jeudi 15 mai 2014

Degala paniquait :
- J'pourrais pas, J'te dis que j'pourrais pas.
Il parlait vite et fort tout en faisant les cents pas dans la cabine qu'on lui avait allouée.
- L'cérémo... j'sai pas quoi... j'pourrais pas.
- Qu'est-ce qui te fais peur ? lui demanda Lyanne.
- Mais tu t'rends pas compte. J'vais devoir relancer le soleil et la lune... Leur foutu Dieu qui dort, là ! Y viendra pas pour l'faire... alors va falloir que j'le fasse. Mais t'rends compte que moi, avant ton arrivée, j'pensais que j'finirais aide-forgeron dans l'meilleur des cas et là j'deviens celui qu'ils attendent pour que leur monde tourne. C'est pas possible !!!!
Lyanne le regardait s'agiter, appuyé sur son bâton de pouvoir. La nuit était bien avancée. Djoug les avaient retenus longtemps pour leur parler de son monde. Degala ne s'appelait pas comme cela pour eux, les gens des îles Waschou. Ce nom était un nom pour les continentaux. Lui s'appelait Lmansine. Degala avait changé de visage en entendant cela. Djoug s'était montré diplomate en disant que les jeunes pouvaient changer de nom si tel était leur souhait et par exemple, Degala pourrait devenir Dgala. Cela lui avait amené le premier sourire depuis son arrivée sur la galère.
- Tu as maintenant un bâton de pouvoir. Il était à un roi-dragon, il est aujourd’hui à toi. Les rois-dragons sont maîtres de ces bâtons et savent les créer. Tu es le propriétaire et tu vas apprendre à t’en servir. Déjà tu as senti beaucoup de choses...
Degala se mit à écouter Lyanne. Il ne parlait pas très fort, et d’une voix sourde, pour ne pas mettre tout le monde au courant des pouvoirs que contenait le bâton.
- … et ce bâton de pouvoir est aussi un lien avec le Dieu Dragon.
- Il existe un Dieu Dragon ?  
Lyanne lui fit le récit de la création du monde et des hommes telle qu’il la connaissait.
- … Le dieu Randa est un inconnu pour moi. Des légendes parlent de jeunes dieux arrivés plus tard dans notre monde quand Sioultac et Cotban se sont retirés. Ma connaissance s’arrête là.
Lyanne, qui n’avait pas quitté Degala des yeux, l’avait vu se mettre à somnoler sur son siège. Il était maintenant appuyé sur le mur et sa respiration régulière montrait qu’il s’était endormi. Sans bruit Lyanne se retira dans sa cabine.
Il y ressentit la puissance de la magie tout autour de lui. Il se mit debout au centre, posa son bâton au sol et posant le front sur le haut, il invoqua l’aide du dieu dragon. Un brouillard doré envahit la pièce. Il pulsait doucement comme un cœur qui bat. Lyanne sentit la magie reculer jusqu’aux murs. Il contacta alors la Blanche, puis Tichcou. Tout le monde lui assura que tout allait bien. Il revint dans la cabine et se redressa. Le brouillard se dissipa doucement. La porte s’ouvrit brutalement. Djoug et des soldats se précipitèrent dans la pièce.
- Je vous salue, seigneur Djoug.
- C’est toi ?
- Moi ?
- Toute cette puissance… c’est toi ?
- Qu’as-tu ressenti pour venir ainsi ?
- Tout le bateau a vibré et les Nasr ont nagé comme jamais ils n’ont nagé. Les magiciens ont été bouleversés. Le jeune Dgala dort son bâton de puissance sur la poitrine et ta porte a refusé de s’ouvrir quand nous avons tenté de le faire. Serais-tu … ?
Le visage de Djoug se décomposa en un instant.
- Mais non, ce n’est pas possible, tu ne peux pas être un dieu.
- Je suis un homme, répondit Lyanne avec un sourire, un homme qui est en quête de son à venir.
- Un homme étrange, ajouta Djoug en faisant signe aux soldats de sortir.
Lyanne resté seul, regarda la porte un moment. Il pensa que le jour allait bientôt se lever. Autant aller voir le soleil sortir de la mer. Il attendit que les bruits se calment et ouvrit la porte. Le couloir était désert. Il partit vers la poupe à la recherche de l’écoutille. Il la trouva. Son ouverture fut difficile. Dehors le vent soufflait fort. Lyanne dut faire un effort pour se hisser sur le pont. Ce dernier était désert. Regardant derrière la galère, il vit qu’ils filaient aussi vite que lui volait. Toujours luttant contre le vent de leur vitesse, il rejoignit la proue. Malgré la houle, il avançait fendant la mer. Le bruit des rames sourd et rythmé, accompagnait ce mouvement. Déjà les prémices de la lumière trônaient sur l'horizon. Les mains posées sur le garde-corps, Lyanne contemplait l’océan. Sa couleur virait du bleu sombre au doré. Au loin, quelques voiles signalaient d’autres bateaux qui fuiraient dès qu’ils reconnaîtraient la galère. La réputation des pirates n’était pas usurpée. Tout le monde le disait, on n’échappait pas à la puissance des rameurs. Lyanne comprenait qu’avec cette magie à bord, personne ne pouvait lutter. Il ferma les yeux pour goûter le plaisir du vent sur le visage et dans les cheveux. Il les ouvrit quand la lumière frappa ses paupières. Rouge comme ses écailles, le disque solaire sembla jaillir de l’eau. Il était juste devant lui. Il sourit. De toute la force d’une antique puissance, il se précipitait vers ce qui était le but de sa quête.

