lundi 27 février 2012

Les jours se suivirent


Les jours se suivirent selon le même rituel. Les guerriers de la mort venaient prendre position au lever du soleil, au moment du zénith et au coucher, relayant ceux qui étaient en place. La peur qu'ils inspiraient ne faisait que croître à les regarder. Ils ne semblaient connaître, ni la faim, ni la soif, ni les besoins. Toujours sur le qui-vive, ils faisaient indéniablement penser aux loups noirs. Une dizaine passa sans que rien ne se produisît. Dans la ville, on avait entreposé les corps des morts dans une grange, en attendant de pouvoir purifier la clairière et refaire une cérémonie de la dislocation. Personne ne savait vraiment ce que les extérieurs avaient fait de leurs morts. Certains disaient les avoir vus partir vers la forêt, d'autres prétendaient qu'ils étaient dans des blocs de glace pour être ramenés d'où ils venaient. Chan avait essayé de prendre contact avec Quiloma pour essayer de négocier un accès à la clairière. Celui-ci avait refusé de le recevoir. La saison des machpes commençait. Les hommes avaient à faire dans les souterrains. La routine du travail les protégea des questions. Sstanch emmenait ses quatre hommes s'entraîner en bas de la ville, loin du regard des autres. Après ce qu'ils avaient vu, ils acceptaient la discipline et l'entraînement qu'ils subissaient. Le conseil des anciens n'arrivait à aucune décision. Entre ceux qui avaient peur et ceux qui voulaient la vengeance, un fossé s'était creusé. Chan gérait cela au jour le jour. Kalgar avait repris ses affaires en main. Il forgeait à nouveau des outils. Sa fille poussait bien, maintenant que Talmab se sentait mieux. Dans la maison de Chountic, la morosité naturelle était revenue. Sealminc s'occupait de Brtanef du mieux qu'elle pouvait. Celui-ci se comportait en enfant sage avec elle. Pourtant nul rire ne les égayait. Chountic qui s'occupait surtout de ses affaires, grondait sa colère continuelle. Il avait trouvé dans les extérieurs un nouveau sujet qu'il pouvait développer à souhait. Rinca ne dormait plus. Devant ses yeux passait en boucle la procession qui ramenait les morts de sa maison. Seul le désir de vengeance le maintenait debout.
Dans le temple, Natckin tournait en rond. Il avait interrogé tous les membres. Personne ne savait. Kyll avait été en méditation puis avait disparu. Les esprits ne lui parlaient pas. Seul Tasmi semblait les entendre. Mais pouvait-on lui faire confiance? Il délivrait souvent des messages contradictoires que ni Natckin, ni le maître officiant n'arrivaient à décrypter. Ils n'avaient qu'une certitude, ce qui les attendait n'était pas réjouissant. Tasmi se laissait déborder par ses émotions et ses transes devenaient l'expression de sa peur. Tel un poison sournois, elle s'infiltrait partout. Les témoins des transes de Tasmi furent les premiers touchés, puis ceux à qui ils en parlèrent. De proche en proche, ce fut toute la ville qui craignit l'avenir à quelques exceptions près.
Natckin sortait d'un nouveau rite de divination et discutait avec Tonlen.
- Les esprits se refusent à moi. Seul Tasmi voit et entend.
- C'est regrettable, Premier Sorcier. Ses visions sont brouillées par sa peur, comme toujours. Le seul point qui ne change pas est : il faut retrouver le Maître Sorcier.
- Je sais, mais tous ceux que j'ai envoyés pour fouiller la ville et ses environs n'ont rien trouvé. Aujourd'hui encore, j'ai lancé une expédition dans les terres derrière la clairière. Je ne sais s'ils iront loin. Il leur faut contourner le camp de ces maudits guerriers de la mort.
- Ils vont devoir passer la nuit dehors !
- Oui, je sais. Ils veulent absolument savoir.
- Qui est parti?
- Le groupe de Gasikara.
- C'est une maison forte. Le fait que notre Maître Sorcier en sorte est une grande motivation.
Un jeune disciple arriva en courant. Essoufflé, il se prosterna :
- Maîtres, il y a du nouveau chez les guerriers de la mort.
- Parle !
- Un messager est arrivé dans le fort de glace. Depuis c'est l'effervescence. Le prince des extérieurs est en route pour la ville avec une escouade de guerriers !
Natckin se tourna vers le maîtres officiant :
- Allons voir ça !

