samedi 31 mars 2012


Jorohery piaffait. Quiloma avait demandé quelques jours pour préparer la chasse au crammplac. En attendant que le groupe de chasse soit prêt, il supervisait les recherches dans la clairière. Il ne sentait pas bien ce qui d'habitude ne lui posait aucun problème. Même loin du point d'explosion, il aurait dû sentir où il se trouvait. Quelque chose gênait sa perception. Il pensait qu'une fois débarrassé du crammplac, il retrouverait ses facultés habituelles. Il avait remarqué cela lors d'une chasse avec le Prince Majeur. La proximité de ces bêtes brouillait ses senseurs. Dans ce pays maudit où les habitants mangeaient des choses immondes venues des grottes, il était obligé de se fier à son raisonnement et au peu qu'il percevait. L'anneau avait bondi au moment où la pierre explosait, c'est après que cela se gâtait. S'il sentait la chaleur et la puissance de l'explosion, tout disparaissait un instant plus tard. Certains phalangistes de Quiloma racontaient qu'ils avaient vu une grande ombre. Jorohery ne la sentait pas. Il avait une vague impression d'une forte présence mais était incapable de la nommer. En réfléchissant, il n'y avait que peu de possibilités. Éliminer le crammplac était indispensable pour qu'il retrouve toute la puissance de ses pouvoirs. Sans eux, il savait que le Pince Majeur ne l'aurait jamais écouté. Il ne devait pas connaître l'échec s'il voulait garder son pouvoir. Grâce à ses lectures des évènements et de la réalité cachée derrière, il lui avait permis de gagner la course au pouvoir qui s'était engagée à la disparition de l'ancien Prince Majeur. Il n'avait jamais rencontré cet ancien, mais en avait senti l'aura qui avait dû être particulièrement puissante pour subsister ainsi plusieurs saisons après sa mort. La succession avait été une guerre qui n'avait pas dit son nom entre les héritiers, où l'anneau avait tenu une place majeure. Il avait une première fois disparu, mais Jorohery l'avait pisté et retrouvé chez le père de l'enfant enlevé. A l'époque, il était impossible de faire une attaque de front. Il avait conseillé son candidat et ils avaient manœuvré pour faire disparaître ce personnage encombrant. Malheureusement un enfant était né. Sa disparition avec l'anneau rendait la succession fragile. Le Prince Majeur devait avoir cet anneau pour être complètement légitime. Voilà qu'il était à des jours de marche de la capitale. Les Gowaï, ces maudits sauvages, ne se calmeraient que si l'anneau était au doigt du Prince Majeur, à moins de les tuer tous, ce qui n'aurait pas déplu à Jorohery.
Quand Quiloma vint le prévenir du départ prochain, Jorohery regardait le soleil se lever sur la clairière. Un petit vent froid soufflait, le ciel à peine couvert semblait vouloir se dégager. Là-bas dans les plaines glacées, c’était un signe que le temps allait devenir plus froid. Mais ici, dans ce pays où l’horizon était fermé par les montagnes, il ne pouvait pas savoir. Là non plus, il ne pouvait pas savoir. Ce pays le mettait en colère. Dès qu’il aurait l’anneau, il ferait massacrer tous ces indigènes afin de nettoyer la terre de ces rites impurs.
Quiloma était prêt, autant que faire se peut, pour partir à la chasse au crammplac poilu. Il pensait sans oser le dire, que dix hommes d’escorte étaient insuffisants. Même s’il n’y en avait qu’un à chasser, le risque était très grand. Jorohery avait insisté pour que le maximum d’hommes fouille la clairière et ses abords. Il ne semblait pas croire que, lors de l’explosion, certains guerriers aient pu voir un grand être. Quiloma savait trop bien ce qui se passait quand on s’opposait à lui. Maintenant qu’il était prince neuvième, il avait trop à perdre. Il avait eu une longue discussion avec Muoucht sur la topographie de la région. Ce dernier devait rester dans le village pour transmettre les ordres. Quiloma comprenait mais trouvait dommage de devoir se passer d’un homme habile à traquer les animaux.
La colonne s’alignait parfaitement derrière son prince. Tous étaient de fiers guerriers, les meilleurs parmi les meilleurs. Ils savaient qu’ils partaient pour une mission dangereuse. Leur paquetage était prêt pour tenir toute une main de jours, voire deux mains en se rationnant. La chasse annoncée verrait leur victoire ou leur mort. Le crammplac poilu était la bête la plus dangereuse au monde. Silencieuse, puissante et surtout intelligente, elle faisait peur même au plus endurci. Pour l’instant, il regardait le Bras du Prince Majeur chausser ses planches de glisse. Ils furent soulagés de ne pas avoir à le porter en plus de son ravitaillement. Quand ils s’élancèrent vers la forêt proche, un pâle soleil brillait derrière quelques nuages. Seule la froidure du vent était gênante.
Jorohery glissait en tête. Il remontait vers le col qui avait vu leur arrivée. Il pensait que là-haut, il aurait une meilleure perception des forces en présence. Ça lui permettrait de décider de la suite.

mercredi 28 mars 2012


La ville avait des allures de camp militaire. C’était l’opinion de beaucoup d’habitants bien qu’ils n’en aient jamais vu. Quand on circulait dans les rues, on croisait des patrouilles partout. On ne pouvait même pas se réfugier dans les maisons. Les guerriers de la mort y entraient fréquemment pour réclamer à boire ou à manger. Les plats de machpe ne leurs plaisaient pas. Aliment de base de la saison hivernale pour les gens de la ville, ils nécessitaient une préparation assez longue pour un résultat gustatif assez terne. Les guerriers préféraient s’en prendre aux salaisons et autres provisions d’été stockées dans les greniers et les réserves. Le sentiment général était que la fin de l’hiver allait être rude avec toutes ces bouches supplémentaires à nourrir.
Chan ne décolérait pas. Depuis l’arrivée des nouveaux extérieurs, il n’avait pas été reçu par leur chef. A chacune de ses requêtes, il s’était fait éconduire. Muoucht qui accompagnait certains soldats pour traduire les demandes toujours plus nombreuses, expliquait que le grand chef Rorroréri ou quelque chose comme cela était obsédé par l’anneau et une chasse qu’il devait faire. Chan devait pourtant faire face au mécontentement grandissant des chefs de maisons qui trouvaient leurs greniers vidés quand ils rentraient des grottes de machpe. Il se rappelait en début d'hiver la réunion du conseil consacrée à l'évaluation des réserves. En comptant tout ce que les uns et les autres avaient annoncé, il y avait juste de quoi faire avec une récolte de machpe moyenne. L'arrivée des premiers étrangers n'avait pas changé grand chose. Ils avaient vécu sur leurs provisions et la chasse. Ceux qui venaient d'occuper le temple avaient changé la donne. Il fallait que la récolte de machpe soit exceptionnelle pour qu'il n'y ait pas de disette, même avec la disparition de la maison Andrysio. Sstanch lui servait d’observateur et de courrier. C’est par lui qu’il avait appris que tous les hommes extérieurs qui ne patrouillaient pas, bougeaient des monceaux de neige en dessous de la clairière de la dislocation. C’est par lui encore qu’il avait appris que certains chefs de maisons déménageaient leurs provisions dans les grottes de machpe. Les extérieurs semblaient redouter ces espaces clos que représentaient les grottes. Les patrouilles y étaient peu fréquentes et ne s’éloignaient pas des grandes galeries. C’est par lui toujours qu’il avait appris les blessures d’un serviteur de la maison de Chountic. Il avait été surpris avec des cuisseaux de tibur salés alors qu’il se dirigeait vers les grottes. Une lance l’avait cloué sur un poteau de grange. Les extérieurs l’avaient laissé là, à moitié mort, rigolant de le voir ainsi suspendu. C’est la Solvette qui était intervenue. Bousculant les guerriers, elle avait examiné la plaie.
- Je vous promets que ce que je dis est vrai, Chef de ville. Alors qu’un extérieur allait lui faire subir le même sort, le prince Quiloma lui a retenu le bras. Je l’ai vu s’avancer vers la Solvette. Elle le défiait, le fixant droit dans les yeux. Il a soutenu son regard. Et vous connaissez le regard de la Solvette quand elle est en colère. Sans la quitter des yeux, il a retiré la lance d’un seul geste. Il a fait un signe à ses hommes et ils sont repartis sans oublier les cuisseaux.
- Et le serviteur.
- La Solvette l’a fait ramener chez Chountic. Elle le soigne. Il devrait survivre. Ça fait deux bras de moins pour Chountic.
- Ce prince n’était pas avec les autres à la clairière ?
- Non, il semble préparer une expédition.
- Mais il va y avoir une tempête. Le vent de Sioultac vient de se lever.
- S’ils disparaissent, ce n’est pas moi qui les pleurerais.
En passant devant chez Kalgar, ils virent qu’il avait été réquisitionné par les extérieurs. Trois guerriers se tenaient dans un coin, surveillant tout ce qui se passait. Kalgar et ses assistants travaillaient comme toujours avec peu de paroles et des gestes précis. Chan vit le forgeron tremper une pointe de lance. Cela l’irrita de constater que cet artisan que toute la vallée enviait, travaillait pour ses ennemis. Il ne s’arrêta pas. Il voulait voir Natckin. Il avait besoin de savoir. Qu’allaient donner les plans de machpe ? Fallait-il déjà prévoir de rationner ? Les pousses qu’il avait vues, étaient nombreuses. Il savait que cela ne suffisait pas à faire une bonne récolte. Qu’apparaissent certains insectes, ou que l’air des grottes devienne vicié et tous les espoirs seraient déçus. Natckin pourrait-il l’aider ? Avait-il trouvé le moyen de faire les rites hors du temple ? Il le fallait. Sans l’aide des esprits, la vie ne serait plus possible ici. C’est en remuant toutes ces sombres pensées qu’il poussa la porte de la maison d’Andrysio.

