mercredi 25 mars 2015

Lyanne était reparti se glisser dans le convoi des courtisans qui avançait vers le Frémiladur. Il s’était mêlé à l’équipe des palefreniers en déclarant être envoyé par le chef cuisinier qui ne le supportait plus. Cela avait fait rire Miki, le responsable. Tout le monde connaissait leur antinomie même si personne ne savait le pourquoi.
Vu l’excitation qui régnait dans le convoi, son histoire n'intéressa personne. Un messager était venu porter la nouvelle de l’arrivée d’un oiseau de feu. L’effet avait été immédiat. Tout le monde avait oublié le Frémiladur et ses éruptions pour se hâter. Les rumeurs allaient bon train, les ambitions aussi. Les courtisans ne pensaient qu’à la manière d’entrer dans les bonnes grâces de l’oiseau de feu. Ils se faisaient raconter les légendes. Lyanne écoutait avec intérêt ce qui se disait. C’est ainsi qu’il apprit les différences entre les légendes de ce pays et celles du pays blanc. Si dans son royaume, on avait gardé les traditions depuis les premiers rois-dragons, ici les plus anciennes légendes remontaient à l’époque de la reine qui la première avait été oiseau de feu. Il entendit le récit du pirate, serviteur de l’oiseau qui avait été à l’origine de la transformation de la princesse en reine, puissante et crainte.
Le messager avait parlé de l’oiseau de feu et du couronnement de la princesse par le volcan. Lyanne entendit les échos des interrogations des courtisans. Tous avaient développé des stratégies si le roi restait roi ou si le fils du roi devenait roi sous la coupe de Cappochi. Personne n’avait prévu ce qui arrivait. Lyanne lisait dans leurs esprits la confusion et la peur. Tous avaient considéré jusque-là, la princesse comme une pièce mineure sur leur échiquier, une pièce pouvant être sacrifiée si besoin dans une alliance. Devenue oiseau de feu, serait-elle aussi puissante que son illustre ancêtre?
Comme toujours, les nobles discutaient entre eux sans se soucier des serviteurs. Lyanne était l’un d’eux. Le chef des palefreniers l’avait prêté à Savalli pour tenir la bride de sa monture. Si ce dernier tenait les cordons de la bourse d’une main de maître, il tenait à peine assis sur une monture. Ne pouvant se présenter à la reine à pied, comme un manant, il avait dû enfourcher une de ces bêtes qui le plongeaient toujours dans la crainte.
C’est ainsi qu’il arriva en vue du camp royal. Il était dans le groupe de tête. Le soleil était encore bas sur l’horizon quand il l’aperçut. Elle avançait rapidement, suivie par des gaillards presque deux fois plus grands qu’elle. Il sentit Savalli se redresser sur sa selle. Ce dernier se disait qu’il n’avait rien à craindre. Il avait bien fait son travail et si les caisses étaient vides, il fallait en chercher la cause ailleurs que dans son travail. La guerre ou plutôt les guerres menées par le roi avaient coûté cher. Le pire était qu’il n’avait pas réussi à sécuriser le royaume. Savalli ne voyait pas comment ils allaient encore pouvoir payer pour la prochaine campagne.
Si Lyanne lisait aussi bien les pensées de Savalli, Moayanne devait pouvoir en faire autant. Il ferma son esprit ne laissant qu’une image de coquille vide pour un sondage superficiel.

samedi 21 mars 2015

Deux dragons volaient de concert, slalomant entre les pierres en feu qui tombaient après avoir atteint des hauteurs inimaginables. Moayanne était heureuse de ce vol. Tout semblait si simple. Depuis que le grand dragon rouge lui avait touché le front, elle savait. Son corps de dragon répondait au moindre de ses désirs. Lyanne souriait. Leurs mouvements parfaitement accordés les faisaient s’éloigner, se rapprocher, se frôler tout en évitant toutes ces bombes qui fusaient de toutes parts.
