dimanche 23 août 2015

Césure 9

Le poisson nous avait vomis sur une plage de sable blond au milieu de nulle part. Je me dirigeais vers la dune qui me barrait la vue. Je la gravis. J’étais au bord d’un désert. Le vent venait de la mer. Il était assez fort et soulevait des petits nuages me fouettant les jambes. Je lui tournais le dos et me laissais pousser vers l’intérieur. Quelques maigres pousses parsemaient le sable, s'accrochant au sol de toute la force de leurs racines. Je vis au loin, des formes qui m’évoquèrent un troupeau. Elles m’attirèrent. En m’approchant, je distinguais mieux. C’était du petit bétail. Leurs cris me parvinrent avant que je puisse les détailler. Un homme, surgi de nulle part, se dressa devant moi. Sa peau était sombre sans être noire. Il tenait une lance à la main. Je montrais mes mains vides en signe de paix.
Il me dit en me barrant la route :
- Attends !
Il émit un long sifflement. J’en déduis qu’il devait prévenir. Nous attendîmes un moment la réponse. En l’entendant, il me sourit :
- Va, le maître sera heureux de te voir. Sa tente est un peu plus loin.
Je repris ma marche. J’avais l’espoir d’arriver bientôt. Il fut déçu. Après une dune venait une colline qui précédait une autre dune. Un autre berger me vit. Il ne s’approcha pas. Simplement il tendit le bras vers là où je devais aller. Alors que je commençais à trouver le temps long, je vis, du haut d’une dune, le campement.
Alors que je descendais la dernière dune, un vieillard sortit de la tente près d’un arbre qui, bien que tordu, poussait vigoureusement. Le vieil homme avait son bâton à la main. Vu sa démarche, ce bâton était plus un signe de pouvoir qu’une aide à la marche. Il vint vers moi :
- Veuille ne pas passer loin de ton serviteur. Viens et repose-toi sous cet arbre. Tu pourras prendre un peu de pain et de repos avant de continuer plus loin.
Je me retrouvais assis sur des coussins posés sur un tapis au pied d’un chêne qui avait poussé là, malgré les difficultés. Quelqu’un m’avait lavé les pieds pour enlever la poussière du désert. Quelques dattes avaient été posées juste à côté de ma main. Le vieillard me faisait la conversation pendant que des serviteurs s’agitaient autour de nous. Le soir arriva avant que je n’ai pu repartir. Je vis arriver un chevreau rôti ainsi que des galettes. Je lui racontais mon périple. Le vieil homme, ses serviteurs et ses bergers m’écoutèrent avec attention, s’étonnant de l’étrangeté de mon récit. Les mots comme ordinateur ne leur disaient rien. Par contre les cavaliers ou les monstres leur semblèrent plus familier. Quand je parlais du signe sur mon front, le vieillard hocha la tête :
- Il te faudra marcher vers l’Horeb…
De sa main, il me montra une direction.
- … là, dans le souffle ténu, tu auras ce que tu cherches. Je te donnerai un guide car tu es étranger au pays.
Puis, il me raconta son histoire, comment il était parti de son pays, comment il avait prospéré en écoutant cette voix étrange qui lui parlait et comment il s’était séparé de son neveu quand leurs troupeaux étaient devenus trop nombreux pour la terre qu’ils foulaient. À ma question sur ce qu’était devenu son neveu, il me répondit :
- Il a levé les yeux et regardé le pays. Il a trouvé que la plaine et ses villes étaient riches et agréables à regarder. Il réside maintenant à Sodome.
Le nom résonna négativement en moi. Je fis la grimace. En me voyant ainsi réagir, le vieil homme reprit la parole :
- Le cri qui monte de Sodome est grand. Les pauvres y sont maltraités et l’étranger n’y est pas accueilli. Mon neveu ne connaît pas la paix que je connais près de mon arbre.
Il sembla, après avoir dit cela, s’enfoncer dans une méditation, les yeux fixés sur le feu. Je me retins de parler et fit de même.
Quand je sortis de cet état, le jour était levé. J’étais seul allongé sur le tapis. Je me dressais sur mon séant. Un homme s’approcha vivement.
- Mon nom est Sedma. Je suis envoyé par Abraham, mon maître, pour te guider jusqu’à l’Horeb.
Je me mis debout. À ce moment-là, le vieil homme sortit de sa tente. Sedma se précipita pour le saluer.
Après lui avoir rendu son salut, Abraham s’approcha de moi :
- Le soleil se lève pour toi aujourd’hui. Que tes pas soient bénis.

