairait était encore assez haut. Les charcs continuaient leur manège. Névtelen en avait pris l'habitude. Il savait qu'ils étaient comme une partie de La Tchaulvêté, comme les autres animaux qui couraient çà et là. Il pensa qu'elle n'allait pas lui faciliter la tâche. Il voulait savoir. Il se lança :
- Tchavo l'autre jour a dit que j'avais l'air trop plein. Que voulait-elle dire ?
La Tchaulvêté le regarda de ses yeux sombres et perçants. Il soutint son regard.
- As-tu déjà vu ton ombre ? Ou ton reflet dans une mare bien calme ?
Névtelen fut interloqué par cette réponse :
- Oui, mais...
- Tu es cette ombre ou ce reflet.
La colère lui emplit le cœur. Il en avait plus qu'assez d'être... d'être et bien, il ne savait pas quoi, pas qui. Il voulait des réponses. Il le dit assez vertement à La Tchaulvêté. Elle lui jeta un regard étonné.
- Vois-tu, Névtelen, ce que je prépare est pour toi. Je comprends ta colère mais qu'y puis-je ?
- Ce n'est pas contre toi que j'en ai, dit Névtelen en parlant plus doucement. J'aimerais tellement être moi.
- Les filles ont bien senti. Vodcha a bien senti. Cet être qui vole et qui est si gros, cet être dont me parlent les charcs, cet être tu dois le rencontrer.
- Je suis en chemin pour cela, lui dit-il. Tel semble être mon destin. Je ne sais pas par où aller. Il vit dans les montagnes mais les montagnes sont vastes.
- Les charcs m'ont renseignée. Il faut que tu quittes la vallée pour aller vers le pays des grands froids qui est de l'autre côté des montagnes. Pour cela, tu dois quitter le chemin facile pour couper par les cols escarpés.
- L'hiver est là !
- Je sais, Névtelen. Les charcs m'ont signalé aussi un fait curieux et inhabituel : des loups.
Névtelen se redressa. Il revit ces silhouettes noires qui semblaient veiller sur lui. Il en parla à La Tchaulvêté.
- Sont-ils des avatars des dieux ?
- Mon savoir est limité dans ce domaine, Névtelen. Je sens la nature et les forces qui y vivent. Cette meute est porteuse d'une sagesse très ancienne et toujours actuelle. Elle sert plus fort qu'elle pour que l'équilibre se maintienne. Voilà ce que je ressens de leur présence ici. Le hasard est étranger à ce fait. Tu y es pour quelque chose.
Névtelen se mit à réfléchir sur ce qu'il venait d'entendre.
- Le remède sera prêt bientôt. Après il sera bon que tu partes.

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