Bientôt, ils dépassèrent la région des retombées. La nuit était presque arrivée mais de grandes coulées de lave éclairaient les flancs du Fémiladur. Ils les survolèrent sentant la chaleur intense leur chauffer les écailles. Ce fut un moment de vrai bonheur.
- On arrive, princesse, dit Lyanne.
Moayanne vit plus loin, les quelques tentes dressées qui marquaient l’emplacement du camp. Elle repéra l’agitation qui régnait. Elle ajusta sa vision pour en voir les détails. Les soldats la désignaient. Quelqu’un avait dû la repérer et donner l’alerte. Elle vit une place assez grande pour qu’elle atterrisse au centre du campement.
- Je vais me poser là, dit-elle en se tournant vers son compagnon de vol.
Elle sursauta. Elle était seule. Elle ne l’avait pas entendu partir. Elle fut déçue. Elle aurait aimé arriver avec lui.
Le camp de toile se rapprochait rapidement, elle se prépara à l’atterrissage. Les petits personnages qui s’agitaient devinrent des personnes avec leurs particularités. Ils s’étaient rassemblés en rond autour de la place, tenant chacun un lumignon. Moayanne se rappela que, pendant la préparation, on lui avait fait prendre une petite bougie au cas où. Il y a longtemps son père lui avait expliqué qu’il fallait toujours avoir un tel lumignon au pied du Fémiladur au cas où jaillirait l’Oiseau de feu. Telle était la légende transmise de mémoire de roi en mémoire de roi. Aujourd’hui, toutes ces petites flammes étaient pour elle.
Modtip en tremblait. La petite flamme dans ses mains dansait au rythme de son tremblement. Il était là, présent, le jour de la venue de l’Oiseau de feu. Il était béni des dieux pour vivre un tel événement. Il admira le spectacle de ce grand oiseau aux plumes écailles brillant comme des miroirs qui renverraient les mille images des flammes de présents.
Dans un dernier mouvement d’ailes d’une grâce absolue, le grand Oiseau de feu se posa. Et… tout disparut.
Il y eut un moment de flottement dans l’assemblée et une voix de femme cria :
- PRINCESSE ! PRINCESSE MOAYANNE !
Modtip vit se précipiter la servante de sa sœur. Elle se jeta aux pieds de Moayanne, lui étreignant les genoux, éclatant en larmes. 
Les autres ne savaient quoi penser. Où était l’Oiseau de feu ? Que faisait la princesse ici, alors que tout le monde la pensait morte dans le cratère avec son père ?
Quelqu’un hurla :
- C’EST PAS LA PRINCESSE ! UN FANTÔME ! C’EST UN FANTÔME !
Des cris fusèrent à droite et à gauche. Immédiatement certains firent des signes de conjuration. Des mouvements agitèrent la masse des courtisans. Les plus courageux dégainèrent leurs armes comme les soldats, les autres commencèrent à fuir. Moayanne regarda cela sans comprendre. Elle revenait victorieuse et on la rejetait. La colère la prit. Elle poussa un cri qui devint rugissement quand elle reprit sa forme de dragon blanc. Seule sa servante ne bougea pas, tout occupée qu’elle était à étreindre sa maîtresse. Tous se figèrent. Il y eut un instant de silence pur et le Frémiladur sembla répondre dans une une explosion qui fit trembler la terre. Tous vacillèrent, certains même se retrouvèrent à terre. Seule Moayanne resta solide face à la colonne de feu qui jaillissait en un hurlement déchirant. Une lumière aveuglante d’un blanc insoutenable, jaillit comme un éclair se mêlant aux couleurs de feu de l’éruption. La trace blanche monta très haut dans le ciel, tranchant bientôt sur les nuages noirs. Continuant sa route, la traînée lumineuse se dirigea dans un sifflement suraigu vers le campement, plaquant au sol tous les humains encore debout. Les témoins, qui racontèrent tout cela plus tard, jurèrent avoir vu la trace se diriger vers le dragon blanc. Une boule étincelante pareille à la foudre se posa sur la tête du dragon qui regardait le volcan. Tout cessa. On entendit pleuvoir les cailloux. Petit à petit, les hommes se relevèrent pour découvrir Moayanne debout, une couronne… la couronne sur la tête. Tout le monde la reconnut. L’évidence les frappa. Le Frémiladur venait de rendre la couronne royale, la déposant sur la princesse. Modtip fut le premier à réagir, mettant genou à terre et prêtant allégeance. Bientôt les autres suivirent.
