jeudi 13 août 2015

Césure 8

Elle était sombre et agitée. L'arc-en-ciel se détachait nettement sur le ciel que les nuages avaient rendu d'un gris profond. Son pied affleurait une petite île non loin.
J'explorais les environs du regard. Je vis un bateau.
Une évidence s'imposa à mon esprit. Je le mis à l'eau sans rien demander à personne.
Je passais avec difficultés les premières vagues qui déferlaient bruyamment sur la plage, remuant les galets. Je m'arc-boutais sur les avirons, faisant avancer la barque avec difficulté. Je m'encourageais en pensant que la progression serait plus facile un peu plus loin.
Une fois la barre passée, rien ne s'arrangea. Les vents étaient contraires. Je luttais, essayant de rejoindre l'autre rive. La violence des vagues était telle que la barque se remplissait. La colère m'envahit. Je me mis à jurer de plus en plus fort. Mes mouvements suivirent ma pensée. Ils devinrent désordonnés faisant chavirer la barque. J’eus à peine le temps de prendre une respiration qu’un monstre surgit des profondeurs. Ouvrant une gueule géante, il m’avala d’un coup. Le passage dans sa gorge me fit perdre le peu de conscience que je possédais encore.
- Alors, toi aussi tu as désobéi.
La voix qui résonnait à côté de moi était indubitablement humaine. Un homme me donnait des petites claques sur la joue pour me réveiller. Je tâtais tout autour de moi pour le rencontrer. Nous étions sur une planche flottant sur je ne savais pas quoi.
- Qui êtes-vous ? demandais-je
- Je suis un pauvre pécheur ayant refusé de faire ce que mon Maître demandait. j’ai voulu fuir…
Sa voix trahissait son émotion.
- J’ai pris le premier bateau qui partait loin, mais quand la tempête est arrivée… Les marins m’ont désigné comme le coupable…
Je me mis assis pour mieux écouter.
- Le sort m’avait désigné. La colère des flots était due à ma faute. Pour me la faire expier, ils m’ont jeté à la mer.
- Et le poisson vous a avalé…
- Oui, le poisson m’a avalé.
Il se tût. Comme lui, je gardais le silence. Que pouvions-nous faire dans cet estomac ?
- Avez-vous désobéi aussi ? me demanda-t-il.
- Je ne sais pas. J’étais sur une barque pour tenter de rejoindre le pied d’un arc-en-ciel quand j’ai chaviré.
- Et c’est tout ?
- Je ne comprends pas.
- Jamais les bêtes des profondeurs ne sortent pour si peu. Je suis prophète et j’ai refusé d’être celui qui porte la parole, surtout pour annoncer ruines et destruction.
Il me serra la main avec force entre ses mains.
- Je sais maintenant que j’ai eu tort. Ma fuite était une rupture. Loin de mon Maître, je ne suis rien. Sans son aide, je ne suis rien, je ne peux rien. Aujourd’hui des profondeurs, je crie vers Lui, espérant son salut. Et vous arrivez…
Me voir désigné comme un signe me mit mal à l’aise. Depuis le début, je me trouvais ballotté de lieu en évènement sans comprendre. Cette cathédrale était étrange. Était-ce de la magie ?
Mon étrange compagnon reprit son monologue.
- Il est maître de la vie et de la mort, maître des poissons et de l’abîme. S’il vous y précipite, si les vagues vous engloutissent, c’est que vous vous êtes éloignés de sa face. Moi, je me souviens de mon Maître et ma prière va jusqu’à lui…
J’écoutais ses paroles, sorte de litanie dont je ne comprenais pas tout. Je n’avais pas les clés pour le comprendre. Manifestement, mon compagnon me prenait pour un envoyé de son maître, pour celui qui ferait ce qui est bien pour qu’il s’en sorte. J’ignorais depuis combien de temps il était dans le ventre de ce poisson. Ce que je savais, c’est que je ne voulais pas y rester. Déjà, il me fallait de la lumière. Je fouillais par habitude dans mes poches à la recherche de quelque chose pour m’aider. Mes doigts se refermèrent sur le briquet que j’avais acheté la veille, si je pouvais désigner ainsi le jour précédant mon entrée dans les dédales de cette église. Je voulais m’en servir pour allumer mon barbecue. Je l’avais complètement oublié. L’idée me sembla tellement incongrue en ce lieu que je me mis à rire. Cela interrompit mon voisin qui discourait toujours sur la nécessité d’accomplir le vœu qu’il avait prononcé.
C’était un de ces briquets à allumage piezo électrique. Le mot m’avait toujours enchanté. Je le préférais au système de roue et de pierre qu’utilisaient les plus simples. Il y avait pour moi quelque chose de magique à appuyer sur un cristal et à en faire jaillir une étincelle. Je dus m’y reprendre en plusieurs fois pour faire jaillir la flamme. L’allumeur cliqueta plusieurs fois ne produisant que de brefs éclairs bleus. L’allumage me surprit presque. Cette petite flamme, jaillissant dans les ténèbres, fit pousser un cri de surprise à mon compagnon. Je le détaillais maintenant que je le voyais. Il était plus petit et plus râblé que moi, habillé d’une sorte de robe et le visage mangé par une barbe noire.
- Vous êtes capable de faire jaillir la lumière… Vous êtes un envoyé du Maître.
Je pris conscience qu’il ne disait pas Maître mais un nom curieux que je serais incapable de répéter. Je le traduisais par cette notion de Maître. Il fallait que ce soit un grand personnage pour inspirer un tel respect à ses serviteurs. Moi qui n’étais qu’un mécréant, je me promis de chercher s’il parlait de Dieu ou d’un autre ?
Autour de nous flottaient d’autres objets hétéroclites que je ne reconnus pas. Seule la planche où nous étions était assez grande pour nous porter. Je me baissais pour voir sur quoi nous flottions. L’odeur était agressive. Quand le briquet s’approcha de la surface, il y eut un petit “woouf” et une flammèche bleue prit naissance d’une tache noire. Je me reculais vivement, déstabilisant notre fragile esquif et nous précipitant dans le lac nauséabond. Lorsque nous refîmes surface, la flammèche était devenue incendie se déplaçant de tache noire en tache noire. J’eus peur de me faire brûler. Je plongeais à nouveau quand de violents mouvements m’entraînèrent sans que je puisse résister. De nouveau je perdis connaissance.
La fraîcheur de l’eau me réveilla. J’étais ballotté au gré des vagues sur une plage. Au loin une silhouette s’éloignait, criant :
- J’arrive Ninive.
Je me relevais péniblement, m’y reprenant à plusieurs fois pour éviter le ballottement des vagues qui me déséquilibrait.

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