dimanche 28 septembre 2014

Lyanne vola un moment avant de trouver de quoi se nourrir. Il eut la chance de trouver un de ces bancs de grands poissons argentés dont le dos brillait sous la lune. Il en captura trois qu’il mangea en vol. Il pensa qu’à Rémaï, la faim devait tenailler bien des ventres. Il profita d’un passage du banc près de la surface pour en attraper deux d’un coup. C’est avec ces proies de la taille d’un homme que le dragon rouge reprit le chemin de la faille où se logeaient les Cousmains.
La lune s’était couchée et la nuit bien noire. La largeur entre les falaises était juste suffisante pour sa voilure. Lyanne fit quelques acrobaties pour arriver au village sans toucher les parois. Il posa son fardeau au milieu de l’espace avant de se dégager de forts coups d’ailes. Les quelques personnes à moitié réveillées, témoignèrent que l’homme-oiseau était venu et qu’ils avaient vu sa silhouette. Lyanne eut droit aux remerciements appuyés du chef du village. Ils firent une autre fête pour partager le repas. Ils firent un grand feu. De nouveau l’alcool coula à flots jusqu’à ce que résonnent les trompes qui mirent tout le monde en alerte. À Lyanne, on expliqua que des bateaux approchaient de la passe. Rapidement d’autres sonneries se firent entendre. L’atmosphère se détendit aussi vite qu’elle s’était tendue.
- Les messagers reviennent avec des délégations, lui dit le chef.
Des sonneurs de trompes prirent position sur les bords de la plage. Lyanne vit s’approcher toute une flottille de bateaux rapides aux formes effilées. Chaque fois que retentissait la sonnerie d’un marin, répondaient les trompes. Il compta ainsi une vingtaine d’embarcations portant de trois à quatre hommes chacune. Elles atterrirent avec élégance. Ceux qui débarquaient, déposaient devant le chef du village, des provisions tout en lui adressant les salutations d’usage. Ils s’inclinèrent après, devant Lyanne, appelant la bénédiction des hommes-oiseaux sur leur clan. Chacun d’eux appela Lyanne à choisir un guide de leur village. Il en fut étonné. L’un d’eux lui expliqua que dans la légende, le guide de l’homme-oiseau devenait le roi des Cousmains. Il était celui qui fédérerait tous les clans en une grande nation. Certains lui firent remarquer que Rémaï était une bourgade pauvre et sans importance, alors que chez eux, vivaient de grands guerriers et de redoutables navigateurs. Lyanne sentait bouillir Rémaïkhan, le chef de Rémaï, quand il entendait ce type de propos. Pourtant, Rémaïkhan n’intervint pas, preuve pour Lyanne qu’il y avait des contraintes qui pesaient sur lui, soit des lois sur l’hospitalité, soit des craintes pour le village face à des groupes plus puissants.
- J’ai suivi le courant et la rivière m’a déposé près de Rémaï. Ainsi en ont décidé les dieux, fut la réponse que Lyanne fit à l’un des chefs qui insistait.
De lourds nuages passaient au-dessus de leurs têtes, signe que cette année la saison des pluies serait une vraie saison. Lyanne interrogeait les uns et les autres pour mieux connaître les Cousmains et sentir vers qui il devait se tourner pour continuer sa route. Tout en déambulant, il s’était approché des bateaux qu’on avait remontés sur la plage. Un jeune Cousmains lui en détailla les histoires. Chaque bateau avait la sienne. Dans un pays où le bois vient de ce que la mer rejette, aucune embarcation n’avait la même structure.
- Tu vois, Homme-oiseau, ceux-là c’est des “coulepasvite”.
- Des coulepavite ?  Qu’est-ce que c’est ?
- Si tu veux rester à flot, il faut écoper tout le temps, répondit le jeune en rigolant. Tiens, regarde celui-là ! c’est mon préféré.  C’est celui de Sounka. Il l’a capturé lors de la dernière razzia. C’est Rémaïkhan qui lui prend tout le temps parce que c’est le meilleur mais c’est bien à Sounka.
- Qui est Sounka ?
Le jeune regarda autour de lui, cherchant du regard Sounka.
- Tu vois, celui qui monte avec la nourriture vers la vieille femme, là-haut ?
- Celui qui boîte ?
