mercredi 7 mars 2012


Iaryango marchait en tête. Il voulait savoir. Kyll avait toujours été proche. Il ne serait pas parti sans prévenir sans une circonstance grave. L'arrivée des guerriers de la mort devait être la cause mais pourquoi? Iaryango ruminait ses pensées.
Nomenjaari suivait mettant ses pas dans ceux de Iaryango. Il était le meilleur disciple de Tonlen. Il regardait autour de lui. Attentif aux signes, il guettait. Grand et large, fort comme un tibur mâle, il portait la plus lourde charge.
Rinaphytia fermait la marche. Il n'avait intégré la maison de Gasikara que tardivement. Il avait appris avec son père à chasser et à se diriger dans les bois. C'est le vieux maître sorcier qui était venu le chercher, au grand étonnement des siens et surtout de son père.
- Tu es sûr que tu veux mon fils pour le temple, avait demandé son père.
- Les esprits ont parlé et leur parole est sûre, avait répondu le maître sorcier.
Rinaphytia avait ressenti de la joie à cette demande. C'était un sentiment curieux par sa soudaineté. Il n'avait jamais pensé aller au temple mais maintenant que la demande était faite, la réponse était évidente. Sa place était là-bas. Il avait été mis avec Kyll, Iaryango et Nomenjaari dans la maison Gasikara. Il avait vite apprécié ses compagnons. Kyll avec ses éternelles questions, était le plus doué pour rentrer en contact avec le monde des esprits. Nomenjaari était solide dans tout ce qu'il faisait. Sa capacité d'attention aux détails des rituels l'avait fait progresser plus vite que la majorité dans la hiérarchie cérémonielle. Iaryango s'était imposé comme le chef de la maison. Rinaphytia avait pensé que c'est lui, par le charisme qu'il dégageait qui se retrouverait en haut de la hiérarchie. Comme il percevait moins bien que Kyll et qu'il le savait, Iaryango ne s'était pas fait d'illusion. Kyll était son ami, il eut à cœur de l'aider. Les crises mystiques que Kyll traversait le laissaient parfois en situation dangereuse. Iaryango avait décidé qu'il serait celui qui s'occupe de Kyll. Tout avait bien fonctionné jusqu'au jour où Kyll avait disparu. Des trois, c'est lui qui avait le plus souffert de la séparation. Il fallait qu'il sache. Il avait réussi à convaincre le premier disciple qui assurait la gouvernance de les laisser partir à la recherche du maître sorcier puisque les esprits avaient révélé qu'il était vivant.
Ils avaient maintenant contourné le camp des extérieurs. La neige était haute. Iaryango portait un pot à feu et des torches. Ils avaient des vivres pour trois jours. Seule la neige pouvait les gêner s'il en tombait trop. Ils marchaient en silence dans le bois. De temps en temps Rinaphytia prenait la tête et trouvait un passage dans les escarpements de cette partie de la vallée. Le col de l'homme mort était plus haut mais aucun chemin n'y menait. Une barre rocheuse coupait la montagne. La région possédait de nombreuses grottes. Kyll devait être dans l'une d'elle. Avait-il du feu, de la nourriture ? Sans aide Kyll ne survivrait pas. C'est Iaryango qui avait pensé à tout. Rinaphytia avait pensé au reste, aux provisions, aux vêtements, etc...
Ils avançaient sur une petite corniche en pierre que le vent avait dégagée de sa neige. A travers une trouée dans les résineux, ils eurent un aperçu du terrain devant eux.
Nomenjaari poussa un cri étouffé :
- Knam ! Des loups !
Les deux autres s'arrêtèrent et regardèrent dans la direction qu'il indiquait. Sur le blanc de la neige, les bêtes au pelage sombre ressortaient particulièrement bien. La meute avançait doucement en file indienne. Elle ne semblait pas en chasse.
- Si nous continuons par là, nous allons couper leur trace.
- Il serait plus prudent de prendre par la combe un peu au-dessus. Pour l'instant, le vent nous est favorable et la neige qui tombe efface nos traces.
Bientôt, ils rejoignirent le passage que Rinaphytia avait repéré. La neige y était profonde, malgré leurs raquettes, ils s'enfonçaient beaucoup.
- La nuit arrive, il faudrait se trouver un abri et faire du feu pour se réchauffer.
- Sommes-nous assez loin ? Je ne voudrais pas que la fumée alerte les extérieurs.
- Là sous ce surplomb, ce serait bien !
Iaryango se glissa sous le surplomb. L'espace n'était pas bien grand. Il pensait que cela leur suffirait pour la nuit.
On entendit crier un loup.
- Il est trop proche, dit Rinaphytia.