dimanche 25 mars 2012


Kyll jeûnait. Pourtant le crammplac était un chasseur émérite. Silencieux et redoutablement rapide, il ramenait constamment sa proie. Malheur au clach qu'il repérait. Il revenait à la grotte tenant un des morceaux les plus tendres. Kyll avait mangé la viande crue. Le régime carné ne lui allait pas bien. Il avait cherché ce qu'il pouvait manger d'autre. Il n'y avait plus de baies, ni de jeunes pousses vu la saison. Les grottes de machpe étaient loin. Il ne se voyait pas y entrer pour y chercher sa pitance avec un accompagnateur aussi impressionnant que Stamscoia. Ils avaient exploré la grotte de la médiation. Avec l'aide du crammplac, il avait atteint le petit passage au fond de ce qu'ils appelaient la chambre. Il avait ajusté sa vision au noir absolu du couloir. Avançant à quatre pattes, il avait débouché dans une autre salle. L'odeur y était épouvantable mais il avait repéré des plantes qui ressemblaient au machpe. Il avait cueilli ce qu'il pouvait. Le retour en marche arrière avait été assez éprouvant. D'autant plus qu'à son arrivée, Stamscoia lui avait dit :
- Tu sens aussi mauvais qu'une déjection de cronz.
Kyll n'avait pas apprécié le compliment même s'il ne connaissait pas les cronz.
- Oui mais ça, dit-il en montrant sa récolte, ça va me changer de toute cette viande.
Stamscoia avait reniflé le tissu dans lequel il avait ramené les plantes.
- Je serais toi, je ne mangerais pas ça.
- Oui, mais tu n'es pas moi.
Kyll s'était méfié quand même. Lorsqu'il avait trouvé ses pseudomachpe, il avait déjà prévu comment il allait se les préparer. Après les paroles de Stamscoia, il décida d'en goûter un et de voir. Il grignota donc un pied de sa récolte. La texture était blanche et ferme. Cela croquait sous la dent. Le goût était fade voir légèrement désagréable. Il avala la bouchée. C'est à ce moment-là que doucement pour commencer puis de plus en plus fort, le feu sembla prendre dans sa bouche. Il mit sa main sur la bouche, souffla fort et courut dehors chercher de la neige pour la mettre dans sa bouche. Il entendit le rire de Stamscoia derrière lui...
Kyll croqua une pleine poignée de neige. Le feu se calma le temps d'un battement pour reprendre plus fort. Il lui atteignait maintenant la gorge et descendait jusque dans son ventre. La douleur augmentait sans cesse. Kyll se plia en deux et tomba dans la neige. Puis subitement tout cessa.
Kyll regarda autour de lui. Il était debout, à ses pieds un homme semblait se tordre de douleur devant une grotte. Un crammplac poilu s'approchait. Autour de lui, le monde avait prit des couleurs pâles parsemées de taches brillantes. Il avait quitté son corps. Il avait changé de monde.
Il vit Stamscoia regarder son corps puis lever les yeux vers lui.
- Je vois ton corps par terre, mais je te sens au-dessus. Je vais protéger ton corps pendant que tu voyages dans ce monde spirituel.
Kyll le vit ramasser son corps avec douceur et rentrer dans la grotte de la médiation. Une lumière avançait vers lui. Elle avait l'aspect de son vieux maître.
- Maître, vous ici, pensa Kyll.
- Je vois que tu as découvert le secret de la grotte de la médiation, pensa celui-ci.
- Qu'est-ce que c'est?
- Ça s'appelle des Machpsapsa. Ces plantes servent à passer d'un monde à l'autre sans mourir. Tu peux en partie éviter le feu en enlevant la peau qui est dessus, mais ne les fais pas cuire, elles te tueraient.
- Je suis comme vous alors.
- Non, Kyll, tu es vivant. Tu peux rentrer dans ton corps. Quand l'effet sera fini, tu te retrouveras dans le monde habituel. Moi, je resterai ici pour un temps puis je suivrai d'autres voies...
Kyll n'osa pas l'interroger plus.
- Dans ce monde, tu peux te déplacer comme tu veux. Profites-en !
Kyll vit l'aura de son vieux maître disparaître. Il pensa à ses amis de la maison Gasikara. Il eut le désir de savoir ce qu'ils devenaient. Immédiatement autour de lui le monde changea. Il se trouva dans la montagne au-dessus de la ville. La neige tombait. La nuit était malgré tout claire. Les bois dans ce coin étaient assez denses. Il vit les trois amis qui escaladaient une combe. Ils enfonçaient jusqu'à mi-cuisse. La progression était lente. Plus bas une meute de loups rôdait. Kyll pensa qu'ils allaient dans le mauvais sens pour le rejoindre. Il fallait qu'ils fassent demi-tour. Plus loin, il sentit l'esprit d'un chenvien. Râblé, le poil sombre, cet herbivore se laissa influencer par Kyll. Il se mit en mouvement faisant bouger les buissons devant ses trois amis. Il les vit s'inquiéter et partir dans la bonne direction.
Il continua à suivre leur progression. Ils s'essoufflaient. Iaryango était en tête. Il s'arrêta. Il respirait fort. Il vit son aura vibrer. Iaryango essayait de s'ouvrir au monde des esprits. Kyll sentit les efforts de son ami pour contacter les esprits autour de lui. Un oiseau dormait pas loin. Kyll mit une image dans son esprit. Celle de son corps dans la grotte de la médiation. Quand il comprit que Iaryango avait reçu l'image, il sourit. Il les accompagna un peu vers le refuge qu'ils avaient trouvé. Il pensa au plaisir de se retrouver avec eux. Lentement il s'élevait au-dessus de la forêt. Sa vision couvrait la région. Il sursauta. La meute de loups avait trouvé leurs traces. Ils allaient se mettre en chasse. Il voulut descendre pour les prévenir. Mais il se sentit irrésistiblement rappelé. Il envoya une pensée SOS pendant que le paysage défilait à toute allure devant ses yeux. Il eut l'impression d'une réponse.
- Si tel est ton besoin, nous obéirons comme à celui qui n'a pas son nom.
Quand Kyll ouvrit les yeux, il était entre les pattes de Stamscoia. Il était au chaud dans la douce fourrure du grand animal.
- Alors on se réveille, lui dit Stamscoia ?
Kyll se sentait dans le même état qu'après la fête de la récolte quand il avait abusé du malch noir. Incapable de bouger ou d'aligner deux pensées cohérentes, il grogna une réponse indistincte et se rendormit. Le crammplac le regarda, soupira et reposa la tête. Il lui fallait attendre.
Le second réveil fut plus joyeux.
- J'ai des amis qui devraient arriver. Je les ai vus lors de la transe avec les machpsapsa. Il faut qu'on aille les chercher. Quand je les ai quittés des loups montaient vers eux.
- Noirs ou gris?
- Des gris, pourquoi?
- Alors tes amis sont en grand danger, dit Stamscoia en se levant. Il faut aller à leur secours.
- J'ai demandé de l'aide pendant la transe. Quelqu'un a répondu mais je ne sais pas qui?
- Tu ne l'as pas vu?
- Non, j'étais aspiré vers ici. J'ai juste senti un esprit fort et sûr qui m'a dit comme toi qu'il obéirait à celui qui n'a pas son nom.
- Alors tes amis sont sauvés. Tu as contacté RRling aux yeux rouges
- Qui est-ce?
- Tu la rencontreras un jour. C'est une meute de loups noirs. Eux aussi sont liés à celui qui n'a pas son nom.
- Comment cela une meute?
- Oui, une meute ! Jamais les loups noirs ne peuvent vivre seuls. Contrairement à nous, ils sont un organisme complet. Un loup noir séparé des siens ne peut que mourir. RRling est la meute première. C'est d'elle que sont nées toutes les autres meutes de loups noirs. Je crois que pour le moment l'alfa est une femelle.
- Que fait-elle ici?
- La même chose que moi. Celui qui n'a pas son nom a crié pour demander l'aide. Nous sommes venus et nous resterons jusqu'à que celui qui n'a pas son nom soit nommé. Maintenant viens, tes amis ne doivent pas être très loin. J'entends RRling qui arrive.
Stamscoia et Kyll se mirent en marche en continuant à parler.
- Tu entends RRling?
- Oui, j'entends tout ce qui vit d'assez loin. Maintenant j'entends tes amis. Ils marchent sur le chemin pour venir ici. Plus loin des hommes exécrables arrivent en nombre avec celui qui est mauvais.
- De qui parles-tu?
- Des hommes des plaines glacées qui chassent les miens. Je les hais.
- Que veulent-ils?
- Je ne sais pas. Peut-être pourras-tu le découvrir. Mais monte sur mon dos, tu vas trop doucement.
Ils étaient partis, Kyll allongé sur le dos de Stamscoia, cramponné à la fourrure de son cou. Kyll trouvait extraordinaire la facilité avec laquelle une bête aussi grosse se déplaçait en laissant aussi peu de trace dans la neige.
Stamscoia trouva une grotte où il se glissa.
- Attendons les là, ils ne vont pas tarder.
Kyll rigola bien quand il vit la tête de ses trois amis à l'apparition du crammplac.
Dans l'étreinte de leurs retrouvailles, il y eut beaucoup d'émotions et de larmes contenues. Ils repartirent bientôt pour éviter d'être dehors à la nuit tombante.
Iaryango voulait tout savoir. Kyll souriait en racontant ces quelques jours. De temps en temps, un des trois compagnons jetait un coup d'œil chargé d'inquiétude vers Stamscoia. S'ils avaient entendu parlé des crammplacs, ils n'avaient jamais imaginé qu'il serait plus grand qu'eux. Quand Kyll leur raconta ses discussions avec Stamscoia leur regard évolua. Mais aucun des trois ne réussit à établir la communication.