samedi 10 mai 2014

La galère avait atteint la haute mer et filait dans la nuit de toute la puissance de ses rames. Djoug avait fait dresser une table. Les mets servis étaient délicieux bien qu’étrange de goût. Leur hôte avait repoussé toutes les explications à la fin du repas. On avait amené des fruits rouges aux formes curieuses tout en étant très sucrés.
Djoug repoussa son assiette.
- Nous sommes partis rapidement, dit Lyanne. J’en suis étonné.
- Le temps nous est compté, répondit Djoug en montrant Degala. Sans lui, le malheur sera sur nous.
Degala en resta abasourdi.
- Que… Moi… Mais Pourquoi ?
- Parce que quand le Soleil sort du cercle sacré au moment où y entre la lune, commence le nouveau cycle, qui connaîtra son point culminant quand la lune sortira du cercle sacré à l’arrivée du soleil. Il se passe plusieurs saisons entre ces deux évènements. Lors du premier, on expose les nouveau-nés. Ceux que le sort a désignés. L’esprit du cercle en marque un, des fois deux, mais c’est rare. Ce bébé doit être élevé pour être le cérémoniaire lors du début de la grande rencontre du cercle quand le soleil viendra remplacer la lune et nous garantir la lumière et la chaleur pour les saisons à venir.
- Et s’il est absent, demanda Lyanne ?
- La nuit s’abattra sur nous pour des saisons et des saisons. Ce sera la vengeance du dieu endormi.
- Qui c’est ? demanda Degala
- Les prêtres, qui consignent tout dans leurs archives, nous apprennent. Notre monde fut créé par la volonté du dieu Randa. C’est sa volonté qui créa le monde. Il se nourrit d’adoration. Pendant plus de saisons qu’une plage ne compte de grains de sable, il y eut une adoration continue. Nos ancêtres vivaient, travaillaient, se battaient pour que vive cette adoration. Puis est venu l’enfant marqué. Nul ne sait comment fut le premier marqué. Les archives sont illisibles à cet endroit. Une fois marqué, le prêtre-oracle eut la vision qu’il officiait la cérémonie du début de la grande rencontre entre les luminaires du ciel. Alors lui fut donné l’Enseignement. Quand il officia, l’ombre du dieu posée sur la pierre recula, recula jusqu’à devenir une silhouette sur la terre. Le temps sembla suspendu. Les prêtres décidèrent de sacrifier un poisson gigantesque pour lire dans ses entrailles. Il fallut plusieurs jours pour le repérer, encore plus longtemps pour le capturer. Quand enfin la galère le ramena à terre, tous les prêtres approchèrent. Le chef des prêtres donna le premier coup de cimeterre, puis chaque prêtre y alla de son entaille. Le poisson était le plus gros de tous les poissons que nous ayons jamais pêché. Les Archives disent qu’il fallut une journée entière pour que enfin son ventre soit ouvert. Au dernier coup de cimeterre du dernier des derniers prêtres, toutes les entrailles se répandirent sur le sol. Ce fut un cri parmi les prêtres. Le dieu Randa dormait, rassasié par des saisons et des saisons d’adoration. Mais cet état n’était que passager et chaque fois que la lune sort du cercle sacré quand arrive le soleil, l’enfant marqué doit officier pour que le Dieu Randa ne se réveille pas. Les archives disent que ce serait terrible car sa faim au bout de toutes ces saisons de sommeil serait colossale. Notre peuple perdrait toute liberté et toute possibilité de faire autre chose que de répondre à la faim du dieu Randa. Ce serait la nuit et le froid jusqu’à ce que le Dieu Randa soit assez rassasié pour nous confier à nouveau les luminaires célestes.
Le silence suivit le discours de Djoug.
- Et moi là-dedans ? demanda Degala d’une petite voix.
- Toi, tu es l’enfant marqué qui nous fut enlevé par un renégat pour être vendu comme serviteur sur le continent.
- Oui, ça j’veux bien, mais qu’est-ce que j’vais avoir à faire ?
- Tu dois conduire les prières qui feront que le dieu Randa ne se réveillera pas.
Degala eut un regard de panique.
- Mais j’ai jamais fait ça… J’saurais pas!
- Les prêtres vont t’enseigner et t’accompagner. Il nous reste un peu de temps. La galère file vers l’île du cercle sacré, l’île de Fanhieme.
- Nous y arriverons dans combien de jours ? demanda Lyanne.
- Nos galères sont rapides. Nos rameurs sont infatigables. Nous arriverons dans deux jours au maximum trois. La fête de la rencontre est dans dix jours...
- Une question, noble Djoug, dit Lyanne.
- Parle, je répondrai. Tu es celui par qui est revenu l’enfant marqué. Notre roi sera heureux de t’honorer.
- Vers où allons-nous ?
- Vers l’île de …
- Excuse-moi, je voulais parler du soleil. De quel côté se lève-t-il ?
- Tu verras la proue dans le cercle rouge au petit matin. Mais pourquoi cette question ?
- Si ta quête était cet enfant, la mienne me conduit vers le soleil levant et cet enfant m’a bien guidé jusqu’ici. Il est signe que le destin est en marche.