vendredi 24 février 2012

Ce fut la première bataille


Ce fut la première bataille. Chan vivait une colère permanente. Près d'une quarantaine de personnes avaient trouvé la mort pour un étranger. C'était cher payé, trop cher payé. Sstanch, plus fataliste, disait :
- C'était à prévoir. Le vieux Rinca n'a pas supporté la profanation de la clairière. Lui et ses amis ont décidé de se venger.
- Mais ils n'avaient aucune chance contre des guerriers !
Chan et Sstanch arpentaient le lieu du combat. Les hommes de la ville avaient tendu une embuscade au groupe revenant par le col de l'homme mort. A quarante contre dix, ils pensaient la victoire acquise. Les corps marbrés de sang qui jonchaient la neige prouvaient le contraire. Chan était d'autant plus en colère que Rinca n'avait rien dit de ses préparatifs. C'est en entendant les cris et les hurlements que les guetteurs de la tour avaient prévenu que quelque chose se passait. Les étrangers qui avaient fini leur fort de glace, avaient aussi entendu les bruits des combats. Avant même que quelqu'un réagisse en ville trente guerriers étaient partis de toute la vitesse de leurs planches de glisse. Quand Sstanch avait voulu faire une sortie pour aller voir, vingt flèches s'étaient plantées dans la porte à son premier mouvement. Sstanch avait juré et couru à la porte de la forêt rejoindre l'autre groupe d'hommes qu'il avait déjà missionné pour cela. Ils progressaient à pied avec des raquettes. Moins entraînés que l'homme des montagnes, ils se déplaçaient plus lentement. Il leur avait fallu beaucoup de temps simplement pour atteindre la route du col. Sstanch entendait les hommes derrière lui ahaner pour essayer d'aller vite. Il pensa qu'ils seraient trop essoufflés pour un combat quelconque.
- Ne bougez plus !
L'ordre claqua comme un fouet. Sstanch reconnut la voix de Muoucht.
- Stop, ne faites rien ! hurla-t-il en levant les bras, alors que les hommes qui l'accompagnaient sortaient leur armes. Ils s'interrompirent regardant autour d'eux. Muoucht sur ses raquettes barrait le chemin à quelques dizaines de pas. En retrait mais hors de portée des arcs de la ville, une bonne trentaine de guerriers, l'arc bandé, une flèche encochée, surgirent de leurs abris qui les avaient cachés. Un homme partit en hurlant et en brandissant sa faux. Dix pas plus loin, il gisait dans la neige secoué de soubresauts, se vidant de son sang une flèche en pleine gorge. Les hommes de la ville rengainèrent leurs armes, Kalgar le premier sans essayer de bouger.
Un guerrier extérieur reposa son arc. Avec les gestes précis et vifs d'un long entraînement, il le rangea dans son dos, tout en s'avançant sur ses planches de glisse vers Muoucht. Sstanch reconnut le prince.
- Rtom.....
- Nous venons de tuer vos soldats dans la montagne. Ils nous ont attaqués, traduit Muoucht.
Quiloma parlait d'une voix grave assez lentement pour que Muoucht puisse traduire.
- Nous n'étions pas venus pour faire la guerre. Vous nous l'imposez.
- Les hommes qui vous ont attaqués, l'ont fait sans ordre ! coupa Sstanch. Muoucht traduisit.
Quiloma l'écouta puis reprit la parole.
- Lsel...
- Peut-être dis-tu vrai. Quand le soleil se lèvera amène la réponse à mon offre. Soit vous vous soumettez soit nous sèmerons ruines et mort dans votre village. J'ai dit et cela est vrai.
Sans attendre de réponse Quiloma avait tourné les talons. Sstanch le regarda faire des gestes qu'il devinait être des ordres, car bientôt les guerriers extérieurs eurent tous disparu.
Tout le monde se précipita vers le serviteur de Rinca qui gisait dans la neige, une tache rouge autour de la tête.
- Il est mort, dit Sstanch, ramenons-le à la ville. Il n'y a plus rien à faire pour les autres. Nous irons chercher les corps plus tard.
Leur retour en ville fut sinistre. Personne ne parlait. Se relayant pour porter le mort, ils atteignirent la ville assez vite. Repassant sur leurs traces et en descente, le chemin ne leur parut pourtant pas plus court. Tous pensaient à la vitesse à laquelle les extérieurs avaient réagi et à ce qu’ils avaient dit. Là-bas, ils étaient tous morts. À leur arrivée, tout le monde se pressa pour voir. Chan arriva dans les derniers. Il arrivait de la tour de guet. Il avait observé le retour des extérieurs. Il les avait vu ramener un corps. Il n’était descendu que lorsqu’on lui avait annoncé le retour de l’expédition. Essoufflé comme à chaque fois qu’il faisait un effort, il demanda à Sstanch un rapport. Puis il convoqua le conseil. Ceux qui y assistèrent racontèrent combien furent houleux les débats. Tous faisaient griefs à Rinca pour son attitude. Celui-ci se défendait en hurlant comme les autres, précisant qu’il était le seul à avoir perdu ses fils et ses hommes pour défendre la clairière de la dislocation. Natckin avait essayé de calmer le débat. Voyant qu’il n’arrivait à rien, il était parti faire une divination. A son retour, il y avait deux clans dans le conseil, ceux qui comme Rinca voulaient venger et la profanation et la mort des leurs, et puis ceux plus nombreux qui pensaient qu’ils avaient tout à perdre à essayer de résister. Natckin s’était mis en grand habit. Il n’avait pas osé usurper la tenue du maître sorcier. Pourtant il impressionna les présents qui se turent les uns derrière les autres en le voyant avancer le visage grave et fermé. Derrière lui Tasmi dont les visions étaient révélatrices, tenait les pans de son manteau.
- Les esprits ont parlé, déclara Natckin d’une voix grave et forte. La mort nous attend, rapide et douloureuse si nous nous révoltons contre les extérieurs, lente et insidieuse si nous nous soumettons.
Il s’arrêta de parler, le regard perdu comme s’il avait encore devant les yeux les visions dont il parlait. L’assistance resta interloquée un moment puis les murmures reprirent pour se changer rapidement en altercation verbale entre les deux camps.
- Pourtant…
La parole de Natckin fit l’effet du tonnerre. Tous firent silence.
- Pourtant l’esprit de la ville m’a montré un chemin possible. Il est long et difficile, mais le seul qui puisse nous libérer de la mort blanche qui rôde à notre porte et qui a brisé le passage vers le monde des esprits.
- Quel est-il ? demanda Chan.
- L’esprit de la ville a consenti à donner le premier pas, mais trop de violences arrivent. La suite dépend de celui qui n’a pas son nom.
- Qui est-ce ? Un esprit ?
- Je ne sais, l’avenir est trop brouillé…
- Mais ce premier pas, c’est quoi ?
- Il faut leur donner l’impression de se soumettre et se préparer au long conflit et puis…
Sa voix baissa au point que seul le premier rang l’entendit
- …et puis, il faut retrouver le maître sorcier.
Chan fut le seul à comprendre ce qu’il en coûtait à Natckin de dire cela. La nouvelle de la disparition de Kyll fut l’ultime coup à la résistance du conseil. Sans maître sorcier pour faire le lien avec le monde des esprits, avec la mort incarnée dans son fort de glace, la ville était perdue. Même les morts étaient perdus. Sans le rite à la clairière, ils étaient condamnés à errer, bloqués, incapables de rejoindre le lieu de leur repos.
Chan n’avait pas dormi quand il alla se présenter devant Quiloma pour faire reddition. Celui-ci le reçut sans un mot. Quand Chan eut fini, il attendit un moment. La sueur lui coulait dans le dos au fur et à mesure que le silence se prolongeait. Quand il prit la décision de partir, le prince blanc fit un geste et dix guerriers emboîtèrent le pas au chef de ville. Quand il arriva à la porte des hautes terres, ils prirent position. Par gestes, ils firent évacuer les gardiens de la porte et les guetteurs de la tour, puis ils prirent leur place.
Chan n’attendit pas pour repartir avec Sstanch et une escouade d’hommes pour aller chercher les corps.
La montée vers le col de l’homme mort leur prit la moitié de la matinée. Quand ils découvrirent le champ de bataille, le spectacle fut insoutenable. Tous les hommes avaient été égorgés. Le rouge s’étalait par flaques. Sstanch les examina tous. Pendant ce temps, la plupart des autres allaient vomir un peu plus loin. Ils trouvèrent le dislocateur sur place.
- J’ai chassé les prédateurs depuis hier. Il n’est pas bon que le rite ne soit pas respecté.
Chan le remercia d’une voix blanche. Puis il donna les ordres. Des branches furent coupées pour faire des litières. Les corps furent entassés à plusieurs sur chacune. Puis sans un mot, le groupe reprit le chemin de la ville.
- Ça a été un massacre, dit Chan.
- Oui et non, répondit Sstanch. Ils se sont battus. J’ai vu leurs flèches plantées un peu partout. La plupart sont tombés sous le coup des archers ennemis. Quelques uns sont arrivés au corps à corps mais ils ne savaient pas se battre. Le dislocateur m’a dit qu’il avait vu les extérieurs revenir avec un mort et plusieurs blessés. Pour un premier combat, les hommes de Rinca se sont bien battus. J’ai connu des combats où les jeunes recrues mouraient tous sans même faire de victime en face.
- Mais pourquoi les égorger ?
- J’ai vu des tribus de la plaine le faire. Soit pour achever les blessés afin qu’ils meurent vite sans souffrir, soit pour d’autres tribus afin de laver le déshonneur de la défaite, pour nos ennemis je ne sais pas. Ils ne les ont pas torturés…
- A quoi vois-tu ça ?
- Les hommes de Rinca étaient morts quand les extérieurs ont récupéré leurs flèches dans leurs corps. Les plaies n’ont pas saigné.
Il fallut tout le reste de la journée pour redescendre les dépouilles des combattants. Rinca regarda passer ses fils, ses alliés, ses serviteurs morts, la mâchoire serrée. Dans ses prunelles dansaient des envies de vengeance. Du haut de la tour, les guerriers de la mort, comme on les appelait maintenant, regardaient la procession sans montrer la moindre émotion.

