mardi 27 mars 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 44

Dans la maison des grands-marcheurs, on ne savait que faire. Koubaye semblait délirer. Il était inconscient depuis deux jours et Siemp se sentait désemparé. La mère de la maisonnée qui faisait aussi office de guérisseuse, ne comprenait pas. Elle était juste certaine que ce n’était pas les fièvres de Tiemcen qui revenaient.
Siemp décida de faire appel à un personnage de haut savoir puisqu’il ne savait pas où était son maître, Balima. Cela lui prit une journée pour trouver la bonne personne. Ils arrivèrent à la maison de l’homme alors que le soleil déclinait. Il se fit raconter en détail le voyage. Le nom de Lascetra l’impressionna beaucoup. La nuit était noire quand Siemp eut finit de répondre à toutes les questions. On leur amena un repas. L’homme semblait absorbé par ses pensées et insensible au monde extérieur.
   - Quand il est comme cela, il faut attendre, lui dit la servante.
Elle s’approcha de l’homme, lui mit une cuillère dans la main et lui dit :
   - Mangez, maître.
Machinalement l’homme commença à vider son écuelle. Siemp fit de même en gardant le silence. Il vit le maître s’arrêter en plein geste de monter la cuillère à la bouche.
   - Il faut le sortir de Sursu.
   - Mais c’est impossible, il n’est pas conscient.
   - Il faut le sortir ! s’emporta le maître. Ne comprends-tu pas qu’il est comme une jarre qui se remplit. Il va déborder.
Siemp ne comprenait rien. Le maître posa sa cuillère et donna des ordres pour sortir.
   - Mais les bayagas ?
   - Ne t’occupe pas de cela.
   - Mais… Mais…
   - Ya pas de mais, il est en danger. Son esprit n’est pas prêt à accueillir tout le savoir d’une ville. Vous n’auriez pas dû être là mais au mont des vents… Allez, remue-toi. Quant aux bayagas, ils ne viendront pas avec un Sachant en ville. Sortons.
Siemp suivit le maître qui courait presque. La nuit était noire et les volets fermés. Ils retraversèrent la moitié de la ville. Siemp dut s’identifier formellement pour qu’on consente à lui ouvrir. Derrière lui, le maître disait :
   - Plus vite ! Plus vite !
Quand la porte s’ouvrit enfin, il courut presque, exigeant qu’on lui montre Koubaye. La mère de la maisonnée regarda Siemp qui lui fit un signe d'acquiescement. Quand il arriva près de Koubaye, le maître posa sa canne et se pencha sur lui. Il lui murmura longuement à l’oreille. Tous les présents avaient accompagné ces fous qui avaient bravé les bayagas. Ils virent petit à petit le corps de koubaye se détendre puis sa respiration se faire plus lente, plus ample, puis de plus en plus lente. Quand le maître se releva, il avait l’air épuisé. Il chancelait. Quelqu’un lui glissa un siège. Il se posa lourdement dessus. Il leva les yeux vers la mère de la maisonnée.
   - C’est toi qui lui as donné de la bourdache ?
La mère de la maisonnée, à qui Siemp avait fait un résumé de ce qu’il s'était passé, fut impressionnée.
   - Euh, oui, j’ai cru bien faire…
   - Et tu as bien fait. Tu lui as probablement sauvé la vie. Cette plante a mis son esprit en partie au repos. Sans elle, je ne serais pas arrivé à temps. J’ai soif !
Quelqu’un se dépêcha d’amener de l’eau. Le maître en but de longues gorgées. Il reprit :
   - Il ne peut pas rester là !
   - Demain, nous l'emmènerons loin…
   - Non, ce sera trop tard. La ville aura repris sa vie et lui sera mort. Il doit partir cette nuit.
Cette annonce fit l’effet d’une bombe. Voyager de nuit ! Avec les bayagas ! Le maître était fou.
Ce fut Siemp qui rompit le silence :
   - Bon, mais comment ? Je ne vais pas pouvoir le porter.
   - Par le lac ! Il faut partir par le lac.
   - Personne ne nous aidera cette nuit, dit la mère de la maisonnée.
   - On n’a pas le choix. Si Rma file le temps avec un Sachant alors il y a un fil qui est là pour nous guider.
   - Seuls les Tréïbens vont loin sur le lac, dit un Oh’m’en.
   - Alors allons au port, répondit le maître.
   - Mais les bayagas…
   - Les bayagas ne viendront pas cette nuit pas avec un Sachant dans cet état.
Le maître savait. Dans la ville, tout le monde savait qu’il existait et que son savoir était presque aussi grand que celui qui détenait le Dernier Savoir et qui résidait dans la capitale.
   - Préparez une civière, ordonna la mère de la maisonnée. Si le maître dit qu’on ne risque rien, alors agissons. Si Rma tisse de nouveaux fils, malheur à nous si nous les coupions !
Ce fut comme si on avait donné un coup de pied dans une fourmilière. Certains préparèrent la civière, d’autres les torches. Le plus rapide des grand-marcheurs était parti en éclaireur car il connaissait un Tréïben. Bientôt quatre solides Oh’m’en portaient Koubaye. Quatre autres, dont Siemp, portaient le maître qui avait trop forcé vu son grand âge. Il y avait aussi deux porteurs de falots pour éclairer la route. Ils avaient peur mais ils marchaient. Le maître leur avait dit :
   - Ne craignez rien ! Ce sont ceux qui verront les lumières qui auront peur.
Le groupe marcha en silence. La ville de Sursu, si agitée le jour, leur apparaissait sous un aspect irréel. La progression était d’autant plus facile qu’ils descendaient. Les deux porteurs de lumière ne cessaient d’épier, craignant sans cesse de voir des Bayagas. Quand ils arrivèrent sur le quai, ils eurent la surprise de voir une porte ouverte laissant passer de la lumière. Ils se précipitèrent à l’intérieur. Ils furent à peine rentrés que le propriétaire claquait la porte derrière eux.