Djoug se tourna vers Lyanne pour l’examiner plus en détail.
- Je ne t’ai pas accueilli comme tu le méritais. Tu es habillé comme un voyageur mais ton regard est celui d’un porteur de pouvoir… Seuls les maîtres des rameurs ont des yeux comme les tiens.
- Les maîtres des rameurs ?
- Accompagnez-moi, vous comprendrez.
Djoug les précéda dans le couloir.
- Nos galères sont anciennes, très anciennes. Le dieu Randa nous les a données ainsi que les rameurs, charge à nous de les contrôler...
Degala et Lyanne échangèrent de nouveau un regard d’incompréhension.
- La magie règne dans ces bateaux, une magie puissante. A chaque naissance, les parents scrutent les yeux des enfants. Ceux qui portent de yeux comme les tiens sont conduits aux magiciens sur l’île de Drohm. Ils y deviennent magiciens à leur tour et peuvent conduire les galères. Sans magicien, une galère devient folle et dangereuse.
- Comme celle qui parcourt les canaux du delta de Hunique ? demanda Lyanne.
- Ah ! Vous l’avez vue.
- Nous l’avons même rencontrée…
- Ce n’est pas possible, les Nasr ne laissent personne en vie.
- Le soleil leur est insupportable, répondit Lyanne.
- Comment le sais-tu, demanda Djoug en se tournant vers lui. Ceux qui ont rencontré cette galère folle sont tous morts.
- La chance nous accompagnait, noble Djoug. Elle a heurté un haut-fond en poursuivant notre voilier, puis le temps qu’elle nous rattrape, le soleil s’est levé et elle a disparu.
Djoug lui jeta un regard suspicieux.
- Ton histoire est étrange. Je n’ai jamais entendu qu’une galère ait heurté quoi que ce soit.
- C’est ce que m’ont raconté les marins qui ont tout vu, dit Degala.
Djoug continua sa route sans rien dire. Il mit la main sur une porte et avant de l’ouvrir, se tourna vers les deux hommes :
- Ne faites ni bruit, ni commentaires, les magiciens n’aiment pas cela. Les Nasr sont difficiles à maintenir dans ces cas-là.
Djoug entrebâilla la porte, jeta un coup d’œil et se glissa par l’ouverture en faisant signe de le suivre. Ils se retrouvèrent dans une cage d’escalier. Plus bas on entendait du bruit. Djoug leur fit signe de le suivre tout en mettant un doigt devant sa bouche pour leur faire signe de se taire.
En bas de l’escalier, ils découvrirent une petite pièce dont une cloison était faite d’un moucharabieh. Lyanne approcha son visage des croisillons jusqu’à voir de l’autre côté. Il sursauta. Il découvrit une salle immense occupée par de multiples créatures serpentiformes qui agitaient en rythme les manches des rames. Leur couleur variait du jaune au vert clair. Cela lui évoqua ces nids de serpents qu’il avait pu voir. Il remarqua non loin de lui sur une estrade, un homme assis en tailleur, les bras à moitié levés, les paumes vers le ciel. Dans le vacarme produit par les Nasr, la voix de l’homme semblait irréelle :
- Nasr lam bai tap onha cua ban ! Nasr lam bai tap onha cua ban !
Lyanne sentit la puissance contenue dans ces paroles. Un autre homme arriva l’interrompant dans ses pensées. Il s’assit à côté du premier prenant la même position. Pendant un moment rien ne se passa puis une deuxième voix fut audible pendant que la première diminuait, diminuait jusqu’à l’inaudible. Avec des gestes lents et las, le premier homme se leva, tourna la tête vers eux. Lyanne fut surpris de voir ses yeux en tous points semblables aux siens. Puis l’homme se dirigea vers l’arrière de la salle et disparut à leur regard.
Djoug leur fit signe de le suivre en se dirigeant vers l’escalier.

lundi 5 mai 2014

Leur arrivée à Hunique se passa dans l’anonymat. De nombreux bateaux allaient et venaient. Lyanne fut heureux de cette discrétion. Il ne désirait pas qu’on les remarque. Le port s’étalait dans un ancien marais aux multiples canaux. Toute une population vivait sur l’eau, quand d’autres occupaient des cabanes construites de bric et de broc. Surveillant toute la baie, le Mont du Fort surplombait le paysage de toute sa masse. Si les murs étaient en bois et en terre, ils étaient haut perchés sur un rocher qui les rendaient quasi imprenables. Lyanne qui avait détaillé le fort pendant qu’ils approchaient, n’avait pas vu d’autre route possible que la chaussée qui montait en serpentant le long des rochers noirs qui composaient le mont. C’est tout juste si au pied des remparts, pouvait se tenir un homme. Jamais une armée n’aurait pu attaquer cette position. La seule solution pour circonvenir cette place forte était d’en faire le siège. Le capitaine avait été assez laconique. Il ne venait que rarement à Hunique et n’avait jamais eu à faire avec d’autres que les quelques officiels venus accueillir ses passagers. Il avait juste signalé que la ville était sous l’autorité du roi dans son château, plus prêt d’un chef de bande que d’un souverain comme le roi d’Ergasia. Chaque guilde entretenait sa propre milice. Les combats de rues et les rixes étaient fréquents. Il lui avait indiqué l’auberge du Poisson Blanc. C’est là qu’il déposait ceux qui préféraient vivre à terre lors de ses escales.