jeudi 22 mars 2012


Jorohery avait peu dormi. Ses serviteurs l'avaient entendu marcher une bonne partie de la nuit de long en large dans ce qui devait être un temple ou quelque chose comme cela. Ils avaient juste eu le temps d'arranger un peu l'espace avant son arrivée. Il flottait encore une odeur entêtante qui devait correspondre à ces saloperies que les villageois d'ici brûlaient dans leurs cérémonies païennes. Le Bras du Prince Majeur avait tenu avant de se retirer de faire une cérémonie en l'honneur de Quiloma. Ses exploits dans cette chasse, lui avait donné droit à la promotion qu'il attendait. Il devenait prince neuvième. La fête n'avait pas duré. Si d'ailleurs on pouvait appeler cela une fête. Tous les serviteurs craignaient Jorohery. Il était dur et sans pitié. Tous se rappelaient les abandons des plus faibles dans le passage du grand col. Quand Mitsiqui lui avait fait remarquer qu'il allait lui manquer des serviteurs, il avait répondu :
- Je préfère sept sûrs que dix incertains.
Le chef des serviteurs n'avait pas osé insister. Il aurait très bien pu être le suivant sur la liste. Il avait réparti la charge supplémentaire du mieux qu'il pouvait. Leur chance fut que Méaqui leur soit venu en aide. Il avait fait prendre à ses hommes un peu de surpoids. Il avait justifié cela en disant que s'ils étaient tous morts, ce sont ses guerriers qui devraient faire les serviteurs. C'est à partir de ce moment-là qu'il avait beaucoup pris la tête du convoi. Si sa marche était rapide, elle était soutenable par tout le monde. Jorohery n'avait rien dit. Seulement son regard se faisait plus noir quand il regardait Méaqui.
La lumière du jour pâlissait seulement quand Mitsiqui entendit son maître se lever. Il se hâta de préparer à manger. Jorohery arriva avant que tout soit prêt. Il s'empara du bol et dit :
- Prévenez le Prince Neuvième qu'on part.
Aussitôt un serviteur courut porter les desiderata à Quiloma. Il le trouva à côté de la porte du temple. Trente hommes en armes étaient là aussi.
- Dites-lui que je l'attends, lui dit Quiloma avant qu'il n'ait ouvert la bouche.
Le serviteur se garda bien de rapporter les paroles de Quiloma.
- Le Prince Neuvième sera à vos ordres dès que vous paraîtrez, ô Bras du Prince Majeur.
L'aube les vit remonter vers la porte des hautes terres. Ils ne croisèrent personne. Quiloma avait posté des guerriers partout. Les villageois étaient déjà partis cueillir ces horreurs qui poussaient sous la montagne. Manger de telles choses alors qu'il y avait de la viande à chasser dans la région était incompréhensible pour lui. Il vit quand même un instant la tête de l'homme de guerre du village. Il irait faire son rapport au chef du village. Cela arrangea Quiloma. La troupe avança rapidement jusqu'à la clairière de la dislocation. Avant d'entrer dans l'espace sans arbre. Jorohery les fit arrêter. Il avança seul. De nouveau, il sembla entrer en transe. Il fureta partout, semblant renifler chaque pierre, chaque endroit. Quand il revint vers Quiloma et son escorte, son visage était sombre.
- Il y a eu des loups ici?
- Oui, mon Prince. J'ai dû utiliser le bâton à loups.
- Des loups noirs?
- Oui, mon Prince, conduits par une grande femelle au regard rouge.
- Ils ont effacé les traces, les odeurs et les auras. Je sens la puissance de l'anneau. Je sens le rougeoiement que tu as fait pour prendre l'anneau, mais tout est brouillé.
- On a cru voir un grand être, mon Prince.
- Oui, je sens aussi une forte présence. Tout ceci n'est pas normal. L'aura de l'anneau m'est cachée. Les choses sont plus compliquées que tu le penses, prince neuvième.
- Pourtant j'ai vu les dépouilles ...
- Oui, mais même elles n'ont plus leurs caractéristiques. Je ressens la femme. L'enfant m'apparaît brouillé comme s'il n'était pas mort complètement. Quant au protecteur, il m'échappe complètement. Soit il est vivant, soit son aura a été effacée. Un grand être dis-tu?
- Oui, mon Prince
- Sa présence proche pourrait expliquer cela. Je pensais ressentir la présence de l'anneau. Lui aussi est masqué à mes sens. J'ai ressenti l'explosion. Si l'anneau est encore là, il faut le chercher en contrebas de cette zone, par là ! dit-il en désignant un des bords de la clairière.
- Nous fouillerons toute la zone, mon Prince.
- Mettez tous les hommes disponibles. Gardez-moi vos dix meilleurs. J'aurais besoin de vous et d'eux. J'ai senti une autre présence. Un tel monstre dans la région est étrange. Il me faut le trouver.
- Que voulez-vous dire, mon Prince?
- Un crammplac, il y a un crammplac poilu ici !
Quiloma sursauta. L'idée d'une telle bête ici lui paraissait inconcevable. Jorohery avait raison. La région était bizarre. Il pensa à la première chasse qu'il avait mené derrière le Prince Majeur. Jeune Prince dixième, il avait eu l'honneur de faire partie du cortège. Celui-ci organisait une ou deux fois par saison une chasse au crammplac poilu. Intelligentes et rusées, leur traque était un sport passionnant et dangereux. Jamais un groupe n'était rentré indemne. Au mieux, il y avait des blessés, au pire des morts et une bête en fuite. Quiloma avait eu la chance de faire partie d'un groupe victorieux. Il avait été remarqué pour la qualité de ses intuitions dans le pistage du crammplac. Le Prince Majeur, blessé au bras au moment de l'hallali était venu le féliciter. Il revoyait l'image de ce vieil homme très droit, très digne malgré son biceps déchiré. Il était mort quelques saisons plus tard. Son descendant, l'actuel Prince Majeur laissait aux chasseurs la tâche de la mise à mort. Il organisait beaucoup plus de chasses. Les crammplacs poilus étaient les alliés naturels des Gowaï. Il souhaitait leur disparition. Le peuple Gowaï avait osé se rebeller une fois encore, lors de son accession au trône. Le Prince Majeur avait envoyé ses phalanges pour les soumettre. Quiloma avait participé à ces campagnes contre les Gowaï. Il avait du affronter plusieurs fois des crammplac poilus. Les pertes en guerriers avaient été lourdes. Sa phalange quasi détruite avait quand même pris et tenu le passage vers les champs de chasse là où le soleil ne se couche plus pendant une saison. Il avait été relevé et envoyé au repos, reconstituer une phalange. Il avait été rappelé pour traquer les ravisseurs. Lors de son arrivée ici, il n'avait jamais pensé qu'il devrait affronter à nouveau une telle bête.
Jorohery était reparti vers le village sans un mot de plus. Quiloma lui emboîta le pas, donnant ses ordres.

