jeudi 28 novembre 2013

- Elle n'aurait pas dû...
Lyanne regarda la fille de la Solvette qui parlait.
- … On ne viole pas les lois de la nature sans en payer les conséquences. Elle a beaucoup souffert.
Sa voix était chargée d'émotions. Lyanne était venu la voir en sortant des grottes à machpes. Il avait attendu que la Solvette s'éteigne pour faire ce qu'il avait à faire. Quand il avait quitté la salle, un catafalque de glace trônait au milieu, à son sommet deux épées entrelacées.
- Le Dieu-Dragon sait ce qu'elle a fait et pourquoi elle l'a fait. Quiloma sans elle aurait-il pris la bonne décision ?
Sabda leva un regard interrogateur vers lui :
- Et alors ?
- Le Dieu-Dragon a décidé de les protéger. J'ai fait pour eux un simalbaba.
- Un simalbaba ! Ta puissance est grande. 
- Elle est en moi. Si je l'ai reçue, j'en ignore la raison. Je dois vivre avec. Ce n'est pas un choix.
- Tu pourrais la refuser.
- C'est impossible, la refuser revient à me refuser à moi-même.
Lyanne se rapprocha de Sabda :
- Je vais partir.
Elle tourna son regard vers lui.
- Le royaume t'attend ?
- Ta mère avant de fermer les yeux m'a dit que ce qui me manquait n'était pas dans les montagnes.
- Mais tu as tout !
- C'est ce que tout le monde croit. Moi aussi je le croyais jusqu'à ce qu'une princesse me démontre le contraire.
Sabda lui sourit :
- Alors tu es beaucoup plus normal que je le pensais. Peut-être...
- C'est impossible, dit Lyanne en lui coupant la parole. Si je commettais une erreur, ce serait la mort. La puissance peut détruire même sans le vouloir.
Sabda le regarda gravement :
- Viens par là !
Elle lui prit la main et le conduisit dans une des alcôves. Elle s'assit, l'invitant à faire de même.
- Ma mère sentait mieux que moi les choses et les êtres. J'ai besoin de supports.
Sabda jeta des osselets sur le sol. Elle les regarda avec attention. Au moment où Lyanne allait perdre patience et prendre la parole, Sabda ouvrit la bouche :
- Longue et hasardeuse est ta route. J'y vois aussi de la violence. Tant de choses semblent liées à ta présence... Tu as laissé des objets de pouvoir. Ils ont un rôle à jouer dans ton avenir.
Brusquement un jako tira la tenture et sauta au milieu d'eux bousculant les osselets. Sabda lui sourit et le prit contre elle.
- La nature ne veut pas que tu en saches plus. Je ne relancerai pas pour toi.
Lyanne plongea ses yeux d'or dans le regard de Sabda. Elle était bien la fille de sa mère !
- Tu es chère à mes yeux et à mon cœur. Même si je suis loin, je penserai à toi. Mais il me faut partir, ton oracle me le confirme.
Ils se levèrent. Elle lui prit la main et la mit sur son cœur.
- Il battra pour toi, même si je sais que tu ne seras jamais mon compagnon.
Lyanne doucement souleva sa main entraînant celle de Sabda qu'il embrassa.
- Si cela avait été possible, nous aurions eu la plus belle fille du monde.
Sabda eut un sourire triste. Lyanne lui toucha la joue :
- Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille, Sabda.
- Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille, roi-dragon !
Ayant dit cela, elle se jeta à son cou, l'embrassa avec fougue et s'enfuit le laissant abasourdi. Lyanne l'entendit pleurer derrière la tenture. Il baissa la tête et se dirigea vers la porte.

jeudi 21 novembre 2013

Lyanne souriait tout en volant en pensant à la tête de Akto quand il lui avait expliqué. Il l'entendait encore :.
- Non, c'est pas possible ! C'est pas possible !
Seul Nyagorot était heureux. Lyanne avait dû convaincre les autres ou leur imposer. Le prince-majeur Akto allait gouverner pendant son absence. Le serment qu'il avait prêté dans le monde clos dont Lyanne l'avait sorti, le liait puissamment à Lyanne. Pire que la mort le guettait s'il se reniait.
Le vent lui était favorable. Sioultac le poussait. Même si les nuages l'accompagnaient, il était heureux de repartir vers la ville. Dans son esprit, ce village continuait à s'appeler la ville. Il savait que la paix y régnait. Une paix relative. Sstanch lui avait fait part lors de ces rapports à travers le bâton de pouvoir, de quelques incidents avec les armées de la plaine. Les chevaliers de Flamtimo avaient réglé le problème. Il se doutait qu'ils n'avaient pas fait dans le délicat. Ses pensées glissèrent vers la guerre des généraux. Où en étaient-ils. Est-ce que cela viendrait jusqu'à Tichcou ? Avant son départ, avec Akto et Nyagorot, ils avaient décidé de renforcer la présence des guerriers blancs dans la ville. Quiloma était prince-neuvième et pouvait gérer plus de troupes. La région pouvait supporter de nourrir plus de monde maintenant que Tichcou était rattachée au pays blanc.
C'est en pensant à tout cela qu'il passa le col de l'homme mort.
Le froid s'était déjà installé. La neige recouvrait tout le haut pays. Plus bas il voyait encore les forêts habillées de vert et de roux. À l'agitation dans la ville, il sut qu'il avait été repéré. Il se laissa porter jusqu'à Montaggone qu'il survola. Son inquiétude grandissait au fur et à mesure qu'il approchait.  C'est là que l'équilibre était rompu.
Quand il se posa Qunienka arriva en courant. Lyanne avait repris sa forme humaine.
Il mit genou à terre, le poing fermé sur le cœur, inclinant la tête :
- Si nous avions su, Majesté, nous aurions préparé une réception.
- Je te crois. Pourtant je suis dans l'ignorance de ce qui est arrivé.