- Nous ne repartons que dans deux jours. Si vous avez besoin de revenir à Ergasia...
Lyanne l’avait remercié pour son accueil et l’avait félicité d’avoir échappé aux Nasr. Le capitaine avait changé de couleur en entendant cela. Il avait assuré Lyanne que jamais plus, il ne voyagerait de nuit. Si on pouvait avoir de la chance une fois, on ne pouvait pas compter dessus pour s’en sortir lors d’une autre rencontre. Lyanne et Degala s’étaient perdus dans la foule. Ils avaient débarqué au bout du quai le plus important. Le voilier n’avait pas eu le droit d’y rester.
- L’auberge est un peu plus loin, dit Lyanne. Nous y poserons nos affaires et puis nous irons faire un tour.
Degala regardait tout autour de lui, étonné de voir un ville aussi grande.
- J’pensais pas qu’on pouvait voir autant d’monde en une fois, dit-il.
Lyanne avait souri à sa remarque. Des mendiants s’étaient approchés pour les solliciter. Lyanne avait distribué quelques pièces, tout en demandant confirmation de son chemin. Rapidement quelqu’un s’était proposé comme guide. Il avait refusé. Il ne voulait pas renouveler ce qui s’était passé à Ergasia. Il continuèrent leur chemin sans plus répondre à personne. Bientôt, il repéra l’enseigne du Poisson Blanc. La bâtisse était trapue mais faite de ce bois sombre comme les remparts. Devant la porte, deux solides gaillards, le gourdin à la main et l’épée au côté surveillaient la rue. Ils dévisagèrent Lyanne et Degala des pieds à la tête tout en leur ouvrant la porte. L’intérieur était moins sombre qu’ils le craignaient. Des fenêtres s’ouvraient sur une cour intérieure en donnant assez de lumière. L’aubergiste était un homme jovial au regard rusé. Il les fit asseoir le temps qu’on prépare la chambre. S’il se fit payer d’avance les trois premiers jours, il leur offrit un malch noir pour leur souhaiter la bienvenue. Lyanne et Degala se retrouvèrent assis dans la salle. Lyanne inspecta ceux qui s’y trouvaient. La clientèle était aisée, à en juger par l’habillement. Les vêtements n’étaient pas neufs, loin de là, mais l’aisance des uns et des autres montrait qu’ils avaient l’habitude de commander. Il en fit la remarque à Degala.
- Si vous pensez que c’est des capitaines, y’en a p’être un qui va nous emmener à son bord.
- L’idée est intéressante mais que cherchons-nous ? Ou plutôt, qu’est-ce que je cherche ?
Lyanne sirota un peu de malch en silence avant de rependre la parole :
- Pour l’instant, je dois aller vers le soleil levant. Nous verrons si nous trouvons un embarquement qui va dans cette direction.
Bientôt une servante vint les conduire à leur chambre. L’auberge était de plein pied. Lyanne en fit la remarque à celle qui les guidait dans les couloirs.
- On voit bien que vous êtes étrangers. On ne peut rien construire en hauteur, le sol est trop mou. Mais vous ne risquer rien des bandits, maître Terque a une bonne milice et ils font des rondes régulièrement…
La chambre était petite mais propre. La porte et la fenêtre donnaient sur une autre cour intérieure. Le mur extérieur était aveugle. Ils posèrent leurs sacs.
- Bien, nous allons aller voir le port de mer, et nous reviendrons pour la nuit. C’est là-bas que nous trouverons un embarquement.
Ayant demandé le chemin avant de sortir, ils suivirent des chemins encombrés de chariots et de portefaix. Hunique était composée à moitié d’eau et à moitié de terre. On passait sans arrêt sur de fragiles passerelles pour aller d’un morceau de terre ferme à un autre. D’autres fois, il fallait passer sur de petits bacs retenus par des filins suspendus sous lesquels passaient les barques. Les plus grands canaux nécessitaient des bacs plus imposants qu’on ne pouvait manœuvrer seul. A chaque fois, il fallait y aller de son obole. Lyanne et Degala ne dénotaient pas dans ce milieu mélangé. On entendait de multiples dialectes. Les injures qui fusaient régulièrement lors des rencontres parfois brutales entre deux porteurs, avaient parfois des sonorités aussi étranges que les habits des protagonistes. Lyanne essayait de marcher en dehors du courant principal, évitant autant que possible de se faire bousculer. Il repéra quelques tire-laines en action et en attrapa un qui tentait de visiter ses poches. Degala, qui avançait en posant un regard étonné sur tout ce qui l’entourait, eut la surprise de voir l’homme faire un vol plané et atterrir dans l’eau. Le bruit attira les regards un instant et puis tout le monde reprit ses activités. Ils empruntèrent une nouvelle passerelle encore plus branlante que les autres.
- Je pense que nous arrivons, l’air sent la mer.
Au détour d’une ruelle, ils virent des maisons plus hautes. Cela les étonna jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’elles étaient sur une colline. Nettement moins hautes que le mont du fort, elles occupaient toute la face vers la ville et s’arrêtaient à la crête. La colline allongée formait une digue naturelle qui permettait d’abriter les bateaux qui arrivaient de la mer. L’activité y était fébrile et les odeurs puissantes. Cela parlait haut quand ça ne criait pas. Des marchandises descendaient quand d’autres étaient chargées à bord. On entendait même claquer le fouet pour accélérer les mouvements. Lyanne s’arrêta au bord de l’eau, s’appuya sur son bâton de pouvoir et regarda l’ensemble. Degala le rejoignit bientôt.