   - Maître ! C’est un honneur !
   - Je sais Résal, tu es une canaille et un détrousseur de marchands, mais ce soir tu peux être utile.
   - Maître ! répondit Résal sur un ton de reproche, personne n’a jamais rien prouvé !
   - Je sais, c’est pour cela que nous sommes là.
   - Noram m’a dit que vous cherchiez à faire passer quelque chose hors les murs… il faut que ce soit important pour défier les bayagas…
La maître sourit. Résal était une canaille, mais une canaille qui réfléchissait vite.
   - Il faut que ce jeune homme, dit le maître en désignant Koubaye, soit loin de la ville demain matin.
Résal fit mine de s’offusquer :
   - Vous voulez me faire naviguer de nuit avec les bayagas ?
   - Tu as déjà pris ce risque et ce soir il est inexistant. Les bayagas ne viendront pas.
   - Mais qu’est-ce que je gagne ? Tout le monde sait que vous n’avez pas d’or.
   - Non, mais je peux dire à Rina que tu as retrouvé ton honneur.
Le regard de Résal devint flou. Il avait la possibilité de revenir chez son peuple par la grande porte, lui qui était un réprouvé. Rina était le chef incontesté des Treïbens. Sa parole faisait loi. Que le maître intercède pour lui valait tout l’or du monde. Résal pourrait alors de nouveau vivre comme un vrai Treïben et ne serait plus obligé de sortir son bateau toutes les nuits. Il avait perdu le droit de dormir dedans quand Rina avait déclaré que Résal avait souillé l’honneur des Treïbens.
Le maître le sortit de sa rêverie :
   - Il faut partir au plus vite !
   - Si je pars dans la nuit noire, vous parlerez pour moi.
   - Oui, dit le maître et ce que tu auras fait sera aussi important que l’arrivée du Treïbénalki !
Résal sursauta. Le maître était vraiment d’un très haut savoir. Lui aussi avait entendu les paroles-cris, mais, comme tous les Tréïbens, il n’avait rien dit aux étrangers à son peuple. 
   - À part le jeune, il faut emmener qui ?
Siemp fit un pas en avant.
   - Alors la petite pirogue suffira.
Résal se tourna vers le maître :
   - Les bayagas ?
   - Ils ne viendront pas.
   - Rina ?
   - Va, reviens et je parlerai pour toi.
Résal ouvrit la porte et sortit dans la nuit, suivi de Siemp.

La pirogue noire glissait sans bruit dans la nuit noire. Résal tenait la pagaie qui faisait office de gouvernail. Siemp, assis au milieu, surveillait Koubaye qu’on avait allongé sur une bâche au fond de l’embarcation. Il n’en menait pas large. Siemp n’aimait pas les bateaux. Il avait dû monter dessus une fois ou l’autre pour traverser un fleuve. Il en gardait un souvenir de danger. Le maître lui avait dit que Résal était celui qui connaissait le mieux les bayagas dans les gens de petits savoirs. Siemp avait compris que Résal avait souvent navigué la nuit pour ses trafics. Les Treïbens avaient développé des protections contre les bayagas sous forme de panneaux de roseaux tressés ou sous forme de rouleaux dont on se recouvrait au moindre doute. Koubaye était sous l’un d’eux. Teinte en noir, la paroi souple de roseaux séchés le recouvrait presque entièrement, sauf la tête que surveillait Siemp. Le maître lui avait dit que l’état de catalepsie ne durerait pas assez longtemps pour le transporter en chariot au lever du jour.
Résal avait mis la pirogue à l’eau presque en silence, une fois Koubaye mis dedans. Siemp était monté juste après. Le piroguier avait poussé l’embarcation doucement et sans bruit avec sa longue perche entre les bateaux amarrés çà et là. À cette heure, il y avait encore quelques lueurs s’échappant des cabines et autres abris. Résal passait parfois si près que Siemp pouvait entendre les paroles dites à bord des autres bateaux. On y parlait souvent du Treïbénalki. Puis les bateaux étaient devenus plus rares et les fonds plus importants. Résal avait dressé le mât et envoyé la voile. Il avait alors pris position à l’arrière de la pirogue. Avec une main et un pied, il tenait la pagaie et de l’autre main, il tenait l’écoute. La petite brise qui soufflait les faisait filer rapidement. Quand ils furent assez loin, Résal dit :
   - On va aller jusqu’à l’île de Téomel. Là, on se reposera et on verra.
   - Le maître a dit de s’éloigner beaucoup. 
   - Avec cette brise, on n’y sera pas avant l’aube. On va couper la voie où passent les bateaux. Là, il y aura du danger…
   - Mais pourquoi ?
   - Parce que les barges continuent à naviguer la nuit vers l’aval.
   - Malgré le bayagas ?
   - Oui, les Treïbens savent que les bayagas ne vont pas très loin au-dessus de l’eau et ils savent se protéger.
Le silence était retombé sur la pirogue. Siemp touchait régulièrement Koubaye qui ne réagissait toujours pas. Il restait sur le qui-vive. L’état de Koubaye l’inquiétait. Balima lui avait demandé de veiller sur lui et d’aller vite. Pour le moment, sa mission semblait sur le point d’échouer. Il trouvait que Rma filait d’une étrange manière. Rapidement ses pensées revenaient aux sensations instables de la navigation. Suivant le vent et les vagues, la pirogue gîtait et Siemp se cramponnait.
   - Il ya une lumière là-bas, dit-il. Et puis une autre… On arrive ?
  - Non, pas encore, on arrive sur la route des barges. Il va falloir faire attention. Si l’une d’elles nous touche, nous coulons.
Siemp frissonna à cette évocation. Résal manœuvra pour casser l’erre de son embarcation. Il scruta la nuit et brusquement reprit le vent. La pirogue fit une embardée qui déplut fortement à Siemp qui se mit à avoir peur. Les lumières se rapprochèrent. À la faible lueur des étoiles, il devina des masses sombres. Résal donna un coup de rame qui mit leur bateau parallèle à la barge. La pirogue perdit de sa vitesse et longea le plat bord. Siemp eut l’impression qu’il aurait pu le toucher. Il vit la cabane avec sa lumière. Un homme veillait. Résal lui avait expliqué. Pour gagner du temps, les barges se laissaient glisser dans le courant qui traversait le lac même pendant la nuit. Un Treïben prenait le quart dans la cabane quand se levait l’étoile de Lex. On voyait peu les bayagas ici. Par contre, il fallait être prêt à éviter une collision.
Dans le sillage de la barge, cela tangua fortement. Siemp, accroché au bord de l’embarcation, vomit. Résal dut compenser la gîte que Siemp faisait prendre à la pirogue. Le vent qui soufflait dans le bon sens pour les barges imposait à Résal de tirer des bords. Ils croisèrent de plus loin d’autres bateaux. La pirogue était, à chaque fois, chahutée par les vagues des sillages. Puis l’eau se calma. Résal dit :
   - Il faut rester attentif, certaines barges dérivent.
Siemp, tendu, scrutait le noir de la nuit. La tâche était difficile. Il croyait voir surgir des masses d’un côté ou de l’autre de la pirogue. Et il s’apercevait qu’il n’y avait rien. Au moment où il entendit Koubaye soupirer, il concentra son attention sur lui. À scruter la nuit, il avait oublié de s’occuper de lui. Il mit la main sur sa joue et sentit la peau tiède. Quand il le toucha, il sentit Koubaye bouger. Siemp poussa un soupir de soulagement. Il se tourna doucement vers Résal et lui demanda :
   - C’est encore loin ?
Il y eut un temps de silence comme si Résal réfléchissait et puis vint la réponse :
   - Encore assez, avec ce vent nous y serons à l’aube. Ici nous devrions être tranquilles. Les grandes barges ne peuvent passer. Mais il faut rester attentif… Je ne suis pas le seul à naviguer la nuit.
De nouveau Siemp connut la crainte. De nouveau il s’épuisa les yeux à chercher une embarcation. Dans la nuit noire à peine éclairée des quelques étoiles qui brillaient entre les nuages, il ne vit rien. Il eut un doute une fois encore. Il entendit comme un glissement, un soupçon de clapotis et un vague bruit de bois qui racle sur du bois. Il n’osa pas interpeller Résal. Celui-ci ne disait rien. Il orienta juste la pirogue différemment pendant un moment pour reprendre son cap un peu plus loin.
Siemp s’assoupissait de temps à autre. Il avait beau lutter contre le sommeil, dans ce monde qui semblait hors du monde et du temps, il s’endormait. Quand il rouvrit les yeux un instant plus tard, la lumière commençait à monter. Il découvrît le lac dans sa grandeur. Ils étaient au milieu de l’eau, et autour d’eux, il n’y avait rien. La pirogue et la voile étaient noires. Koubaye avait bougé et dormait maintenant sur le côté. Sa respiration était régulière. Siemp sentit le soulagement et la fatigue l’envahir. Le maître de Sursu avait raison. Pour un Sachant qui n’avait pas appris à protéger son esprit, trop de savoirs d’un coup étaient un poison.
   - On voit l'île, déclara Résal.
Siemp scruta devant eux. Une fine ligne verte se découpait sur l’horizon. Petit à petit, elle grandit et quand ils approchèrent, Siemp découvrit un mur de roseaux. Résal avait descendu la voile depuis que la lumière avait forci. Il ne voulait pas être vu de loin. C’est à la pagaie qu’il engagea la pirogue entre les tiges plus hautes qu’eux.
   - Ne mettez pas les mains dans l’eau, prévint Résal. Il y a des serpents et des carnivores.
Siemp retira brusquement ses doigts faisant tanguer la pirogue. Koubaye grogna mais ne se réveilla pas. Si pour Siemp tout se ressemblait, Résal semblait choisir un chemin qui les amena jusqu’à une surface d’eau libre.
   - On va accoster là. On sera bien pour passer la journée et on repartira ce soir.
   - On va renaviguer de nuit ? demanda Siemp inquiet.
   - On peut aussi attendre demain matin pour partir.
   - Cela me semble une bonne idée. On a voir si Koubaye se réveille.
Il y eut un léger choc quand la pirogue toucha la terre ferme.

dimanche 18 mars 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 43

Riak fut étonnée de voir Bemba entrer dans sa chambre à l’heure de l’office de la salutation au roi. Celle-ci s’inclina et dit :
   - J’ai reçu ordre de vous demander de venir vous chercher.
Riak acquiesça et, au moment de sortir, vit que Bemba rassemblait les quelques affaires qu’elle avait. Bemba la fit descendre dans la cour principale mais immédiatement se dirigea vers l’arrière d’un bâtiment. Là, un chariot attendait. On la fit monter. À l’intérieur, elle trouva Mitaou qui lui tendit une grande cape à capuche et une coiffe.
   - Où va-t-on ?
  - Je ne sais pas, Noble Hôte. Le bouvier est muet ou sourd, ou les deux car il ne répond pas aux questions.
Bemba fut la dernière à monter. Puis le bouvier chargea des caisses qui occupèrent tout l’arrière du chariot au point qu’on ne les voyait pas.
Ils empruntèrent une porte latérale et le chariot cahota sur les mauvais chemins. Riak n’aima pas voyager ainsi sans rien voir. Les grands espaces lui manquaient. Les trois femmes se taisaient. Mitaou avait son âge. Pour Bemba, sa peau sombre et fine rendait plus difficile la détermination. Riak la pensait jeune. Elle avait un corps massif et même si elle ne faisait plus partie des gardes bicolores, elle avait une puissante musculature.
Le chariot s’arrêta brusquement. Autour d’eux on entendait beaucoup d’agitation et de cris. Riak se pensa arriver à une des portes de Riega. Elles sentirent les manoeuvres du chariot et il se mit à reculer. Mitaou prit un air interrogatif et Bemba haussa les épaules en signe d’ignorance. Le chariot s’immobilisa enfin. Les trois femmes attendirent et sursautèrent quand quelqu’un commença à décharger les colis qui occupaient l’arrière de leur véhicule. Riak porta la main à sa dague jusqu’à ce que la tête du bouvier apparaisse. Il leur fit signe de venir. Quand Riak se leva, Il lui fit signe d’attendre et tendit la main vers Mitaou. Il l’aida à descendre et lui montra quelque chose et, par gestes, sembla lui expliquer la marche à suivre. Mitaou se retourna et dit :
   - Il y a un bateau et il faut que l’on monte dessus. 
Bemba intervint :
   - Mettez bien vos capuches. On ne doit pas vous voir.
Riak rangea sa dague et fit descendre sa capuche le plus bas possible. Elles descendirent toutes du chariot pendant que le bouvier rechargeait son chariot. Le bateau était tout prêt. Un homme les aida à sauter sur le pont et leur désigna un abri à l’arrière de la barge. Les trois femmes s’y réfugièrent. On était dans une pièce aussi grande qu’une cellule de temple avec trois couchettes. Dans un coin il y avait un petit passage atteignant un lieu d’aisance.
    - On va rester là combien de temps ? demanda Mitaou.
    - Le temps du voyage… répondit Bemba.
Bientôt les ordres fusèrent dehors et le bateau remua sous les efforts des bateliers. Riak entendit claquer des toiles. S’approchant de la seule fenêtre, fermée par un rideau, elle jeta un coup d’oeil dehors. Sur l’unique mât aussi grand qu’un des sapins de ses montagnes, les marins venaient de lancer une voile qui prenait le vent en se gonflant. Sous l’effort toutes les membrures craquèrent. Ce fut pour elle un moment terrifiant. Elle n’avait jamais navigué et se savoir ainsi à la merci de l’eau lui fit connaître un moment de panique. Bemba arriva derrière elle et écarta le rideau. En faisant cela, elle cacha les deux jeunes filles.
   - Et bien, nous voilà avec les Treïbens.
   - Les quoi ? demanda Riak.
   - Les Treïbens ! C’est une peuplade du lac de Sursu. Ils font le transport sur le fleuve.
   - Sur le fleuve ?
   - Ah ! C’est vrai que tu ne connais rien au pays, fit remarquer Mitaou. Le grand fleuve sur lequel on est, c’est le Prarove. Il vient du mont des vents et finit à la mer dans le pays des seigneurs. Après Riega, les rapides sont si dangereux qu’on décharge tout pour traverser les gorges et puis d’autres bateliers prennent la suite plus bas
   - Et Nairav est près du mont des vents ?
   - Je ne sais pas… répondit Mitaou
   - Personne ne sait vraiment où est Nairav. Seuls ceux qui sont en chemin le découvrent, dit le proverbe.
   - Mais comment va-t-on savoir ?
   - J’irai interroger les bateliers, Noble Hôte, dit Bemba. Pour votre sécurité, il faut que vous restiez ici. Tels sont les ordres que m’a donnés la mère intendante.
La nouvelle contraria Riak. Elle allait encore être enfermée pour des jours dans un espace réduit à ne pouvoir courir.
Lentement la lourde barge se mit en mouvement. Les marins de part et d’autre avec de longues perches aidaient au mouvement. Au milieu du fleuve d’autres barges descendaient en suivant le courant. Bemba referma le rideau, enfermant les deux jeunes filles entre les quatre murs de la pièce.
Débarrassées de leurs grandes capes, les deux jeunes filles tournèrent en rond dans la pièce toute la matinée. Au milieu du jour, Bemba sortit pour aller chercher de quoi manger. Elle revint, portant des bols d’une soupe épaisse. Riak renifla l’odeur étrange et fit la moue.
   - Vous pouvez manger, Noble Hôte, c’est une soupe de poissons. Les Treïbens sont très doués pour la pêche. Le vert ce sont des pousses de roseaux du lac.
Riak goûta avec suspicion. Bemba avait raison. Si l’odeur en était étrange, le goût en était très doux, très agréable. Elle mangea avec plaisir. Mitaou, une fois le bol avalé, demanda si elles ne pourraient pas aller à l’extérieur prendre l’air.
   - Vous n’y pensez pas. Il n’y a que des hommes.
Mitaou et Riak furent déçues. La journée s’étira en longueur. Elles s’ennuyaient. Quand le soir tomba, Riak avait des fourmillements dans tout le corps. Après la soupe du soir, pendant que Bemba était partie reporter les bols, elle regarda par la fenêtre. La nuit était noire. La barge était ancrée non loin de la berge et les marins faisaient du feu sur un petit banc de sable. Tout semblait désert. Elle serra sa coiffe et sortit. Mitaou poussa un petit cri vite étouffé. Le pont était couvert de marchandises en tas plus ou moins réguliers. Riak se glissa de l’un à l’autre comme lui avait appris Koubaye. Elle ressentit le goût des plaisirs interdits. Alors qu’elle revenait vers la cabine, elle vit un homme se glisser vers la porte. Elle crut reconnaître un des marins. Alors qu’il tentait d’ouvrir, Bemba arriva telle une furie. Elle attrapa un bâton qui traînait par là et lui administra une correction qui mit les autres en alerte. Bientôt tout le pont arrière fut couvert par l’équipage. Riak avait trouvé refuge derrière un tas de bois sur l’avant.
Le chef du groupe qui tenait lieu de capitaine s’avança vers Bemba :
   - Tu as bien fait, lui dit-il. J’avais donné ma parole et il nous déshonore.
Se tournant vers les autres Treïbens, il ajouta :
   - Qu’on le jette à terre !
Riak entendit le cri terrifié de l’homme. C’était bientôt l’heure de l’étoile de Lex. Ses protestations et ses cris n’arrêtèrent pas le mouvement. Il fut lié rapidement et abandonné sur la berge. Riak profita du mouvement pour rejoindre l’arrière du bateau. Elle était rentrée avant que Bemba ne revienne. Cette dernière était descendue avec tous les hommes pour s’assurer que le fautif était bien loin des jeunes filles. Mitaou tremblait et pleurait de peur à son retour. Bemba essaya de la rassurer. À travers ses explications hoquetantes, Bemba comprit que Riak était sortie. Elle la regarda avec des yeux de reproche mais Riak lui lança un regard de défi. Bemba baissa les yeux la première. Elle n’était qu’une servante et Riak était un hôte du temple. L’étoile de Lex monta à l’horizon. Le marin abandonné criait et gémissait sur la berge. Les autres avaient monté des cloisons et s’étaient mis à l’abri.
Dans la chambre, tout le monde s’était couché. Riak s’endormit difficilement, se demandant si les bayagas viendraient ou pas cette nuit. Le chef avait expliqué à Bemba le châtiment. En cas de manquement grave, le marin était abandonné, attaché sur la berge. Si le lendemain, il était encore vivant et conscient, on le reprenait à bord. Sinon…
La nuit était noire et sans lune. Riak ouvrit les yeux. Elle pensa à Koubaye, aux bayagas. Dans un état second, elle se leva. Simplement vêtue d’une tunique sombre, elle sortit sur le pont. Elle fut bientôt sur le banc de sable, exécutant une danse aux gestes guerriers. Sur la berge, non loin, gémissait le marin. Une lueur apparut, petite flamme bleue qui vibrait. Une seconde sembla prendre naissance sur la berge dans des teintes rouges. Le marin gémit plus fort. Rapidement une sarabande de feux follets dansaient sur la berge et sur le sable, entourant les deux humains qui y étaient. Riak ne semblait rien voir. Son pendentif brillait d’une lueur rougeoyante. Les formes s’affirmèrent prenant des allures humaines difformes et terrifiantes. L’une d’elle s’était penchée sur le marin sur le sable qui ne faisait que gémir. D’autres s’approchèrent de Riak. L’une d’entre elles dégaina une épée fantomatique, Riak lui fit face, pointa vers elle sa dague. Tous les bayagas s’agitèrent brusquement devant ce geste. Délaissant le marin, l’ombre lumineuse d’un géant sauta sur le banc de sable faisant face à Riak. Dans ce qui lui tenait lieu de main, un cimeterre brillait d’une lueur malsaine. D’un moulinet, il se rua vers Riak qui feinta pour l’éviter. Sa coiffe s’envola dégageant sa blanche chevelure. Riak planta sa dague dans le flanc de son agresseur. Il y eut une explosion d'étincelles. Riak en fut entourée. Ses cheveux brillaient comme des rayons de lune. Il y eut un grand gémissement et toutes les autres lueurs disparurent comme aspirées par sa lumière. Puis la nuit reprit ses droits.
Au petit matin, les marins qui se levaient, allèrent sur la berge. Leur compagnon était vivant. Il leur tint un discours étrange qu’ils lui firent répéter devant leur chef :
   - Je l’ai vu. Je le jure par Bénalki, la déesse de l’eau, j’ai vu la dame blanche. Les bayagas étaient déjà là et elle est apparue survolant l’eau et les chassant. Sa chevelure était plus blanche que la blanche lune. Elle est venue pour que je sois à son service.
Bemba rapporta la nouvelle un peu plus tard dans la chambre. Le Treïben, qui se nommait Jirzérou, se mettait à leur service car elles étaient les servantes de la dame blanche. Celui-là même qui avait essayé d’entrer dans la pièce réservée jurait sur Bénalki de les servir jusqu’à la mort.
   - Mais on ne peut pas le croire, dit Mitaou. Il a essayé d’entrer… il va recommencer. 
   - Le chef des Treïbens m’assure que non. Il a survécu à l’épreuve et il est devenu presque sacré, c’était un Treïbénalki, un homme de la déesse. Personne ne le touchera, personne ne le prendra à son service et aucune femme ne voudra de lui.
   - Il a vu les bayagas, ajouta Riak. Qu’a-t-il vu d’autre ? Je le sens maintenant différent. Qu’on le garde.
Mitaou et Bemba s’inclinèrent. Riak était une hôte du temple.
Jirzérou prit ses quartiers à côté de la porte. Pour les autres marins, il n’était plus de leur monde. Il avait parlé de la dame blanche, avatar de la déesse. Il était à la fois objet d’envie et de peur. Il était maintenant surtout objet de crainte. Jirzérou se rasa les cheveux et la barbe et peignit son corps en blanc. Une fois cela fait, il monta sur le toit de la cabine et, assis, se mit à psalmodier. Rapidement des cris montèrent de chaque bateau qu’ils croisaient. Plus rapide que l’air, le cri sauta de bateau en bateau vers l’aval ou vers l’amont et avant que ne soit arrivée la nuit, tout le pleuple des Treïben sut qu’il y avait un Treïbénalki.
Quand vint le soir, Jirzérou ne quitta pas le toit. Le sort des Treïbénalki était de devenir la proie des bayagas. Ils passaient toutes les nuits dehors. Les plus chanceux avaient ainsi survécu toute une lunaison. Les moins chanceux n’avaient pas résisté à la deuxième nuit. Le capitaine avait expliqué cela à Bemba qui l’avait rapporté aux deux jeunes filles.
La barge s’était rapprochée de la berge à nouveau pour passer la nuit. Les marins avaient remonté leur abri de bois à l’avant de l’embarcation. Quand l’étoile de Lex apparut, il n’y avait que Jirzérou qui attendait stoïquement son sort. Sous ses pieds, dans la cabine, le médaillon de Riak se fit plus lourd. Riak ouvrit les yeux. Elle se leva. Elle écouta un instant le bruit régulier des respirations de ses voisines. Elle ouvrit la porte et se retrouva dehors dans la fraicheur de la nuit. Elle avança doucement sur le pont. Elle leva la tête et vit Jirzérou qui regardait vers la berge opposée. Les lueurs tremblotantes des bayagas couraient dans les herbes. Elle sortit sa dague et retira sa coiffe. Toutes les formes lumineuses se figèrent. Riak, dague pointée vers le ciel, entonna le chant de princesse. Ce fut comme un signal. Ce fut comme si un flot de lumières multicolores se précipitait vers elle. Jirzérou regardait cela comme tétanisé. Quand la barge fut entourée de toutes ces lueurs qui dansaient à l’unisson de la chanson, Riak d’un bond sauta sur le toit de la cabine. Jirzérou se mit à trembler alors que les fantomatiques lueurs se rapprochaient. Il en devinait maintenant les contours horribles et les armes dentelées. Riak dit :
   - Tu es mien serviteur. Ton signe sera ce cheveu que je te donne.
Elle prit un de ses cheveux et le coupa avec sa dague. Jirzérou le reçut comme on reçoit un trésor. Autour de son cou pendait un sac-amulette. Il le prit et le vida par terre. Il y glissa le cheveu.
Le temps qu’il fasse cela, Riak avait disparu. Il était là, seul sur le toit, entouré de bayagas qui s’éloignaient. Jirzérou pleura. L’avatar de la déesse était revenu lui donner sa confiance. C’est là que les autres marins le découvrirent le lendemain, le corps couvert de peinture blanche que les larmes avaient fait couler, endormi mais vivant. Quand il fut réveillé, il répondit à toutes les questions :
   - Je suis le serviteur de la dame blanche.
Les Treïbens utilisaient une langue cri pour parler d’un bateau à l’autre. L’information circula que le Treïbénalki avait passé la deuxième nuit, qu’il avait à nouveau rencontré les bayagas et la dame blanche et qu’il en était devenu le serviteur.
Ce troisième jour de navigation, Riak regarda par la fenêtre toute la journée. Enfin, elle passa l’œil collé aux trous de l’épais rideau qui occultait la fenêtre. Sur d’autres barques et d’autres barges, elle vit des femmes. Elle demanda à Bemba de se renseigner. L’information lui revint avec la soupe du midi. C’étaient les femmes du peuple des Treïbens. Si la plupart restait dans les villages flottants avec les enfants, il était fréquent que d’autres accompagnent leur compagnon dans son périple. Riak dit à Bemba de lui trouver des habits comme elles en portaient. Si Mitaou trouva cela contraire à l’éthique du temple, Bemba répliqua que Riak n’était pas une novice mais une hôte et qu’elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait.
En fin d’après-midi, Riak put enfin sortir de la chambre-cabine. Elle portait le pantalon de grosse toile. La tunique, qui lui descendait à mi-cuisse, cachait ses bras jusqu’au poignet. Elle portait le masque traditionnel sur la cagoule et le chapeau à larges bords pour la protéger du soleil. C’était le luxe des femmes Treïbens, avoir la peau la plus claire possible. Sa panoplie était complétée par des gants et des sortes de bottes souples. Même Mitaou avait reconnu qu’à part les yeux, les étrangers ne la verraient pas. L’équipage l’accueillit avec des cris de satisfaction. Pour eux, c’étaient une nonne du temple. Ils vivaient comme un honneur qu’elle ait accepté de se vêtir comme une Tréïben.
Ce fut avec les yeux pétillant de plaisir que Riak put parcourir le bateau et découvrir le fleuve. Elle fut étonnée de la foule d’embarcations de toutes tailles. Cela allait de la pirogue creusée dans un simple tronc à la barge comme celle sur laquelle elle naviguait capable de porter des charges énormes.
La nuit suivante, le médaillon mobilisa à nouveau Riak. Si quelqu’un l’avait regardée dans les yeux, il aurait compris que Riak était somnambule. De nouveau elle sortit et commença à danser les combats. Jirzérou la rejoignit. Son corps couvert de blanc lui donnait un aspect fantomatique. Il avait attrapé une des gaffes que les marins utilisaient. Face à Riak, ils entreprirent un combat virevoltant. Un observateur, mais qui aurait osé braver les bayagas, aurait vu dans la nuit étoilée une ombre blanche s’agiter face à une ombre noire à la longue chevelure scintillante pendant que claquait le bruit de leurs armes.
Quand vint le jour, les marins sortirent avec crainte. Ils avaient entendu les bruits de combat. Quand ils virent que le Treïbénalki était toujours vivant, la peur les saisit. Le capitaine les remit au travail. Il fallait livrer la marchandise. Les autres bateaux s’approchaient et les saluaient d’un cri de respect. Le capitaine répondait à chacun. Il connaissait les règles. Riak profitait de sa tenue pour être dehors. C’est elle qui attira l’attention d’un marin sur une chaloupe qui venait vers eux à grand renfort de rame. Le marin lâcha son bâton de manœuvre et courut prévenir le capitaine. Celui-ci fit descendre la voile et mettre en panne. Riak l’entendit jurer. Son médaillon devenait lourd et lui chauffait la poitrine. Quand la chaloupe fut près de la barge, des Tréïbens en armes sautèrent à bord et amarrèrent les deux bateaux à couple. Un des marins derrière elle, cracha en jurant, insultant à mi-voix les renégats, mais tous mirent un genou à terre en baissant la tête. Riak les imita. Elle jeta de temps à autre un coup d’œil. Un seigneur monta sur le pont et hurla :
   - Qui est le capitaine ?
Ce dernier se leva à toute vitesse et vint s’incliner devant le seigneur.
   - Il parait que tu transportes des gens et que tu as un cinglé avec toi.
Le capitaine ne releva pas l’insulte. Il ne savait que trop ce que voulait dire une révolte.
   - Je ne fais que transporter ce que l’on me donne à transporter, dit-il.
   - Dans la cabine ?
   - Oui, seigneur.
Le seigneur, suivi de deux marins l’arme à la main, se dirigea vers la cabine. Jirzérou qui était sur le toit, l’interpella :
   - N’entre pas. La déesse protège les filles de la dame blanche !
   - Tu bouges, t’es mort !
Le seigneur fit signe à un des soldats qui banda son arc et le mit en joue. Sans attendre, le seigneur pénétra dans la cabine. Riak entendit le cri de Mitaou et vit ressortir le seigneur immédiatement.
   - Ce n’est qu’une novice sans intérêt ! Il n’y a pas plus de cheveux blancs que de déesse ici ! dit-il à un des Treïbens qui l’accompagnaient.
   - Mais lieutenant, les paroles-cris le disaient pourtant.
   - Votre folklore m’emmerde ! On rentre.
Il se dirigea à grand pas vers sa chaloupe suivi des soldats. L’archer fut le dernier à quitter le bateau. Jirzérou, dressé sur le toit, les maudît de ses paroles-cris en faisant des gestes menaçants de sa gaffe. Sur un geste du lieutenant, l’archer tira. La flèche se planta dans la gaffe qu’il agitait toujours devant lui.
   - La déesse me protège, renégat. Reviens vers elle ou tu mourras !
La chaloupe s’éloignait aussi vite qu’elle était arrivée. Riak au loin vit le fort qui commandait ce coude du fleuve. C’est de là que venait la chaloupe. Sur les remparts, il y avait catapultes et balistes. Le capitaine hurla ses ordres pour qu’on reprenne au plus vite la route. Riak, elle, se précipita à l’intérieur de la cabine. Elle trouva Mitaou pleurant à chaudes larmes dans les bras d’une Bemba qui essayait de la consoler.
   - Qu’est-ce qui s’est passé ?
   - Il est entré et sans un mot lui a arraché sa coiffe et l’a laissée tête nue. Ce n’est rien, petite, dit Bemba à l’intention de Mitaou en lui caressant le dos. Ce n’est rien. Il n’a tué personne.
Riak, qui avait des envies de meurtre, prit la parole :
   - Ils cherchent les chevelures blanches… J’espère que les autres sont à l’abri.
   - Vous pouvez faire confiance à la grande prêtresse, Noble Hôte.
“ N’empêche, pensa Riak, si j’étais restée comme hier, il m’aurait trouvée”.
   - La barge est repartie. Je ne sais pas où nous devons aller, mais la présence du Treïbénalki est dangereuse pour nous. Elle attire l’attention. Nous ferions bien de partir.
    - Mais, Noble Hôte, seul le capitaine sait où il doit nous conduire.
    - Et bien, je vais aller lui demander !

dimanche 11 mars 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 42

   - Je n’ai jamais vu les bayagas aussi énervés.
Celui qui parlait était un petit homme courbé. Koubaye le trouvait très vieux. Il les avait accueillis sans poser de question. Il avait rajouté deux écuelles sur sa table et avait servi la soupe. Koubaye n’avait jamais rien mangé de pareil, Siemp non plus. Il en fit la remarque au vieil homme qui rigola doucement :
   - Ça ne m’étonne pas, mon jeune gars. Dans tes steppes, ça ne pousse pas ces trucs-là. Faut vivre dans ces forêts pour trouver cela.
Pendant qu’il parlait, Koubaye voyait des images de tubercules et de champignons. Il en ressentait même les odeurs.
   - Vous aimez la solitude, reprit Siemp.
   - Pas tant que ça, mon jeune gars, pas tant que ça. Mais y a des fois où vaut mieux rester discret.
Siemp n’osa pas lui poser de questions. Koubaye, en l’entendant parler, entrevit l’ombre des combats.
   - Vous parliez des bayagas, dit-il, vous les avez rencontrés ?
L’homme s’arrêta de manger. Son visage se figea comme s’il revoyait ce qu’il préférait ne pas voir.
   - Tu sais, petit… Il est des choses qu’on préfère pas en parler… et puis arrivent des gens comme toi, des qu’on n’attend pas, des entourés de lumière alors que déjà ça hurle de peur dehors…
Le vieil homme était là, la cuillère suspendue entre le bol et sa bouche, les yeux perdus dans des images terribles.
   - ... Oui, j’ai rencontré les bayagas et j’suis là. Les autres.... y sont morts. Les seigneurs nous avaient pourchassés toute la journée et z’avaient continué avec la nuit. On n’était qu’une poignée, y z’était une escouade. Des fous… c’étaient des fous. Les buveurs de sang qu’on les appelait. C’était l’élite de l’armée des seigneurs, des gars prêts à tout pour éliminer un ennemi, aucune peur, juste des machines à tuer. Ils ont...
Le vieil homme raconta toute la grande révolte. Une génération avant, la famine avait touché le pays. Le seigneur avait pillé les campagnes pour nourrir les leurs. C’est la faim qui avait déclenché la révolte. Des paysans s’étaient levés çà et là. Petit à petit, ils étaient devenus une armée. Ils s’appelaient les rebelles. Ils avaient remporté quelques beaux combats et, dans la région de Rusbag, avaient même réussi à chasser les seigneurs. Et puis étaient arrivés les buveurs de sang. Là, les choses sérieuses avaient vraiment commencé. La première confrontation avait tourné au désastre pour les rebelles. Ceux qui n’étaient pas morts étaient en fuite. Quant à ceux qu’ils avaient pris vivants, ils les avaient saignés comme des cochons et avaient bu leur sang encore chaud. Après, ils avaient massacré tout ce qui vivait dans la région. Bien qu’assiégée par les rebelles, Rusbag avait été épargnée car le seigneur qui y régnait, avait réussi à défendre sa ville. Autour régnaient les serviteurs de la mort.