Qunienka s'empourpra.
- J'allais faire mon rapport, Majesté.
- Parle !
- Le prince neuvième a disparu.
Lyanne encaissa le choc.
- Rentrons et tu m'expliqueras.
Tout le monde arrivait pour le saluer. Lyanne dut faire un effort pour ne pas les bousculer. Il remarqua l'absence de la Solvette et de sa fille. Il fit un signe à Qunienka qui ouvrit la marche vers Montaggone. Les guerriers souriaient de le voir mais les gens de la ville manifestaient bruyamment le plaisir de le voir. Leur montée dura plus longtemps qu'il n'aurait souhaité. Il arriva enfin à la porte du fort et alla directement vers les bâtiments réservés aux princes. Qunienka l'y attendait. Il le fit entrer, lui proposa un siège et commença son rapport :
- Cela fait deux jours, Majesté que nous avons constaté la disparition du prince Quiloma...
Lyanne nota dans la voix de Qunienka toute la peine que lui provoquait cette disparition.
- … nous le pensions chez la Solvette, mais elle aussi a disparu. Quand nous sommes arrivés devant chez elle, c'est la petite Solvette qui a ouvert. Elle nous a simplement dit que sa mère était partie. C'est elle qui maintenant officie comme marabout. Quand je lui ai demandé où, elle m'a souri tristement et a refermé la porte. Connaissant votre volonté de la protéger, je n'ai pas insisté. Des patrouilles sont parties dans toutes les directions, mais la neige est tombée et a effacé les traces.
Lyanne fronça les sourcils. Cela ne lui disait rien qui vaille.
- Je vais aller voir Sabda, dit-il.
Lyanne descendit jusqu'à la maison de la Solvette. Il frappa et entra. Sabda préparait quelque chose sur le feu. À l'odeur, Lyanne pensa à une potion.
- Bonjour Sabda.
- Bonjour Tandrag.
- Que prépares-tu ?
- Avec le froid, les fièvres vont arriver. Cette potion les calmera.
- Tu sais pourquoi je suis venu.
- Je m'en doute. Je ne vais pas pouvoir te répondre.
- Je sais que tu ignores beaucoup de choses, mais ce que tu sais m’intéresse. Quiloma est parti, la Solvette aussi. Ils sont ensemble. Pour moi c'est évident. La question est : où sont-ils ?
- Ça, je ne le sais pas. J'ai senti ma mère préparer son départ depuis quelques temps.
- Quand sont-ils partis ?
- Il y a trois jours, juste avant la neige.
- Trois jours ! Ta mère ne marche pas vite. Les patrouilles n'ont rien trouvé.
- Quiloma sait ce qu'il doit faire pour échapper à ceux qui le chercheraient.
- Alors, ils ont décidé de fuir, mais fuir quoi ?
- Je pense que Quiloma est parti pour son dernier combat.
Lyanne sursauta :
- Son dernier combat ?
- Ma mère ne m'a rien dit. J'ai senti la santé de Quiloma décliner. Tu le connais. Il ne veut pas mourir dans son lit.
- C'est aussi grave que cela ?
- Plus que cela ! Il souffre beaucoup et ne veut pas qu'on le voit. Il est parti avant que le bruit de sa déchéance ne se répande.
Lyanne soupira. Il ne s'attendait pas à cela.
- Et ta mère ?
- Pour elle la vie aussi s'en va. Elle a plus de saisons que beaucoup. Elle a attendu longtemps avant d'avoir une fille pour lui succéder. Sans l'arrivée de Quiloma, elle n'aurait pas eu d'enfant et la ville serait sans marabout. Depuis des lunes, elle soigne mon père et refuse de se laisser aller. Elle a utilisé toute sa science pour reculer sa propre échéance.
- Et tu es restée ?
- Elle a choisi. Je lui ai fait mes adieux. C'est la vie.
Sabda continuait à remuer sa potion d'un air fataliste.
- Pour moi, c'est inacceptable ! Le prince Quiloma mérite qu'on lui rende hommage. Sans lui, je ne serais pas ici.
Lyanne ressentait de la colère. Quiloma avait été son maître. Il ne pouvait pas partir comme cela sans rien dire.
- Je vais aller à leur recherche !
- Ma mère a prévu cela. Elle m'a dit que si tu revenais trop tôt, tu n'accepterais pas...
L'émotion envahissait Lyanne, comme une envie de pleurer. Il se revoyait enfant ici, dans cette ville qui lui semblait très grande avec ces gens qu'il admirait. Cela ne pouvait pas finir comme cela.
- Elle m'a dit : « Tu lui diras que c'est mieux comme cela. Nous avons bien vécu. Nous avons été heureux et nous avons fait ce qui devait être fait pour ce monde. Qui peut en dire autant ? ».
Lyanne reconnut la sagesse de la Solvette.
- Elle a raison. Pourtant je ferai ce que j'ai dit. Ils ont encore un rôle à jouer.
- NON !, s'emporta Sabda. Elle ne veut pas. Et je ne veux pas ! Tu vas leur faire du mal.
- Peut-être, Sabda, peut-être, mais j'ai besoin de leur faire mes adieux.
Sans attendre de réponse, il sortit. Une escorte l'attendait. Il leur donna l'ordre de rentrer à Montaggone. Sans leur laisser le temps de réagir, il prit sa forme de dragon et décolla.