- On fait quoi maintenant ? demanda-t-il.
- On va regarder, répondit Lyanne. On va s’asseoir et regarder.
Ils trouvèrent place sur un banc d’une petite échoppe. Le marchand servait des jus d’un fruit exotique qu’il récupérait directement à la descente du bateau, ce dont il était très fier. Il parlait tout le temps avec tout le monde, passant entre ses différents clients voire avec les gens qui passaient devant chez lui. C’est comme cela qu’ils entendirent les potins du port de mer. On disait haut et fort qui trafiquait avec qui. Quand un contradicteur exprimait son opinion, il était réduit au silence par un : “Ya qu’les imbéciles qu’savent pas ça!”. Le port de mer était un important lieu d’échanges. La majorité des marchandises étaient débarquées sur des barques et des chalands pour aller ailleurs vers une destination plus ou moins connue. Loin du Mont du Fort, le port de mer était sous le contrôle d’une cohorte de douaniers. La guilde des marchands payait fort cher pour que le roi, là-bas dans son fort, ne vienne pas mettre son nez dans leurs affaires. Chaque douanier avait un prix pour fermer les yeux. Quant aux rares honnêtes qui étaient venus, on les avait retrouvés flottant entre deux eaux au milieu du bassin. Lyanne vit tout cela. Il sentait les âmes viles et les capitaines qui n’avaient pas le choix s’ils voulaient survivre dans cet univers. La journée se déroula dans se brouhaha incessant jusqu’à ce qu’arrive le silence. Lyanne en fut surpris. Il vit tous les gens autour de lui regarder vers la passe ; tournant les yeux à son tour, il vit une galère qui lui rappela beaucoup celle des Nasr. Il sursauta.
- Qu’est-ce qu’ils viennent foutre ici, demanda le marchand.
- Ya eu une attaque la nuit dernière, répondit un des clients.
- Une attaque ! Qui y est passé ?
- Personne.
- Tu t’fous d’moi !
- Non, non, Yalmis qui avait amarré sur la petite île de Tchmos pour la nuit a été aux premières loges. Il a vu les Nasr poursuivre l’voilier d’Ergasia. Et l’voilier d’Ergasia, il est à quai, près de la capitainerie. Y sont tous vivants. Malfous qui buvait un coup dans l’coin, les a vus. Y f’saient encore la fête d’avoir échappé.
- Mais c’est jamais arrivé ça ! dit un autre client.
- Non, jamais, répondit le marchand. On sait pourquoi ?
- Yalmis dit qu’y ont heurté quelque chose dans la rivière comme un rocher, mais à cet endroit, y a rien. Y s’demande si y avait pas autre chose comme un monstre dans l’eau, il a cru voir des écailles.
Il y eut un silence pendant que de nouveau les regards se portaient vers la galère qui manœuvrait sans se presser.
- Qui est-ce ? demanda Lyanne en désignant la galère.
- Eux, c’est des pirates, répondit le marchand avec du mépris dans la voix.
- Et ils arrivent ici comme cela ?
- Ah ! Étranger, c’est compliqué. Cette galère a jamais attaqué personne, mais ceux qui sont à bord sont du peuple des pirates des îles Waschou.
- Quel rapport avec les Nasr ?
- Z’êtes pas en ville depuis longtemps, sinon on vous l’aurait raconté… Mais au fait vous v’nez d’où ?
- C’est une longue histoire. Disons pour faire court que je suis un maître forgeron en route pour une quête. Je viens des montagnes lointaines où le roi Yas trouva la mort. Mon compagnon est mon apprenti, répondit Lyanne en désignant Degala, dont le visage était caché par sa capuche.
Lyanne lui avait fait rabattre son capuchon assez bas quand il avait vu les regards que lui jetaient certains passants et surtout quand il avait senti les bouffées de haine qui les accompagnaient. Ni lui, ni Degala n'avaient compris pourquoi. Qui haïssaient-ils comme cela        ?
- Ah        ! Vous avez vu Yas        ?
- Je suis forgeron. Les forgerons rencontrent-ils les rois        ?
- Bien sûr, j’comprends... répondit le marchand qui de nouveau regardait vers le port.
- De voir ce bateau vous inquiète…
- Faut qufjfvous raconte, dit-il en sfasseyant... タ l'駱oque, y'avaient deux forts. Le fort d'la mer sur la colline au dessus et l'fort d'la terre sur le mont du fort. Hunique 騁ait pas aussi grande. Y avaient plut des petits villages un peu partout. Et pus y'a eut l'attaque des pirates...
Lyanne qui regardait en même temps manœuvrer la galère, s'exclama       :
-  Ça sent l'or       !
Le marchand le regarda d'un drôle d'air et dit       :
- Bien sûr. Viennent pour ça, échanger leur or contre des marchandises.
- Je vous ai coupé dans votre récit... reprit Lyanne qui sentait des envies de devenir dragon.
- Bref, reprit le marchand, les pirates de Waschou ont conquis le fort de mer et pillé les entrepôts. C'est Tredman qui les a chassés en fédérant tous les petits villages. 