lundi 19 mars 2012


Chan, comme les autres habitants, avait vu arriver la troupe ennemie. Ils avaient eu droit à une parade entre la pierre qui bouge et le temple profané. Un défilé de soldats blancs porteur de torches. Ils avaient été intrigués par le traîneau et aussi par l'étrange animal qui le tirait. Il tenait du clach mais était plus gros sans atteindre la taille des tiburs qu'ils connaissaient. Ses sabots très larges lui permettaient de bien tenir sur la neige. La population était sous le choc de ce qui s'était passé il y a deux jours. Les guerriers de la mort patrouillaient dans toute la ville. Le seul endroit où ils ne s'aventuraient pas, était les grottes. Comme la récolte de machpe battait son plein, la majorité de la population s'y trouvait. Ils en avaient un besoin vital s'ils voulaient survivre cet hiver. Chan et le conseil, réuni encore une fois en urgence après le massacre, avaient réparti les chambres de pousse d'Andrysio à ceux qui en avaient le plus besoin et demandé l'aide des autres pour Rinca qui se trouvait trop seul pour assurer le travail. En cette fin de journée, l'espoir semblait perdu. Déjà face au premier groupe, ils n'avaient pas réussi à se défendre. S'il estimait bien les forces en présence, il y avait là de quoi mater tout espoir de révolte. Il regarda autour de lui. Les visages qu'il voyait, étaient tous hostiles. Il sentait la haine monter chez ses concitoyens. Natckin n'était pas là. Il repéra un disciple venu observer.
Le défilé n'était pas fini quand il fit signe aux autres anciens. Ils se retrouvèrent dans la maison commune. On leur servit le malch noir, dans des gobelets normaux. Chan pensait à ces quelques jours qui avaient changé leur vie plus que tout ce qu'ils avaient pu vivre avant. Le silence était pesant. Pourtant personne ne le brisa. Les paroles étaient inutiles ou incompétentes à dire le ressenti.
- Knam, dit un ancien.
- On aurait dû tous les massacrer quand ils sont arrivés, dit Rinca.
- Je comprends ton sentiment, mais si nous avions essayé, nous serions tous morts à ce jour.
- Mais pourquoi sont-ils venus avec ce foutu gamin ?
- J'ai pu parler avec Muoucht. Ils cherchent l'anneau que portait l'étranger.
- Il doit avoir une sacrée importance pour qu'ils envoient autant de monde.
- J'espère qu’ils vont le trouver vite, et foutre le camp encore plus vite.
- Oui, moi aussi, mais en attendant, nous n'avons plus de rites.
- Ni de maître sorcier.
- Comment allons-nous nous guider?
- Le sorcier Natckin est encore là. Il va trouver un moyen de renouer avec les esprits protecteurs.
- J'espère car ce soir l'avenir est noir.
- C'est pas la dernière prophétie qui m'a rassuré.
La discussion se prolongea le temps de siroter son gobelet. Puis Rinca se leva.
- De toute façon, ce soir on ne peut rien. Je vais me coucher. La machpe n'attendra pas demain.
Les autres firent de même. Bientôt ne resta autour de la table que Chan et Sstanch.
- Que penses-tu de ce que nous avons vu ce soir?
- Vous savez Chef de ville, c'est une armée puissante. Nous ne pourrons pas la vaincre. En tout cas pas là où elle sait se battre, c'est-à-dire dans le froid et la neige.
- Tu penses que nous pouvons nous battre.
- Sans entraînement, nous n'avons aucune chance. Avec autant d'entraînement qu'eux, nous aurions le poids du nombre.
- Peut-on y arriver?
- Ne rêvons pas, Chef de ville. La meilleure option aujourd'hui est qu'ils trouvent cet anneau de knam et qu'ils s'en aillent.
- Ne jure pas en parlant de cet anneau. On ne sait pas s'il n'a pas lien avec le monde des esprits. Combien de temps faudrait-il pour entraîner les hommes à se battre?
- On n’aura pas assez de l’hiver. La seule technique qui pourrait marcher face à une armée d’occupation, c’est de les harceler. Mais on n’en est pas là. Avec de la chance, ils seront partis bientôt.

samedi 17 mars 2012


Le soleil était couché. Pourtant les guetteurs suivaient parfaitement la progression du groupe d'arrivants. En effet des porteurs de torches étaient répartis tout le long de la caravane.
- Trente hommes en embuscade à la sortie du bois là-bas, flèche-bois, dit Quiloma.
Personne ne dit mot. Le groupe qui descendait, était encore bien loin. Se déplaçant avec des torches, il ne devait pas être bien dangereux. Trop habitués à obéir sans contester, les trente guerriers avaient pris position. Les arcs courts bandés, les armes prêtes. Ils étaient immobiles, aussi invisibles que des esprits dans la nuit tombée. Quand les hommes de l'avant-garde avec Méaqui sortirent furtivement du bois, passant entre les fourrés, évitant le chemin, préparant leurs armes, ils furent accueillis par des tirs de flèche-bois. Cela dura quelques secondes, puis un rire éclata suivi d'un autre.
- Quiloma, vieille canaille, tu es encore plus retors que je ne pensais, dit Méaqui.
- Tes hommes font plus de bruit qu'une charge de Macoca.
- Les flèches-bois n'étaient peut-être pas nécessaires, ajouta Méaqui, en approchant, tenant à la main une flèche au bout renflé comme une massue.
- Sans cette astuce, tes hommes oublieraient la leçon. Ne jamais arriver sans avoir reconnu le terrain peut être mortel.
Méaqui déchaussa, et salua Quiloma à la manière traditionnelle des princes de même rang, chacun prenant les coudes de l'autre.
- Bravo pour ta phalange, tu as encore gagné ! Moi aussi d'ailleurs qui avais parié sur tes chances.
- Et Jorohery ?
- Il arrive. Tu verras, toujours pareil. Nous nous sommes arrêtés. Un combat, beaucoup de morts autochtones et un guerrier de chez nous.
- Je vois, Méaqui, il est toujours aussi redoutable. Le village n'est pas brillant. Il n'y a pas de richesse, pas de guerrier, juste un homme de guerre valable. Sans cette histoire, je me serais bien passé de venir ici. Mais viens, je te montre les quartiers que j'ai réquisitionnés.

