La bataille faisait rage. Du haut de la
colline, caché entre deux rochers, Névtelen regardait
l'enchevêtrement des combats en dessous. La louve semblait
décontenancée. Manifestement, elle avait pensé emprunter cette
plaine. Elle s'était assise en arrière et regardait, elle aussi, ce
qu'il se passait en bas. Névtelen lui dit :
- Tu vois la louve, il y a les troupes
de Saraya et celle de Altalanos. J'ai pas trop envie de participer à
leurs jeux.
La louve pencha la tête.
- On dirait que tu comprends. Je ne
sais pas quel est ton but, pas celui de me manger en tous cas.
On va attendre la nuit et on essayera
de passer.
Comme si elle avait compris la louve se
coucha. Les deux armées se combattaient dans une vallée assez
large pour que les tracks puissent manœuvrer. La journée s'avançait
doucement quand on entendit du bruit. Névtelen se réfugia dans un
passage entre les rochers. Les loups semblaient s'être volatilisés.
Bientôt, il entendit une troupe avancer. Ils haletaient sous le
poids de leur harnachement. C'étaient des fantassins. Les longues
piques furent les premières à apparaître au-dessus des
frondaisons. Névtelen se renfonça encore plus dans son étroit
passage. Les rochers gros comme des maisons, faisaient tout un dédale
de couloirs tortueux. Il espéra qu'ils allaient passer sans
s'arrêter.
- Par là, on dirait que ça passe, dit
une voix.
- Ça fait quand même une belle
marche, dit une autre.
- Ouais, mais on n'a pas le temps de
chercher ailleurs, reprit la première.
Bientôt, on entendit le raclement du
métal sur la pierre. Névtelen se dit qu'ils allaient passer juste
devant l'entrée du passage où il avait trouvé refuge. Prenant
mille précautions pour ne pas faire de bruit, il s'enfonça plus
avant. Une main se posa sur son épaule. Il sursauta en se
retournant.
- Chut !
L'homme joignit le geste à la parole.
Le casque qu'il avait sur la tête était rouillé, mais l'épée
courte qu'il avait à la main était bien affûtée. Derrière lui,
il découvrit d'autres hommes aux visages tendus, prêts à en
découdre. Névtelen laissa sa place. Il y eut le bruit des pas et
les raclements des armes sur la pierre des rochers non loin d'eux
mais personne n'entra dans le passage. Quand ils furent passés, les
guerriers leurs emboîtèrent le pas. Névtelen serait bien resté
tranquillement, mais un des gaillards, le poussa en avant. Contre son
gré, il se mit à les suivre. Ils se déplaçaient en hommes
habitués à la marche dans les bois. Ils ne parlaient pas,
communiquaient par signes et bougeaient en un ensemble bien entraîné.
L'attaque fut fulgurante. Deux autres
groupes attaquèrent simultanément la colonne. Le combat fut bref.
Les archers, en embuscade, avaient fait merveille. Le chef de la
manœuvre se révéla être l'homme du rocher. Il fit ramasser les
épées, les flèches, les arcs mais laisser les piques trop grandes.
Les deux combattants survivants qui tenaient encore debout, étaient
adossés à un arbre sous la garde de deux soldats. L'un se tenait le
bras, l'autre semblait indemne. Névtelen toujours suivi de près par
un soldat se vit délester de son arme et de son couteau. Il détourna
quand il vit les soldats achever les blessés qui ne pourraient pas
marcher. Bientôt il ne resta que des morts allongés par terre. Les
deux survivants furent entravés et poussés pour avancer. Névtelen
fut aussi poussé. Les hommes se séparèrent de nouveau en plusieurs
groupes. Névtelen se retrouva à marcher non loin des survivants.
Ils s'enfoncèrent dans un hallier. Il remarqua que les deux derniers
effaçaient les traces. Ils marchèrent un long moment. Ils
atteignirent une barre rocheuse assez haute. Ils la longèrent vers
le soleil couchant. Marchant la lumière dans les yeux, ils
atteignirent une entrée de grotte et s'y engagèrent. Ils allumèrent
des torches et s'enfoncèrent dans des couloirs sombres et tortueux.
Derrière eux, la nuit tombait.
Névtelen se posa la question de sa
survie. Les trois hommes furent conduits dans une grande grotte. La
lumière venait de quelques torches et d'un feu qui flambait contre
une paroi. Dans les ombres changeantes, Névtelen avait du mal à
repérer ceux qu'il avait déjà vus. Les prisonniers furent conduits
dans un coin. On les fit asseoir. L'homme qui l'accompagnait, lui
tapa sur l'épaule et lui fit signe de le suivre. Il fut conduit près
du feu. Un guerrier petit et au visage rond étudiait une écorce sur
laquelle étaient tracés des dessins. Sans lever la tête, il prit
la parole :
- On t'a trouvé sur notre territoire.