mardi 21 février 2012

Kyll avait chaud


Kyll avait chaud quand il se réveilla. Il ouvrit les yeux et mit quelques instants avant de se rappeler où il était. Une douce chaleur régnait... Une douce chaleur ! Ce n'était pas possible ! Il se dressa sur son céans. Il y eut un grognement. La panique le remplit d'effroi. Un crammplac poilu était couché avec lui. Il était chaud, vivant, terriblement vivant. Kyll était juste à côté de la gueule impressionnante de la bête. Il regarda, elle semblait dormir. Les yeux fermés, elle respirait sans bruit. Son regard parcourut le corps massif, le crammplac était couché sur le flanc, les pattes barrant le seul passage vers la sortie. Les griffes énormes, qu'il savait acérées comme un couteau sacrificiel, se détachaient par leur couleur plus froide que le reste. Il dormait quand la bête était entrée. Elle devait être repue puisqu'elle ne l'avait pas dévoré. Avait-il une chance de sortir sans la réveiller? Il essaya de se faire un plan de déplacement pour sortir. Il pensa qu'il n'avait pas vu de traces de pattes de crammplac devant la grotte. Il avait dû partir chasser avant la neige. Il ne se rappelait pas que la grotte de la médiation ait abrité des animaux. C'est vrai qu'ils n'y venaient qu'en été pour les rites d'intercession avec les esprits. Il remuait toutes ses pensées dans son esprit tout en regardant la tête posée sur le rocher devant lui. Il eut un sursaut de tout le corps, l'œil était ouvert.
- Tu es bien agité, kyllstatstat.
Kyll sursauta une nouvelle fois. Il avait entendu parler dans sa tête.
Le crammplac découvrit ses babines. Les dents étaient encore plus impressionnantes que ce que disait la rumeur. Il émit une série de petits jappements étonnants pour une bête de cette taille.
- Tu verrais ta tête, kyllstatstat. Mais essaye de ne pas sursauter comme cela, si nous devons cohabiter, j'aimerais un peu de calme.
- Ce n'est pas possible, je délire ! dit kyll à haute voix
De nouveau dans sa tête, il entendit cette voix douce et grave
- Non, non, tu ne rêves pas. L'esprit de celui qui n'a pas son nom a crié. Alors nous obéissons.
- Mais pourquoi?
- Je ne sais pas, Kyllstatstat. Je sais que je devais venir ici et que je dois te protéger. Tels sont les désirs inarticulés de celui qui n'a pas son nom.
- D'où viens-tu?
- Ma tribu est loin dans les montagnes blanches. Ton maître nous connaissait. C'est par celui que tu as accompagné une dernière fois que je suis ici. Son esprit m'a guidé jusqu'à toi.
- Pourquoi m'appelles-tu Kyllstatstat?
- Parce que tel est ton nom : Kyll qui relie les mondes.
- Quel est ton nom à toi?
- Dans ta langue il veut dire : Le grand et puissant seigneur de la tribu par qui justice et force entrent dans le monde.
- C'est long à dire.
- Oui, mais dans ma langue c'est plus facile : Stamscoia
- Que dois-je faire?
- Je ne sais pas, je ne suis pas là pour décider pour toi, je suis là pour te protéger des dangers.
Kyll resta un moment en silence. Le crammplac ne bougeait pas, seul son œil fixait le sorcier.
- Il faut que je mange, dit Kyll, allons!
Ensemble ils sortirent dans la neige.