- Qui est Tredman ? demanda Degala.
- C’est l’ancêtre de Foutji, qui commande le fort aujourd’hui. Mais il est loin de le valoir… Pense qu’au pognon et c’est depuis qu’il est là qu’on revoit ces pourris par ici. Il aime trop leur or…
La galère courait sur son erre. Les rames étaient à la verticale. Lyanne nota la courbe parfaite.
- En tout cas y sait naviguer l’mec, dit Degala. Va juste arriver où y faut !
- P’être mais c’est des pourris quand même. Ici on tient pas à avoir affaire avec eux. Z’allez voir, les bateaux de Foutji vont arriver avec ceux de la guilde des marchands…
Le marchand les planta là pour retourner vers d’autres clients qui, manifestement, étaient du même avis que lui.
Bientôt le bateau pirate accosta. Un marin sauta à terre avec une amarre. Contrairement aux autres arrivées, personne ne s’était approché de son lieu d'atterrissage. Le vide se faisait autour. Les commentaires allaient bon train, allant de la simple indifférence à la franche hostilité.
Lyanne paya et se leva. Degala l’imita. Ils reprirent leur déambulation en dirigeant leurs pas vers les nouveaux arrivants. Une fois qu’il eut doublé l’amarre avant, il entreprit de faire la même chose à l’arrière. Pendant ce temps, l’agitation régnait sur le pont. Des soldats, au vue de leurs uniformes, prirent position, lance à la main.
- Je serais vous, j’éviterais le secteur, leur dit un portefaix qui s’éloignait avec sa charge.
Ils se retournèrent pour voir celui qui avait parlé. L’homme ne s’était même pas arrêté. Lyanne regarda de nouveau vers la galère des îles Waschou. Le vide se faisait de plus en plus. Même les voisins de quai semblaient éviter le secteur, préférant faire un détour plutôt que de passer sous le regard scrutateur des soldats en poste.
- Allons vers ce tas de bois, dit Lyanne. Nous y serons bien pour regarder.
Quand ils furent assez près, Lyanne sursauta :
- Regarde, Degala, c’est extraordinaire…
Degala ouvrit de grands yeux, mais ne vit rien de nouveau :
- Ça on peut dire qu’ils font le vide…
- Je parlais d’autre chose, regarde-les !
- C’est des soldats bien armés, disciplinés, j’vois rien d’extraordinaire là-dedans.
- Regarde leurs visages…
- Je n’vois rien de particulier.
- C’est vrai, dit Lyanne en le regardant, tu ignores à quoi tu ressembles, ou plutôt à qui. Et bien regarde-les bien… Ils pourraient être tes frères.
Degala resta sans voix, Il ne comprenait rien à ce qu’il voyait.
- C’est pas possible, dit-il, c’est pas possible…
- Cela expliquerait pourquoi les gens te regardaient de travers.
- Il faut que nous en sachions plus. On est bien là, dit Lyanne en regardant autour de lui. On va observer ce qui se passe.
Ils s’assirent entre les piles. Lyanne ne cherchait pas à se cacher. Il voulait être simplement discret. La galère et ses étranges personnages étaient dans leur champ de vision. Ils attendirent un bon moment avant de voir arriver des bateaux venus des canaux. Ceux qui en descendirent portaient la livrée du roi de Hunique.
- Voilà les émissaires de Foudji, dit Degala.
- Oui, observons.
Leur approche fut prudente. Dès qu’ils furent repérés, les soldats à bord de la galère se mirent en position de combat et d’autres apparurent sur le pont. Un homme se détacha du groupe sur le quai. Il attendit qu’on lui envoie la passerelle. Il entendit des voix qui donnaient des ordres sans comprendre ce qu’elles disaient. Puis apparurent des marins. Ils manœuvrèrent  la longue planche de bois pour l’envoyer jusqu’à terre. En homme habitué, l’émissaire monta à bord. Les deux troupes de soldats se faisaient face. Sur le bateau, ils étaient en position de combat, sur le quai, on sentait une troupe dans un relâchement complet. L’entrevue dura un moment. L’émissaire quitta le bord avec la même agilité, passa devant ses soldats et sans même les regarder, leur fit signe de le suivre. Même s’ils étaient assez loin, Lyanne et Degala purent voir le masque du mécontentement sur la figure de l’homme qui rejoignait son bateau à grands pas.
De nouveau, ils attendirent. Un autre bateau accosta. Il avait les couleurs de la guilde des marchands. Lyanne et Degala ne le voyaient pas bien. Il devait être bas sur l’eau pour qu’ils n’en voient pas plus. Ils entendirent quelqu’un qui hélait la galère :
- Oh ! Oh oh ! Ya quelqu’un ?
Le bateau était maintenant tout près de la galère. Un des soldats leva son arme visant celui qui criait.
- SUFFIT !
L’ordre claqua, fort et sec. Le soldat se mit au garde-à-vous. Un homme apparut sur le pont. S’approchant du bastingage, il apostropha les marchands :
- Des nouvelles ?
- Non, rien. Nous avons perdu la piste à cause des mouvements militaires de la dernière période.
- Vous êtes des incapables… Vous aviez promis…
- Non, Seigneur Djoug, nous avions promis d’essayer. Nous avons dépensé beaucoup pour cette mission. Il faut nous payer.