Où pouvaient-ils être ? Qunienka n'avait rien appris des patrouilles. Lyanne en avait conclu que Quiloma avait soigneusement évité les points de passage habituels ou même inhabituels. Vu de haut, tout était blanc sauf vers Tichcou. Seul le ciel était noir. Avec le vent qui soufflait, Lyanne estima qu'il n'avait que jusqu'à la fin de la journée avant que la tempête n'arrive. Avec elle, Sioultac envoyait sa première émissaire. Cotban reculerait jusqu'aux vallées en bas. Le pays serait alors coupé du reste du monde pendant longtemps. Il se mit à faire de grands cercles dans le ciel en élargissant le champ de ses perceptions. De ses yeux d'or, il scruta le sol. Les traces des uns et des autres lui apparurent. Tout autour de la ville, il y avait une multitude de marques se recouvrant les unes les autres, les rendant ininterprétables. Plus loin, il y avait celles des patrouilles partant en étoile et explorant toute la région. Il vit une autre piste. Elle était solitaire. Il la suivit des yeux. Au bout, il découvrit un habitant bûcheronnant. Ses cercles s’agrandirent sans rien trouver de plus intéressant. Décidément Quiloma avait fait très fort. Où pouvait-il bien se cacher ? En trois jours, s'il était aussi fatigué que le laissait entendre Sabda, ils n'avaient pas pu aller bien loin. Quand la lumière baissa, Lyanne fit demi-tour. Il avait sûrement raté quelque chose, mais il ne savait pas où. Le vent soufflait maintenant en rafales qui gênèrent son atterrissage. Des flocons épars ne tarderaient pas à  devenir plus nombreux. Combien allait-il tomber de neige cette nuit ? Demain, il ne pourrait pas voler. Avec ce qu'il préparait dans le ciel, Sioultac allait les tenir éveillés un bon moment. Il rentra vers la ville la tête basse, réfléchissant sans vraiment réfléchir. Dans sa tête, il y avait la déception et de l'amertume, et puis la blessure à son amour-propre de ne pas avoir découvert les traces de Quiloma et de la Solvette. Il s'arrêta chez Sabda pour lui dire son échec. Elle en fut soulagé.
Quand il repartit, Lyanne se sentait plus Tandrag que dragon. Il fit un détour par chez Kalgar, mais la forge était déjà calfeutrée pour faire face à la tempête qui s'annonçait. Là aussi, ce fut une déception. Une partie de lui avait besoin d'être consolée. Il reprit ses déambulations dans la ville sans rencontrer personne. Tout le monde avait senti venir la violence de Sioultac et s'était calfeutré. Il était seul dans ces rues désertes et noires. Il passa devant la maison Andrysio. On entendait les chants de l'office. Kyll ! Son image s'imposa à son esprit. Peut-être que Kyll pouvait trouver où était parti Quiloma ! Il poussa la porte.
Le sorcier qui gardait la porte ne réagit pas tout de suite. Lyanne pensa : « Soit il dort, soit il médite ! ». il toussota. L'homme jeta un regard éteint vers lui.
- C'est pourquoi ?
- Je viens voir Kyll.
- Le Maître-Sorcier ne reçoit plus à cette heure. Revenez demain.
Ayant dit cela le sorcier portier se rencogna dans son coin. Lyanne eut envie de rire. Il le toucha de son bâton de pouvoir. L'homme ouvrit un œil et sauta sur ses pieds quand il se vit entouré de lueurs orangées.
- Au feu ! AU FEU !
Ses cris firent sortir d'autres sorciers qui jetèrent des regards apeurés jusqu'à ce qu'un d'eux crie :
- Le Roi-dragon !
Les cris stoppèrent. Un des sorciers présents courut vers une porte au fond et disparut. Le sorcier portier regardait autour de lui semblant tout étonné de ne plus voir de flammes, et puis ce fut comme si une lueur de compréhension traversait son esprit. Il leva les yeux sur Lyanne et brusquement se mit à genoux en disant :
- Majesté !
Lyanne allait le faire se relever quand la porte du fond s'ouvrit sur un homme qui avançait d'un pas décidé. Il reconnut Kyll. Tous baissèrent encore plus la tête.    
- Majesté, c'est un honneur pour nous. Voulez-vous assister à la fin de la cérémonie du soir ? Nous pourrons parler après.
Lyanne fit un signe d'approbation de la tête et Kyll l’emmena dans le temple. Dans ce qui fut une grange, le chœur des sorciers chantait un mantra. Le retour de Kyll sembla être le signe de la reprise de la cérémonie. Le chant changea. Kyll fit signe à Lyanne qui prit place à côté de lui. L'atmosphère était surchargé de l'odeur entêtante de cette herbe dont il ne se souvenait plus du nom. Derrière Kyll, il remarqua une silhouette dans la pénombre qui tournait sur elle-même. Il pensa que le sorcier dansait quand il vit que les pieds de ce dernier ne touchaient pas terre. Son regard absent, ses bras étendus donnaient un spectacle curieux. Les autres ne semblaient pas intrigués. Lyanne en conclut que cela devait être habituel. Le chant diminua pour renaître sous l'impulsion de Kyll, plus grave, plus rythmé. Le roi-dragon sentit la pulsation le traverser. Il reconnaissait ce chant même s'il ne l'avait jamais entendu. Il parlait la langue des dragons. Son cœur se mit à battre au rythme des tambours. Il senti son corps de dragon vouloir être présent ici, maintenant, tout de suite. Il choisit une taille adapté à la salle. Il n'y eut pas de cris de surprise quand il se changea, simplement le chant prit de l'ampleur. Capable de voir plus que la réalité des hommes, il vit arriver les esprits des animaux et des arbres, plantes et tout ce qui pousse. Le monde autour de lui se peuplait de formes et de présences. Le sorcier tournoyant qui se nommait Tasmi les regardait tous avec un regard de feu. Lyanne comprit que ce sorcier voyait aussi ce qu'il voyait. Puis la salle fut encore plus remplie quand arrivèrent l'esprit de la montagne et ceux des autres lieux. Tout ce monde dansait au rythme des tambours qui parlaient la langue des dragons. Il était le roi-dragon. Il était le dragon-roi. Il était le dragon et l'avatar du Dieu Dragon. Il était.