Quand Moayanne se réveilla, elle vit Salmée, sa servante, lui jeter un regard idolâtre :
- Ma princesse, vous êtes la reine… la reine de feu des légendes.
Moayanne se redressa sur son séant. Elle était dans la tente de son père, couchée dans son lit. Elle prit conscience de sa position. Elle était maintenant la reine… la REINE ! Elle n’en revenait pas. Il y a quelques jours, elle n’était que la petite princesse sans autre avenir que de servir de monnaie d’échange dans une alliance avantageuse pour le pays. Et aujourd’hui, cette couronne sur sa tête... d’ailleurs où était passée sa couronne ? Elle se rappela qu’elle l’avait posée sur un tabouret à côté de son lit. Elle la chercha. Elle n’y était pas. Elle eut un moment de panique. Elle toucha sa tête. La couronne était dessus. Elle la reprit et la posa de nouveau sur le tabouret. Dès qu’elle la lâcha, la couronne s’évanouit. Elle sursauta, tâta sa tête et la retrouva. Vu sa taille, elle ne se voyait pas la porter en permanence. Son père ne la portait pas toujours. Ce fut un cri de Salmée qui la sortit de ses pensées.
- Votre couronne, votre couronne !
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Ma reine, votre couronne, elle est devenue diadème.
Moayanne palpa sa tête pour sentir le fragile anneau qui lui ceignait le front. Elle tendit la main à Salmée qui lui présenta le disque finement poli dans lequel elle put voir son reflet. Elle se découvrit le visage plus mince que dans son souvenir, comme si les événements l’avaient purifiée des dernières traces de sa silhouette d’enfant. Elle se sentit reine. Dans le même temps, elle eut une vision de ce qui l’attendait. Commander n’avait rien d’une sinécure.
Elle se tourna vers Salmée :
- Habille-moi ! Habille-moi comme une reine !
Elle la vit rougir de plaisir à cette idée.
Quand les pans de la tente s’écartèrent pour laisser le passage à Moayanne, les soldats se mirent au garde-à-vous. Un héraut sonna de la trompe, rameutant tous les présents.
Moayanne avança, frêle et royale à la fois. Tous s‘inclinèrent. Un soldat s’approcha davantage. Elle le reconnut. Malbus lui fit le salut militaire.
- La garde royale est à vos ordres, majesté.
- Allons la voir, Colonel.
Ainsi commença sa première journée de règne. Elle passait en revue la troupe qui allait devenir sa garde personnelle quand on lui annonça l’arrivée de la colonne des courtisans. Elle se souvint qu’après la blessure de son père, ils les avaient laissés en arrière. Elle ressentit de nouveau de l’appréhension. Comment allaient-ils réagir ? Elle se reprit. Elle était la reine. Elle redressa les épaules et reprit son inspection. Son oeil fut attiré par un des soldats, au troisième rang. Il allait la trahir. Elle le sentait. Cela l’étonna qu’elle puisse ainsi en être aussi sûre. Elle regarda mieux les uns et les autres. La vérité s’imposa à elle. C’était évident. Elle était femme et dragon. D’ailleurs, elle pouvait sentir ses ailes, ses griffes, et le feu qui couvait en elle prêt à jaillir. Elle remarqua le peu d’enthousiasme de Malbus qui l’accompagnait. Il ne la trahirait pas, mais la servirait parce qu’il avait servi son père. Intérieurement, il lui reprochait d’être ce qu’elle était… une femme. Une ombre passa sur le visage de Moayanne. Jamais elle ne pourrait supporter cela. Elle arrivait au bout du rang quand une aura d’or attira son œil. Il était jeune et beau. Poussant plus loin son analyse, elle sentit toute l’intelligence et la fierté qui régnaient dans cette tête. Elle n’eut même pas besoin de demander son nom, elle en eut la révélation en contactant l’esprit de ce jeune officier.