- Je suis d'accord avec lui, ajouta Nomenjaari. Les signes ne sont pas favorables. Les nuages ne sont pas trop épais et la lumière de la lune est forte. Continuons !
Iaryango se releva.
- Si je comprends bien, c'est un complot pour me faire aller plus loin...
Ils rirent tous les trois mais doucement. Les loups rôdaient.
Ils escaladèrent la combe pour se retrouver sur un autre surplomb.
- On ne peut pas passer par là, il faut continuer à monter.
- Ça tombe bien, je ressens le mouvement des loups. Ils viennent dans notre direction.
- S'ils trouvent nos traces, on est mal...
Ils reprirent leur progression. Elle était plus difficile dans ce terrain rocheux. La peur n'était pas loin. Plus personne ne se plaignait de sa fatigue. Ils voulaient mettre de l'espace entre eux et les loups. Un mouvement devant eux, les fit bifurquer encore une fois. La lune n'éclairait que très faiblement en raison de la quantité de nuages. Rinaphytia ne retrouvait pas ses repères. Ils devaient être sous la route du col de l'homme mort, mais où exactement, il ne savait pas. Il avait l'impression qu'ils revenaient vers la ville mais plus haut. Leur marche continua difficile et en silence.
Essoufflé Iaryango fit une pause. Il écouta. En dehors de leur bruit, il n'entendait rien. Il essaya d'ouvrir sa perception aux autres plans du monde. Même s'il n'avait pas la facilité de Kyll, il savait le faire. Aussi loin qu'il pouvait ressentir, rien ne semblait dangereux. Il contacta même l'esprit d'un oiseau endormi. Les pensées étaient floues, mais l'impression d'une image, lui fit fixer son attention sur ce lien avec le volatile. L'intuition lui vint que l'oiseau avait vu Kyll. Iaryango essaya de se rappeler les techniques pour sonder les pensées. Il les appliqua à cet esprit qui rêvait de vol et d'insectes savoureux. Les sensations fugitives au départ se précisèrent. De nouveau, son intuition lui souffla une réponse : Kyll était là-bas, à la grotte de la médiation.
Iaryango rouvrit les yeux. Ses deux amis reprenaient aussi leur souffle.
- Je sais où est Kyll !
- Dis vite !
- La grotte de la médiation.
- Mais c'est à trois jours de marche, dit Rinaphytia. Es-tu sûr ?
- Je l'ai lu dans l'esprit d'un oiseau.
- Reposons-nous un peu, nous repartirons à la première lumière. Je sens un refuge un peu plus loin. J'espère que ça ira pour la nuit.
Ils se traînèrent encore sur une centaine de pas et découvrirent un renfoncement dans la montagne. A l'aide du stock de branches mortes et d'aiguilles de résineux qui s'était accumulé à l'entrée, ils firent un feu. Ils s'arrangèrent pour qu'il ne soit pas visible de l'extérieur et qu'il fasse le moins de fumée possible qu'on ne puisse pas les sentir de loin. Avec une meute de loups pas très loin, Rinaphytia imposa de manger froid et de faire un tour de garde.
La nuit se passait calmement. La lune redevint plus apparente. Iaryango montait la garde. Le feu était devenu braise. Il somnolait un peu. Il relevait la tête par à-coup quand elle tombait. Il releva une nouvelle fois la tête, luttant contre la lourdeur de ses paupières. Le paysage était toujours aussi blafard. Il se secoua un peu et reprit la scrutation des alentours. Brusquement la lumière manqua. Il leva les yeux. Une grande ombre cachait la lune. Cela ne dura qu'un instant, puis un loup hurla à la lune sur sa droite. Un autre répondit à gauche. Il eut l'impression d'une présence forte, très forte, trop forte pour être celle d'un des esprits qu'il connaissait. Il essaya de rentrer en contact avec. Il poussa un cri qui réveilla les dormeurs. Il avait eu l'impression de prendre une gifle magistrale.
- Que se passe-t-il ?
- Il y a un esprit fort qui rôde autour.
- Ton cri a alerté tout ce qui vit autour. Ranime le feu, les loups risquent d’arriver.
Le feu venait à peine de reprendre que des yeux accrochèrent la lumière. Ce fut une paire, puis une deuxième, puis une dizaine. La meute avait entendu et elle était là. Les trois entendirent le grondement des loups. Ils s’armèrent de branches. Rinaphytia en enflamma une qu’il jeta vers les loups. Ils firent un petit bond de côté mais ne s’éloignèrent pas.
- On est mal parti !
- Il faut tenir, nous avons assez de branches pour tenir jusqu’à ce qu’ils cherchent une autre proie plus facile.