jeudi 13 août 2015

Césure 8

Elle était sombre et agitée. L'arc-en-ciel se détachait nettement sur le ciel que les nuages avaient rendu d'un gris profond. Son pied affleurait une petite île non loin.
J'explorais les environs du regard. Je vis un bateau.
Une évidence s'imposa à mon esprit. Je le mis à l'eau sans rien demander à personne.
Je passais avec difficultés les premières vagues qui déferlaient bruyamment sur la plage, remuant les galets. Je m'arc-boutais sur les avirons, faisant avancer la barque avec difficulté. Je m'encourageais en pensant que la progression serait plus facile un peu plus loin.
Une fois la barre passée, rien ne s'arrangea. Les vents étaient contraires. Je luttais, essayant de rejoindre l'autre rive. La violence des vagues était telle que la barque se remplissait. La colère m'envahit. Je me mis à jurer de plus en plus fort. Mes mouvements suivirent ma pensée. Ils devinrent désordonnés faisant chavirer la barque. J’eus à peine le temps de prendre une respiration qu’un monstre surgit des profondeurs. Ouvrant une gueule géante, il m’avala d’un coup. Le passage dans sa gorge me fit perdre le peu de conscience que je possédais encore.
- Alors, toi aussi tu as désobéi.
La voix qui résonnait à côté de moi était indubitablement humaine. Un homme me donnait des petites claques sur la joue pour me réveiller. Je tâtais tout autour de moi pour le rencontrer. Nous étions sur une planche flottant sur je ne savais pas quoi.
- Qui êtes-vous ? demandais-je
- Je suis un pauvre pécheur ayant refusé de faire ce que mon Maître demandait. j’ai voulu fuir…
Sa voix trahissait son émotion.
- J’ai pris le premier bateau qui partait loin, mais quand la tempête est arrivée… Les marins m’ont désigné comme le coupable…
Je me mis assis pour mieux écouter.
- Le sort m’avait désigné. La colère des flots était due à ma faute. Pour me la faire expier, ils m’ont jeté à la mer.
- Et le poisson vous a avalé…
- Oui, le poisson m’a avalé.
Il se tût. Comme lui, je gardais le silence. Que pouvions-nous faire dans cet estomac ?
- Avez-vous désobéi aussi ? me demanda-t-il.
- Je ne sais pas. J’étais sur une barque pour tenter de rejoindre le pied d’un arc-en-ciel quand j’ai chaviré.
- Et c’est tout ?
- Je ne comprends pas.
- Jamais les bêtes des profondeurs ne sortent pour si peu. Je suis prophète et j’ai refusé d’être celui qui porte la parole, surtout pour annoncer ruines et destruction.
Il me serra la main avec force entre ses mains.
- Je sais maintenant que j’ai eu tort. Ma fuite était une rupture. Loin de mon Maître, je ne suis rien. Sans son aide, je ne suis rien, je ne peux rien. Aujourd’hui des profondeurs, je crie vers Lui, espérant son salut. Et vous arrivez…
Me voir désigné comme un signe me mit mal à l’aise. Depuis le début, je me trouvais ballotté de lieu en évènement sans comprendre. Cette cathédrale était étrange. Était-ce de la magie ?
Mon étrange compagnon reprit son monologue.
- Il est maître de la vie et de la mort, maître des poissons et de l’abîme. S’il vous y précipite, si les vagues vous engloutissent, c’est que vous vous êtes éloignés de sa face. Moi, je me souviens de mon Maître et ma prière va jusqu’à lui…
J’écoutais ses paroles, sorte de litanie dont je ne comprenais pas tout. Je n’avais pas les clés pour le comprendre. Manifestement, mon compagnon me prenait pour un envoyé de son maître, pour celui qui ferait ce qui est bien pour qu’il s’en sorte. J’ignorais depuis combien de temps il était dans le ventre de ce poisson. Ce que je savais, c’est que je ne voulais pas y rester. Déjà, il me fallait de la lumière. Je fouillais par habitude dans mes poches à la recherche de quelque chose pour m’aider. Mes doigts se refermèrent sur le briquet que j’avais acheté la veille, si je pouvais désigner ainsi le jour précédant mon entrée dans les dédales de cette église. Je voulais m’en servir pour allumer mon barbecue. Je l’avais complètement oublié. L’idée me sembla tellement incongrue en ce lieu que je me mis à rire. Cela interrompit mon voisin qui discourait toujours sur la nécessité d’accomplir le vœu qu’il avait prononcé.
C’était un de ces briquets à allumage piezo électrique. Le mot m’avait toujours enchanté. Je le préférais au système de roue et de pierre qu’utilisaient les plus simples. Il y avait pour moi quelque chose de magique à appuyer sur un cristal et à en faire jaillir une étincelle. Je dus m’y reprendre en plusieurs fois pour faire jaillir la flamme. L’allumeur cliqueta plusieurs fois ne produisant que de brefs éclairs bleus. L’allumage me surprit presque. Cette petite flamme, jaillissant dans les ténèbres, fit pousser un cri de surprise à mon compagnon. Je le détaillais maintenant que je le voyais. Il était plus petit et plus râblé que moi, habillé d’une sorte de robe et le visage mangé par une barbe noire.
- Vous êtes capable de faire jaillir la lumière… Vous êtes un envoyé du Maître.
Je pris conscience qu’il ne disait pas Maître mais un nom curieux que je serais incapable de répéter. Je le traduisais par cette notion de Maître. Il fallait que ce soit un grand personnage pour inspirer un tel respect à ses serviteurs. Moi qui n’étais qu’un mécréant, je me promis de chercher s’il parlait de Dieu ou d’un autre ?
Autour de nous flottaient d’autres objets hétéroclites que je ne reconnus pas. Seule la planche où nous étions était assez grande pour nous porter. Je me baissais pour voir sur quoi nous flottions. L’odeur était agressive. Quand le briquet s’approcha de la surface, il y eut un petit “woouf” et une flammèche bleue prit naissance d’une tache noire. Je me reculais vivement, déstabilisant notre fragile esquif et nous précipitant dans le lac nauséabond. Lorsque nous refîmes surface, la flammèche était devenue incendie se déplaçant de tache noire en tache noire. J’eus peur de me faire brûler. Je plongeais à nouveau quand de violents mouvements m’entraînèrent sans que je puisse résister. De nouveau je perdis connaissance.
La fraîcheur de l’eau me réveilla. J’étais ballotté au gré des vagues sur une plage. Au loin une silhouette s’éloignait, criant :
- J’arrive Ninive.
Je me relevais péniblement, m’y reprenant à plusieurs fois pour éviter le ballottement des vagues qui me déséquilibrait.