dimanche 19 février 2012

Kyll tremblait de froid


Kyll tremblait de froid. Il était sorti de sa transe en arrivant à la grotte. Ses perceptions avaient repris les limites de son corps. La neige qui recouvrait tout, avait envahi le porche de la grotte. N'y voyant pas de trace de pattes, Kyll était entré. La grotte de la médiation était froide dans sa plus grande partie. La lumière rentrait chichement. Il glissa sur une petite mare gelée près de l'entrée. Il lui fallait un peu de chaleur. Bien qu'habillé pour l'hiver, il ne pourrait rester au froid. Il se mit à explorer les lieux. Plus il allait vers le fond, moins il y voyait. Lors de son dernier passage ici, il avait une torche. A la lumière de ses seuls souvenirs, il s'enfonça au plus profond de la cavité. Le froid y était toujours intense. Une ombre plus noire se révéla être un petit couloir tortueux qui s'ouvrait en hauteur et qui finissait dans une salle sans écho. Il avait avancé avec beaucoup de prudence. Le noir était profond et sa peur était grande. N'allait-il pas tomber sur une bête hivernant. A tâtons, il était arrivé dans ce qui semblait être un cul-de-sac un peu plus large. Sur une des parois, il trouva un suintement d'eau. Il en fut heureux. Il ne gelait pas ici. Il s'assit sur le sol dur mais sec. La température avait beaucoup remonté. Il se calma lentement faisant les exercices de souffle que son maître lui avait enseignés. Lui revint en mémoire, une parole que son maître avait prononcée une fois. L'exercice finissait. La nuit était tombée. Lui, Kyll, avait oublié de préparer la lampe. La nuit était sans lune. Il n'avait pas osé bouger de peur de renverser un des nombreux pots où ils avaient fait brûler des offrandes. Son maître s'était levé, avait dit ... et puis avait pu se déplacer dans le noir comme en plein jour. La mémoire de Kyll refusa de lui livrer les paroles du maître. Il s'en voulut. La colère bouillonnait en lui. Il avait suivi les ordres des esprits et se retrouvait seul, au fin fond d'un trou noir, sans provision, ni couverture. Le découragement le visita. Il se recroquevilla pour ne pas perdre sa chaleur, prit son manteau et s'enveloppa dedans. Il était impuissant, fatigué. Il pensa que demain il ferait jour. Posant la tête sur son bras, il ferma les yeux. Il y eut comme un tintement de clochettes. Kyll bondit sur ses pieds, regardant le noir autour de lui. Le silence était absolu. Il attendit. Ses paupières trop lourdes se fermèrent. Le bruit revint, la peur avec lui. Il tâta autour de lui. Il ne trouva que le vide ou la roche. Il essaya de retrouver le sommeil sans jamais y parvenir. Le bruit revenait. Il l'écouta. Il lui sembla familier. Des souvenirs se présentèrent à son esprit. Il entendait un bruit intérieur. Ce petit tintement, il l'avait entendu ce jour-là quand le maître avait invoqué, l'esprit du noir pour l'aider. Voilà la solution ! Il rectifia sa position comme il sied à un maître sorcier. Faisant circuler le souffle en lui, il entra dans cet état second où son esprit se dilatait. Il pensa à l'esprit du noir, à celui de la roche, à celui de l'eau. Presque sans le vouloir, il dit les paroles de puissance. La transe arriva spontanément. Elle ne le projeta pas à terre, ne lui fit faire aucun geste désordonné. Simplement, il entendait nettement le tintement dans ses oreilles. Disant les paroles du lien, il se mit debout et fit le geste du commandement. L'espace autour de lui prit une nouvelle dimension. Il voyait l'eau qui s'écoulait doucement. Si les détails de la roche manquaient, il voyait les limites de sa chambre. S'il regardait vers le boyau de sortie, les vibrations devenaient lentes, gelantes. Au sol, il voyait les zones plus chaudes ou plus froides ainsi que des débris éparpillés. Il découvrit aussi un passage encore plus petit qui montait à l'opposé de la sortie. Il était trop haut pour que Kyll puisse l'atteindre sans un marchepied quelconque. Il s'assit le dos au mur, laissant son nouveau regard errer sur son environnement. Il repéra des petits mouvements. La forme colorée qui bougeait ainsi lui évoqua des insectes. Certains bien grillés étaient excellents, mais il n'avait pas de feu. Il s'endormit ainsi en pensant à de la nourriture.

jeudi 16 février 2012

Quiloma était étonné


Quiloma était étonné d'être encore vivant. Le grand être n'était pas revenu. Il en venait à douter de sa réalité. Dès que la lumière fut suffisante, il se dépêcha d'aller à la clairière. Un anneau était à prendre. La neige avait fait son œuvre. Il ne reconnaissait rien. La pierre éclatée était là. Le feu qui couvait encore grâce aux pierres à feu, avait fait fondre la neige tombée. Il jura entre ses dents. Il y avait là sous la neige un anneau inestimable et lui était là sans pouvoir le toucher. Il rageait. Il ne put s'empêcher de fouiller, sans rien trouver bien sûr. Il avait avec lui ses chefs de sections.
- Dro...(Quels sont les ordres, mon prince?).
Quiloma réfléchissait à toute vitesse. Il avait pensé que sa mission serait courte, trouver les fuyards et les ramener morts ou vifs, sauf l'enfant qui devait être vivant. De trouver tout le monde mort ne l'avait pas ému. Cet enfant ne représentait rien pour lui. Il y aurait un autre prince majeur pour régner. C'est quand il avait vu l'anneau qu'il avait compris que les choses allaient se compliquer. Cet anneau était une légende. Seuls les princes de haut rang la connaissaient vraiment. A son niveau, on savait qu'il contenait le Pouvoir. Nul ne savait trop comment, mais ils avaient vu les princes de haut rang prêts à tout pour le posséder. Même sans jamais l'avoir vu, Quiloma l'avait reconnu. Sa description était fameuse. Le retour était impossible sans lui. Il y avait trop de neige, de plus l'explosion pouvait l'avoir envoyé n'importe où. Rester ici changeait ses plans. Il divisa la phalange en plusieurs groupes. Cinq hommes partiraient vers le soleil levant pour une mission de reconnaissance. Cinq autres iraient vers le soleil couchant. Leur mission serait de faire la topographie locale autour du village. L'autre partie de la mission consisterait à voir si des renforts pouvaient arriver jusqu'ici. Ils n'étaient qu'une phalange. Face à une armée, ils seraient vaincus. Il ne pouvait pas courir le risque. Il décida de ne pas égorger les villageois. Si tout s'était bien passé, il aurait supprimé les témoins gênants. Si le séjour durait longtemps, il aurait besoin d'eux pour le ravitaillement. Il avait aussi remarqué l'épée du chef de guerre du village, une belle arme. Il fallait qu'il trouve celui qui faisait ça. Quiloma continua à distribuer ses ordres. Il envoya les dépouilles pour identification au prince majeur, en lui faisant passer le message que, vu la manière dont les villageois avaient traité les corps, l'anneau était perdu. Il précisa que lui Quiloma avait trouvé les fugitifs et qu'il restait sur place pour retrouver l'anneau. Il envoya avec eux dix hommes de plus pour faire le plein de pierres de feu dans la vallée voisine. Ils en auraient besoin pour se chauffer. Il mit les autres guerriers à l'œuvre. Il fallait construire un fort provisoire en attendant le retour des messagers. Si la chance leur souriait, c'est-à-dire pas trop de neige, ni de vent et surtout pas de mauvaises rencontres, les instructions seraient là quand Quichcouan, la lune rousse, serait au zénith.
La phalange se déploya. Dix hommes se mirent en faction. Les villageois pouvaient avoir l'idée de les attaquer en les pensant en moindre résistance. La cinquantaine qui restait, se mit à découper les blocs de neige compacte pour faire un mur d'enceinte.