Sur un dernier coup de tambour tout se figea. Lui seul semblait pouvoir bouger. Il fut étonné. Il se déplaça doucement contemplant le monde figé. L'esprit de la montagne était là non loin, porteur d'une petite flamme. L'esprit des animaux volants était suspendu dans les airs. Il vit même l'esprit des crammplacs poilus. Lyanne se promena au milieu des esprits immobiles comme on se promène dans une forêt en évitant les arbres. Il vit que le litmel était son propre avatar. Il vit même l'esprit des machpes qui brillait doucement. Des souvenirs lui revirent en mémoire. Il continua à se déplacer, s'étonnant de ne pas trouver de représentant des hommes. Mais peut-être que Tasmi était comme lui ou le litmel son propre avatar.
Il y eut un coup de tambour puis un deuxième comme un écho. Ce fut comme un dialogue de battements. Lyanne y entendit deux cœurs qui pulsaient en s'accordant l'un à l'autre au fur et à mesure que le temps passait.
Doucement la voix du chœur des sorciers se mêla aux sons des tambours. Il y eut comme un appel à revenir et Lyanne vit tous les esprits perdre leur consistance. Lentement, comme à regret, ils s’effaçaient. Bientôt, il ne resta plus que les sorciers et Lyanne. Il reprit sa forme humaine. Kyll s'approcha de lui, Tasmi le suivait. 
- Ta venue... Votre venue, Majesté, a été source d'une grande cérémonie. Tous les esprits sont venus vous saluer.
- Là où est la lumière, là est ce que tu cherches.
Lyanne regarda Tasmi qui venait de parler. Il avait le regard fou semblant ne voir personne. Il se tourna vers Kyll :
- Que dit ton disciple ?
- Le sorcier Tasmi est un grand voyant, qui reste toujours un peu accroché au monde des esprits, mais je confirme ce qu'il a dit. Ce que tu cherches est là où est la lumière.
Tout en parlant, ils étaient arrivés près d'une porte que Kyll ouvrit. Des serviteurs s'affairaient à préparer une table.
- Puis-je vous inviter, Majesté ?
Lyanne ne se sentait pas de refuser. Ils s'assirent de part et d'autre de la table qu'on avait dressée. Tasmi s'installa derrière Kyll et s'immobilisa.
- Est-il toujours comme cela ? demanda Lyanne.
- Oui, répondit Kyll. D'habitude, il épaule mon second, le sorcier Natckin, mais ce dernier est en mission à Tichcou. Nous avions senti votre arrivée, et le besoin que vous auriez de nous. Tasmi est toujours l'homme de la situation. Ces visions ont toujours été très ajustées.
Lyanne demanda des explications, mais les sorciers ne semblaient pas en savoir plus que ce qu'ils avaient dit. L’interprétation finale appartenait à Lyanne et lui seul pouvait la donner. La cérémonie était une porte ouverte sur une autre chose. Être homme-dragon avait un avantage dans ces cas-là puisque les dragons sont naturellement en phase avec ces mondes. Ils parlèrent aussi de la ville, de ce qui s'y passait, de Tichcou, de l’implantation d'un autre temple là-bas, du prince-roi de Flamtimo qui voulait à toutes fins, démolir la ville pour en faire une ville de palais. Lyanne écouta plus qu'il ne parla. Ses pensées revenaient sans cesse sur Quiloma et la Solvette et sur le mystère des paroles dites. La nuit était avancée quand il quitta les sorciers. Dans son esprit, il avait comme le début d'une idée. Il fallait qu'il y réfléchisse. 
Dans la ville endormie, il déambulait. Il en ressentait le climat de paix qui tranchait avec ses souvenirs. Il n'y avait pas de patrouille, pas d'ombres furtives de ceux qui se déplaçaient quand même. Cela, la ville lui devait. Ses pas le conduisirent vers son ancienne maison. Il passa devant, se demandant ce qu'était devenu Abci, le petit félin qui l'avait conduit parfois dans les dessous de la maison. Le vent forcissait maintenant, bientôt il  hurlerait dans les rues, projetant la neige avec violence. Il vit l'entrée des grottes à machpes. Il y pénétra. Comme toujours dans un coin protégé, brûlait un feu à côté d'une réserve de torches. Que lui avait dit Tasmi ? Là où est la lumière... Il se rappela aussi ce qu'il avait vu dans la cérémonie. Seul l'esprit de la montagne et l'esprit des machpes portaient des lueurs. Il sourit. Ce serait bien en accord avec ce vieux renard de Quiloma. Faire croire à son départ pour le lointain, alors qu'il se cachait à deux pas. Accordant sa vue au noir des tunnels, Lyanne entama sa progression. Les grottes à machpes formaient un ensemble complexe s'étendant sur des distances considérables et sur plusieurs niveaux. Personne n'avait jamais exploré tout cet ensemble. Si la plupart le pensait naturel, quelques uns disaient qu'il avait été creusé par les dieux à une lointaine époque. Lyanne se dirigea vers l'entrée la plus proche de la maison de la Solvette. Ses yeux d'or scrutaient le noir à la recherche des signes du passage de Quiloma ou de la Solvette. Les dragons sont les seuls capables de suivre des traces quasi effacées. Ce fut la subtilité d'un parfum qui le mit sur la piste. Il lui évoqua le feu dans la cheminée et une silhouette penchée sur ce qui mijotait. Il était alors enfant et allait chercher un remède que lui avait demandé Sealminc. Il avança dans le couloir et arriva à un carrefour. Il essaya d'un côté puis de l'autre. Il choisit celui qui lui donnait l'impression la plus forte. Cette senteur était au milieu d'un mélange issu de toutes celles laissées par les utilisateurs de ce boyau. Il continua, s'enfonçant dans le cœur de la montagne. Il ne connaissait pas le secteur où il était. Les grottes sentaient fort les machpes qu'on a semées. Il ne savait pas à quelle maison appartenait ce lieu. Il était manifestement bien tenu. Les couloirs étaient propres. Il arriva dans une dernière salle. Il jeta un regard circulaire. Il était dans un cul de sac. Ce n'était pas possible. L'odeur était là. Il en suivit les effluves. Il arriva près d'un puits. Au fond, de l'eau miroitait.