- Oui ! Il a pris un mauvais coup à sa première razzia. Il a jamais eu de chance. Son père s’est fait tuer quand il était petit. Lui et sa mère z’ont vécu du partage jusqu’à ce qu’il puisse partir. Mais même-là, il a pas ramené beaucoup de butin, juste une sale blessure qui lui fait traîner la patte. Rémaïkhan lui y sait s’battre, c’est pour ça qu’il est chef. Il a toujours ramené beaucoup de butin. C’est pour ça qu’il continue à avoir plus que les autres même quand y’a pas de butin.
- Et Sounka, il sait bien naviguer ?
- Ah ! Ça c’est sûr ! Il ne s’est jamais perdu. On le prend dans la flottille pour ça, parce qu’au combat, y vaut pas l’coup.
- Est-il mauvais au combat ?
- C’est pas ça, mais il est trop lent. Vaut mieux qui reste sur le bateau.
- Et ce bateau d’où vient-il ?
- D’une razzia ! Un groupe était parti avec Sounka sur un coulepavite. Quand ils ont débarqué dans la crique, ils sont tous descendus pour l’attaque. Sounka était resté pour vider l’eau. Ils avaient caché l’embarcation dans des buissons. C’est de là qu’il a vu arriver ce bateau. Ses occupants ont fait comme nous, mais de l’autre côté de la plage. Il les a vus partir une fois qu’ils l’eurent camouflé. Quand les nôtres sont revenus, Sounka avait dégagé le bateau étranger et avait réussi à le remettre à flot. Heureusement car les gens de la ville avaient lancé la chasse. Grâce à Sounka et son bateau, ils ont pu dégager vite malgré les flèches. Si y zavaient dû repartir avec le coulepavite, ils seraient tous morts.
- Pourquoi ?
- Il était lourd et lent. Alors que ce bateau tu l’verrais, une flèche ! Léger et solide ! Sounka l’entretient tous les jours. Il l’appelle Haafefe.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Ça parle du vent et de vitesse.
Lyanne fut empli de la certitude qu’il avait trouvé l’homme qui le guiderait.
- Dis-lui que j’aimerais le voir pour lui parler de son bateau.
L’enfant partit en courant en criant le nom de Sounka. Cela attira l’attention des présents. Ils jetèrent un regard interrogatif vers Lyanne. Rémaïkhan s’approcha de lui :
- Que se passe-t-il avec Sounka ?
- Les hommes-oiseaux ont besoin de voler. Quoi de meilleur que le Haafefe pour le faire ?
- Je peux t’emmener partout où tu as besoin.
- Tu es un guerrier, Rémaïkhan et un grand guerrier, comme tous ces messagers qui sont venus aujourd’hui. Là où je vais, je dois arriver en paix.
- Où vas-tu ?
- Dans une île où le feu de la terre bouillonne en permanence.
Rémaïkhan resta sans voix. D’autres s’approchèrent, demandant ce qui se passait. Rémaïkhan leur donna la réponse de Lyanne. Tous se retrouvèrent en silence sauf un qui déclara :
- Parle-t-il de l’île de la mort ?
Rémaïkhan lui fit signe trop tard de se taire. Lyanne tourna ses yeux aux pupilles d’or vers lui :
- Tu sais de quoi je parle. Dis m’en plus…
L’homme avala sa salive :
- En fait, Homme-oiseau, je ne sais rien de plus que ce que disent les légendes.
- Bien, que disent les légendes ?
- Derrière le mur des tempêtes se trouve un endroit où la terre, l’eau et le feu bouillonnent ensemble dans un univers interdit aux mortels. C’est déjà la terre des dieux.
- Alors tu sais où aller..
- NON ! On ne va pas derrière le mur !
L’homme s’était décomposé. Les autres, pourtant tous farouches guerriers, n’en menaient pas large non plus. Sounka arriva à ce moment-là. Visiblement mal à l’aise de voir tous ces grands personnages autour de son bateau et de l’homme-oiseau. Lyanne le regarda. Il ne le sentait pas en difficulté, juste mal à l’aise d’être ainsi exposé à tous ces regards.
- Connais-tu le mur des tempêtes ? lui demanda Lyanne.
- C’est un endroit difficile.
- Tu y as déjà été.
Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Sounka regarda Lyanne dans les yeux.
- Oui,...
L’air se remplit de murmures de désapprobation et de peur.
- …, c’est le seul endroit où l’on trouve du poisson quand tous les autres sont vides.
- Saurais-tu y retourner ?