jeudi 15 mars 2012


Méaqui courait devant avec ses hommes de tête. Prince dixième, sa place n'était pas ici. Il le savait.Il restait pourtant, donnant le rythme. Il se détendait par l'effort physique. Il ne supportait pas de rester longtemps à côté de Jorohery. Derrière lui vingt guerriers, affutés comme des bonnes lames, suivaient sa trace. Attentifs à tout, ils ouvraient la route de la caravane du Bras du Prince Majeur. A deux portées de flèches, suivait le reste du groupe. Au centre, Jorohery était dans sa litière tirée par un macoca. L'animal de trait suivait sans forcer le rythme des hommes. Tout en courant, il était capable de brouter les lichens qui poussaient sur les rochers. Son cornac devait l'empêcher de le faire afin de ne pas secouer le passager irritable qui se tenait à l'abri dans le traîneau. A chaque incartade de son macoca, il tremblait. La punition n'était jamais loin avec un tel maître. Sa chance dans ce voyage : Jorohery était pressé d'arriver. Il ne voulait pas s'arrêter. Qualimpo menait la deuxième phalange du groupe. Il suivait l'équipage de Jorohery. Nommé depuis peu. Il aimait cette proximité avec le Bras du Prince Majeur. Cela lui conférait une importance qu'il n'aurait pas eue autrement. Le rythme de déplacement était rapide. L'entraînement des hommes était bon, ils ne peinaient pas. Seuls les serviteurs avaient du mal à suivre. Ils serraient les dents et suivaient sans un mot, sans une plainte. Se retrouver seul, abandonné dans ses montagnes blanches était ce qu'ils redoutaient le plus.
Le messager avait dit juste. Méaqui découvrit le village en contrebas après avoir passé le col. Son avant-garde avait à peine fini de se regrouper qu'une conque sonna dans la vallée. Méaqui sourit. Quiloma tenait toujours aussi bien ses hommes. Immobiles et tout de blanc vêtus, ils étaient presque indiscernables dans le paysage. Le guetteur les avait pourtant repérés. Ils arrivaient bien, le soleil commençait à baisser. Il n'y aurait pas d'autre bivouac. Les hommes avaient aussi le sourire. Ils pensaient à la chaleur et au repas qui les attendaient en bas.
Dès qu'ils virent le gros de la troupe, l'avant-garde entama la descente. Méaqui attendit. Quand le macoca fut passé, il dit :
- Seigneur Jorohery, nous arrivons bientôt. Nous passons le dernier col.
- C'est parfait, Prince Méaqui. Vous nous avez fait tenir les délais, dit une voix sortant de la litière. J'ai hâte de sentir ce qu'il s'est passé.
Méaqui reprit sa position à côté de Qualimpo. Celui-ci prit la parole :
- Nous arriverons peu après le coucher du soleil, j'espère que l'accueil sera bon.
- Tu peux faire confiance à Quiloma. Il n'usurpe pas sa réputation. Sa phalange est la pointe de l'armée. Je ne suis pas étonné que ce soit lui qui ait retrouvé la piste.
- Pourtant certains pariaient sur d'autres princes.
- Ne fais pas trop confiance aux gens de cour, ils ne connaissent pas la valeur des hommes.
La descente débuta sans encombre. Le ciel couvert s'assombrissait. La neige tombait. Les deux princes dixièmes regardaient les serviteurs qui suivaient le traîneau. Manifestement il était temps qu'ils arrivent. Ils n'auraient pas tenus une journée de plus à cette allure.
- STOP !
La voix de Jorohery claqua comme un fouet. Le macoca s'arrêta docilement. Les guerriers étaient déjà en train de prendre une position de défense que les serviteurs peinaient à freiner.
Méaqui et Qualimpo s'approchèrent de la litière. Le rideau se tira. Un visage sec sur un cou décharné apparut. Un serviteur se précipita pour étaler un support sous ses pieds pour l'isoler de la neige. Jorohery descendit. Le silence se faisait. Tous les regards étaient braqués sur lui. Il sembla renifler l'air tout autour de lui.
- On s'est battu ici. Il y a eu des morts. Je sens des puissances à l'œuvre dans cette vallée.
Les deux princes regardèrent Jorohery. Celui-ci trembla de tous ses membres. Il se plia en deux comme s'il souffrait puis se releva d'un bon en poussant un cri. Ses yeux étaient devenus noirs. Il se mit à marcher, parcourant le terrain. Comme toujours ceux qui le regardaient, étaient mal à l'aise. Il n'était pas évident de voir cette grande silhouette se déplacer sur la neige sans enfoncer, ni même la marquer. Cela ne dura pas très longtemps. Jorohery sembla rapetisser en arrivant sur la plateforme mise devant le traîneau.
Les deux princes s'approchèrent.
- Beaucoup de morts autochtones, un de chez nous. Tout ceci est sans intérêt continuons. Il n'y a pas de danger pour nous ici.
Il remonta dans son traîneau et tira le rideau. Le cornac remit le macoca en route. Rapidement le serviteur, récupéra et plia la plate forme, tout en rejoignant sa place dans la file.
Les deux princes dixièmes regardèrent les guerriers reprendre la formation de déplacement.
- Je repars devant, dit Méaqui. Je prépare l'arrivée.
Poussant sur ses batons, il s'élança rapidement dans la pente. Sa parfaite maîtrise de la glisse rendit jaloux Qualimpo.

lundi 12 mars 2012


Quand Natckin rencontra les extérieurs, il ne s’attendait pas à ça. Entouré de guerriers, il fut poussé plus qu’invité sur le chemin qu’il venait de prendre avec Tonlen. Il vit arriver Sstanch par une rue latérale. Un guerrier de la mort lui barra le passage. Sstanch cria :
- Faites ce qu’ils vous disent ! Ils ont déjà massacré Andrysio et sa maison.
Natckin eut du mal à avaler sa salive et il vit que Tonlen était devenu blanc. Quand ils arrivèrent devant le temple, ils forcèrent le passage et se répandirent dans tous les espaces. Le chef de la discipline essaya de les arrêter. Il n’alla pas loin. Une flèche lui transperça le cœur. Voyant cela, ce fut le sauve-qui-peut de tous les sorciers qu’ils soient maître ou disciple. Ils se heurtèrent aux guerriers de la mort qui semblaient surgir de partout. Bientôt, Natckin et tous les autres se retrouvèrent parqués sur le parvis où se faisaient les grandes assemblées cérémonielles. Il pensa qu’ils allaient être tous tués. Si l’idée vint au prince des extérieurs, il n’en fit rien. Il se contenta de les expulser du temple. Ils ne purent rien emporter. Natckin avait pris Tonlen par la main. Celui-ci semblait ne plus rien comprendre. Il ne réagissait plus, sidéré par ce qui lui arrivait. Il marcha un peu, s’arrêta, regarda autour de lui. Tous les regards des expulsés étaient tournés vers lui. Ils l’avaient suivi. Il les vit. Si lui et Tonlen avaient des habits pour être dehors sous la neige qui commençait à tomber, les autres n’avaient souvent rien d’assez chaud sur le dos pour rester dehors. Il se rappela ce qu’avait crié Sstanch. La maison d’Andrysio devait être libre. Il décida de les conduire là-bas. Quand ils y entrèrent, ils trouvèrent Sitca et Tilson aidés de quelques autres en train de sortir les morts.
- On va s’installer là en attendant, dit-il. Savez-vous où est le chef de ville ?
- Il est un peu plus haut, sur la margelle du puits ventru, répondit Tilson.
Natckin confia Tonlen à un disciple qui semblait moins mal en point que les autres. Il remonta la rue vers la maison commune. Effectivement, Chan était assis sur la margelle du puits ventru, la tête entre les mains. En approchant, Natckin l’entendit répéter :
- C’est pas possible ! C’est pas possible !
Il ne semblait pas en meilleur état que Tonlen. Natckin avait pourtant besoin de lui. Il était l’autorité. Il pourrait peut-être obtenir que les extérieurs les laissent rejoindre le temple. Il était probablement impossible de refaire les rites de consécration dans d’autres lieux. Il fallait qu’ils récupèrent le nécessaire pour les rituels. La ville ne pouvait se passer de ce qu’ils accomplissaient chaque jour. Il secoua Chan :
- Chef de ville, secoue-toi ! Il faut récupérer le droit de faire les rites.
- C’est pas possible ! C’est pas possible !
- Mais remue-toi, dit Natckin en le prenant par le col et en le secouant. Tu entends. Les rites ne vont plus pouvoir se faire. Si par malheur cela arrive, la ville va mourir.
Chan leva un regard vide sur Natckin. Quelques instants se passèrent. Natckin fixait Chan dans les yeux. Une lueur sembla envahir les yeux de Chan. Natckin le secoua encore.
- Tu entends, la ville va mourir, si on ne fait plus les rites.
Chan sembla comprendre. Son regard reprit vie.
- Tu as raison. Allons voir ce qui peut être fait. Ce serait pire que tout ce que nous avons vu aujourd’hui.
Chan se leva. Il fit signe à Sstanch qui surveillait les environs. Ils se mirent en route vers le temple.
A leur arrivée devant la porte, ils se retrouvèrent bloqués par deux guerriers. Ceux-ci les menacèrent de leurs lances.
- Vnapasce !
Chan alla jusqu’au contact avec la pointe de l’arme.
- Je veux voir le prince !
- Vnapasce !
- Je me moque de ce que tu dis, je veux voir Quiloma !
Les deux guerriers se regardèrent.
- Vpi nva Quiloma, dit l’un des guerriers.
Un des deux hommes baissa sa lance et rentra dans le temple. Il fut rapidement remplacé. Chan se tint debout, le torse toujours en contact avec la lance.
Un temps qu’il trouva long passa avant que le prince des extérieurs n’arrive. Chan, Sstanch et Natckin avaient vu des guerriers aller et venir. Muoucht arriva entre deux guerriers. Sur un signe d’un de ses accompagnateurs, il attendit à côté de la porte. Quand Quiloma arriva, il fit signe à Muoucht d’approcher.
Le guerrier qui tenait Chan au bout de sa lance, ne bougea pas.
- Qte (Quelle est ta parole ?) dit Quiloma. Muoucht traduisit.
- Vous devez nous laisser libre de faire les rites.
- Psa (Vos superstitions m'indiffèrent. Je garde cet endroit pour l’usage qui est mien).
- Mais vous ne vous rendez pas compte ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Il faut que les rites soient faits ! cria Natckin.
- Proc (Ma réponse est claire. Votre choix est simple, vous partez ou vous mourrez…tous !)
Le guerrier poussa sa lance sur la poitrine de Chan qui résista un peu. Mais quand il vit le fer percer ses vêtements et venir au contact de sa peau, il recula.
- Partons ! dit-il.
Nactkin voulut dire quelque chose mais sur un geste de Chan, Sstanch l’entraîna.
Quand ils furent revenus à la maison d'Andrysio, Natckin laissa éclater sa colère. A quoi Chan répondit sur le même ton en lui expliquant qu'il y avait les otages à protéger. Nacktin parla des rites, de la catastrophe que représentait l'impossibilité de faire les rites dans le temple. Chan répliqua qu'avec le massacre de la maison Andrysio, il avait eu son content de morts pour la journée. Cela calma la colère du sorcier.
- Maître Natckin ! Maître Natckin ! Ils jettent tout dehors. Ils brûlent les herbes sacrées et les bois odoriférants.
Natckin se tourna vers Tasmi qui arrivait en criant la nouvelle.
- Ils vident le temple !
- Il faut récupérer les objets sacrés...Appelle d'autres disciples...et arrive.
Natckin se dépêcha vers le temple. Il trouva un feu devant la porte du temple sur la place des fidèles. Un guerrier jetait une brassée de choses dans le feu. Natckin se précipita pour récupérer un vêtement cérémoniel. Les extérieurs le laissèrent s'emparer de la parure qui déjà brûlait. Le manège continua. Les guerriers de la mort venaient déposer les objets du temple dans le feu. Nacktin et les disciples présents se démenaient pour les retirer. Il y eut un incident quand un disciple voulut prendre une tunique dans les bras même d'un guerrier blanc. Un coup de manche de lance sur les jambes le fit tomber sous les rires des soldats. Il n'insista pas. Ce qui était récupéré était acheminé par certains vers la maison Andrysio. La navette dura deux jours.
Quand une conque retentit au loin, le temple était vide. Natckin faisait le point de ce qui avait été sauvé. De nombreux habits de cérémonie étaient abîmés. Très anciens, très secs, ils avaient vite pris feu dans ce bûcher ardant. Il n'y avait plus de réserve de bois, ni d'herbes à visions. Les lieux sacrés étaient profanés. Les écorces sacrées où avaient été peints les rites sacrés de consécration, avaient toutes brûlées, ne restaient que des fragments. La catastrophe était complète. Comment sauver les rites?