Un instant déstabilisé, Lyanne se pencha. Il entendit le clapotis de l'eau. Ce n'était pas un puits mais le lit d'un ruisseau souterrain. Et puis... et puis... il y avait indiscutablement cette odeur qui ne pouvait être que celle de Quiloma. Il sourit. Le vieux renard avait trouvé un improbable chemin pour semer ses éventuels poursuivants. À part lui, personne n'aurait pu suivre cette trace. Il examina les parois. Cela n'avait pas dû être facile de descendre par là. Il devint dragon, petit dragon et se mit à voler dans le conduit vertical. Quand il atteignit le niveau de l'eau, il découvrit une galerie basse qui s'enfonçait horizontalement vers le cœur de la montagne. Il continua sa progression. Son vol était silencieux. Il pensa à la Solvette et à Quiloma qui avaient probablement pataugé dans l'eau pour avancer. À un endroit, il fut obligé de plonger sous l'eau puisque la roche touchait par endroits la surface. Elle était froide. Il s'imprégna de sa réalité. Elle était vieille et parlait des hauts glaciers là-bas au loin. Il émergea assez longtemps après, autre épreuve pour les fuyards. Mais que fuyaient-ils ainsi pour emprunter des chemins aussi difficiles ? Le ruisseau le quitta brusquement. Il étendit les ailes en se sentant ainsi projeté. Faisant demi-tour, il regarda la cascade. Si l'eau tombait avec bruit, ce qu'elle transportait se retrouvait projeté plus loin. Il descendit en vol plané jusqu'au sol. Là un ensemble hétéroclite d'objets prouvait  qu'un sac avait explosé en atterrissant. Il y reconnu les affaires de la Solvette. Le long de la cascade, il trouva les restes d'une corde. Le tunnel s'enfonçait se séparant en deux, si l'eau plongeait vers les profondeurs du massif, une galerie semblait plus horizontale. Ils l'avaient suivie. Lyanne fit de même. Après un tournant, une vague lueur apparut. Le cœur de Lyanne qui avait repris forme humaine, se mit à battre plus fort. Il découvrit une salle plus grande aux murs couverts de mousse phosphorescente. Le sol en était très inégal. Les traces étaient plus précises. Il fut déçu de ne pas les voir. Un nouveau couloir permettait de continuer à progresser. Il l'emprunta. La luminosité baissa brusquement avec la fin du champ de mousse. Il entendit alors comme une voix qui chuchotait. Il fit un pas et glissa. De nouveau, il se transforma en dragon déployant ses ailes dans le noir. Il regarda derrière lui. Après une petite marche, un long plan incliné presque vertical représentait un terrible piège. En bas il repéra deux silhouettes. Il descendit en spirale. La voix s'était tue. En approchant, il vit que la Solvette le regardait. Elle était à genoux, tenant la tête de Quiloma entre ses mains. Il prit de l'ampleur et se posa non loin.
- Ainsi, tu nous as trouvés.
Lyanne, ayant repris sa forme d'homme s'approcha et regarda autour de lui. Les affaires étaient éparpillées autour d'eux. Quiloma était en tenue de combat avec ses deux épées. Il respirait difficilement, allongé sur le dos, les yeux fermés.
- Oui, répondit-il.
Plantant son bâton de pouvoir, il le fit luire. La Solvette avait les yeux pleins de larmes. Autour d'eux, il sentit les présences de nombreux esprits.    
- Vous avez été très loin, reprit Lyanne.
- Je ne pouvais pas le laisser comme cela, dit la Solvette. Il souffrait trop. Il a toujours souhaité mourir au service du royaume. Quand il a vu que tu étais arrivé, il a compris que sa mort serait sûrement sans honneur. Quand il a senti arriver le moment, il a décidé de disparaître.
- Le chemin pour arriver ici est bien difficile.
- Il a glissé en passant le seuil, là-haut. La rivière l'a épuisé.
- Vous aussi, votre chemin est difficile. Vous avez utilisé vos pouvoirs comme il est interdit de le faire.
La Solvette baissa la tête. Elle resta un moment sans rien dire. Puis presque comme si elle défiait Lyanne, elle le regarda avec des yeux flamboyants.
- Je ne pouvais pas partir avant lui. Il avait trop besoin de moi. J'ai fait ce que je devais faire.
- Oui, mais vous avez utilisé vos pouvoirs pour reculer votre mort. Les esprits sont en colère.
- Je sais, roi-dragon. J'ai choisi et j'assumerai mes choix.
Quiloma gémit.
- Il n'entend plus. Quelque chose s'est brisé en lui quand il est tombé. Sa tête a     heurté les pierres. Il ne se réveillera plus.
- Je sais la Solvette. Je vais faire de la chaleur pour lui.
Lyanne se leva. Il tourna sur lui-même.
- Les esprits l'attendent avec beaucoup d'impatience, dit-il.
Le regard de la Solvette se voila en attendant les paroles de Lyanne :
- Il n'a rien fait, cria-t-elle.
- Les esprits l'accusent d'être l'origine de vos faits et gestes. Ils veulent une réparation.
Lyanne prit une pierre en main. Quand il la reposa, elle irradiait de chaleur. Il fit de même avec d'autres. La Solvette avait repris son monologue pour Quiloma quand ce dernier avait gémi à nouveau. Quand il se calma au son de sa voix, elle se retourna vers Lyanne :
- Je ne peux que lui parler, j'ai perdu l'indispensable après la cascade.
Lyanne revit l'image des affaires éparpillées qu'il avait découvertes plus haut.