- La saison des pluies est mauvaise pour naviguer. Je préférerais attendre.
- Mon désir est autre, répondit Lyanne.
- Tu as apporté la pluie, Homme-oiseau. Tu as apporté du poisson. Ma vieille mère là-haut t’a vu. Si tel est ton désir, j’irai. Tes pas sont bénédictions.
- Quand pourrais-tu partir ?
- Quand tu le désires, répliqua l’homme.
- Tu es fou, Sounka, dit Rémaïkhan. Un homme-oiseau a des pouvoirs que tu n’as pas. Peux-tu affronter les tempêtes ?
- Haafefe le peut et je serai dessus.
Lyanne regarda les hommes débattre de ce voyage. Sounka n’avait pas les peurs qui habitaient les autres. Ne connaissant pas les légendes des Cousmains, Lyanne ne comprenait pas l’interdiction d’aller là-bas. Les mots “sacré” et “tabou” revenaient tout le temps dans la conversation avec “homme-oiseau”. Au bout d’un moment, un des chefs de clan dit :
- Convoquons une assemblée ! Elle nous dira quoi faire.

jeudi 18 septembre 2014

Dans ce désert existait ce que Lyanne pensait impossible : des rivières. Il suivait le fil de l’eau tout en songeant à l’ironie de son destin. Il était roi-dragon, maître d’une bonne partie du monde et il était là, sur un rondin de bois à se laisser aller sur une rivière improbable au milieu d’un paysage quasi désertique où êtres et hommes ne faisaient que survivre. L’eau était claire, mais le courant violent. Lyanne avançait vite. Une fois ou l’autre, il avait été très chahuté et avait failli tomber. Il avait réussi à rester à cheval sur son morceau de tronc. Cela lui avait valu d’être mouillé de la tête au pied. cela ne l’avait pas inquiété. La pluie avait cessé et le soleil s’était montré entre les nuages, réchauffant l’atmosphère rapidement. Il estimait que la vitesse du courant l’entraînait à la vitesse du vol paresseux du dragon. Autour de lui, le paysage était toujours aussi rude bien que tempéré de quelques touches vertes, ici et là. Avec cette pluie, elles gagneraient en surface et les Muranu seraient heureux de venir y faire paître leurs bêtes. Derrière lui, de plus en plus loin, les lourds nuages de pluie continuaient à déverser leur cataracte. Il en fut satisfait. La rivière ne se tarirait pas trop vite. La journée passa ainsi sans qu’il ne voie personne. Sur le soir, il aperçut au loin, des silhouettes de troupeau. La nuit fut calme et étoilée. Le cours d’eau serpentait maintenant entre de petites collines. Au milieu de la matinée, il remarqua que le courant avait fortement diminué. La rivière s’étalait en méandres paresseux se divisant et se réunissant au gré des bosses. Plusieurs fois, ses pieds avaient raclé le fond. Maintenant, il devait plier les jambes pour que son embarcation improvisée continue sa navigation. Cela retarda l’échouage qui eut lieu au sortir d’un méandre plus étalé que les autres.
Lyanne avait pied. Il marcha dans l’eau rejoignant un banc de sable un peu plus loin. Il repéra un monticule un peu plus loin et s’y dirigea. Il marchait alternativement dans l’eau et sur le sable dérangeant à l’occasion un certain nombre de bestioles qui y avaient trouvé refuge.
Un gros lézard s’enfuit en sifflant quand Lyanne monta sur le sommet de la butte. Il dominait la région. La rivière s’étalait formant une sorte de lac aux multiples îles. Il repéra assez loin une ligne de rupture comme si le paysage disparaissait. La mer devait être par là. Il se mit en marche dans cette direction. L’eau s’étalait sous ses pas. Il ne savait jamais ce qui venait après le prochain repli. La rivière formait un vaste lacis de canaux qu’il devait traverser les uns après les autres. Il s’enfonçait parfois jusqu’au genou. La plus souvent, l’eau lui recouvrait seulement les pieds gênant à peine sa progression. 
Il entendit la cataracte avant de la voir. Il suivait le courant qui avait repris de la vitesse quand il lui parvint le bruit de l’eau qui tombait.