- “Très bien”, pensa-t-elle. “Voilà qui fera un excellent colonel de ma garde!”
Il lui faudrait trouver une place pour Malbus qui avait si bien servi son père. Elle pensa que ce ne serait pas trop dur. Les voisins de son royaume avaient senti leur faiblesse et massé des troupes sur les frontières.
- “ Malbus sera un parfait général là-bas”, se dit-elle encore, tout en se dirigeant vers l’entrée du camp pour accueillir le convoi. 

vendredi 13 mars 2015

Cappochi hurlait sa haine et sa rage quand il arriva sur la lèvre du volcan. Il allait en finir avec ce ridicule cracheur de feu. Il ne savait pas comment elle avait pu disparaître. Il savait juste qu’il la ferait souffrir au- delà de tout ce qu’elle pouvait imaginer. Il fouetta la montagne pour montrer sa force. Le dragon ne bougea pas. Elle semblait le narguer. Il se fit pousser d’autres tentacules fouets :
- On va en finir, lézard !
Cappochi attaqua, cinglant de tous ses membres la place où se trouvait Moayanne. La roche explosa en tous sens. L’esprit hurla. Le dragon avait de nouveau disparu.
Moayanne faillit rire de la déconvenue de son ennemi. Si dans son monde, il pouvait bouger à la vitesse de l’esprit, ici, il ne pouvait aller plus vite que le corps de l’homme qu’il avait occupé. Ce fut un jeu d’enfant pour elle que de le pousser à bout. À chaque tentative, il rencontrait le vide, malgré tous ses yeux et tous ses membres.
Elle fit un dernier passage presque lent pour elle. Cappochi ne vit qu’une flèche blanche lui passer devant et plonger dans le cratère. Il la suivit. Elle fit sa ressource au ras du lac de lave, levant derrière elle des vagues de roche en fusion. Il ne put la suivre sur cette surface mouvante. Malgré la chaleur intense, il courait autour du lac pour la rejoindre. Moayanne le regarda courir. Elle s’était posée sur un reste de piton basaltique en plein milieu du lac de lave. Tranquillement, elle se mit à nettoyer ses écailles attendant qu’il comprenne qu’il ne pouvait l’atteindre sans traverser la lave. Les volutes de fumées plus ou moins épaisses gênaient la vue. Moayanne avait étendu ses perceptions comme elle venait de l’apprendre. Elle ressentit, au centre de la silhouette, les restes du corps de Cappochi. Cela lui enleva les derniers doutes sur la nature non humaine de la chose. Quand elle l’entendit hurler, elle sut qu’il avait compris. Il s’élança de toute sa vitesse pour traverser le lac. Il progressait en sautant d’un morceau de lave solidifiée flottant sur le lac en roche se solidifiant bougeant au gré des courants qui agitaient la surface du lac. Moayanne le regarda. Elle l’avait amené là où elle désirait qu’il soit. Le dragon rouge avait raison. En arrêtant de fuir, elle avait choisi le lieu de la rencontre. Le monstre écumait de rage quand il prit pied sur l’îlot. Moayanne vit dans tous ses yeux la même certitude. Celle d’être le plus fort. Son orgueil allait le perdre. Elle fit face. Tous les fouets déjà filaient vers elle. Elle souffla, comme lui avait dit Lyanne, un feu de glace figeant la silhouette dans une position incongrue. “Les choses seraient-elles si faciles ?” pensa-t-elle.
C’est alors qu’elle subit une attaque sur sa pensée même. Elle sentit en elle un déferlement de peurs, de dégoût d’elle et de tout ce qu’elle avait fait, d’incapacité à agir. Elle se mit à trembler, saisie par l’angoisse. Ce fut un des pires moments de sa vie. Elle s’enfonçait dans les puits sombres de ses pensées les plus noires.