dimanche 2 août 2015

Césure 7

J’étais dans une sorte de friche. J'entr'aperçus une silhouette de sanglier qui fuyait. Mon arrivée brutale lui avait fait peur. Une fois debout, je dépassais les plantes qui se révélèrent être des pieds de vigne. Elle avait été dévastée et les bêtes sauvages l’avaient envahie. Je m’avançais vers la porte que je devinais un peu plus loin. Ce qui avait dû être un jardin était devenu un roncier dans lequel je peinais pour avancer. Il me fallut un temps infini pour traverser les différents rangs de la plantation. J’atteignis enfin le bord du muret. Une trace de bête me permit de rejoindre ce qui avait été la porte. Un peu plus loin, je vis une silhouette courbée au pied d’un arbre. On voyait une sorte de houe se soulever et retomber périodiquement avec un bruit mat. Je m’approchais.
Un homme débarrassait le sol des mauvaises herbes. Il se releva en m’entendant arriver. Il posa son instrument à terre, s’appuya sur le manche en s’épongeant le front. Quand je fus près de lui, il me salua.
- Sois le bienvenu, étranger.
- Bonjour, répondis-je.
Si le visage était avenant, ma crainte était réelle. Dans ce monde étrange, comment reconnaître un démon ? Je ne voulais pas revivre ce que je venais de passer.
- C’est un bel arbre, dis-je, pour meubler le silence.
- Oui, il a bien poussé, mais il ne donne pas de fruit. Mon maître à son dernier passage était mécontent. Il voulait le couper.
L’homme ne semblait pas dangereux, il avait un parler rocailleux comme le sol sur lequel nous étions.
- J’ai beaucoup peiné pour le faire pousser, alors j’ai pris sa défense.
- Et alors ?
- Le maître m’a laissé encore un an. Je vais finir de préparer la terre puis je mettrai du fumier au pied. Il devrait donner du fruit. Sinon, je ne pourrai éviter de le couper. Ce n’est pas la peine qu’il épuise le sol. Le maître a raison.
Je désignais la vigne non loin :
- Et le maître de cette vigne, ne gâche-t-il pas une bonne terre ?
L’homme regarda un moment vers l’enclos. Il eut un regard de tristesse.
- C’est une bien triste histoire.
Il me fit signe de le suivre. Il alla un peu plus loin s’asseoir. Sortant du pain et de l’eau d’une musette, il m’invita à prendre place à côté de lui. 
- Il y a quelques années, j’ai vu arriver le propriétaire de cette terre. Il a fait planter de la vigne et l’a mise en fermage. Il habitait loin d’ici et il est reparti. Ses fermiers ont travaillé dur pour que la vigne soit belle et donne du fruit. Quand est venu le temps de la vendange, personne n’est venu réclamer son dû. Ils ont continué à exploiter sans ménager leurs efforts. Ils ont vendu la récolte en leur nom. Cela a duré deux ou trois ans. Puis un automne est arrivé un étranger, comme toi. Mais lui avait des lettres de mission. Il venait chercher ce qui était dû au maître.
- Ça n’a pas dû leur faire plaisir à vos voisins !