- Hors de question ! Vous avez raté tant pis pour vous !
- Nous allons encore essayer. Les derniers rapports laissent espérer…
- C’est trop tard, marchand !
- Mais, seigneur Djoug…
- Je te dis que c’est trop tard… La date arrive !
Ayant dit cela, le seigneur Djoug quitta le bastingage pour disparaître à l’intérieur de la galère.
- Seigneur Djoug ! Seigneur Djoug !
Un soldat s’approcha, menaçant. Le marchand n’insista pas. Il fit un signe et des marins, armés de gaffes, se repoussèrent loin. Dès qu’ils purent, ils mirent la voile pour s’éloigner au plus vite.
Le temps passa. Ils virent de nouveau l’émissaire du roi revenir et redescendre l’air toujours aussi furieux. Comme il avait accosté de leur côté, Lyane et Degala l’entendirent parler à quelqu’un de sa suite :
- Mais pour qui,  y s’prend ? Nous mettre ainsi un ultimatum.
- Il a proposé beaucoup d’or, maître. Ne l’oubliez pas. Le roi veut cet or. Il va céder.
- Oui, mais des armes… Toutes les guildes vont hurler, sans parler des ambassadeurs…
Le reste se perdit dans le bruit des manœuvres.
- Ils cherchent quelque chose d’important pour eux et ils veulent des armes, dit Lyanne.
- Oui, mais ils ne l’auront pas puisque le seigneur Djoug a dit que c’était trop tard.
Lyanne regarda Degala qui avait enlevé son capuchon.
- J’ai cru sentir, dit-il, qu’ils cherchaient quelqu’un…
- Et alors ? répondit Degala.
- C’est peut-être toi. Tu ne connais pas tes origines.
Degala se mit à rire.
- Voilà l’idée la plus folle que j’aie entendue…
- Peut-être, peut-être pas. Les îles Waschou sont du côté où le soleil se lève. C’est un signe. Ma quête passe sûrement par là…
Degala s’arrêta brusquement de rire.
- On va pas…
- Se battre ?
- Ou tenter d’embarquer là-dessus ?
Lyanne regarda la galère, pensif. Degala avait l’air alarmé. Ce que Lyanne avait senti en entendant le seigneur Djoug pouvait correspondre à Degala. Par contre, pourquoi avait-il besoin de lui ? Quand il avait entendu parler de date, il avait senti à la fois l’urgence et la peur… Il décida d’attendre.
L’après-midi passa sans que rien ne se passe. Avant que le soleil ne soit trop bas, Lyanne donna le signal du départ.
- Nous reviendrons demain, dit-il à Degala en atteignant le chemin près du bord. Degala semblait perplexe. Ils avancèrent d’un bon pas jusqu’au premier bac. C’était une méchante barquasse attachée à une chaîne à ses deux extrémités. On tirait dessus pour aller d’un bord à l’autre. Ils embarquèrent en même temps que d’autres qui les regardèrent de manière hostile.
- Y’en a f’rait mieux rester chez eux, dit une voix dans le groupe au moment où ils accostaient. D’autres sur la berge les regardèrent, le regard alerté par la remarque.
- UN PIRATE ! cria une femme en tendant un doigt vers eux.
Ce fut un vrai branle-bas. Lyanne s’aperçut
 que Degala n’avait pas remis sa capuche. Au cri de la femme, des hommes sortirent d’un peu partout armés et d’humeur belliqueuse. Voyant cela Lyanne poussa Degala qui tomba dans le bac. Lui-même sauta dedans en donnant une impulsion forte qui les propulsa presque au milieu du canal. Voyant de chaque côté des hommes se précipiter sur la chaîne, Lyanne d’un coup de marteau, les fit sauter.
- Rame ! dit-il à Degala en lui tendant une des planches qui servait de banc.
- J’suis désolé, répondit ce dernier… J’aurais dû r’mettre ma capuche… Vous pouvez pas devenir dragon et les faire fuir.
- Il est toujours préférable d’éviter de faire peur aux gens… La peur crée de la colère… comme tu peux le voir.
De la berge, on leur lançait des pierres. Heureusement pour eux, le canal était assez large pour qu’ils puissent éviter les plus grosses. Ils débouchèrent dans le bassin du port de mer, accompagnés par une foule hurlante. Tout en ramant, Degala et Lyanne regardaient derrière.
- Ils abandonnent, dit Degala.
- Oui, on est trop près de la galère. Regarde, répondit Lyanne en montrant les javelots qui se plantaient devant leurs poursuivants pour les dissuader d’aller plus loin.
Lyanne se fit la réflexion qu’ils tiraient très bien malgré le manque de lumière. Les lourds nuages sur l’horizon avaient obscurci le ciel du soir, obligeant l’allumage des lampes bien avant l’heure habituelle. Ils continuèrent à ramer se dirigeant vers la galère pendant que vociférait la foule restée hors de portée des lances. Sur le pont, un groupe de soldats, l’arme à la main, les regardaient approcher. Puis apparut au bastingage un officier à en juger par la réaction des hommes présents. Il regarda la barque qui approchait et ses occupants, puis il regarda la foule. Il se détourna en disant quelque chose. Un soldat fit un signe d’approbation et cria des ordres aux autres. Les lances se levèrent toutes et furent lancées avec un bel ensemble.
