mardi 14 février 2012

Quand Natckin arriva


Quand Natckin arriva dans la maison commune, le silence se fit. Tous attendaient des directives et des nouvelles. Le malch noir avait fait son effet. Les hommes présents avaient tous le teint vultueux que donnent les boissons fermentées. Et l’excitation qui va avec. Un mot du sorcier et ils partaient à la guerre.
- Alors, premier sorcier ? Où est le maître sorcier ? demanda Chan.
- Nous ne l’avons toujours pas trouvé. J’ai fait un rite de divination mais les esprits ont refusé de parler.
Natckin revoyait la scène. Il jouait le rôle de l’ordonnateur. Le maître officiant remplissait le sien. Tasmi qu’il n’avait pas renvoyé, était entré en transe. Natckin avait collé à ses visions. On y voyait du sang, des montagnes volantes, des esprits crachant le feu et le soufre, mais aussi des prairies verdoyantes et des monceaux de machpes. La vision de Kyll avait traversé fugitivement, ainsi qu’un maître du feu. Tasmi avait fini par s’effondrer. A la fin de la cérémonie, le maître officiant avait prit Natckin par le bras et lui avait dit tout bas :
- Attention, premier sorcier. Je sais. Tasmi te servira de source. Ne mets pas les esprits en colère en ne les respectant pas.
Natckin avait eu beau protester, Tonlen, n’avait pas changé son discours.
- Il y a des herbes pour aider à la divination.
Natckin les connaissait. Sa seule expérience avait été tellement traumatisante pour lui qu’il n’avait jamais recommencé et toujours simulé. Il s’était senti vidé de lui-même, flottant sans rien pouvoir contrôler dans un monde qui lui était complètement étranger.
- Que doit-on conclure de ce rite ? La source Tasmi a donné quel fleuve ?
Si Tonlen remarqua le ton ironique, il n’en dit rien.
- L’heure est grave et les esprits nous laissent décider. Les visions disent du bien et du mal. Les gestes que nous ferons engageront peut-être l’avenir. Le vieux maître sorcier aurait su.
- Oui, mais il est parti et Kyll aussi, dit Natckin avec acrimonie. Il y a dans la maison commune, tous les hommes qui attendent qu’on les guide et nous n’avons rien, si ce n’est un salmigondis d’images.
- Il faut faire un rite d’offrande de sang.
- Je vais gagner du temps et nous le ferons.
Sortant de ses pensées, il s’aperçut que toute l’assistance le regardait avec des yeux étonnés. Il pensa qu’ils allaient croire que comme Kyll, il avait des visions. Il décida de jouer ce jeu.
- Les esprits demandent l’offrande du sang.
Un frisson parcourut l’assistance. Ce rite exceptionnel n’avait pas été utilisé depuis des étés et des étés. Les plus jeunes n’en avaient jamais vécu. Les plus vieux se rappelaient de l’été de pluie quand ils étaient jeunes. L’ancien maître sorcier, jeune à l’époque, avait ressenti ce besoin. Il avait commencé par le sang d’un oiseau mais cela n’avait pas suffi. Le soir venu, les esprits n’avaient pas répondu. Le lendemain, il sacrifiait un jeune tibur. Si c’était un honneur d’offrir un tibur de son troupeau pour le sang du sacrifice, seuls les plus riches pouvaient les donner. Cela leur donnait une place et une voix au conseil. Mais cela n’avait pas suffi. Le soir venu, les esprits n’avaient pas répondu. Le lendemain sur la place de sacrifice où le sang avait été lavé par les pluies incessantes, le maître sorcier avec saigné un tibur mâle adulte. C’est la famille de Chan qui avait amené la bête. Cela avait un argument de poids pour être coopté comme second au Chef de ville de l’époque. Bien qu’enfant, Chan n’avait rien perdu du spectacle et de la leçon. Mais il se souvenait que cela n’avait pas suffi. Les esprits n’avaient pas répondu. Le maître sorcier avait alors réclamé le sang de l’homme. La peur avait fait son apparition. Jusqu’où devait-on aller pour apaiser les esprits ? Le lendemain, toujours sous la pluie, le maître sorcier avait donné l’exemple. Tout à sa transe, il avait pris le couteau sacrificiel de corne de tibur et avait lacéré son avant bras. Le sang avait coulé. Chaque homme s’était avancé. Ils portaient encore tous la marque de ce jour, où leur sang avait coulé sur la place de sacrifice. Des grands brasiers de clams et de plantes sacrées donnaient une odeur lourde et enivrante. Les femmes qui faisaient cercle autour comptaient les hommes qui passaient. Lorsque se présenta le dernier de la file, l’une d’elle avait crié :
- Où est Strenstouf ?
Il y eut un vent de folie. Comme un vol de moineaux, elles s’égaillèrent pour le retrouver. Le maître sorcier avait prévenu, s’il manquait un homme, le rite ne pourrait être agréé par les esprits. Une d’elle le repéra bientôt et se fut une véritable chasse à courre dans la ville. Strenstouf fuyait aussi vite qu’il pouvait mais chaque fois des femmes lui barraient la route. Les hommes trépignaient de ne pouvoir agir mais ils ne pouvaient pas quitter la place tant que leur sang coulerait. Ils suivirent la poursuite par les cris des unes et des autres. Le sang coulait encore des bras des derniers offerts quand Strenstouf arriva sur la place de sacrifice. Il était tuméfié par les coups reçus. Armées de bâtons, les femmes de la ville, le rabattaient vers le maître sorcier, le frappant dès qu’il s’arrêtait ou qu’il déviait de la route. Un dernier assaut de la meute, le jeta aux pieds du maître sorcier. Tout à sa transe, il ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il se passait. Quand son couteau s’abattit, il trancha le cou de l’homme à terre. Le sang gicla sous les hourras de la foule des femmes. Quand il se mêla à l’eau du ciel, pour la première fois depuis cinq fois deux mains de jours, la pluie cessa. Les cris de chasse se transformèrent en cris d’allégresse.
L’ombre du sacrifice de Strenstouf plana sur chacun. Cela dégrisa les hommes. Chan sentit tomber son excitation. Lui qui était prêt à la bataille, ne se sentait pas bien à l’idée de ce rite.
- Que l’on aille se coucher. Quand se lèvera le soleil, Sstanch tu iras espionner les extérieurs. En attendant que le premier sorcier prépare le rite d’offrande du sang, nous ne prendrons pas la décision d’attaquer.
Sstanch qui avait ses ordres, partit le premier. Il fut bientôt suivi par de petits groupes discutant à voix basse. L’espoir d'un grand soir avait vécu.

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