La première attaque survint par la droite. Un loup avait longé la paroi et s’était élancé. Pour éviter le feu, il dut faire attention juste un instant. Nomenjaari en profita pour le pousser violemment avec un branche qu’il venait d’enflammer. Le loup sauta en arrière en hurlant, la fourrure en feu. Les trois compagnons le virent se rouler dans la neige pour étouffer les flammes. Le cercle des crocs se rapprocha.
- Je ne suis pas sûr que notre feu suffise.
- Pourtant les signes étaient clairs, ce refuge est bon, dit Nomenjaari.
- Il va peut-être falloir que tu révises, réplique Iaryango.
- Le moment est-il bien choisi pour faire de l’humour ? demanda Rinaphytia en ramassant d’autres branches pour élargir le feu.
Les loups s’étaient rapprochés suffisamment pour qu’ils puissent voir leur maigreur. La meute était affamée et ne lâcherait pas ses proies. Rinaphytia en était certain. Il essayait d’évaluer combien de temps, ils allaient pouvoir alimenter le feu. L’aube lui sembla loin. Il regarda ses amis. Nomenjaari surveillait les loups. Iaryango avait pris la position de celui qui médite. Il devait essayer de contacter un esprit pour les aider.
- Ça y est ! dit-il en ouvrant les yeux. Quelqu’un vient vers nous ! Sa pensée est claire. Il est puissant et les loups ne lui font pas peur !
- J’espère que ce n’est pas le prince des extérieurs. Son bâton commande aux loups.
Les flammes baissaient un peu. Il fallait faire durer le feu jusqu’à l’arrivée de l’aide. Soudain les loups s’agitèrent. Mettant la queue entre les jambes, ils se mirent à reculer en grondant, toutes dents dehors. Bientôt ils eurent disparu dans la nuit. Un regard rouge apparut.
Les trois hommes poussèrent un cri. Des loups noirs. La meute avança sans se presser. Deux fois plus grands que les loups qui avaient fait le siège de leur abri, ils étaient impressionnants de puissance. Manifestement bien nourris, leurs muscles roulaient sous la fourrure noire et brillante. La louve au regard rouge s’arrêta devant eux. Elle fixa les trois hommes. Les autres loups continuèrent leur chemin, donnant la chasse à la meute des gris qui n’aurait son salut que dans la fuite. Quand toute la meute eut, elle aussi, disparu, la louve se détourna et prit un petit trot. Il n’y eut plus que le crépitement du feu.
Les trois hommes se regardèrent. Aucune légende n’avait jamais raconté pareil évènement.
- Je n’en reviens pas, dit Iaryango. L’esprit qui m’a répondu, est celui de la louve. C’est incroyable, une puissance pareille et en même temps une telle paix intérieure. Elle est là où elle doit être, pour faire ce qu’elle doit faire. Sa dernière pensée pourrait se traduire par un souhait de bonne route.
Ils n’attendirent pas plus. Ramassant leurs affaires, ils reprirent leur marche. Ils savaient où était Kyll. Il ne restait plus qu’à le rejoindre. Ils coupèrent la route du col sur la fin de matinée. Ils ne s’inquiétaient pas de leurs traces. La neige qui tombait sans discontinuer les effaçait très vite. Une fois ou l’autre à l’occasion d’une accalmie ou d’une trouée dans la forêt, ils avaient vu les silhouettes noires des loups qui semblaient les escorter de loin. Curieusement, cela les rassura. Quand la nuit survint, ils trouvèrent l’abri qu’ils connaissaient. Ils étaient sur la bonne route. Encore deux jours de marche et ils seraient à la grotte.
Le deuxième et le troisième jour passèrent de la même façon. En approchant de la grotte, ils croisèrent même un troupeau de clachs qui semblait fuir. Ils le suivirent du regard.
- Là ! dit Rinaphytia, les loups noirs partent en chasse.
Regardant dans la direction qu’il leur montrait, Iaryango et Nomenjaari virent la meute se mettre à poursuivre les clachs.
- Ils ont fini leur accompagnement. Ils nous laissent. Dans deux heures nous serons arrivés.
- Je ne sais pas si quelqu’un pourra nous croire.
- Faisons une pause. J’ai besoin de récupérer un peu.
Ils trouvèrent une entrée de caverne accueillante. S’asseyant, ils partagèrent quelques provisions. Ils regardaient la vallée en contrebas, en devisant. Si Iaryango essayait d’envisager ce qu’ils allaient faire en retrouvant Kyll, Rinaphytia évoquait la chasse nécessaire pour survivre. Un bruit les fit se retourner tous les trois ensemble. Ils se levèrent d’un bond mais furent incapables d’un autre mouvement. Devant eux, babines retroussées, se tenait un crammplac poilu.

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