- Alors, manque aussi ce qui est nécessaire pour prolonger votre vie !
Ce n'était pas une question. Lyanne venait de comprendre la situation. Depuis des lunes la Solvette retardait sa mort de tout son savoir pour accompagner Quiloma malade. Elle l'avait suivi jusqu'ici pour lui donner la fin qu'il souhaitait. En faisant cela, elle avait transgressé les lois des marabouts. Maintenant était venu le temps de la fin. Quiloma trop épuisé, avait fait une chute dont il ne se relèverait pas et la Solvette allait manquer de ses drogues qui prolongeaient artificiellement sa vie.
- Vos pouvoirs sont grands maintenant. Ne pouvez-vous rien faire ?
- Mes devoirs aussi. L'équilibre du monde doit être respecté. Quiloma est au bout de son chemin, vous aussi. Je vais soulager sa douleur, mais il partira.
- Et les esprits ? Il n'a rien fait, je suis la seule coupable !
- Est-on coupable quand on aime ?
- Vous sentez comme moi la pression des esprits. Faut-il que je meure avant lui pour qu'ils le laissent ?  Faut-il... ?
La Solvette laissa sa phrase en suspens. Lyanne aussi tourna la tête. Une nouvelle présence venait d'arriver, puissante, immense. Le roi-dragon mit genoux à terre. Toute la grotte fut illuminée.
- Qu'est-ce … ? balbutia la Solvette.
Cela ne dura qu'un instant puis doucement la lumière diminua. Quiloma ne gémissait plus. 
La Solvette se pencha sur lui, l'embrassa tout en pleurant.
Lyanne se releva :
- Le Dieu-Dragon a repoussé les esprits pour un temps par sa venue. Il a honoré le prince Quiloma et a éclairé mon intelligence. Ce lieu est un lieu sacré.
Ayant dit cela, il se tut. Le silence les entourait. La Solvette pleurait simplement. Lyanne ressentait le chagrin de la perte, mais plus encore, la détresse de la Solvette le bouleversait. Le Dieu-Dragon sans prononcer un seul mot l'avait enseigné. Le prince Quiloma devait être honoré. Lyanne au bout d'un moment se leva. S'approchant du couple, il récupéra les deux épées de Quiloma. Il les entrelaça comme on entrelace des brindilles. Il regarda ce qu'il avait fait. C'était bon. Le simalbaba fait avec ces épées serait un puissant réceptacle pour la puissance du Dieu-Dragon. Planté au-dessus de Quiloma, il le protégerait de tout danger. Il regarda la Solvette. Elle n'était déjà plus de ce monde. Perdue dans son chagrin, le corps épuisé, elle allait s'éteindre comme s'éteignent les bougies. Lyanne avait intercédé pour elle. Le Dieu-Dragon avait entendu. Elle aussi méritait le repos et le calme. Le simalbaba protégerait les deux amants.
En pensant cela, la gorge de Lyanne se noua. Quiloma était mort, la Solvette allait le rejoindre. Il prenait conscience du rôle qu'ils avaient joué. Il leur devait beaucoup. S'asseyant non loin, il attendit.

jeudi 14 novembre 2013

- La tempête arrive, dit Akto en regardant par la fenêtre.
- Oui, dit Lyanne qui écoutait un rapport fait par un envoyé des lointaines contrées. La colère de Sioultac monte en ce moment.
Tout le monde avait pris l'habitude de voir le prince-majeur suivre le roi-dragon. Lyanne ne faisait rien pour le décourager. Akto le servait. Pour les autres, les choses étaient moins claires. Son statut faisait beaucoup parler dans le palais. Certains le disaient deuxième personnage du royaume. Ne l'avait-on pas vu conseiller le roi-dragon ? D'autres le pensaient esclave en punition de ce qu'il avait fait, d'ailleurs il remplissait des tâches habituellement réservées aux subalternes inférieurs. Seuls quelques uns savaient que Lyanne appréciait les qualités du prince-majeur. Dranne et Nyagorot en faisaient partie. Dranne qui avait connu Akto depuis son plus jeune âge, avait senti les changements opérés en lui. Il savait le serment prononcé et ce que cela entraînait. Nyagorot qui n'avait jamais douté des qualités du prince-majeur, était étonné que le roi-dragon ne s’appuie pas plus dessus. Il avait fait quelques remarques dans ce sens. Lyanne l'avait interrompu et lui avait donné l'ordre de ne pas insister.
Vrestre, lui, ne savait pas sur quel pied danser. Ce roi-dragon était trop mou. L'armée avait besoin de combats. La paix avec les Gowaï ne l'avait pas satisfait. Pire la cérémonie à laquelle il avait assistée, l'avait mis en rage. Comment pouvait-on s'abaisser à cela ? Chaque fois qu'il y pensait, il frissonnait de colère.
Quand le roi-dragon était revenu à la Blanche avec le Prince-majeur, tous les princes de haut rang avaient été convoqués. S'ils avaient tous remarqué les couleurs des écailles du dragon, devenues rouge sombre presque noires, ils n'avaient pas compris pourquoi ils leur fallait aller dans la plaine à la limite du territoire Gowaï. C'est en arrivant là-bas et en voyant les Gowaï qu'ils avaient compris.  Le roi-dragon s'était dépouillé de ces écailles abîmées pour les offrir aux émissaires du peuple Gowaï. Vrestre avait failli s'étrangler devant l'honneur fait à cette racaille juste bonne à être massacrée. Depuis il cherchait comment faire changer d'avis le roi-dragon, à moins qu'il ne disparaisse. Vrestre était un homme retors et prudent. Le retour du roi-dragon avait aussi été le signe d'une campagne de nettoyage. Tous ceux qui avaient trempé dans le complot de Jorohery, avaient été châtiés. Lui avait profité de la puissance du Bras du Prince-majeur pour prendre de l'ampleur mais avait réussi à ce que son nom ne soit jamais associé à celui de Jorohery. Aujourd'hui, il redoublait de prudence. Si ouvertement il défendait les options militaires, en secret et par personne interposée, il explorait les voies pour se débarrasser de Lyanne. Il avançait d'autant plus lentement que le roi-dragon avait fait devant lui une remarque ambiguë en forme d'avertissement. Bientôt aurait lieu un grand conseil. Il espérait en tirer des informations sur les liens entre les uns et les autres. Il adapterait alors sa stratégie.