mardi 14 février 2012

Quand Natckin arriva


Quand Natckin arriva dans la maison commune, le silence se fit. Tous attendaient des directives et des nouvelles. Le malch noir avait fait son effet. Les hommes présents avaient tous le teint vultueux que donnent les boissons fermentées. Et l’excitation qui va avec. Un mot du sorcier et ils partaient à la guerre.
- Alors, premier sorcier ? Où est le maître sorcier ? demanda Chan.
- Nous ne l’avons toujours pas trouvé. J’ai fait un rite de divination mais les esprits ont refusé de parler.
Natckin revoyait la scène. Il jouait le rôle de l’ordonnateur. Le maître officiant remplissait le sien. Tasmi qu’il n’avait pas renvoyé, était entré en transe. Natckin avait collé à ses visions. On y voyait du sang, des montagnes volantes, des esprits crachant le feu et le soufre, mais aussi des prairies verdoyantes et des monceaux de machpes. La vision de Kyll avait traversé fugitivement, ainsi qu’un maître du feu. Tasmi avait fini par s’effondrer. A la fin de la cérémonie, le maître officiant avait prit Natckin par le bras et lui avait dit tout bas :
- Attention, premier sorcier. Je sais. Tasmi te servira de source. Ne mets pas les esprits en colère en ne les respectant pas.
Natckin avait eu beau protester, Tonlen, n’avait pas changé son discours.
- Il y a des herbes pour aider à la divination.
Natckin les connaissait. Sa seule expérience avait été tellement traumatisante pour lui qu’il n’avait jamais recommencé et toujours simulé. Il s’était senti vidé de lui-même, flottant sans rien pouvoir contrôler dans un monde qui lui était complètement étranger.
- Que doit-on conclure de ce rite ? La source Tasmi a donné quel fleuve ?
Si Tonlen remarqua le ton ironique, il n’en dit rien.
- L’heure est grave et les esprits nous laissent décider. Les visions disent du bien et du mal. Les gestes que nous ferons engageront peut-être l’avenir. Le vieux maître sorcier aurait su.
- Oui, mais il est parti et Kyll aussi, dit Natckin avec acrimonie. Il y a dans la maison commune, tous les hommes qui attendent qu’on les guide et nous n’avons rien, si ce n’est un salmigondis d’images.
- Il faut faire un rite d’offrande de sang.
- Je vais gagner du temps et nous le ferons.
Sortant de ses pensées, il s’aperçut que toute l’assistance le regardait avec des yeux étonnés. Il pensa qu’ils allaient croire que comme Kyll, il avait des visions. Il décida de jouer ce jeu.
- Les esprits demandent l’offrande du sang.
Un frisson parcourut l’assistance. Ce rite exceptionnel n’avait pas été utilisé depuis des étés et des étés. Les plus jeunes n’en avaient jamais vécu. Les plus vieux se rappelaient de l’été de pluie quand ils étaient jeunes. L’ancien maître sorcier, jeune à l’époque, avait ressenti ce besoin. Il avait commencé par le sang d’un oiseau mais cela n’avait pas suffi. Le soir venu, les esprits n’avaient pas répondu. Le lendemain, il sacrifiait un jeune tibur. Si c’était un honneur d’offrir un tibur de son troupeau pour le sang du sacrifice, seuls les plus riches pouvaient les donner. Cela leur donnait une place et une voix au conseil. Mais cela n’avait pas suffi. Le soir venu, les esprits n’avaient pas répondu. Le lendemain sur la place de sacrifice où le sang avait été lavé par les pluies incessantes, le maître sorcier avec saigné un tibur mâle adulte. C’est la famille de Chan qui avait amené la bête. Cela avait un argument de poids pour être coopté comme second au Chef de ville de l’époque. Bien qu’enfant, Chan n’avait rien perdu du spectacle et de la leçon. Mais il se souvenait que cela n’avait pas suffi. Les esprits n’avaient pas répondu. Le maître sorcier avait alors réclamé le sang de l’homme. La peur avait fait son apparition. Jusqu’où devait-on aller pour apaiser les esprits ? Le lendemain, toujours sous la pluie, le maître sorcier avait donné l’exemple. Tout à sa transe, il avait pris le couteau sacrificiel de corne de tibur et avait lacéré son avant bras. Le sang avait coulé. Chaque homme s’était avancé. Ils portaient encore tous la marque de ce jour, où leur sang avait coulé sur la place de sacrifice. Des grands brasiers de clams et de plantes sacrées donnaient une odeur lourde et enivrante. Les femmes qui faisaient cercle autour comptaient les hommes qui passaient. Lorsque se présenta le dernier de la file, l’une d’elle avait crié :
- Où est Strenstouf ?
Il y eut un vent de folie. Comme un vol de moineaux, elles s’égaillèrent pour le retrouver. Le maître sorcier avait prévenu, s’il manquait un homme, le rite ne pourrait être agréé par les esprits. Une d’elle le repéra bientôt et se fut une véritable chasse à courre dans la ville. Strenstouf fuyait aussi vite qu’il pouvait mais chaque fois des femmes lui barraient la route. Les hommes trépignaient de ne pouvoir agir mais ils ne pouvaient pas quitter la place tant que leur sang coulerait. Ils suivirent la poursuite par les cris des unes et des autres. Le sang coulait encore des bras des derniers offerts quand Strenstouf arriva sur la place de sacrifice. Il était tuméfié par les coups reçus. Armées de bâtons, les femmes de la ville, le rabattaient vers le maître sorcier, le frappant dès qu’il s’arrêtait ou qu’il déviait de la route. Un dernier assaut de la meute, le jeta aux pieds du maître sorcier. Tout à sa transe, il ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il se passait. Quand son couteau s’abattit, il trancha le cou de l’homme à terre. Le sang gicla sous les hourras de la foule des femmes. Quand il se mêla à l’eau du ciel, pour la première fois depuis cinq fois deux mains de jours, la pluie cessa. Les cris de chasse se transformèrent en cris d’allégresse.
L’ombre du sacrifice de Strenstouf plana sur chacun. Cela dégrisa les hommes. Chan sentit tomber son excitation. Lui qui était prêt à la bataille, ne se sentait pas bien à l’idée de ce rite.
- Que l’on aille se coucher. Quand se lèvera le soleil, Sstanch tu iras espionner les extérieurs. En attendant que le premier sorcier prépare le rite d’offrande du sang, nous ne prendrons pas la décision d’attaquer.
Sstanch qui avait ses ordres, partit le premier. Il fut bientôt suivi par de petits groupes discutant à voix basse. L’espoir d'un grand soir avait vécu.

vendredi 10 février 2012

Dans la ville, l'émoi était palpable.