- Pour sûr ! Ils avaient tout dépensé pour eux. Je n’ai jamais revu cet homme. Ils m’ont dit qu’il était reparti chez le maître. Au début je les ai crus. Mais… mais ils avaient changé. Ils ne parlaient plus comme des fermiers qui doivent un fermage. L’année d’après, quand un nouveau serviteur est venu réclamer pour le maître, il a aussi disparu. Je n’ai rien dit. Faut dire que j’avais rien vu. Mais l’année d’après, quand est arrivé ce jeune bien habillé comme un monsieur de la ville, je me suis caché et j’ai observé. Ils l’ont eu par surprise d’un coup de gourdin sur le crâne. Je l’ai vu s’effondrer comme je vous vois. Je ne suis pas sorti de ma cachette… Je ne voulais pas finir comme lui…
L’homme s’interrompit un moment comme s’il était perdu dans ses pensées.
- Qui était ce jeune ? demandais-je
- C’était le fils du maître. Ah ! S’ils pensaient se débarrasser du propriétaire en tuant ses serviteurs et son fils, ils se sont lourdement trompés. Quand j’ai vu arriver la troupe de gardes armés, je me suis enfui. Ils m’ont rattrapé comme ils les ont tous attrapés. Mon maître est intervenu pour moi. Il m’a fait raconter tout ce que je savais. Le propriétaire de la vigne est entré dans une colère comme j’en avais jamais vu. Ils ont tous été exécutés. Quant à la vigne… depuis, elle est abandonnée.
- L’histoire est triste, mais ces mécréants méritaient leur punition.
- Pour ça ! Oui ! Et plutôt trois fois qu’une.
L’homme continua son repas en silence.
- Va-t-elle rester comme cela ? demandais-je pour relancer la conversation.
- J’ai vu un nouveau fermier, il y a peu. Il s’occupe déjà d’une autre terre pour ce propriétaire. Son maître lui a donné celle-ci en fermage en plus de l’autre. Il a l’air courageux. Quand reviendra la saison, je pense qu’il ne ménagera pas sa peine…
La pluie se mit à tomber, doucement puis de plus en plus fort. L’eau ruisselait à présent sur le sol.
- Un vrai déluge, dis-je en parlant fort pour couvrir le bruit de l’eau.
L’homme sourit :
- C’est assez fréquent, mais ça ne dure pas. On va bientôt voir le signe.
- Quel signe ?
- Et bien, l’arc-en-ciel ! Tu ne connais pas cela.
Devant mon air ahuri, il poursuivit :
- Tu es bien un étranger. Tu ne sais pas que, quand paraît ce signe, la pluie s’arrête et le monde reprend vie. On dit même qu’au pied de l’arc-en-ciel, on y trouve ce qu’on cherche.
Il avait dit la fin avec l’air sentencieux de celui qui sait.
- Alors c’est là que je dois aller, dis-je en me levant.
L’arbre, un figuier à ce qu’il me semblait, ne nous offrait qu’une protection trop légère. La pluie maintenant nous dégoulinait dessus malgré le feuillage. Je commençais à m’éloigner.
- Que le ciel te soit favorable, me dit l’homme. Ce que tu cherches est là.
Il me montrait une direction. Effectivement, lentement apparaissaient les couleurs. Je me mis en marche après un dernier salut.
Ce pays était déroutant. La pluie ruisselait sur mon corps sans le mouiller. Elle courait à terre, suivant la pente du terrain. Je me fis la remarque que nous allions dans la même direction.
Bientôt les rigoles se fondirent en un ruisseau qui devint de plus en plus large. J'en suivis le cours. L'arc-en-ciel était toujours là, devant, comme une invitation à poursuivre. Je dus m'arrêter quand je me retrouvai face à la mer.