Il n'oubliait qu'une chose : la clairvoyance de Lyanne. Le roi-dragon savait que le cœur de Vrestre était encore plus noir que celui de Yaé.
Lyanne écoutait à moitié l'envoyé des terres lointaines. Ce dernier venait assurer le roi-dragon de leur fidélité sans faille. Il s'était lancé dans un historique tout à leur gloire. Lyanne se remémora ce qu'il savait. Il avait vu beaucoup de choses dans les grottes lors de son initiation. Elles se mettaient en place au fur et à mesure qu'il en avait besoin. Les terres lointaines avaient été peuplées il y a bien longtemps par un roi-dragon qui avait fui une invasion. Pendant cette période Cotban avait pris beaucoup de puissance et avait fait reculer le froid. Un roi de la plaine avait alors tenté de conquérir le monde. Pendant plusieurs saisons, il avait remporté victoires sur victoires, jusqu'à cet hiver où la colère de Sioultac avait dépassé ses forces. C'est à partir de ces terres lointaines, au-delà du désert mouvant que le roi-dragon, Ufmal, avait reconquis le royaume.
Insidieusement, le sentiment prit naissance en lui. Il était mal à l'aise. L'envoyé pérorait, Akto était parti chercher à boire, les gardes ressemblaient à des statues. Tout semblait en place et pourtant une sorte de malaise s'insinua en lui. Quelque chose venait de bouger. Lyanne eut l'impression que tout l'équilibre du monde venait de changer. Il regarda autour de lui, sans voir d'anomalie. Il pensa que cela venait de plus loin. Tout en écoutant d'une oreille de plus en plus distraite cet ambassadeur débiter son discours, il laissa son esprit prendre son envol. Non décidément quelque chose n'allait pas. L'air de la Blanche avait subtilement changé. Il sentit une sorte de laisser-aller, tout en pensant que ce n'était pas le bon mot. Il trouva l'esprit de Yaé toujours aussi raide intérieurement, toujours aussi déterminé à chasser les derniers adeptes de Jorohery. Il sentit Vrestre occupé à penser à des manières de prendre le pouvoir. Au moins ceux-là n'avaient pas changé. Il écarta encore sa perception, trouva le peuple Gowaï. Le malaise en lui ne venait pas de chez eux. Cela lui sembla évident. Ils fêtaient encore l'arrivée des écailles rouges.
Serait-ce lui qui avait changé ? Rentrant en lui-même, il s'examina. Il se vit écoutant l'orateur qui en avait bientôt fini et à qui il allait devoir répondre. Ses deux esprits et ses deux corps étaient unis. Si le dragon qu'il était lui renvoyait une image sereine, il sentit le trouble dans l'humain...
- … C'est pourquoi je dépose à vos pieds, Majesté, ce présent qui, j'espère, vous agréera.
Lyanne se concentra sur le présent pour répondre. Il dit des phrases banales, de celles que tout le monde attend qui n'engagent à rien mais font plaisir. Il avait maintenant hâte de se retrouver seul pour analyser ce qu'il ressentait.
Il lui fallut attendre que la réception soit terminée pour pouvoir se retrouver seul. Enfin presque, Akto le suivait toujours. Ils montèrent sur la terrasse. Le vent était violent. S'il ne neigeait pas encore, Lyanne la sentait dans l'air. Si Akto se protégeait autant qu'il pouvait, Lyanne faisait face. Son bâton de pouvoir faisait comme un écran autour de lui, le vent l'évitait. Il fit le tour de la terrasse, s'arrêtant régulièrement pour sentir, ressentir. Il se retrouva poussé par la tempête contre le mur. En face de lui, les monts du chaud. Ils tenaient leur nom de leur rôle. Ils étaient le dernier rempart face aux attaques de Cotban. Lyanne s'immobilisa. Cela venait de par là. Sa mémoire de dragon évoqua l'Appel qui l'avait mis en marche. Là aussi, c'était comme un appel mais un appel intérieur. Là-bas quelque chose se passait. Quelque chose qui le touchait à distance. D'ici, il ne sentait pas bien ce qui se passait. Cela lui sembla évident : il fallait qu'il bouge. Il se retourna, regarda le prince-majeur qui souffrait du froid en silence. Il lui fit signe de rentrer. Après un dernier regard vers les monts du chaud, il fit de même.
- Es-tu toujours prêt à donner ta vie pour moi ? demanda-t-il à Akto.
Celui-ci s'arrêta, mis un genou à terre et le poing sur le cœur.
- Demandez, Majesté et j'obéirai.
- Bien, voilà ce que tu vas faire...