Dans la ville, l'émoi était palpable. Les observateurs avaient vu les extérieurs faire naître le feu. Comme si cela ne suffisait pas, il les avait vus faire brûler des pierres. C'est Kalgar qui avait été le plus étonné. Lui qui se fournissait en bois noir auprès des bûcheronneurs qui vivaient plus bas dans la vallée, avait vu dans la pénombre, le rougeoiement de la cotte lors du transport des braises. Il connaissait bien le travail du fer. Voir ainsi le métal devenir rouge cerise en aussi peu de temps l'avait laissé songeur. Il n'avait pas eu le temps de creuser la question que l'explosion avait eu lieu dans la clairière de la dislocation. Dans la tour les guetteurs étaient partagés. Certains disaient qu'une grande ombre était venue et avait provoqué l'éclat de lumière. Les autres disaient que la lumière avait fait naître un grand et sombre esprit. Il y avait eu une grande agitation dans le camp des extérieurs. Puis tout s'était calmé. La neige tombait étouffant les bruits. La nuit était noire.
Le remue-ménage continuait dans la salle commune malgré l'heure tardive. Les discussions allaient bon train. La seule opinion consensuelle était qu'il fallait aller voir ce qui était arrivé dans la clairière de la dislocation. On ne pouvait pas laisser un lieu sacré être profané par des étrangers. Chan sur les conseils de Sstanch essayait de calmer tout le monde. Les forces en présence n'étaient pas en faveur des habitants de la ville, à moins que l'explosion n'ait fait beaucoup de dégâts chez les extérieurs. Les plus hardis préconisaient d’attaquer et de tuer tous ces profanateurs. Les plus prudents avaient vu la puissance des arcs courts et conseillaient la négociation. Chan avait fait mandé le maître sorcier mais celui-ci tardait à venir. Chan commençait à s’inquiéter. Alors que leur monde semblait voler en éclats, le maître sorcier n’était même pas là, ni le premier sorcier non plus. Il fit signe à Sstanch, lui glissa un mot à l’oreille et reprit la discussion. Il fallait qu’il la fasse traîner jusqu’à l’arrivée des sorciers. Il proposa une tournée de malch noir.
Sstanch marchait vite sous la neige qui devenait lourde et collante. Si cela continuait, quelle que soit la décision du conseil, le combat ne pourrait avoir lieu. Trop de poudreuse gênait les mouvements. Même en alignant tous les hommes valides, il doutait de pouvoir battre les extérieurs. Il était résolument pour la discussion. Il avait vu trop de morts inutiles pour en vouloir dans sa ville. Maintenant, s’il fallait se battre, il irait et que les esprits le protègent. Il toucha son amulette. La masse du temple se dressa devant lui. Il était arrivé à l’enceinte réservée. Il se dirigea vers la porte. A l’aide du marteau de pierre, il frappa l’huis de trois coups selon la coutume. Le portier tarda tant, qu’il fût obligé de recommencer. Celui-ci arriva essoufflé.
- Ah ! Capitaine ! Capitaine ! Si vous saviez ! Venez ! Venez !
Le portier l’avait attrapé par la manche et le tirait vers l’enceinte des maîtres. Il était tellement perturbé qu’il en laissa la porte ouverte. Arrivé à la deuxième enceinte, le portier ne ralentit pas, remorquant Sstanch, il courait presque. Le capitaine ne comprenait rien, il n’avait jamais vu le temple dans une telle agitation. Des sorciers de tous rangs s’agitaient dans tous les sens. Personne ne sembla faire attention à lui. Il n’avait jamais entendu dire qu’un civil pouvait pénétrer dans l’enceinte des maîtres. Toujours tiré par le portier, il passa la porte sans même ralentir.
- Premier Sorcier, j’amène le capitaine.
Sstanch repéra Natckin, toujours accompagné de Tasmi. Il donnait des ordres à l’un ou à l’autre, tout en regardant dans une pièce dont il occupait le seuil.
- Que se passe-t-il, Premier Sorcier ? La Chef de ville a besoin du Maître Sorcier Les évènements de la nuit nécessitent sa présence.
- Je ne le sais que trop bien, Capitaine, mais le maître sorcier a disparu.
- Comment ça, disparu ?
- La dernière fois qu’il a été vu, il rentrait dans sa chambre de méditation et regarde…
Sstanch se pencha en avant. Il vit une petite pièce ronde faite de pieux assemblés. Elle n’avait pas de fenêtre. Sans la chandelle que tenait Tasmi, il n’aurait rien vu. La pièce était nue et vide. Seule une robe de cérémonie était à moitié étalée sur le sol.
- Le maître sorcier a prévenu qu’il allait méditer avant un rite divinatoire. Il avait revêtu les habits pour le rite. Regarde ce qu'il reste. Nous l’avons cherché partout. Il n’est nulle part. La seule explication est que les esprits l’ont enlevé. C’est un sombre présage.
- Chan te cherche. Pardon, le chef de ville désire ta présence.
- Dis-lui que je viens, dès la fin du rite. Qu’aucune décision ne soit prise avant que nous ayons consulté les esprits.
Natckin se détourna et toujours suivi de Tasmi, se dirigea vers la grande chambre de cérémonie.

