jeudi 13 décembre 2012

La bataille faisait rage. Du haut de la colline, caché entre deux rochers, Névtelen regardait l'enchevêtrement des combats en dessous. La louve semblait décontenancée. Manifestement, elle avait pensé emprunter cette plaine. Elle s'était assise en arrière et regardait, elle aussi, ce qu'il se passait en bas. Névtelen lui dit :
- Tu vois la louve, il y a les troupes de Saraya et celle de Altalanos. J'ai pas trop envie de participer à leurs jeux.
La louve pencha la tête.
- On dirait que tu comprends. Je ne sais pas quel est ton but, pas celui de me manger en tous cas.
On va attendre la nuit et on essayera de passer.
Comme si elle avait compris la louve se coucha. Les deux armées se combattaient dans une vallée assez large pour que les tracks puissent manœuvrer. La journée s'avançait doucement quand on entendit du bruit. Névtelen se réfugia dans un passage entre les rochers. Les loups semblaient s'être volatilisés. Bientôt, il entendit une troupe avancer. Ils haletaient sous le poids de leur harnachement. C'étaient des fantassins. Les longues piques furent les premières à apparaître au-dessus des frondaisons. Névtelen se renfonça encore plus dans son étroit passage. Les rochers gros comme des maisons, faisaient tout un dédale de couloirs tortueux. Il espéra qu'ils allaient passer sans s'arrêter.
- Par là, on dirait que ça passe, dit une voix.
- Ça fait quand même une belle marche, dit une autre.
- Ouais, mais on n'a pas le temps de chercher ailleurs, reprit la première.
Bientôt, on entendit le raclement du métal sur la pierre. Névtelen se dit qu'ils allaient passer juste devant l'entrée du passage où il avait trouvé refuge. Prenant mille précautions pour ne pas faire de bruit, il s'enfonça plus avant. Une main se posa sur son épaule. Il sursauta en se retournant.
- Chut !
L'homme joignit le geste à la parole. Le casque qu'il avait sur la tête était rouillé, mais l'épée courte qu'il avait à la main était bien affûtée. Derrière lui, il découvrit d'autres hommes aux visages tendus, prêts à en découdre. Névtelen laissa sa place. Il y eut le bruit des pas et les raclements des armes sur la pierre des rochers non loin d'eux mais personne n'entra dans le passage. Quand ils furent passés, les guerriers leurs emboîtèrent le pas. Névtelen serait bien resté tranquillement, mais un des gaillards, le poussa en avant. Contre son gré, il se mit à les suivre. Ils se déplaçaient en hommes habitués à la marche dans les bois. Ils ne parlaient pas, communiquaient par signes et bougeaient en un ensemble bien entraîné.
L'attaque fut fulgurante. Deux autres groupes attaquèrent simultanément la colonne. Le combat fut bref. Les archers, en embuscade, avaient fait merveille. Le chef de la manœuvre se révéla être l'homme du rocher. Il fit ramasser les épées, les flèches, les arcs mais laisser les piques trop grandes. Les deux combattants survivants qui tenaient encore debout, étaient adossés à un arbre sous la garde de deux soldats. L'un se tenait le bras, l'autre semblait indemne. Névtelen toujours suivi de près par un soldat se vit délester de son arme et de son couteau. Il détourna quand il vit les soldats achever les blessés qui ne pourraient pas marcher. Bientôt il ne resta que des morts allongés par terre. Les deux survivants furent entravés et poussés pour avancer. Névtelen fut aussi poussé. Les hommes se séparèrent de nouveau en plusieurs groupes. Névtelen se retrouva à marcher non loin des survivants. Ils s'enfoncèrent dans un hallier. Il remarqua que les deux derniers effaçaient les traces. Ils marchèrent un long moment. Ils atteignirent une barre rocheuse assez haute. Ils la longèrent vers le soleil couchant. Marchant la lumière dans les yeux, ils atteignirent une entrée de grotte et s'y engagèrent. Ils allumèrent des torches et s'enfoncèrent dans des couloirs sombres et tortueux. Derrière eux, la nuit tombait.
Névtelen se posa la question de sa survie. Les trois hommes furent conduits dans une grande grotte. La lumière venait de quelques torches et d'un feu qui flambait contre une paroi. Dans les ombres changeantes, Névtelen avait du mal à repérer ceux qu'il avait déjà vus. Les prisonniers furent conduits dans un coin. On les fit asseoir. L'homme qui l'accompagnait, lui tapa sur l'épaule et lui fit signe de le suivre. Il fut conduit près du feu. Un guerrier petit et au visage rond étudiait une écorce sur laquelle étaient tracés des dessins. Sans lever la tête, il prit la parole :
- On t'a trouvé sur notre territoire. Que viens-tu y faire ?