C’est à ce moment-là qu’il les vit. Le groupe semblait émerger de la terre. Eux le virent aussi. Le premier leva le bras. La main était ouverte et ne portait pas d’arme. Lyanne répondit de même et dirigea ses pas vers eux. Ils étaient une dizaine qui s’étaient mis au travail. En approchant, Lyanne découvrit qu’ils bougeaient des pierres pour fabriquer une digue pour contenir l’eau qui avait trouvé un chemin. Avec un sourire, il se mit à les aider. Leur langue avait des tonalités rauques comme le relief. En les écoutant, il apprenait. Il aidait à construire une défense contre la rivière qui avait emprunté le sentier escarpé qui plongeait dans la faille. Il se rapprocha du bord pour mieux voir ce qui était en dessous. Le plateau était échancré à cet endroit. Il repensa à ce qu’il avait vu en volant. La mer ne devait pas être loin et un village Cousmain devait être en dessous. Dans le babillage de ceux qui l’entouraient, Lyanne avait compris qu’avec la pluie, un véritable ruisseau envahissait le village en ravinant tout. Ils étaient montés pour refaire le mur qui s’était effondré. La rivière n’avait pas atteint ce point depuis au moins deux générations. Si les dieux bénissaient ainsi ce temps, c’est que quelque chose de bon se préparait pour les Cousmains. Lyanne était maintenant au bord du plateau. D’autres personnes montaient et, sans plus de question, se mettaient au travail dès leur arrivée. Ils furent nombreux en fin de journée à aider à la réfection du mur. L’eau maintenant ne passait plus. Il sentit leur joie.
- Viens, homme-oiseau, nous allons fêter la pluie et ton arrivée.
L’homme qui avait parlé, était petit et carré d’épaules. Lyanne l’avait vu bouger des rochers impressionnants. Sa force ne faisait aucun doute. Les autres lui avaient obéi sans discuter.
- Ainsi tu sais qui je suis, répondit Lyanne.
- Ton manteau est à nul autre pareil. Seuls les hommes-oiseaux savent faire ces manteaux. Nos légendes parlent d’eux, mais tu es le premier que je vois de mes yeux.
- Vos légendes parlent des hommes-oiseaux.
- Oui, ils venaient pour chercher un guide et poursuivre leur quête.
Ils parlaient tout en descendant le chemin que la boue rendait glissant. À certains passages, on avait tendu des cordes pour éviter les chutes. Lyanne pensa à ses montagnes d’enfance et à tous ces chemins escarpés qu’il avait parcourus. Au fond, se nichait le village. Les maisons, à moitié troglodytes, s’étageaient tout le long des parois.
- Où sommes-nous ici, demanda Lyanne.
- Mon village s’appelle Rémaï. Les hommes y sont braves et les bateaux solides.
Lyanne, pour sa part, constata que, hormis le chef du village qui semblait avoir gardé sa carrure, les hommes étaient maigres et les baraques bien délabrées.
- Les saisons dernières ont été peu favorables, dit-il. La pluie vous sera une aide.
- Je ne te cache pas que nous avons connu de meilleures années. La dernière razzia date d’avant la saison des tempêtes. Avec toute cette eau sur le plateau, nous pourrons cultiver.
L’homme s’arrêta, regarda Lyanne dans les yeux et ajouta :
- Ta venue est bénédiction. Mon village deviendra un grand village. Les autres chefs vont m’envier.
Ils étaient maintenant à côté des bateaux. C’était le seul endroit presque plat de ce fjord. De toutes parts arrivaient les habitants. Ceux qui avaient un tambourin ou une flûte les avaient amenés. Bientôt, la musique jaillit. Des rondes s’organisèrent. Lyanne ne put s’y soustraire. Après la première danse, il y en eut une deuxième, puis une troisième. Lyanne était invité à chaque fois. Chacun voulait danser avec lui. Quand les instruments se taisaient, on lui fourrait dans la main une timbale pleine d’un liquide ocre au fort goût d’alcool. Quand la nuit arriva, on fit des feux en divers endroits sans pour autant arrêter de danser, de chanter et de boire. Lyanne, que la boisson ne saoulait pas, vit s’écrouler les participants, les uns après les autres, tous ivres. Il regrettait de ne rien avoir à manger. La faim commençait à le tenailler. Quand il vit qu’il restait seul debout, il décida de profiter de la nuit pour aller pêcher. Il devint dragon et, de quelques vigoureux coups d’ailes, s’en alla vers le large.
Une vieille femme, sur le seuil de sa maison, le regarda partir en hochant la tête.