mardi 7 février 2012

Quiloma avait donné ses ordres


Quiloma avait donné ses ordres. Il lui fallait cet anneau. Il était prince de dixième rang. S’il parvenait à la maîtrise de la puissance donnée par cet anneau majeur, il pourrait atteindre un troisième voire un deuxième rang. Lors du rapt de l’enfant, les dix princes de dixième rang avaient été convoqués. Le prince majeur avait parlé. Ils avaient obéi. Quiloma se savait le meilleur. Il avait choisi la bonne direction. Sa phalange était aussi la meilleure, rapide, endurante, obéissante. Ses hommes avaient tout à gagner s’ils réussissaient à ramener l’enfant. Les conditions de sa disparition ainsi que le pourquoi n’étaient pas clair. La nourrice était d’une famille fidèle depuis des générations à la famille régnante, le protecteur aussi. Ils étaient pourtant partis en enlevant l’enfant, futur prince majeur. De plus le protecteur avait réussi à s’emparer de l’anneau de pouvoir destiné à l’enfant. Pour le prince majeur régnant, c’était une haute trahison. Il voulait les traîtres pour les tuer de ses propres mains et l’enfant pour l’éduquer selon son rang. Quiloma avait entendu des bruits entre deux missions disant que les choses n’étaient pas si simples, que peut-être le prince majeur avait fait disparaître son frère, père de l’enfant pour prendre sa place et que l’enfant lui-même maintenant que sa mère était morte des fièvres de glace, n’avait pas d’avenir. Certains vieux traînes-glace gâteux, chuchotaient même que c’est pour sauver l’enfant que la nourrice et le protecteur avaient fui. Tout cela n’avait plus d’importance pensait Quiloma. Il était parti en chasse et la chasse avait été fructueuse. Il pouvait revenir avec les dépouilles. Rien que cela lui ramènerait la gloire et au moins un passage en neuvième rang. Si en plus il ramenait l’anneau à son doigt, c’est au moins un troisième rang qui l’attendait. Le jeu en valait la chandelle. Il savait que la moindre erreur serait fatale. La mort pouvait être au rendez-vous. Il se prépara avec application. Les villageois d’à côté qui se prenaient au sérieux, l’amusaient plutôt. Leur chef de guerre serait un adversaire pour lui, son escorte ne valait rien, hormis peut-être le grand avec ses marteaux. De ce que le piégeur-interprète lui avait dit, Quiloma avait bien compris que face à lui, il n’aurait qu’une vingtaine d’hommes capables de se battre. La difficulté était ailleurs. Lors de la découverte des dépouilles, il avait dû sortir le rouge bâton porteur de l’esprit du feu pour soumettre une meute d’êtres loups. Il avait été étonné. Dans les terres de grandes neiges, jamais une femelle ne menait une meute. Ensuite le rouge bâton avait la puissance de les soumettre. La femelle aux yeux de braises lui avait laissé la place mais ne s’était pas soumise. Obéissait-elle à l’anneau ? À moins qu’un grand être ne lui ait donné des ordres. Cela compliquait sa tâche. Si l’enfant était mort, le grand être devait détruire l’anneau. Si la louve avait laissé la place c’est peut-être parce qu’il arrivait. Il fallait qu’il fasse vite. Ce soir était sa dernière chance. Il avait besoin du feu et d’audace.
Au pied de la pierre branlante, il avait fait le foyer. Quand il fut bien pris, il ajouta les pierres de feu qu'ils avaient trouvées dans la montagne dans la vallée précédant celle-ci. Il les regarda prendre. Pendant que la température montait dans le foyer, il commença une lente mélopée. Les mains étendues au-dessus des flammes, il chantait en se balançant d'avant en arrière. Les flammes suivaient son mouvement. Les pierres à feu se mirent à rougeoyer. La chaleur montait. La neige commençait à fondre. Quiloma retira ses mains maintenant que les flammes étaient hautes. Il se retourna vers ses hommes. Il vit au loin, dans la pénombre du crépuscule, le haut de la tour de guet du village surchargée de monde regardant dans sa direction.
- Qricht.. (prenez une cotte et amenez les pierres de feu dans la clairière).
Quatre guerriers prirent une longue cotte de mailles et la posèrent près du foyer. Un cinquième fit rouler les pierres de feu rouge or dans la cotte ainsi tendue. Le morceau de bois qu'il utilisait, ne résista pas à la chaleur intense. Il prit feu. L'homme le jeta dans la neige, où il s'éteignit en sifflant. Un autre avait déjà pris la relève. Il fallut quatre bâtons pour faire passer toutes les pierres de feu sur la cotte qui déjà rougissait. Dès que cela fut fait, les quatre porteurs partirent en courant presque vers la clairière où Quiloma les avait déjà précédés. Il se tenait devant la pierre brisée. Autour d’elle, quatre guerriers avaient planté des torches. A travers la pierre translucide, les reflets changeants éclairaient la main par en dessous, donnant l’illusion du mouvement. Quiloma chantait une nouvelle mélopée, répandant de la poudre noire de pierre de feu sur la main qui trônait au centre. Il ne s’arrêta que lorsque toute la surface de la pierre fut opaque à la lumière. Quand les porteurs arrivèrent, il se recula pour les laisser manœuvrer. Ils firent passer la cotte au-dessus de la pierre et versèrent son contenu sur la main. Il y eut un éclair fulgurant, un bruit de tonnerre et un grand craquement quand la pierre brisée explosa sous l'action de la violente chaleur. Des morceaux fusèrent dans tous les sens tuant un homme, en blessant d’autres. Une violente bourrasque attisa le feu. Les flammes rejaillirent plus fortes, plus chaudes, faisant fondre la pierre translucide elle-même.
Quiloma jura. Du sang s’écoulait de sa tête. Un fragment l’avait touché près de l’œil, lui obscurcissant la vue.
- Stram…(La main ! Où est la main ?).
Les guerriers qui le pouvaient se relevèrent. Aussi vite qu’il était arrivé, le vent avait cessé. Seule une odeur flottait dans l’air.
- Ngadr…(Un grand être !).
Quiloma se sentit perdu. Un grand être volait au-dessus d’eux. Rien ne l’arrêterait. Il voudrait récupérer l’anneau et le détruire. Quiloma pensa à sa phalange. Il donna l’ordre de se replier. Bientôt ne resta plus dans la clairière que le soldat mort et une pierre cassée et en partie fondue dans laquelle un feu finissait de se consumer. Quand il arriva au camp, il trouva tous ses hommes en position de défense, les arcs prêts à tirer, les lances à portée de main. Il s’intégra dans le dispositif. Son second lui fit signe. Il s’approcha tout en surveillant les alentours.
- Tsq..(Qu’est-ce qui est arrivé, mon Prince ?).
- Rpei..(L’esprit de la pierre a refusé l’offrande du feu. Son explosion a attiré le grand être.).
- Rgetr..(Non, le grand être volait au-dessus de la forêt avant que l’explosion n’ait lieu)..
- Tsr..( Es-tu sûr ?).
- Cepn..(Oui, mon Prince ! J’ai vu son ombre dans le ciel. Mais avant que j’aie pu lancer le signal, il était au-dessus de la clairière et le feu a jailli. Le grand être était juste à la verticale de la lumière. J’ai vu sa robe, il est vert et noir).
- Vnovt..( Vert et noir, un juvénile ! Ça explique pourquoi nous sommes vivants. Un adulte ne nous aurait laissé aucune chance. )
- Drs…(Quels sont les ordres, mon Prince ?).
- Vtu..( A-t-il été touché par des morceaux de la pierre ?).
- Sspaj..(J’ai vu de nombreux éclats voler autour de lui. Il a dû être touché. Il a eu un soubresaut. Faudra-t-il chercher s’il a été blessé ?).
- Qunienka…(Oui, Qunienka. Notre vie dépend aussi de lui. Il faut aussi retrouver l’anneau.).
Dans la nuit noire, ils restèrent aux aguets.

