mercredi 28 mars 2012


La ville avait des allures de camp militaire. C’était l’opinion de beaucoup d’habitants bien qu’ils n’en aient jamais vu. Quand on circulait dans les rues, on croisait des patrouilles partout. On ne pouvait même pas se réfugier dans les maisons. Les guerriers de la mort y entraient fréquemment pour réclamer à boire ou à manger. Les plats de machpe ne leurs plaisaient pas. Aliment de base de la saison hivernale pour les gens de la ville, ils nécessitaient une préparation assez longue pour un résultat gustatif assez terne. Les guerriers préféraient s’en prendre aux salaisons et autres provisions d’été stockées dans les greniers et les réserves. Le sentiment général était que la fin de l’hiver allait être rude avec toutes ces bouches supplémentaires à nourrir.
Chan ne décolérait pas. Depuis l’arrivée des nouveaux extérieurs, il n’avait pas été reçu par leur chef. A chacune de ses requêtes, il s’était fait éconduire. Muoucht qui accompagnait certains soldats pour traduire les demandes toujours plus nombreuses, expliquait que le grand chef Rorroréri ou quelque chose comme cela était obsédé par l’anneau et une chasse qu’il devait faire. Chan devait pourtant faire face au mécontentement grandissant des chefs de maisons qui trouvaient leurs greniers vidés quand ils rentraient des grottes de machpe. Il se rappelait en début d'hiver la réunion du conseil consacrée à l'évaluation des réserves. En comptant tout ce que les uns et les autres avaient annoncé, il y avait juste de quoi faire avec une récolte de machpe moyenne. L'arrivée des premiers étrangers n'avait pas changé grand chose. Ils avaient vécu sur leurs provisions et la chasse. Ceux qui venaient d'occuper le temple avaient changé la donne. Il fallait que la récolte de machpe soit exceptionnelle pour qu'il n'y ait pas de disette, même avec la disparition de la maison Andrysio. Sstanch lui servait d’observateur et de courrier. C’est par lui qu’il avait appris que tous les hommes extérieurs qui ne patrouillaient pas, bougeaient des monceaux de neige en dessous de la clairière de la dislocation. C’est par lui encore qu’il avait appris que certains chefs de maisons déménageaient leurs provisions dans les grottes de machpe. Les extérieurs semblaient redouter ces espaces clos que représentaient les grottes. Les patrouilles y étaient peu fréquentes et ne s’éloignaient pas des grandes galeries. C’est par lui toujours qu’il avait appris les blessures d’un serviteur de la maison de Chountic. Il avait été surpris avec des cuisseaux de tibur salés alors qu’il se dirigeait vers les grottes. Une lance l’avait cloué sur un poteau de grange. Les extérieurs l’avaient laissé là, à moitié mort, rigolant de le voir ainsi suspendu. C’est la Solvette qui était intervenue. Bousculant les guerriers, elle avait examiné la plaie.
- Je vous promets que ce que je dis est vrai, Chef de ville. Alors qu’un extérieur allait lui faire subir le même sort, le prince Quiloma lui a retenu le bras. Je l’ai vu s’avancer vers la Solvette. Elle le défiait, le fixant droit dans les yeux. Il a soutenu son regard. Et vous connaissez le regard de la Solvette quand elle est en colère. Sans la quitter des yeux, il a retiré la lance d’un seul geste. Il a fait un signe à ses hommes et ils sont repartis sans oublier les cuisseaux.
- Et le serviteur.
- La Solvette l’a fait ramener chez Chountic. Elle le soigne. Il devrait survivre. Ça fait deux bras de moins pour Chountic.
- Ce prince n’était pas avec les autres à la clairière ?
- Non, il semble préparer une expédition.
- Mais il va y avoir une tempête. Le vent de Sioultac vient de se lever.
- S’ils disparaissent, ce n’est pas moi qui les pleurerais.
En passant devant chez Kalgar, ils virent qu’il avait été réquisitionné par les extérieurs. Trois guerriers se tenaient dans un coin, surveillant tout ce qui se passait. Kalgar et ses assistants travaillaient comme toujours avec peu de paroles et des gestes précis. Chan vit le forgeron tremper une pointe de lance. Cela l’irrita de constater que cet artisan que toute la vallée enviait, travaillait pour ses ennemis. Il ne s’arrêta pas. Il voulait voir Natckin. Il avait besoin de savoir. Qu’allaient donner les plans de machpe ? Fallait-il déjà prévoir de rationner ? Les pousses qu’il avait vues, étaient nombreuses. Il savait que cela ne suffisait pas à faire une bonne récolte. Qu’apparaissent certains insectes, ou que l’air des grottes devienne vicié et tous les espoirs seraient déçus. Natckin pourrait-il l’aider ? Avait-il trouvé le moyen de faire les rites hors du temple ? Il le fallait. Sans l’aide des esprits, la vie ne serait plus possible ici. C’est en remuant toutes ces sombres pensées qu’il poussa la porte de la maison d’Andrysio.

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