vendredi 9 mars 2012


Quiloma eut juste assez de temps pour faire ce qu’il avait à faire avant l’arrivée du Bras du Prince Majeur. Le chef du village exprima son mécontentement. Il passa outre. Quiloma sentait sa peur et sa haine. Tant qu’il aurait peur, lui et ses hommes ne risquaient rien. La seule qui lui posait question était la femme près de l’eau. Elle n’avait pas peur. Elle connaissait les pouvoirs de ceux qui parlent avec la nature, comme les marabouts. Dans son pays on ne pouvait nuire à un marabout sans encourir une peine plus lourde que la mort. Il repoussa cette pensée, il avait des priorités plus immédiates. Il avait fait entrer la phalange dans la ville. Des otages issus de chaque maison étaient rassemblés dans la maison commune, sous la surveillance attentive d’une dizaine d’hommes. Avec un autre groupe, il avait expulsé tous ces charlatans qui s’agitaient sans rien produire. Il avait bien songé à tous les éliminer. La survenue d’une révolte l’aurait mis en retard dans ses préparatifs. Il valait mieux pour le moment, les envoyer se faire voir ailleurs. Le seul qui avait voulu s’opposer, était mort transpercé d’une flèche. Les autres avaient filé sans rien dire. Ils avaient bien compris que sa patience avait des limites étroites. Maintenant, il distribuait les ordres pour faire aménager toutes ces pièces pour Jorohery et sa suite. Il fit jeter tous ces habits ridicules avec leurs décorations stupides qui n’auraient même pas impressionné un enfant, ainsi qu’il fit brûler toutes ces herbes et toutes ces branches à l’odeur entêtante. Il fallait que tout soit prêt. Ce fut un gros travail que de vider tout cela. Il n’y eut pas d’incident. Quand les guetteurs signalèrent l’arrivée de l’envoyé du Prince Majeur, il était prêt.