jeudi 7 novembre 2013

Yaé et Bouyalma se disputaient. La question était d'importance. Les deux phalanges revendiquaient le plus grand nombre d'ennemis tués. Quand Lyanne avait disparu, comme avalé par les ruines, ils n'avaient pas eu le temps de le chercher. Si l'attaque avait été brusque, les guerriers surentraînés de la phalange noire avaient sans problème repoussé les assaillants. La deuxième vague d'assaut avait tourné au désavantage des agresseurs. Cela avait quasiment été un massacre. Les disciples de Jorohery ne faisaient pas le poids devant la puissance de la phalange Louny. Quant à la troisième vague, elle avait essayé de déborder les défenses des deux phalanges sans avoir plus de succès que la deuxième. Des mains d'hommes poursuivaient les rares fuyards. Ceux qui espéraient rétablir « le vrai pouvoir », c'est-à-dire celui du Prince-Majeur selon Jorohery avaient mis toutes leurs forces dans cette action. Fanatisés, ou désespérés, ils savaient que leur choix était : « vaincre ou mourir ! ». Ils étaient morts, bien que plus nombreux. Sans cohésion suffisante et sans être capables de se battre à deux épées, ils avaient subi la loi des plus forts. Les guerriers blancs savaient se battre même la nuit. Yaé et Bouyalma se chamaillaient surtout pour le principe. Ils remontaient avec plusieurs mains d'hommes vers le sommet de la colline. Le soleil se levait. Les deux princes étaient inquiets pour leur roi. Ils l'avaient vu disparaître sans pouvoir le suivre. L'arrivée des ennemis les avaient empêchés de chercher ce qui s'était passé. Maintenant que la situation était bien en main, ils voulaient savoir. Ils investirent les ruines. Ils examinèrent la zone où était Lyanne quand il avait disparu. Effectivement, le mur était creusé comme si le vent avait érodé la pierre de manière irrégulière. Sans la lumière du soleil, le relief était minoré. Yaé passa ses mains dessus sans trouver ce que Lyanne avait compris. Bouyalma lui examinait le sol à la recherche d'indices. Il était tout aussi perplexe que Yaé. Les traces de pas semblaient disparaître dans le mur.
- Et si on démontait tout ça, dit Yaé en désignant les ruines.
Bouyalma se re.
- Je ne suis pas sûr que cela soit une solution. La magie affleure le sol. Je suis venu ici, il y a longtemps avec un marabout. Il m'a révélé que ces lieux avaient vu passer les dieux et qu'il existait des portes vers des mondes interdits aux hommes.
- Nous sommes sans pouvoir alors !
- Peut-être pas. Il avait un syrinyx à la main et il a fait un geste avec en le posant sur le mur. Essayons de trouver un serpent.
Yaé fit la moue. Non qu'il ait peur des syrinyx, mais le moyen lui semblait utopique. Pourraient-ils faire ce que Lyanne avait fait ? 
Pendant que des hommes rassemblaient les corps, les dépouillant de leurs armes et de tout ce qui pouvait servir ou donner des renseignements, d'autres cherchaient une cache de serpent. Sur cette colline minérale, l’œuvre était titanesque.
Le temps passa. Yaé s'impatientait. Le seul syrinyx qu'on lui avait ramené était mort. Plus le temps passait et plus il devenait partisan de s'attaquer aux murs à coups de pioche. Bouyalma imperturbable, continuait à sonder les trous. L'après-midi tirait à sa fin quand il ramena enfin le serpent qu'il recherchait. Il l'avait saisi avec une fourche et le maintenait à bonne distance.
- Dès que le soir arrivera, nous essayerons de trouver où il doit aller, dit-il en ramenant sa prise.
- Il va être en colère... Je viens de le relâcher.
Bouyalma se retourna pour voir qui parlait et sursauta en découvrant Lyanne. Il s'inclina, ainsi que tous les présents, tout en remarquant que, derrière le roi-dragon, se tenait un homme la tête basse, couvert du manteau de Lyanne. Bouyalma posa le serpent par terre qui siffla en se mettant en position d'attaque. Bouyalma recula vivement. Le syrinyx était capable d'attaques fulgurantes.
- Bon, ça suffit ! dit Lyanne, en s'adressant au reptile. Je t'ai rendu ta liberté. Maintenant va, sinon...
Comme s'il avait compris le serpent se remit à terre et se faufila dans un trou.
- Tu as été imprudent, Bouyalma. Le serpent est la clé du monde clos, mais un homme est sans pouvoir. Seuls les dieux et les hommes-dragons ont le pouvoir d'entrer et de sortir. Le dragon Nanter avait emporté le prince-majeur, le roi-dragon le ramène. Donne-lui des habits.
Se tournant vers le prince-noir, il lui dit :
- La force est une mauvaise solution ici. Tu aurais détruit cette partie du monde et toi avec. Maintenant nous allons retourner à La Blanche. Reste-t-il des hommes de Jorohery ou les as-tu tous tués ?
Genou à terre, tête penché, Yaé répondit :
- Les forces du mal étaient présentes. Je les connais bien. Je craignais pour votre sécurité.
- Tu as raison, Prince Yaé. J'ai souffert et j'ai appris. Si je détiens le pouvoir, je suis un simple dépositaire. Maintenant réponds à ma question.
- Certains attendent la mort. Les autres ont été achevés.
- Bien. Interroge-les. Il faut le nom des princes qui ont encore le cœur pourri par Nanter. L'avenir existera s'ils le rejoignent.
On amena une tenue de guerrier pour le prince-majeur. La nouvelle de leur retour se répandit sur toute la colline. Il y eut des cris de joie. Lyanne avait laissé partir les autres avant lui. Le soleil allait se coucher et il voulait sentir la colline. Il s'assit devant le mur, regardant le groupe descendre la pente. Il n'avait gardé, à sa demande que Akto. Il sentait ce dernier trop fragile pour le laisser seul au milieu des autres. Cela viendrait en son temps. Le prince-majeur était assis derrière lui comme une ombre. Le soleil lentement passa derrière l'horizon. Quand les derniers rayons touchèrent le mur, Lyanne eut la vision de ce qui était avant la ruine. Il entrevit un palais de pierre richement décoré. Des êtres aux formes étranges entraient et sortaient. Lyanne frissonna. Il contemplait les serviteurs des dieux. 
- Auriez-vous froid, Majesté ?
La voix de Akto le sortit de sa transe.
- Le froid m'est étranger, lui répondit Lyanne. Rentrons au campement. Demain la route sera longue.
Il se leva, suivi par Akto qui prenait son rôle de serviteur au pied de la lettre.