- Les légendes revivent ! Par tous les dieux, les légendes revivent !

lundi 8 septembre 2014

La fête avait duré jusqu’au petit matin. L’aube pâle répandait sa clarté et sa lumière prenait le pas sur celle des feux. Tous les présents dans l’oasis avaient défilé pour venir lui toucher les pieds. Storguez était le marabout de ce peuple. Il était parti se reposer en milieu de la nuit. Lyanne était sur une des dunes entourant l’oasis quand il entendit la vibration. Immédiatement Braeguen surgit à ses côtés.
- Les cordes-son vibrent tôt ce matin. C’est mauvais signe.
- Qu’est-ce que des cordes-son ?
- Les nomades les utilisent pour communiquer. Ils tendent une grande corde entre deux piquets devant une sorte de tambour. Cela s’entend de très loin. La venue d’un homme-oiseau leur fait peur.
- Est-ce la guerre entre vous ?
- Non et oui. Ils viennent chercher de l’eau et nos lois nous interdisent de leur refuser, mais souvent des bêtes disparaissent quand ils sont là, voire des gardiens sont tués et cela est punissable. Nous faisons une expédition punitive mais ils sont maîtres dans le grand désert et nous n’allons jamais bien loin.
Braeguen regarda autour de lui.
- Les hommes sont fatigués avec la fête. S’ils viennent chercher le combat, cela sera difficile.
Lyanne soupira. Il se trouvait à nouveau dans une situation délicate. Son arrivée faisait bouger des équilibres. Un sentiment de nostalgie l’envahit. Parfois, il avait le désir d’une vie un peu plus calme.
Avant qu’il n’ait pu se laisser aller à cet état d’esprit, il ressentit l’approche des gens du désert. Il le signala à Braeguen qui fit la grimace.
- Je vais aller à leur rencontre, ajouta Lyanne.
- Seul ?
- Oui, Braeguen, je suis Homme-oiseau.
Braeguen le regarda partir. Dans le dos de Lyanne, les mouvements du manteau donnait vie au dessin de l’oiseau rouge et jaune.
Lyanne marcha un moment passant d’une dune à l’autre. Il était hors de vue de l’oasis quand eut lieu la rencontre. Il sentit leur présence avant de les voir. Certains étaient presque enterrés, d’autres juste derrière un repli de terrain. Le piège n’attendait que lui.
L’homme qui l’avait déjà interpellé s’avança :
- T’aurais mieux fait de ne pas te montrer, marabout !
Dans sa bouche, les mots prenaient une connotation injurieuse.
- Contrairement à ton opinion, je crois que je suis là où je dois être.
Lyanne avança presque au centre du dispositif qu’ils avaient mis en place.
- T’as peur de te battre que t’approches pas !
- Je voudrais vous laisser une chance de vie.
L’homme du désert ricana.
- J’vais m’occuper de toi puis on ira voir les éleveurs.
- Tu as mal compris, homme du désert. Soit toi et les tiens vous partez, soit vous êtes morts.
De nouveau l’homme ricana. Il siffla un signal et d’autres guerriers apparurent tout autour de Lyanne.
- Vous ignorez ce que vous combattez. C’est une erreur fatale.
Derrière lui, petits pas par petits pas, il sentait approcher les combattants. Dans quelques pas, ils seraient à portée d’armes.
Lyanne releva le pan du manteau, dégageant son marteau. Ce fut comme un signal, tous se précipitèrent en hurlant.
Leurs armes frappèrent le vide. Lyanne avait décollé. Le vent de son envol les envoya tous à terre. Le temps qu’ils comprennent, un déluge de feu vitrifiait le sable autour d’eux. Ils hurlèrent de peur, rampant les uns vers les autres dans une recherche illusoire de protection.
Le dragon rouge se posa devant eux.
- Tu vois petit homme, il est des jours où la guerre est une mauvaise chose. Vous allez fuir vers vos tentes. Peut-être y arriverez-vous… sans eau !
- TU… VOUS… vous… vous pouvez pas faire ça.
- Tu voulais bien me tuer, petit homme et tuer les éleveurs qui osent accueillir l’inconnu. Je te laisse une chance… une petite chance de vivre mais… peut-être préfères-tu mourir tout de suite ?
Une langue de feu vint lui roussir la tête, le faisant crier de peur.
- Le cercle de feu est incomplet. Fuyez maintenant… ou mourez !