samedi 4 février 2012

Sstanch avait été tout de suite


Sstanch avait été tout de suite rendre compte à Chan dans la maison commune. Natckin était là aussi. Il avait essayé de parler avec Kyll mais celui-ci était probablement dans sa cellule de méditation et personne n'osait le déranger pendant qu'il méditait. Natckin était mal à l'aise d'avoir fait le rite sans en référer à Kyll. Personne au temple n'avait fait de remarque, même pas ce vieux rabougri de Tonlen. On ne savait jamais ce qu'il pensait. Il présentait à tous, le même visage imperturbable quoi qu'il arrive. Il avait assuré le même service pour Natckin que pour Kyll ou pour le vieux maître sorcier. Natckin pensait qu'il ne risquait rien de lui. Est-ce qu'il pourrait aller encore plus loin dans cette voie de concurrence à Kyll? Il remuait ces pensées pendant que Sstanch rapportait ce qu'il avait vu avec les extérieurs. Il impressionna beaucoup l'auditoire en racontant que le prince étranger avait été affronter seul les loups noirs et qu'il avait réussi à les mettre en fuite.
- Qu'est-ce qu'ils font maintenant? Ils repartent?
- Si j'ai bien compris l'homme des forêts qui sert d'interprète, ils vont faire un rite pour l'anneau qui est resté.
- Quel anneau?
- L'étranger qui est mort avait à la main droite un anneau sur le majeur. Celui-ci semble important ou sacré. Le prince extérieur n'a pas voulu y toucher comme cela. Il a pris les autres affaires mais pas l'anneau qui est resté sur la main.
- Ils ne s'en vont pas ?
- Pas sans l’anneau.
- Je n’aime pas cela, dit Rinca.
Chan reprit la parole :
- Ils ont ou ils vont avoir ce qu’ils veulent. Ils repartiront après. Qu’en pense notre premier sorcier ?
Natckin qui sortait de ses pensées, prit la pose et déclara d’une voix grave et docte :
- Les esprits ont parlé. Nous leurs avons obéi. Les oracles semblent bons. Je ferai un nouveau rite de divination tout à l’heure pour en savoir plus.
- Où est le maître sorcier ?
Natckin regarda Rinca. Le visage de l’ancien ne montrait pas d’animosité. Le vieux maître sorcier n’avait pas habitué le conseil à se faire remplacer.
- Le maître sorcier médite. Il est très souvent visité par les esprits. Cela le fatigue beaucoup. Il m’a demandé de le représenter. Il …
La porte s’ouvrit à toute volée. Kalgar entra. Il semblait dans tous ses états. Chan se leva pour le remettre en place.
- Et bien Kalgar ! Qu’est-ce…
- Ils ont créé du feu !
La nouvelle les laissa sans voix, puis tout le monde se mit à parler en même temps. Chan eut beaucoup de mal à faire revenir le silence. Quand l’assistance se tut enfin, il interrogea Kalgar. Celui-ci raconta qu’à son retour, après avoir raconté à ceux qui attendaient à la porte des hautes terres ce qu'il s’était passé, il était monté sur la tour pour aider à la surveillance. La visibilité ne portait pas très loin avec cette neige collante qui tombait. Il voyait de l’agitation dans le camp derrière le rempart de blocs de neige. Il expliquait à Filt comment était organisé le campement des extérieurs. Il lui avait fait la remarque, qu’il n’avait pas vu de feu chez eux. Filt s’était interrogé sur leur manière de se nourrir pendant ces longues courses dans les montagnes. Bien sûr, ils avaient leurs sacs en bandoulière. Les provisions devaient y être gelées. Manger froid et sucer de la neige n’étaient pas facile. Filt n’enviait pas leur sort. Les armes étaient belles, l’uniforme plus attirant que le sien mais les conditions de vie n’avaient pas la douceur de ce qu’il vivait. Le ciel se dégagea un peu. Toujours sur leur tour, ils avaient vu un groupe se former près de la pierre qui bouge. Ils avaient amené du bois. Kalgar et Filt pensèrent à un feu mais repoussèrent l’idée. Kalgar n’avait vu aucun pot à feu chez eux. Le prince s’était approché du fagot qui avait été déposé à l’abri du vent près de la pierre qui bouge. Il l’avait vu sortir un court bâton rouge. Il l’éleva au-dessus de sa tête, puis sembla le casser en deux. Il en sortit quelque chose de noir. Filt pensa à des cailloux, Kalgar évoqua le charbon de bois. Le prince des extérieurs s’accroupit et tapant l’une contre l’autre ses mains, il fit jaillir des étincelles. Bientôt le feu prit devant leurs yeux étonnés. Ils n’avaient jamais vu cela. En ville, tout le monde gardait précieusement un pot à feu. Son extinction était un malheur et un très mauvais présage. Quand le feu fuma bien, le prince se releva et rangea dans le bâton ce qu’il en avait sorti. Kalgar n’avait pas attendu de voir la cérémonie pour descendre prévenir le conseil des anciens.