Que viens-tu y faire ?
Névtelen écouta l'accent lui
rappeler quelque chose, mais quoi ?
- J'essaye simplement d'éviter les
combats.
- Tu sais qu'il y a beaucoup d'espions
aussi.
L'homme releva le visage. Il avait les
yeux un peu plissés, pourtant la lumière n'était pas très forte.
- Amenez une torche !
Un homme se précipita et rapporta de
la lumière. Celui qui donnait les ordres mit la torche près du
visage de Névtelen.
- Tu n'es pas de cette région !
D'où viens-tu ?
- Je ne suis qu'un forgeron itinérant
qui fuit la guerre. J'ai entendu parler d'une vallée plus loin dans
la montagne où la guerre serait absente.
- Il avait ça ! dit un guerrier
en tendant son marteau et son couteau.
Le chef sursauta en voyant les objets.
- Le couteau est Izuus et je n'ai
jamais vu de forgeron avec une telle arme.
- Je forge avec. Et oui, le couteau est
Izuus, j'ai travaillé chez eux.
- Tu reconnais que tu viens de là-bas.
- Je ne suis pas Izuus, ni attaché aux
Izuus. J'ai travaillé pour ceux qui me payent.
Le chef manipulait le marteau.
- Qu'on le conduise à la forge et
qu'il répare ce qui doit être réparé.
Se tournant vers Névtelen, il ajouta :
- J'espère pour toi que tu es ce que
tu dis.
Un soldat lui tapa sur l'épaule et lui
fit signe de le suivre. Le chef lui remit le marteau mais garda le
couteau. Névtelen vit qu'on amenait les prisonniers. Ils sortirent
de la grotte par un couloir qui semblait s'enfoncer dans le cœur de
la montagne. Ils marchèrent un bon moment.
- Pour qui vous battez-vous ?
demanda Névtelen.
- Virnita se bat pour nous et les
nôtres. Mais tu sauras si tu es ce que tu dis.
Névtelen n'osa pas insister. Il venait
d'apprendre le nom de celui qui dirigeait et a priori il n'était ni
pour Saraya, ni pour Altalanos. Il n'alla pas plus loin dans ses
réflexions. Ils venaient d'entrer dans une grande salle ouverte sur
l'extérieur. Un feu y ronflait, alimenté par des hommes à moitié
nus. Dans un coin une pierre servait à marteler le métal. Il y
avait là nombre d'armes abîmées qu'un forgeron martelait avec
force. Névtelen fut révulsé par la manière dont il frappait le
métal. C'était puissant mais inefficace. Il prit le marteau des
mains du soldat :
- Donne, il fait n'importe quoi !
Névtelen s'approcha de l'homme qui
frappait le métal. Sa carrure était deux fois la sienne. Névtelen
vit qu'il frappait un métal trop froid. Par contre, il admira la
pierre dont la surface lisse traduisait le long usage. Elle devait
contenir beaucoup de métal pour avoir cette couleur et ne pas se
briser sous les coups redoublés de celui qui martyrisait le métal.
Il regarda une des armes supposées prêtes à l'usage. Il la remit
au feu. La noria des porteurs de combustible s'arrêta. Le forgeron
tout à son martèlement semblait ne rien entendre. Névtelen
parla au feu. Celui-ci sembla se mettre à danser. La chaleur
augmenta brusquement dans cet abri sous la roche. Le marteleur
s'arrêta, portant un regard mauvais vers le feu :
- Mais qu'est- ce que vous f...
Il s'arrêta brutalement en voyant
Névtelen. Il le regarda, regarda le feu, regarda de nouveau Névtelen
qui avait le marteau à la main et qui tenait l'épée au feu avec
une pince.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce b...
Névtelen l'interrompit en sortant la
lame du feu, il la posa avec dextérité sur la pierre-métal. Il
frappa à petits coups secs et précis, reprenant le fil de l'épée.
Il la remit au feu et recommença. Tout le monde autour s'était
arrêté pour le voir faire. Pour finir il trempa la lame encore
rouge dans le bac d'eau de la source.
Le forgeron s'approcha, lui prit la
lame, la regarda attentivement. Il se retourna vers Névtelen.
- Virnita nous a trouvé un maître
forgeron. Je savais qu'il existait des gens comme toi, mon maître
m'en a parlé mais jamais je ne pensais en rencontrer un de mon
vivant.
Se tournant vers le soldat qui avait
amené Névtelen, il lui dit :
- Va remercier Virnita. Je vois encore
là qu'il prend soin des nôtres.
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