samedi 21 mars 2015

Deux dragons volaient de concert, slalomant entre les pierres en feu qui tombaient après avoir atteint des hauteurs inimaginables. Moayanne était heureuse de ce vol. Tout semblait si simple. Depuis que le grand dragon rouge lui avait touché le front, elle savait. Son corps de dragon répondait au moindre de ses désirs. Lyanne souriait. Leurs mouvements parfaitement accordés les faisaient s’éloigner, se rapprocher, se frôler tout en évitant toutes ces bombes qui fusaient de toutes parts.
Bientôt, ils dépassèrent la région des retombées. La nuit était presque arrivée mais de grandes coulées de lave éclairaient les flancs du Fémiladur. Ils les survolèrent sentant la chaleur intense leur chauffer les écailles. Ce fut un moment de vrai bonheur.
- On arrive, princesse, dit Lyanne.
Moayanne vit plus loin, les quelques tentes dressées qui marquaient l’emplacement du camp. Elle repéra l’agitation qui régnait. Elle ajusta sa vision pour en voir les détails. Les soldats la désignaient. Quelqu’un avait dû la repérer et donner l’alerte. Elle vit une place assez grande pour qu’elle atterrisse au centre du campement.
- Je vais me poser là, dit-elle en se tournant vers son compagnon de vol.
Elle sursauta. Elle était seule. Elle ne l’avait pas entendu partir. Elle fut déçue. Elle aurait aimé arriver avec lui.
Le camp de toile se rapprochait rapidement, elle se prépara à l’atterrissage. Les petits personnages qui s’agitaient devinrent des personnes avec leurs particularités. Ils s’étaient rassemblés en rond autour de la place, tenant chacun un lumignon. Moayanne se rappela que, pendant la préparation, on lui avait fait prendre une petite bougie au cas où. Il y a longtemps son père lui avait expliqué qu’il fallait toujours avoir un tel lumignon au pied du Fémiladur au cas où jaillirait l’Oiseau de feu. Telle était la légende transmise de mémoire de roi en mémoire de roi. Aujourd’hui, toutes ces petites flammes étaient pour elle.
Modtip en tremblait. La petite flamme dans ses mains dansait au rythme de son tremblement. Il était là, présent, le jour de la venue de l’Oiseau de feu. Il était béni des dieux pour vivre un tel événement. Il admira le spectacle de ce grand oiseau aux plumes écailles brillant comme des miroirs qui renverraient les mille images des flammes de présents.
Dans un dernier mouvement d’ailes d’une grâce absolue, le grand Oiseau de feu se posa. Et… tout disparut.
Il y eut un moment de flottement dans l’assemblée et une voix de femme cria :
- PRINCESSE ! PRINCESSE MOAYANNE !
Modtip vit se précipiter la servante de sa sœur. Elle se jeta aux pieds de Moayanne, lui étreignant les genoux, éclatant en larmes. 
Les autres ne savaient quoi penser. Où était l’Oiseau de feu ? Que faisait la princesse ici, alors que tout le monde la pensait morte dans le cratère avec son père ?
Quelqu’un hurla :
- C’EST PAS LA PRINCESSE ! UN FANTÔME ! C’EST UN FANTÔME !
Des cris fusèrent à droite et à gauche. Immédiatement certains firent des signes de conjuration. Des mouvements agitèrent la masse des courtisans. Les plus courageux dégainèrent leurs armes comme les soldats, les autres commencèrent à fuir. Moayanne regarda cela sans comprendre. Elle revenait victorieuse et on la rejetait. La colère la prit. Elle poussa un cri qui devint rugissement quand elle reprit sa forme de dragon blanc. Seule sa servante ne bougea pas, tout occupée qu’elle était à étreindre sa maîtresse. Tous se figèrent. Il y eut un instant de silence pur et le Frémiladur sembla répondre dans une une explosion qui fit trembler la terre. Tous vacillèrent, certains même se retrouvèrent à terre. Seule Moayanne resta solide face à la colonne de feu qui jaillissait en un hurlement déchirant. Une lumière aveuglante d’un blanc insoutenable, jaillit comme un éclair se mêlant aux couleurs de feu de l’éruption. La trace blanche monta très haut dans le ciel, tranchant bientôt sur les nuages noirs. Continuant sa route, la traînée lumineuse se dirigea dans un sifflement suraigu vers le campement, plaquant au sol tous les humains encore debout. Les témoins, qui racontèrent tout cela plus tard, jurèrent avoir vu la trace se diriger vers le dragon blanc. Une boule étincelante pareille à la foudre se posa sur la tête du dragon qui regardait le volcan. Tout cessa. On entendit pleuvoir les cailloux. Petit à petit, les hommes se relevèrent pour découvrir Moayanne debout, une couronne… la couronne sur la tête. Tout le monde la reconnut. L’évidence les frappa. Le Frémiladur venait de rendre la couronne royale, la déposant sur la princesse. Modtip fut le premier à réagir, mettant genou à terre et prêtant allégeance. Bientôt les autres suivirent.