Le sable en fusion rendait l’air quasi irrespirable. Les plus proches étaient déjà morts. Ceux qui restaient en vie, se précipitèrent dans le goulot froid que Lyanne avait laissé.
- Ne revenez pas, hommes du désert. Je ne serai pas aussi clément la prochaine fois.
Lyanne les regarda fuir. Ils ne s’arrêteraient pas de si tôt.
Derrière lui montèrent les acclamations de joie. Braeguen était sorti avec ses guerriers qui criaient leur joie de cette victoire.
Braeguen s’inclina devant le dragon rouge qui le surplombait de toute sa hauteur :
- C’est une chose d’entendre les récits, c’en est une autre de les voir prendre vie!

- Avant nous étions aussi sauvages que les hommes du désert et puis est arrivé le premier homme-oiseau.
Ainsi parlait Storguez dans la pénombre de sa tente. Lyanne l’écouta lui faire le récit de l’histoire des Muranu. Leur tradition orale parlait de temps très lointain sans préciser le nombre de générations. Dans ce désert, l’évolution se faisait lentement. De loin en loin, dans le temps, passaient des hommes-oiseaux. Voilà ce que retint Lyanne du récit. Personne ne les avait décrits précisément. Ils étaient hommes et ils volaient, comme lui. C’était le seul point commun à diverses légendes. Lyanne s’inscrivait dans cette tradition. Les dragons n’étaient qu’une sorte d’oiseau aux yeux des Muranu. Storguez parlait toujours quand tombèrent les premières gouttes de pluie. Comme cela coïncida avec la légende de l’homme-oiseau faiseur de pluie, il leva vers Lyanne un regard étonné.
- Serais-tu le plus grand des hommes-oiseaux ? demanda-t-il.
Lyanne n’eut pas besoin de répondre. La pluie tombait maintenant en cataracte. Le vent avait soufflé toute la journée poussant devant lui des hordes de nuages qui crevaient maintenant au-dessus de leurs têtes. Dehors c’était de nouveau des cris de joie, entrecoupés de cris d’alerte et de cavalcades des uns et des autres pour mettre les affaires à l’abri. La tente de Storguez présentait des gouttières que le vieil homme regardait avec bonheur. Lyanne le voyait imaginer l’avenir, l’herbe serait au rendez-vous, les bêtes seraient grasses. En le regardant sourire ainsi béatement devant des gouttes d’eau qui s’écrasaient sur un sol maintenant détrempé, Lyanne imaginait Storguez en train de composer le prochain épisode de l’épopée des hommes-oiseaux.
- Je suis un passant, dit-il à Storguez. Mon chemin continue. Il me faut aller vers la côte.
- Oui, oui, je sais. Tu iras chez les Cousmains dès que la pluie aura cessé.
- Comment sais-tu que je vais là ?
- Tous les hommes-oiseaux ont été vers le soleil levant, là où habitent les Cousmains.
- Les légendes disent-elles quelque chose sur leur devenir ?
- Elles ne parlent que des Muranu…
La porte de la tente se souleva brutalement :
- Il nous faut vous déménager, dit Braeguen, les fleuves morts reprennent vie. Bientôt ici vous serez dans l’eau.
Lyanne sortit en même temps que Braeguen. La pluie était dense. Tout autour, les gens s’agitaient pour vider le centre de l’oasis de tout ce qu’il contenait. Avec des protections de fortune, ils vinrent chercher les affaires de Storguez et ils l’aidèrent à traverser l’eau qui commençait à ruisseler partout. Lyanne comprit qu’il était sur la passage de la rivière. Il pensa que, comme toute rivière, celle-ci finirait dans la mer. Il en fit part à Braeguen.
- Pas toujours, répondit ce dernier. Parfois elle se perd dans les sables. Si la pluie continue comme cela, l’eau atteindra la mer cette année.
- Alors, je vais tenter ma chance et me laisser porter par le courant. Les forces de la terre sont avec moi… Elles me conduiront.
L’eau montait de plus en plus. Il en avait déjà jusqu’aux chevilles et cela continuait à grimper. Lyanne fit ses adieux à Braeguen et attrapa un morceau de bois entraîné par le courant.
- Voilà mon guide ! Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille !
Braeguen répondit par un grand signe du bras, criant quelque chose que le bruit de l'eau emporta.
Ainsi Lyanne quitta l’oasis à cheval sur un morceau de bois emporté par le flot.