Névtelen écouta l'accent lui rappeler quelque chose, mais quoi ?
- J'essaye simplement d'éviter les combats.
- Tu sais qu'il y a beaucoup d'espions aussi.
L'homme releva le visage. Il avait les yeux un peu plissés, pourtant la lumière n'était pas très forte.
- Amenez une torche !
Un homme se précipita et rapporta de la lumière. Celui qui donnait les ordres mit la torche près du visage de Névtelen.
- Tu n'es pas de cette région ! D'où viens-tu ?
- Je ne suis qu'un forgeron itinérant qui fuit la guerre. J'ai entendu parler d'une vallée plus loin dans la montagne où la guerre serait absente.
- Il avait ça ! dit un guerrier en tendant son marteau et son couteau.
Le chef sursauta en voyant les objets.
- Le couteau est Izuus et je n'ai jamais vu de forgeron avec une telle arme.
- Je forge avec. Et oui, le couteau est Izuus, j'ai travaillé chez eux.
- Tu reconnais que tu viens de là-bas.
- Je ne suis pas Izuus, ni attaché aux Izuus. J'ai travaillé pour ceux qui me payent.
Le chef manipulait le marteau.
- Qu'on le conduise à la forge et qu'il répare ce qui doit être réparé.
Se tournant vers Névtelen, il ajouta :
- J'espère pour toi que tu es ce que tu dis.
Un soldat lui tapa sur l'épaule et lui fit signe de le suivre. Le chef lui remit le marteau mais garda le couteau. Névtelen vit qu'on amenait les prisonniers. Ils sortirent de la grotte par un couloir qui semblait s'enfoncer dans le cœur de la montagne. Ils marchèrent un bon moment.
- Pour qui vous battez-vous ? demanda Névtelen.
- Virnita se bat pour nous et les nôtres. Mais tu sauras si tu es ce que tu dis.
Névtelen n'osa pas insister. Il venait d'apprendre le nom de celui qui dirigeait et a priori il n'était ni pour Saraya, ni pour Altalanos. Il n'alla pas plus loin dans ses réflexions. Ils venaient d'entrer dans une grande salle ouverte sur l'extérieur. Un feu y ronflait, alimenté par des hommes à moitié nus. Dans un coin une pierre servait à marteler le métal. Il y avait là nombre d'armes abîmées qu'un forgeron martelait avec force. Névtelen fut révulsé par la manière dont il frappait le métal. C'était puissant mais inefficace. Il prit le marteau des mains du soldat :
- Donne, il fait n'importe quoi !
Névtelen s'approcha de l'homme qui frappait le métal. Sa carrure était deux fois la sienne. Névtelen vit qu'il frappait un métal trop froid. Par contre, il admira la pierre dont la surface lisse traduisait le long usage. Elle devait contenir beaucoup de métal pour avoir cette couleur et ne pas se briser sous les coups redoublés de celui qui martyrisait le métal. Il regarda une des armes supposées prêtes à l'usage. Il la remit au feu. La noria des porteurs de combustible s'arrêta. Le forgeron tout à son martèlement semblait ne rien entendre. Névtelen parla au feu. Celui-ci sembla se mettre à danser. La chaleur augmenta brusquement dans cet abri sous la roche. Le marteleur s'arrêta, portant un regard mauvais vers le feu :
- Mais qu'est- ce que vous f...
Il s'arrêta brutalement en voyant Névtelen. Il le regarda, regarda le feu, regarda de nouveau Névtelen qui avait le marteau à la main et qui tenait l'épée au feu avec une pince.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce b...
Névtelen l'interrompit en sortant la lame du feu, il la posa avec dextérité sur la pierre-métal. Il frappa à petits coups secs et précis, reprenant le fil de l'épée. Il la remit au feu et recommença. Tout le monde autour s'était arrêté pour le voir faire. Pour finir il trempa la lame encore rouge dans le bac d'eau de la source.
Le forgeron s'approcha, lui prit la lame, la regarda attentivement. Il se retourna vers Névtelen.
- Virnita nous a trouvé un maître forgeron. Je savais qu'il existait des gens comme toi, mon maître m'en a parlé mais jamais je ne pensais en rencontrer un de mon vivant.
Se tournant vers le soldat qui avait amené Névtelen, il lui dit :
- Va remercier Virnita. Je vois encore là qu'il prend soin des nôtres.

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