jeudi 22 mars 2012


Jorohery avait peu dormi. Ses serviteurs l'avaient entendu marcher une bonne partie de la nuit de long en large dans ce qui devait être un temple ou quelque chose comme cela. Ils avaient juste eu le temps d'arranger un peu l'espace avant son arrivée. Il flottait encore une odeur entêtante qui devait correspondre à ces saloperies que les villageois d'ici brûlaient dans leurs cérémonies païennes. Le Bras du Prince Majeur avait tenu avant de se retirer de faire une cérémonie en l'honneur de Quiloma. Ses exploits dans cette chasse, lui avait donné droit à la promotion qu'il attendait. Il devenait prince neuvième. La fête n'avait pas duré. Si d'ailleurs on pouvait appeler cela une fête. Tous les serviteurs craignaient Jorohery. Il était dur et sans pitié. Tous se rappelaient les abandons des plus faibles dans le passage du grand col. Quand Mitsiqui lui avait fait remarquer qu'il allait lui manquer des serviteurs, il avait répondu :
- Je préfère sept sûrs que dix incertains.
Le chef des serviteurs n'avait pas osé insister. Il aurait très bien pu être le suivant sur la liste. Il avait réparti la charge supplémentaire du mieux qu'il pouvait. Leur chance fut que Méaqui leur soit venu en aide. Il avait fait prendre à ses hommes un peu de surpoids. Il avait justifié cela en disant que s'ils étaient tous morts, ce sont ses guerriers qui devraient faire les serviteurs. C'est à partir de ce moment-là qu'il avait beaucoup pris la tête du convoi. Si sa marche était rapide, elle était soutenable par tout le monde. Jorohery n'avait rien dit. Seulement son regard se faisait plus noir quand il regardait Méaqui.
La lumière du jour pâlissait seulement quand Mitsiqui entendit son maître se lever. Il se hâta de préparer à manger. Jorohery arriva avant que tout soit prêt. Il s'empara du bol et dit :
- Prévenez le Prince Neuvième qu'on part.
Aussitôt un serviteur courut porter les desiderata à Quiloma. Il le trouva à côté de la porte du temple. Trente hommes en armes étaient là aussi.
- Dites-lui que je l'attends, lui dit Quiloma avant qu'il n'ait ouvert la bouche.
Le serviteur se garda bien de rapporter les paroles de Quiloma.
- Le Prince Neuvième sera à vos ordres dès que vous paraîtrez, ô Bras du Prince Majeur.
L'aube les vit remonter vers la porte des hautes terres. Ils ne croisèrent personne. Quiloma avait posté des guerriers partout. Les villageois étaient déjà partis cueillir ces horreurs qui poussaient sous la montagne. Manger de telles choses alors qu'il y avait de la viande à chasser dans la région était incompréhensible pour lui. Il vit quand même un instant la tête de l'homme de guerre du village. Il irait faire son rapport au chef du village. Cela arrangea Quiloma. La troupe avança rapidement jusqu'à la clairière de la dislocation. Avant d'entrer dans l'espace sans arbre. Jorohery les fit arrêter. Il avança seul. De nouveau, il sembla entrer en transe. Il fureta partout, semblant renifler chaque pierre, chaque endroit. Quand il revint vers Quiloma et son escorte, son visage était sombre.
- Il y a eu des loups ici?
- Oui, mon Prince. J'ai dû utiliser le bâton à loups.
- Des loups noirs?
- Oui, mon Prince, conduits par une grande femelle au regard rouge.
- Ils ont effacé les traces, les odeurs et les auras. Je sens la puissance de l'anneau. Je sens le rougeoiement que tu as fait pour prendre l'anneau, mais tout est brouillé.
- On a cru voir un grand être, mon Prince.
- Oui, je sens aussi une forte présence. Tout ceci n'est pas normal. L'aura de l'anneau m'est cachée. Les choses sont plus compliquées que tu le penses, prince neuvième.
- Pourtant j'ai vu les dépouilles ...
- Oui, mais même elles n'ont plus leurs caractéristiques. Je ressens la femme. L'enfant m'apparaît brouillé comme s'il n'était pas mort complètement. Quant au protecteur, il m'échappe complètement. Soit il est vivant, soit son aura a été effacée. Un grand être dis-tu?
- Oui, mon Prince
- Sa présence proche pourrait expliquer cela. Je pensais ressentir la présence de l'anneau. Lui aussi est masqué à mes sens. J'ai ressenti l'explosion. Si l'anneau est encore là, il faut le chercher en contrebas de cette zone, par là ! dit-il en désignant un des bords de la clairière.
- Nous fouillerons toute la zone, mon Prince.
- Mettez tous les hommes disponibles. Gardez-moi vos dix meilleurs. J'aurais besoin de vous et d'eux. J'ai senti une autre présence. Un tel monstre dans la région est étrange. Il me faut le trouver.
- Que voulez-vous dire, mon Prince?
- Un crammplac, il y a un crammplac poilu ici !
Quiloma sursauta. L'idée d'une telle bête ici lui paraissait inconcevable. Jorohery avait raison. La région était bizarre. Il pensa à la première chasse qu'il avait mené derrière le Prince Majeur. Jeune Prince dixième, il avait eu l'honneur de faire partie du cortège. Celui-ci organisait une ou deux fois par saison une chasse au crammplac poilu. Intelligentes et rusées, leur traque était un sport passionnant et dangereux. Jamais un groupe n'était rentré indemne. Au mieux, il y avait des blessés, au pire des morts et une bête en fuite. Quiloma avait eu la chance de faire partie d'un groupe victorieux. Il avait été remarqué pour la qualité de ses intuitions dans le pistage du crammplac. Le Prince Majeur, blessé au bras au moment de l'hallali était venu le féliciter. Il revoyait l'image de ce vieil homme très droit, très digne malgré son biceps déchiré. Il était mort quelques saisons plus tard. Son descendant, l'actuel Prince Majeur laissait aux chasseurs la tâche de la mise à mort. Il organisait beaucoup plus de chasses. Les crammplacs poilus étaient les alliés naturels des Gowaï. Il souhaitait leur disparition. Le peuple Gowaï avait osé se rebeller une fois encore, lors de son accession au trône. Le Prince Majeur avait envoyé ses phalanges pour les soumettre. Quiloma avait participé à ces campagnes contre les Gowaï. Il avait du affronter plusieurs fois des crammplac poilus. Les pertes en guerriers avaient été lourdes. Sa phalange quasi détruite avait quand même pris et tenu le passage vers les champs de chasse là où le soleil ne se couche plus pendant une saison. Il avait été relevé et envoyé au repos, reconstituer une phalange. Il avait été rappelé pour traquer les ravisseurs. Lors de son arrivée ici, il n'avait jamais pensé qu'il devrait affronter à nouveau une telle bête.
Jorohery était reparti vers le village sans un mot de plus. Quiloma lui emboîta le pas, donnant ses ordres.

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