En face d’elle, Cappochi mobilisait toute l’énergie possible pour dégeler son corps. Il avait sous-estimé sa proie. Il en payait le prix. Une joie mauvaise l’envahit quand il sentit les premiers craquements libérateurs. Il la tenait sous la coupe de ses pensées, la rendant incapable de mouvement. Le bout d’un fouet se libéra, puis un autre. Encore un instant et il serait le maître. Il était esprit, il allait devenir corps.
Une brume légère se leva entre les deux. Moayanne la regarda sans réagir. Elle était sans valeur, tout ce qu’elle pouvait faire ne serait jamais suffisant pour réparer sa faute, avoir laissé son père tomber dans la gueule du volcan. Le monstre la remarqua à peine tout occupé qu’il était à se libérer pour frapper un grand coup. La brume devint silhouette, toute droite, digne, immense malgré sa petite taille. Elle se refléta dans les prunelles mordorées du dragon. Une pensée en jaillit, forte, lumineuse :
- Tu es ma fille ! Va, en toi je reconnais la reine !
Ce fut comme une lampe dans les ténèbres. L’esprit de son père était là, invaincu malgré la mort. Moayanne rugit à faire trembler le cratère. Brutalement le lac de lave se rétracta comme aspiré par la terre. Tout en haut d’un piton se faisant face, un dragon blanc affrontait l’esprit du mal. Moayanne entra dans une fureur immense. Elle contacta Quoiveudire et hurla le nom de son ennemi :
- IKUIS !
Les fouets se figèrent, les yeux s’agrandirent d’une peur immense.
- TU SAIS MON NOM ! TU SAIS MON NOM !
Le cri finit dans une sorte de gargouillement. La silhouette s’affaissa sur elle-même, devenant une sorte de monticule de gelée tremblotante.
- Mon âme peut reposer en paix, dit la brume qui se dissipait. Tu es celle que j’ai toujours souhaitée.
Moayanne se retrouva seule sur son piton face à des restes encore agités de soubresauts. La tension immense retombait. C’était fini. Elle relâcha ses muscles douloureux, elle pouvait se reposer. Et maintenant, qu’allait-elle faire ?
Elle regarda autour d’elle. Son royaume l’attendait. C’est alors que lentement la masse gélatineuse se remit debout.
Moayanne rugit, faisant trembler la silhouette qui émergeait.
- Toi pas crier !
Elle en resta interloquée.
- Quoiveudire ? demanda-t-elle.
- Chut ! Toi pas dire cela si fort.
- Je te croyais devenu grand et fort !
- Oui, mais pas drôle, toujours combattre, pas drôle.
- Qu’as-tu fait ?
- Moi manger IKUIS et devenu tellement fort, tellement savant et puis moi regretter moi petit. Moi libérer tout le monde mais moi avoir changé nom de tous et moi connaître tous les noms.
- Que fais-tu là ?
- Moi venu dire toi, fermer brèche quand moi parti. Moi déposer ici pensées noires, toutes. Quand toi fermer brèche, toutes disparaître. Pschiitttt ! Fini ! Et mon monde que pensées claires.
- Comment ferme-t-on la brèche ?
- Toi, comme autre dragon, liée avec dieu. Toi savoir.
La couleur de la masse gélatineuse était passée du jaune sale au brun presque noir. Moayanne ne savait pas quoi faire. C’est alors que Lyanne arriva.
- Tu as vaincu, lui dit-il.
- Oui, mais Quoiveudire a laissé toutes les noires pensées de son monde pour que je les fasse disparaître et j‘ignore comment faire.
- Le Frémiladur va s’en occuper. Je le sens bouillonner. Bientôt, il va exploser. Il faut partir.
Lyanne souffla le froid sur le tas de noires pensées, le couvrant d’une pellicule blanche.
- Partons. Maintenant !
Il décolla, suivi de près par Moayanne qui ressentait la même urgence à s’en aller. Ils dépassaient les lèvres du cratère quand l’éruption explosa.

samedi 7 mars 2015

Moayanne de nouveau fuyait devant Cappochi. Elle avait cru un instant le vaincre et voilà qu’il revenait toujours plus effrayant avec tous ces yeux qui semblaient la fixer. Elle avait pris un coup de ce tentacule fouet qui l’avait fait rugir de douleur et avait marqué ses écailles blanc-doré d’un trait noir.
Elle avait tenté de redevenir petite mais n’avait pu échapper à tous ces regards qui la poursuivaient sans cesse. Elle fatiguait maintenant alors que son ennemi semblait avoir encore gagné en puissance. Ses coups d’ailes devenaient moins puissants et son vol moins précis. Elle s’était engagée dans un dédale de vallées dessiné par les coulées de lave. Elle arrivait au bout de l’une d’elle quand le fouet laboura les pentes du Frémiladur au-dessus d’elle. Elle ne put éviter la pluie de roches qui la mirent au sol. Elle entendit le rire démoniaque de Cappochi se rapprocher. Elle voulut bouger mais une de ses ailes était prise sous des monceaux de rochers. Elle ne pouvait la retirer sans arracher toute la membrane. Le découragement la prit. Elle avait perdu. Elle ferma les yeux attendant le coup mortel qui l’achèverait.
Ce fut un rire qui lui répondit.
- Tu crois que tu vas mourir ! Ah ! C’est trop drôle ! Non, tu ne vas pas mourir tout de suite, cracheur de feu. Tu vas devenir mon esclave !
Entendant cela, Moayanne eut un haut le corps et se débattit. La douleur dans son aile lui interdit rapidement d’aller plus loin. De la voir ainsi augmenta la délectation de son ennemi.
- Tu es la princesse ! Je le sais, cracheur de feu. Tu me seras plus utile en tant qu’épouse qu’en trophée dans mon palais.
Cappochi partit d’un grand éclat de rire qui glaça le sang de Moayanne. Il reprit sur un ton dur :
- Et maintenant tu vas me dire ton nom secret !
- JAMAIS, hurla Moayanne.
Le fouet s’abattit sur elle. Elle ferma les yeux attendant la douleur… qui ne vint pas.
Elle ouvrit les yeux, ne comprenant pas ce qui se passait. Cappochi était là devant elle, tous les yeux grand ouverts, semblant la haine personnifiée, son tentacule fouet levé. Pourtant tout semblait figé, comme arrêté. Elle regarda autour d’elle cherchant un signe pour comprendre. Elle vit… Elle vit le grand dragon rouge assis un peu plus haut.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.
- Tu as encore beaucoup à apprendre, jeune dragonne. Tu es femme-dragon, le sais-tu ?
- Oui, j’ai découvert cela. Je peux être l’un ou l’autre. J’ai peur de redevenir humaine, mon bras serait écrasé par la roche.
- Tu as bien fait. Alors dégageons-le !
Lyanne souffla sur le rocher. Moayanne fut surprise. Quand elle l’avait vu se mettre en position pour souffler, elle s’attendait à du feu et ce fut de la glace.
- Tu souffles le froid !
Lyanne s’arrêta pour répondre :
- Glace de feu, je suis né ! Feu de glace, je suis !
Il reprit son ouvrage. Il s’arrêta au bout d’un moment et s’approcha du rocher. Quand il fut tout près, il le regarda bien et choisit un point pour y souffler le feu. Il y eut une explosion qui fit fermer les yeux à Moayanne, mais le rocher avait explosé, déchiré par les différences de températures.
- Tu dois pouvoir bouger maintenant.
Moayanne effectivement put retirer son aile de sous les gravats qui restaient. Elle la testa pour la trouver en état de marche.
- Bien, dit Lyanne, maintenant redeviens celle que tu es quand tu es humaine et accroche-toi à mes griffes.
- Mais Cappochi est immobile !
- Presque, les dragons que nous sommes ont le pouvoir de jouer avec le temps. Nous allons trop vite pour lui.
Moayanne fit ce que Lyanne avait dit et soupira d’aise en se retrouvant bien calée entre deux griffes. Lyanne n’attendit pas plus longtemps pour décoller. Moayanne trouva le vol presque aussi agréable que si elle volait elle-même.
Elle regarda la silhouette de Cappochi rapetisser au fur et à mesure qu’ils s’en éloignaient. Lyanne remonta les pentes du Frémiladur. Arrivé à son sommet, sur la lèvre du cratère, il se posa. En bas la lave bouillonnait et d’épaisses fumées en montaient alimentant le gigantesque panache qui les surplombait.
- L’être qui a pris possession de Cappochi doit être en rage en ce moment, fit remarquer Lyanne.
Moayanne descendit de sa place et reprit sa forme de dragon. Elle s’aperçut qu’elle était à peine plus petite que le dragon rouge qui l’examinait.
- La marque du fouet restera, je le crains, dit-il en désignant ce qui avait marqué les écailles. Le reste est simplement douloureux. Tu t’en es bien sorti.
- Oui, mais il reste le plus fort. Je fuis devant lui. Tous les affrontements ont tourné à mon désavantage. Je préfère mourir que devenir son esclave ou pire son épouse.
- Je le comprends fort bien, répondit Lyanne, mais tu es femme-dragon, fille du Dieu-dragon. C’est un esprit qui tente de prendre pied dans notre monde. Son savoir et sa puissance sont immenses dans le monde des esprits mais insuffisants dans le monde des hommes tant qu’il est sans ancrage solide. Cappochi est trop faible pour lui assurer cela. Le corps de Cappochi a été consumé depuis longtemps. S’il veut rester ici, il doit te réduire à sa merci. Toi seule peux lui apporter la force dont il a besoin. Pour l’instant le Frémiladur lui communique sa puissance. Il ne peut s’en éloigner longtemps sans la perdre. Avec toi comme esclave, il aura accès à ta puissance.
- Mais je suis incapable de le vaincre !
- Telle est ta croyance. Tu peux le vaincre car tu es celle que tu es devenue, une femme-dragon capable de voyager entre les mondes, de ralentir le temps des autres ou d’accélérer le tien, de trouver le nom de ton adversaire et de le réduire à ta merci.
- J’ignore tout cela. Comment faire ? demanda Moayanne.
- J’ai été dans l’autre monde, celui des esprits et j’ai vu l’autre face de ce que tu combats. J’ai rencontré un esprit mineur aux idées claires. Je sais son nom. Il est en ce moment même dans l’esprit de celui que tu combats. Si tu lui dis le nom de ton ennemi, alors ton ennemi sera vaincu.
- Comment puis-je faire cela ? J’entends tes mots mais leur signification m’échappe.
- Cet être esprit est ton ennemi. Tu es celle qui doit le vaincre. En es-tu convaincue ?
- Oui. Je le sais.
- Alors quand viendra la confrontation, laisse jaillir la glace plutôt que le feu et appelle *Quoiveudire*.
Lyanne avait donné le nom de Quoiveudire dans le langage des dragons. Ce langage que nul ne connaît et ne comprend.
- * Si j’appelle Quoiveudire, que va-t-il se passer ?*
- *Tu auras le lien et tu pourras lui donner le nom U Ι Ι Κ Σ*.
Lyanne tourna la tête vers la pente. La silhouette honnie montait arrachant les pierres sur son passage, hurlant imprécations et malédictions.
- Alors tu seras celle qui a vaincu.
Moayanne jeta un coup d’œil dans la montée. Son ennemi arrivait. Maintenant elle savait son nom. Elle n’avait pas compris comment elle allait faire. Pourtant elle avait moins peur. Dans quelques instants, le combat allait reprendre. Elle tourna la tête vers le dragon rouge pour y chercher un regard d’encouragement. Il se penchait vers elle comme… comme si il voulait l’embrasser. Moayanne recula. Lyanne, voyant le mouvement de recul, dit :
- Sois sans crainte !
Il mit son front contre le front du dragon blanc. Moayanne eut un petit rugissement de surprise. Elle entendait, voyait, sentait, apprenait tellement de choses qu’elle en eut le vertige. Quand leurs têtes se séparèrent, elle se sentait comme Lyanne au sortir des grottes.
Lyanne s’effaça. Elle savait maintenant ce qu’un dragon doit savoir.