mercredi 7 mars 2012


Iaryango marchait en tête. Il voulait savoir. Kyll avait toujours été proche. Il ne serait pas parti sans prévenir sans une circonstance grave. L'arrivée des guerriers de la mort devait être la cause mais pourquoi? Iaryango ruminait ses pensées.
Nomenjaari suivait mettant ses pas dans ceux de Iaryango. Il était le meilleur disciple de Tonlen. Il regardait autour de lui. Attentif aux signes, il guettait. Grand et large, fort comme un tibur mâle, il portait la plus lourde charge.
Rinaphytia fermait la marche. Il n'avait intégré la maison de Gasikara que tardivement. Il avait appris avec son père à chasser et à se diriger dans les bois. C'est le vieux maître sorcier qui était venu le chercher, au grand étonnement des siens et surtout de son père.
- Tu es sûr que tu veux mon fils pour le temple, avait demandé son père.
- Les esprits ont parlé et leur parole est sûre, avait répondu le maître sorcier.
Rinaphytia avait ressenti de la joie à cette demande. C'était un sentiment curieux par sa soudaineté. Il n'avait jamais pensé aller au temple mais maintenant que la demande était faite, la réponse était évidente. Sa place était là-bas. Il avait été mis avec Kyll, Iaryango et Nomenjaari dans la maison Gasikara. Il avait vite apprécié ses compagnons. Kyll avec ses éternelles questions, était le plus doué pour rentrer en contact avec le monde des esprits. Nomenjaari était solide dans tout ce qu'il faisait. Sa capacité d'attention aux détails des rituels l'avait fait progresser plus vite que la majorité dans la hiérarchie cérémonielle. Iaryango s'était imposé comme le chef de la maison. Rinaphytia avait pensé que c'est lui, par le charisme qu'il dégageait qui se retrouverait en haut de la hiérarchie. Comme il percevait moins bien que Kyll et qu'il le savait, Iaryango ne s'était pas fait d'illusion. Kyll était son ami, il eut à cœur de l'aider. Les crises mystiques que Kyll traversait le laissaient parfois en situation dangereuse. Iaryango avait décidé qu'il serait celui qui s'occupe de Kyll. Tout avait bien fonctionné jusqu'au jour où Kyll avait disparu. Des trois, c'est lui qui avait le plus souffert de la séparation. Il fallait qu'il sache. Il avait réussi à convaincre le premier disciple qui assurait la gouvernance de les laisser partir à la recherche du maître sorcier puisque les esprits avaient révélé qu'il était vivant.
Ils avaient maintenant contourné le camp des extérieurs. La neige était haute. Iaryango portait un pot à feu et des torches. Ils avaient des vivres pour trois jours. Seule la neige pouvait les gêner s'il en tombait trop. Ils marchaient en silence dans le bois. De temps en temps Rinaphytia prenait la tête et trouvait un passage dans les escarpements de cette partie de la vallée. Le col de l'homme mort était plus haut mais aucun chemin n'y menait. Une barre rocheuse coupait la montagne. La région possédait de nombreuses grottes. Kyll devait être dans l'une d'elle. Avait-il du feu, de la nourriture ? Sans aide Kyll ne survivrait pas. C'est Iaryango qui avait pensé à tout. Rinaphytia avait pensé au reste, aux provisions, aux vêtements, etc...
Ils avançaient sur une petite corniche en pierre que le vent avait dégagée de sa neige. A travers une trouée dans les résineux, ils eurent un aperçu du terrain devant eux.
Nomenjaari poussa un cri étouffé :
- Knam ! Des loups !
Les deux autres s'arrêtèrent et regardèrent dans la direction qu'il indiquait. Sur le blanc de la neige, les bêtes au pelage sombre ressortaient particulièrement bien. La meute avançait doucement en file indienne. Elle ne semblait pas en chasse.
- Si nous continuons par là, nous allons couper leur trace.
- Il serait plus prudent de prendre par la combe un peu au-dessus. Pour l'instant, le vent nous est favorable et la neige qui tombe efface nos traces.
Bientôt, ils rejoignirent le passage que Rinaphytia avait repéré. La neige y était profonde, malgré leurs raquettes, ils s'enfonçaient beaucoup.
- La nuit arrive, il faudrait se trouver un abri et faire du feu pour se réchauffer.
- Sommes-nous assez loin ? Je ne voudrais pas que la fumée alerte les extérieurs.
- Là sous ce surplomb, ce serait bien !
Iaryango se glissa sous le surplomb. L'espace n'était pas bien grand. Il pensait que cela leur suffirait pour la nuit.
On entendit crier un loup.
- Il est trop proche, dit Rinaphytia.
- Je suis d'accord avec lui, ajouta Nomenjaari. Les signes ne sont pas favorables. Les nuages ne sont pas trop épais et la lumière de la lune est forte. Continuons !
Iaryango se releva.
- Si je comprends bien, c'est un complot pour me faire aller plus loin...
Ils rirent tous les trois mais doucement. Les loups rôdaient.
Ils escaladèrent la combe pour se retrouver sur un autre surplomb.
- On ne peut pas passer par là, il faut continuer à monter.
- Ça tombe bien, je ressens le mouvement des loups. Ils viennent dans notre direction.
- S'ils trouvent nos traces, on est mal...
Ils reprirent leur progression. Elle était plus difficile dans ce terrain rocheux. La peur n'était pas loin. Plus personne ne se plaignait de sa fatigue. Ils voulaient mettre de l'espace entre eux et les loups. Un mouvement devant eux, les fit bifurquer encore une fois. La lune n'éclairait que très faiblement en raison de la quantité de nuages. Rinaphytia ne retrouvait pas ses repères. Ils devaient être sous la route du col de l'homme mort, mais où exactement, il ne savait pas. Il avait l'impression qu'ils revenaient vers la ville mais plus haut. Leur marche continua difficile et en silence.
Essoufflé Iaryango fit une pause. Il écouta. En dehors de leur bruit, il n'entendait rien. Il essaya d'ouvrir sa perception aux autres plans du monde. Même s'il n'avait pas la facilité de Kyll, il savait le faire. Aussi loin qu'il pouvait ressentir, rien ne semblait dangereux. Il contacta même l'esprit d'un oiseau endormi. Les pensées étaient floues, mais l'impression d'une image, lui fit fixer son attention sur ce lien avec le volatile. L'intuition lui vint que l'oiseau avait vu Kyll. Iaryango essaya de se rappeler les techniques pour sonder les pensées. Il les appliqua à cet esprit qui rêvait de vol et d'insectes savoureux. Les sensations fugitives au départ se précisèrent. De nouveau, son intuition lui souffla une réponse : Kyll était là-bas, à la grotte de la médiation.
Iaryango rouvrit les yeux. Ses deux amis reprenaient aussi leur souffle.
- Je sais où est Kyll !
- Dis vite !
- La grotte de la médiation.
- Mais c'est à trois jours de marche, dit Rinaphytia. Es-tu sûr ?
- Je l'ai lu dans l'esprit d'un oiseau.
- Reposons-nous un peu, nous repartirons à la première lumière. Je sens un refuge un peu plus loin. J'espère que ça ira pour la nuit.
Ils se traînèrent encore sur une centaine de pas et découvrirent un renfoncement dans la montagne. A l'aide du stock de branches mortes et d'aiguilles de résineux qui s'était accumulé à l'entrée, ils firent un feu. Ils s'arrangèrent pour qu'il ne soit pas visible de l'extérieur et qu'il fasse le moins de fumée possible qu'on ne puisse pas les sentir de loin. Avec une meute de loups pas très loin, Rinaphytia imposa de manger froid et de faire un tour de garde.
La nuit se passait calmement. La lune redevint plus apparente. Iaryango montait la garde. Le feu était devenu braise. Il somnolait un peu. Il relevait la tête par à-coup quand elle tombait. Il releva une nouvelle fois la tête, luttant contre la lourdeur de ses paupières. Le paysage était toujours aussi blafard. Il se secoua un peu et reprit la scrutation des alentours. Brusquement la lumière manqua. Il leva les yeux. Une grande ombre cachait la lune. Cela ne dura qu'un instant, puis un loup hurla à la lune sur sa droite. Un autre répondit à gauche. Il eut l'impression d'une présence forte, très forte, trop forte pour être celle d'un des esprits qu'il connaissait. Il essaya de rentrer en contact avec. Il poussa un cri qui réveilla les dormeurs. Il avait eu l'impression de prendre une gifle magistrale.
- Que se passe-t-il ?
- Il y a un esprit fort qui rôde autour.
- Ton cri a alerté tout ce qui vit autour. Ranime le feu, les loups risquent d’arriver.
Le feu venait à peine de reprendre que des yeux accrochèrent la lumière. Ce fut une paire, puis une deuxième, puis une dizaine. La meute avait entendu et elle était là. Les trois entendirent le grondement des loups. Ils s’armèrent de branches. Rinaphytia en enflamma une qu’il jeta vers les loups. Ils firent un petit bond de côté mais ne s’éloignèrent pas.
- On est mal parti !
- Il faut tenir, nous avons assez de branches pour tenir jusqu’à ce qu’ils cherchent une autre proie plus facile.
La première attaque survint par la droite. Un loup avait longé la paroi et s’était élancé. Pour éviter le feu, il dut faire attention juste un instant. Nomenjaari en profita pour le pousser violemment avec un branche qu’il venait d’enflammer. Le loup sauta en arrière en hurlant, la fourrure en feu. Les trois compagnons le virent se rouler dans la neige pour étouffer les flammes. Le cercle des crocs se rapprocha.
- Je ne suis pas sûr que notre feu suffise.
- Pourtant les signes étaient clairs, ce refuge est bon, dit Nomenjaari.
- Il va peut-être falloir que tu révises, réplique Iaryango.
- Le moment est-il bien choisi pour faire de l’humour ? demanda Rinaphytia en ramassant d’autres branches pour élargir le feu.
Les loups s’étaient rapprochés suffisamment pour qu’ils puissent voir leur maigreur. La meute était affamée et ne lâcherait pas ses proies. Rinaphytia en était certain. Il essayait d’évaluer combien de temps, ils allaient pouvoir alimenter le feu. L’aube lui sembla loin. Il regarda ses amis. Nomenjaari surveillait les loups. Iaryango avait pris la position de celui qui médite. Il devait essayer de contacter un esprit pour les aider.
- Ça y est ! dit-il en ouvrant les yeux. Quelqu’un vient vers nous ! Sa pensée est claire. Il est puissant et les loups ne lui font pas peur !
- J’espère que ce n’est pas le prince des extérieurs. Son bâton commande aux loups.
Les flammes baissaient un peu. Il fallait faire durer le feu jusqu’à l’arrivée de l’aide. Soudain les loups s’agitèrent. Mettant la queue entre les jambes, ils se mirent à reculer en grondant, toutes dents dehors. Bientôt ils eurent disparu dans la nuit. Un regard rouge apparut.
Les trois hommes poussèrent un cri. Des loups noirs. La meute avança sans se presser. Deux fois plus grands que les loups qui avaient fait le siège de leur abri, ils étaient impressionnants de puissance. Manifestement bien nourris, leurs muscles roulaient sous la fourrure noire et brillante. La louve au regard rouge s’arrêta devant eux. Elle fixa les trois hommes. Les autres loups continuèrent leur chemin, donnant la chasse à la meute des gris qui n’aurait son salut que dans la fuite. Quand toute la meute eut, elle aussi, disparu, la louve se détourna et prit un petit trot. Il n’y eut plus que le crépitement du feu.
Les trois hommes se regardèrent. Aucune légende n’avait jamais raconté pareil évènement.
- Je n’en reviens pas, dit Iaryango. L’esprit qui m’a répondu, est celui de la louve. C’est incroyable, une puissance pareille et en même temps une telle paix intérieure. Elle est là où elle doit être, pour faire ce qu’elle doit faire. Sa dernière pensée pourrait se traduire par un souhait de bonne route.
Ils n’attendirent pas plus. Ramassant leurs affaires, ils reprirent leur marche. Ils savaient où était Kyll. Il ne restait plus qu’à le rejoindre. Ils coupèrent la route du col sur la fin de matinée. Ils ne s’inquiétaient pas de leurs traces. La neige qui tombait sans discontinuer les effaçait très vite. Une fois ou l’autre à l’occasion d’une accalmie ou d’une trouée dans la forêt, ils avaient vu les silhouettes noires des loups qui semblaient les escorter de loin. Curieusement, cela les rassura. Quand la nuit survint, ils trouvèrent l’abri qu’ils connaissaient. Ils étaient sur la bonne route. Encore deux jours de marche et ils seraient à la grotte.
Le deuxième et le troisième jour passèrent de la même façon. En approchant de la grotte, ils croisèrent même un troupeau de clachs qui semblait fuir. Ils le suivirent du regard.
- Là ! dit Rinaphytia, les loups noirs partent en chasse.
Regardant dans la direction qu’il leur montrait, Iaryango et Nomenjaari virent la meute se mettre à poursuivre les clachs.
- Ils ont fini leur accompagnement. Ils nous laissent. Dans deux heures nous serons arrivés.
- Je ne sais pas si quelqu’un pourra nous croire.
- Faisons une pause. J’ai besoin de récupérer un peu.
Ils trouvèrent une entrée de caverne accueillante. S’asseyant, ils partagèrent quelques provisions. Ils regardaient la vallée en contrebas, en devisant. Si Iaryango essayait d’envisager ce qu’ils allaient faire en retrouvant Kyll, Rinaphytia évoquait la chasse nécessaire pour survivre. Un bruit les fit se retourner tous les trois ensemble. Ils se levèrent d’un bond mais furent incapables d’un autre mouvement. Devant eux, babines retroussées, se tenait un crammplac poilu.