Quand Moayanne se réveilla, elle vit Salmée, sa servante, lui jeter un regard idolâtre :
- Ma princesse, vous êtes la reine… la reine de feu des légendes.
Moayanne se redressa sur son séant. Elle était dans la tente de son père, couchée dans son lit. Elle prit conscience de sa position. Elle était maintenant la reine… la REINE ! Elle n’en revenait pas. Il y a quelques jours, elle n’était que la petite princesse sans autre avenir que de servir de monnaie d’échange dans une alliance avantageuse pour le pays. Et aujourd’hui, cette couronne sur sa tête... d’ailleurs où était passée sa couronne ? Elle se rappela qu’elle l’avait posée sur un tabouret à côté de son lit. Elle la chercha. Elle n’y était pas. Elle eut un moment de panique. Elle toucha sa tête. La couronne était dessus. Elle la reprit et la posa de nouveau sur le tabouret. Dès qu’elle la lâcha, la couronne s’évanouit. Elle sursauta, tâta sa tête et la retrouva. Vu sa taille, elle ne se voyait pas la porter en permanence. Son père ne la portait pas toujours. Ce fut un cri de Salmée qui la sortit de ses pensées.
- Votre couronne, votre couronne !
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Ma reine, votre couronne, elle est devenue diadème.
Moayanne palpa sa tête pour sentir le fragile anneau qui lui ceignait le front. Elle tendit la main à Salmée qui lui présenta le disque finement poli dans lequel elle put voir son reflet. Elle se découvrit le visage plus mince que dans son souvenir, comme si les événements l’avaient purifiée des dernières traces de sa silhouette d’enfant. Elle se sentit reine. Dans le même temps, elle eut une vision de ce qui l’attendait. Commander n’avait rien d’une sinécure.
Elle se tourna vers Salmée :
- Habille-moi ! Habille-moi comme une reine !
Elle la vit rougir de plaisir à cette idée.
Quand les pans de la tente s’écartèrent pour laisser le passage à Moayanne, les soldats se mirent au garde-à-vous. Un héraut sonna de la trompe, rameutant tous les présents.
Moayanne avança, frêle et royale à la fois. Tous s‘inclinèrent. Un soldat s’approcha davantage. Elle le reconnut. Malbus lui fit le salut militaire.
- La garde royale est à vos ordres, majesté.
- Allons la voir, Colonel.
Ainsi commença sa première journée de règne. Elle passait en revue la troupe qui allait devenir sa garde personnelle quand on lui annonça l’arrivée de la colonne des courtisans. Elle se souvint qu’après la blessure de son père, ils les avaient laissés en arrière. Elle ressentit de nouveau de l’appréhension. Comment allaient-ils réagir ? Elle se reprit. Elle était la reine. Elle redressa les épaules et reprit son inspection. Son oeil fut attiré par un des soldats, au troisième rang. Il allait la trahir. Elle le sentait. Cela l’étonna qu’elle puisse ainsi en être aussi sûre. Elle regarda mieux les uns et les autres. La vérité s’imposa à elle. C’était évident. Elle était femme et dragon. D’ailleurs, elle pouvait sentir ses ailes, ses griffes, et le feu qui couvait en elle prêt à jaillir. Elle remarqua le peu d’enthousiasme de Malbus qui l’accompagnait. Il ne la trahirait pas, mais la servirait parce qu’il avait servi son père. Intérieurement, il lui reprochait d’être ce qu’elle était… une femme. Une ombre passa sur le visage de Moayanne. Jamais elle ne pourrait supporter cela. Elle arrivait au bout du rang quand une aura d’or attira son œil. Il était jeune et beau. Poussant plus loin son analyse, elle sentit toute l’intelligence et la fierté qui régnaient dans cette tête. Elle n’eut même pas besoin de demander son nom, elle en eut la révélation en contactant l’esprit de ce jeune officier.
- “Très bien”, pensa-t-elle. “Voilà qui fera un excellent colonel de ma garde!”
Il lui faudrait trouver une place pour Malbus qui avait si bien servi son père. Elle pensa que ce ne serait pas trop dur. Les voisins de son royaume avaient senti leur faiblesse et massé des troupes sur les frontières.
- “ Malbus sera un parfait général là-bas”, se dit-elle encore, tout en se dirigeant vers l’entrée du camp pour accueillir le convoi. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire