Jorohery piaffait. Quiloma avait
demandé quelques jours pour préparer la chasse au crammplac. En
attendant que le groupe de chasse soit prêt, il supervisait les
recherches dans la clairière. Il ne sentait pas bien ce qui
d'habitude ne lui posait aucun problème. Même loin du point
d'explosion, il aurait dû sentir où il se trouvait. Quelque chose
gênait sa perception. Il pensait qu'une fois débarrassé du
crammplac, il retrouverait ses facultés habituelles. Il avait
remarqué cela lors d'une chasse avec le Prince Majeur. La proximité
de ces bêtes brouillait ses senseurs. Dans ce pays maudit où les
habitants mangeaient des choses immondes venues des grottes, il était
obligé de se fier à son raisonnement et au peu qu'il percevait.
L'anneau avait bondi au moment où la pierre explosait, c'est après
que cela se gâtait. S'il sentait la chaleur et la puissance de
l'explosion, tout disparaissait un instant plus tard. Certains
phalangistes de Quiloma racontaient qu'ils avaient vu une grande
ombre. Jorohery ne la sentait pas. Il avait une vague impression
d'une forte présence mais était incapable de la nommer. En
réfléchissant, il n'y avait que peu de possibilités. Éliminer le
crammplac était indispensable pour qu'il retrouve toute la puissance
de ses pouvoirs. Sans eux, il savait que le Pince Majeur ne l'aurait
jamais écouté. Il ne devait pas connaître l'échec s'il voulait
garder son pouvoir. Grâce à ses lectures des évènements et de la
réalité cachée derrière, il lui avait permis de gagner la course
au pouvoir qui s'était engagée à la disparition de l'ancien Prince
Majeur. Il n'avait jamais rencontré cet ancien, mais en avait senti
l'aura qui avait dû être particulièrement puissante pour subsister
ainsi plusieurs saisons après sa mort. La succession avait été une
guerre qui n'avait pas dit son nom entre les héritiers, où l'anneau
avait tenu une place majeure. Il avait une première fois disparu,
mais Jorohery l'avait pisté et retrouvé chez le père de l'enfant
enlevé. A l'époque, il était impossible de faire une attaque de
front. Il avait conseillé son candidat et ils avaient manœuvré
pour faire disparaître ce personnage encombrant. Malheureusement un
enfant était né. Sa disparition avec l'anneau rendait la succession
fragile. Le Prince Majeur devait avoir cet anneau pour être
complètement légitime. Voilà qu'il était à des jours de marche
de la capitale. Les Gowaï, ces maudits sauvages, ne se calmeraient
que si l'anneau était au doigt du Prince Majeur, à moins de les
tuer tous, ce qui n'aurait pas déplu à Jorohery.
Quand Quiloma vint le prévenir du
départ prochain, Jorohery regardait le soleil se lever sur la
clairière. Un petit vent froid soufflait, le ciel à peine couvert
semblait vouloir se dégager. Là-bas dans les plaines glacées,
c’était un signe que le temps allait devenir plus froid. Mais ici,
dans ce pays où l’horizon était fermé par les montagnes, il ne
pouvait pas savoir. Là non plus, il ne pouvait pas savoir. Ce pays
le mettait en colère. Dès qu’il aurait l’anneau, il ferait
massacrer tous ces indigènes afin de nettoyer la terre de ces rites
impurs.
Quiloma était prêt, autant que faire
se peut, pour partir à la chasse au crammplac poilu. Il pensait sans
oser le dire, que dix hommes d’escorte étaient insuffisants. Même
s’il n’y en avait qu’un à chasser, le risque était très
grand. Jorohery avait insisté pour que le maximum d’hommes fouille
la clairière et ses abords. Il ne semblait pas croire que, lors de
l’explosion, certains guerriers aient pu voir un grand être.
Quiloma savait trop bien ce qui se passait quand on s’opposait à
lui. Maintenant qu’il était prince neuvième, il avait trop à
perdre. Il avait eu une longue discussion avec Muoucht sur la
topographie de la région. Ce dernier devait rester dans le village
pour transmettre les ordres. Quiloma comprenait mais trouvait dommage
de devoir se passer d’un homme habile à traquer les animaux.
La colonne s’alignait parfaitement
derrière son prince. Tous étaient de fiers guerriers, les meilleurs
parmi les meilleurs. Ils savaient qu’ils partaient pour une mission
dangereuse. Leur paquetage était prêt pour tenir toute une main de
jours, voire deux mains en se rationnant. La chasse annoncée verrait
leur victoire ou leur mort. Le crammplac poilu était la bête la
plus dangereuse au monde. Silencieuse, puissante et surtout
intelligente, elle faisait peur même au plus endurci. Pour
l’instant, il regardait le Bras du Prince Majeur chausser ses
planches de glisse. Ils furent soulagés de ne pas avoir à le porter
en plus de son ravitaillement. Quand ils s’élancèrent vers la
forêt proche, un pâle soleil brillait derrière quelques nuages.
Seule la froidure du vent était gênante.
Jorohery glissait en tête. Il
remontait vers le col qui avait vu leur arrivée. Il pensait que
là-haut, il aurait une meilleure perception des forces en présence.
Ça lui permettrait de décider de la suite.
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