dimanche 4 mars 2012


Chan ne comprenait rien. Les guerriers de la mort et leur prince étaient rentrés en nombre dans la ville. Sans mot, ni demande, ils entraient dans toutes les maisons. Ils avaient commencé par la maison commune. Le conseil encore une fois réuni, essayait de trouver une ligne de conduite. Les débats furent interrompus par l'irruption de dix soldats qui se répartirent dans la maison. Leur prince entra examina les lieux un moment et ressortit sans un mot. Rinca éructait ses envies de meurtres, rejoint en cela par d'autres. Alors qu'il se levait brusquement pour hurler sa haine, comme un seul homme, les dix guerriers avaient tiré leurs armes du fourreau. Sstanch avait crié :
- Que tout le monde se calme ou ça va être un massacre !
La voix de la raison et un guerrier de la mort à moins d'une longueur d'épée de lui, l'avaient calmé. Quand ils étaient sortis, tout le conseil leur avait emboîté le pas. Leur chef, ce Quiloma, visitait toutes les habitations.
- Que cherche-t-il ?
- Je ne sais pas, et l'homme des bois n'est pas là pour traduire.
Leurs pas les portaient vers le bas de la ville. Andrysio s'opposa à leur entrée dans sa maison. Il n'y eut même pas de combat. L'épée lui traversa le corps avant qu'il ait fini sa phrase de protestation. Ceux de sa maison qui essayèrent de résister subirent le même sort. Quand le prince pénétra dans la maison, il évita de peu le couteau de l'épouse d'Andrysio, elle non. La dague du prince lui transperça le cœur. Quand ils ressortirent de la maison, il n'y avait plus âme qui vive dedans. Le prince en sortant, fit un geste à ses hommes. Immédiatement les guerriers de la mort prirent position aux points stratégiques de la ville avant qu'une opposition organisée puisse naître. Organisés trois par trois dont un archer prêt à tirer, ils découragèrent ceux qui auraient voulu agir. La peur remplaça la curiosité. Courant devant les extérieurs, Sstanch et ses hommes firent fuir les habitants.
Chan était assis sur un banc la tête entre les mains, prostré, répétant :
- C'est pas possible ! C'est pas possible !
La nouvelle se répandit comme une rivière qui déborde. Sans la neige qui s'annonçait, ils auraient fui. Partir c'était mourir à coup sûr, rester laissait une petite chance. La question qui hanta la population de la ville fut : "comment ne pas subir le sort d'Andrysio ?"
Pendant ce temps, Quiloma arrivait en bas de la ville, près de la rivière. Il trouva la Solvette sur le seuil, debout les mains sur les hanches, la tête droite.
Quiloma s'arrêta devant elle, impressionné par le regard de feu qui couvait dans les yeux de la Solvette.
- Spso...( Femme, écarte-toi, que je fasse ce que je dois faire!).
- Non, tu ne passeras pas. Tu n'es pas le bienvenu.
Quiloma sursauta. Personne n'avait eu un tel ton devant lui depuis bien longtemps.
- Ncin...(Tu ne crains pas la mort que tu t'opposes à moi ?).
La Solvette fit un geste. La neige accumulée sur le toit, s'effondra, ensevelissant cinq hommes à sa droite.
- Je ne te crains pas.
Quiloma regarda ses hommes, regarda la Solvette. Sa dague jaillit comme un dard. Son geste ne fut jamais fini, un grand Charc noir lui avait saisi la main dans ses serres. D'autres décollèrent des toits environnant pour venir tourner au-dessus de leurs têtes. Quiloma lâcha la dague et se recula. Cette femme commandait aux Charcs, ces oiseaux maudits que tout guerrier redoutait. Sur les champs de bataille ce sont eux qui achevaient les blessés.
Quiloma se détourna brusquement, ramassa sa dague et donna l'orde de repli. Une escouade resta à dégager les hommes ensevelis mais tous partirent le plus vite possible après.
Ce fut une autre rumeur qui se mit à courir en ville. La Solvette avait tenu tête et était encore en vie. A la peur se mêla la jalousie de voir qu'elle réussissait là où les autres échouaient.
Les guerriers de la mort remontèrent par la rue du temple. Ils continuèrent leur visite systématique. Personne ne s'opposait, puisque les maisons étaient vides de leurs habitants. C'est dans cette rue que Quiloma se retrouva face à Natckin et à Tonlen. Avant d'avoir pu dire ou faire quelque chose, les deux sorciers furent entourés par une escouade. Quiloma leur fit signe d'avancer vers le temple qu'ils venaient de quitter. Ici non plus, personne ne s'opposa aux guerriers. Quiloma visita tous les bâtiments qui composaient le temple. Il sourit. Il avait trouvé où allait loger Jorohery et sa suite.

jeudi 1 mars 2012


Quiloma avait vu arriver sans joie le messager. Il se doutait qu'il allait venir, mais pas si vite. Le Prince Majeur faisait montre d'une impatience que Quiloma n'avait jamais vue. Cet anneau devait vraiment être très spécial. Depuis l'attaque de ces imbéciles du village d'à côté, il le cherchait tous les jours. Il avait interdit le passage aux villageois. Il n'avait qu'à attendre avec leurs morts. Cette histoire de les découper lui avait déplu. C'était un rite de non civilisé. Pour ces deux phalangiens morts, Quiloma avait fait les rites qu'il fallait. Au sein d'une faille dans la montagne, il avait fait mettre les deux corps dans la position rituelle. Puis la faille avait été scellée de pierres après y avoir mis les amulettes pour que l'âme des morts ne revienne pas dans le monde des vivants. S'ils avaient été sur les terres froides de leur peuple, on aurait creusé la glace et la terre gelée pour leur faire une tombe. Mais ici, dans un pays sans glace éternelle, la pierre était préférable.
Le messager l'avait rejoint dans la clairière. La neige était en tas à force d'être remuée. Pourtant personne n'avait trouvé l'anneau. En voyant le guerrier à l'uniforme blanc et au col rouge, Quiloma fut contrarié. Il avait failli à sa mission en ne trouvant pas l'anneau et il n'avait aucun moyen de pression pour monter dans la hiérarchie. L'homme ne s'était pas incliné. Il était la voix du Prince Majeur. Quiloma inclina la tête en mettant les deux poings fermés sur la poitrine. Tous les autres arrêtèrent leur activité de recherche et mirent genou à terre.
- Nsipl...( Ainsi parle le Prince par sa Voix que je porte. Sois heureux Quiloma, prince dixième, tu as trouvé les ennemis de ton peuple. La vengeance est close par leur mort. Le malheur est pour notre temps. L'enfant est mort. L'espoir du peuple s'est éteint. Tout n'est pourtant pas perdu. L'espoir est dans l'anneau et dans celui qui le portera. Mon Bras vient à ton aide. Fais-lui bon accueil. Telle est ma Parole, telle est ma Volonté).
Le messager se tut, croisa les bras sur la poitrine et attendit.
Quiloma analysa le message tout en se redressant. Une bonne nouvelle, il était félicité. Une moins bonne, le Bras du Prince Majeur arrivait. La silhouette sombre de Jorohery lui apparut devant les yeux. Nul ne savait comment il avait conquis les faveurs du Prince Majeur. Il était son bras armé, celui qui accomplissait sa volonté. Jorohery ne semblait connaître ni la joie, ni la compassion. Quiloma le craignait comme tous. Il savait qu'il ne venait pas seul. Deux princes dixièmes au moins l'accompagneraient. Cela faisait beaucoup de monde. Trop pour le fort de glace qu'il avait fait monter. Il lui fallait trouver de la place. Quiloma s'approcha du messager :
- Qda...( Sais-tu le nombre de jours avant son arrivée?).
- Sli... (Il avance à marches forcées. Dans deux jours il sera là.).
Quiloma se détourna de lui et donna ses ordres. Laissant quelques hommes pour garder la clairière, il partit vers le village pour réquisitionner des lieux dignes d'accueillir le Bras du Prince Majeur.