“ Trop haut “ pensa Lyanne, en suivant leur trajectoire des yeux. Il les vit tomber juste derrière eux comme pour interdire le chenal aux barques qui accouraient pleines de gens excités.
- VOUS ! dit le soldat en les désignant du doigt, MONTEZ !
Degala fit accoster la barque en cassant son erre d’un judicieux coup de sa pagaie improvisée. On leur lança une échelle de corde. Pendant qu’ils escaladaient le plat-bord, ils entendirent les trompes qui annonçaient l’arrivée des troupes de Foudji. Les gens se dispersèrent rapidement. Tout le monde connaissait la réputation de violence des troupes.
Quand il furent à bord, des marins repoussèrent le bac et les soldats reprirent leur position de veille. Celui qui les avait interpellés les fit avancer jusqu’à une écoutille.
- Descendez !
Degala s’engagea le premier. Avant de descendre, Lyanne regarda les troupes de Foudji qui arrivaient. Il nota qu’elles aussi s’arrêtaient à une distance raisonnable de la galère. Et puis Lyanne baissa la tête pour pénétrer sous le barrot. Il y faisait sombre. Ils arrivèrent dans un long couloir dont le bout se perdait dans le noir absolu. Degala avançait devant lui vers la seule lueur visible. Lyanne le suivit. Ils passèrent devant des portes fermées. Degala s’arrêta devant le battant entrebâillé d’où filtrait la lumière. Il se tourna vers Lyanne avec un air interrogatif. Lyanne allait lui faire signe d’entrer quand la port s’ouvrit toute grande. L’officier apparut sur le seuil :
- Entrez, Djoug le magnifique vous attend.
Degala avança d’un pas dans la pièce, Lyanne resta sur le seuil, tous les sens en alerte. Quelque chose était bizarre. D’abord ce couloir qui semblait trop grand et maintenant cette pièce qui raisonnablement ne pouvait pas tenir dans un tel bateau.
Djoug le magnifique releva la tête en entendant son titre. Il était à l’autre bout d’une salle qui aurait pu servir de salle de bal.
- Ainsi, on vous poursuivait en vous traitant de pirate… mais avancez, avancez !
Ils se sentirent poussés en avant alors que personne n’était là. Degala avait le visage rempli de crainte, mais il avança vers la grande table qui occupait cette partie de la pièce. Lyanne le suivit. Il lui sembla qu’il pouvait maîtriser la force qui le poussait. Il resta un peu plus loin de la table et de la lumière.
Les yeux à moitié plissés, Djoug le magnifique regarda Degala. Si son regard se posa sur Lyanne, ce fut par distraction.
- Qui es-tu ?
- J’suis Degala.
- D’où viens-tu ?
- J’sais pas ! J’étais apprenti chez un forgeron. Je ne me rappelle pas autre chose.
- Approche ! dit Djoug en tendant le main vers Degala.
Ce dernier jeta un coup d’oeil vers Lyanne et fit les deux pas en avant qui le séparait de Djoug qui lui attrapa la main.
- Qu’est-ce que ça ? dit-il en désignant le bâton de pouvoir.
- C’est à moi, répondit Degala en le serrant contre lui.
- C’est toi qui l’as fait ?
- Non, c’est lui qui l’a donné, dit-il en montrant Lyanne.
Si le regard de Djoug fit un aller-retour vers Lyanne, il revint très vite sur le jeune homme.
- C’est un objet très ancien… qui fut entre nos mains… Comment est-il arrivé dans les tiennes ?
Degala se lança dans un récit décousu, où les détails l’emportaient sur le fil de l’histoire. Djoug le laissa continuer sans l’interrompre. Lyanne remarqua qu’il sursauta juste un peu quand Degala mentionna les rois-dragons.
- As-tu une marque ?
- Quelle marque ?
- Sur le bras droit ?
Degala remonta la manche de son habit. Il y avait au-dessus du coude sur la face extérieure de son bras, cinq traits rouges sombres.
Djoug se leva en les voyant :
- Tu as la marque… Alors tu es…
Djoug les laissa tous les deux, interdits, pour courir vers le couloir :
- Capitaine ! CAPITAINE !
Un homme surgit d’une porte comme un diable de sa boîte.
- Oui, Seigneur ?
- On appareille! Les oracles ont dit vrai !
- Mais les armes ?
- Aucune importance… Et cap sur l’île de Fanhieme.
- Sur l’île de Fanhieme ? Mais …
- Il n’y a pas de mais.. Allez ! dit Djoug en plantant le capitaine dans le couloir pour revenir vers la table.
Lyanne et Degala s’entre-regardèrent. Ils étaient dans une incompréhension totale.
- Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda Degala.
Lyanne haussa les épaules.
A ce moment-là, Djoug s’approcha de Degala :
- Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir, mais voilà des saisons et des saisons que nous te cherchons…
- Mais pourquoi ?
- Bientôt la lune entrera dans le cercle sacré pendant que le soleil en sortira. Il faut que tu y sois. Tu as la marque…
- Mais c’est quoi cette marque ?
- Ce sont les marques des griffes de l’esprit du cercle sacré. Tu as été marqué à ta naissance lors de la cérémonie de la présentation…
Degala était de plus en plus abasourdi par tout ce qu’il entendait. Lyanne était beaucoup plus attentif aux bruits extérieurs. Manifestement les ordres d’appareillage fusaient de toutes parts. Ils partaient.