   - On se prenait pour une armée et on n’était qu’un ramassis de traîne-misère. Les buveurs de sang nous pourchassaient sans relâche. Ça faisait trois jours et trois nuits qu’ils nous pistaient comme du gibier. Notre nombre diminuait à chaque rencontre. Les nuits étaient terribles. La peur des bayagas venait s’ajouter à celle des seigneurs. Pendant trois nuits, on n’a rien vu… Et puis la quatrième, alors qu’on était plus qu’une poignée, on a trouvé refuge dans ces bois. J’ai tout de suite senti que c’était une mauvaise idée, mais y z’étaient sur nos talons. On réussit à se cacher jusqu’à la nuit. Quand les buveurs de sang ont attaqué, les premières lueurs sont apparues. J’ai pris un coup d’épée dans la jambe. Je me suis écroulé par terre. Quand j’ai entendu le hurlement de victoire de mon adversaire, j’ai fermé les yeux.
Son cri est devenu terreur et je l’ai entendu fuir. J’ai ouvert les yeux. Autour de moi volaient les choses les plus horribles que j’ai vues. Je me suis glissé entre les racines d’un grand arbre en priant Thra et je suis resté là à sangloter comme un gamin.
Le vieil homme termina son geste en mettant la cuillère dans sa bouche. Il mangea ainsi quelques cuillerées sans rien dire puis il reprit la parole.
    - Quand je me suis réveillé, il faisait jour. Ma plaie avait cessé de saigner mais j’avais très mal. Je me suis traîné hors de mon refuge. Autour de moi, s’il y avait les cadavres de mes compagnons, y’avait aussi ceux des seigneurs. J’ai rampé jusqu’au ruisseau. L’eau m’a fait du bien. J’ai compris que je ne pouvais pas marcher et que j’allais devoir rester là. J’voulais pas crever, alors j’ai bouffé des glands et aménagé un coin entre les racines de l’arbre et tu vois, petit, j’y suis encore.
En disant cela, il désigna le tronc de l’arbre qui servait de pilier central à sa maison.
Quand arriva le matin, Siemp et Koubaye repartirent en marchant et en portant leurs échasses. Le vieil homme les avait prévenus. Ils ne devaient surtout pas s’arrêter avant la sortie du bois noir, tel était le nom que les habitants donnaient à cet endroit. La légende disait qu’il avait poussé sur les cadavres de la dernière grande bataille entre les troupes fidèles au roi Riou et les seigneurs. Siemp marchait d’un bon pas, regardant où il mettait les pieds. il était derrière Koubaye qui cherchait le chemin. Sorayib lui avait appris à pister. Parfois Koubaye s’arrêtait quelques instants pour se repérer et repartait très vite. Il voyait alors naître des lueurs en périphérie de son champ de vision. Il était persuadé que les bayagas vivaient dans ce sombre bois tout le temps. En milieu de matinée, ils atteignirent la route de Rusbag. Koubaye entendit Siemp soupirer de soulagement. Peu de temps après, à un carrefour, ils découvrirent un arbre aux branches bien étagées. Ils purent rechausser l’un et l’autre. C’est ainsi qu’ils atteignirent Rusbag en marchant comme des Oh’m’ens. La ville grouillait de soldats. Siemp demanda plusieurs fois son chemin en évitant autant que possible les patrouilles. Ils furent contrôlés plusieurs fois. Le chemin, pour atteindre la boutique où Siemp devait livrer, se révéla compliqué. Koubaye, qui regardait toute cette agitation du haut de ses échasses, vit au milieu de la ville, sur une petite colline, le donjon, masse sombre sur le ciel bleu. On leur posa plusieurs fois une question sur ceux qu’ils avaient croisés ce matin. Koubaye sentit leur agacement quand Siemp décrivait les piétons et les chariots qu’ils avaient croisés. Quand ils arrivèrent chez le marchand, il ne leur accorda que peu d’intérêt. Il se préparait pour aller au conseil de la ville. C’est son commis principal qui reçut Siemp et Koubaye. Lui fut plus prolixe. Rusbag était une ville de garnison faite sur le lieu même de la dernière bataille, entre les troupes restées fidèles au roi Riou malgré sa disparition, et l’armée des seigneurs. Elle avait une forte population de seigneurs qui n’étaient pas que des guerriers. Plusieurs familles de marchands avaient ouvert des succursales comme celles où ils se trouvaient. Le commis principal, tout en vérifiant ce que les Oh’m’en lui livraient, leur expliqua que la ville était en effervescence car le seigneur Bureg, baron de Rusbag, n’était pas rentré hier soir. La maison des Oh’m’ens était plus extérieure et ils durent faire demi-tour pour l’atteindre. Ils la trouvèrent adossée aux remparts. Comme toujours l’accueil fut chaleureux. Siemp échangea des nouvelles avec la mère de la maisonnée. C’est pendant le repas qu’ils apprirent qu’on avait retrouvé le cadavre du cheval lardé de coups d’épée. La tension était montée d’un cran et toute la garnison était partie à la chasse aux rebelles. Siemp jeta un coup d’œil vers Koubaye sans rien dire. Après le repas, il exposa à la mère de la maisonnée les raisons de son voyage. Il lui fallait son aide pour accomplir ce qu’il avait promis. Elle n’avait rien pour les villes plus à l’ouest. Elle avait bien des colis pour une ville sur la route de la capitale. Siemp grimaça. Il ne voulait pas s’en approcher. Déjà Rusbag avec sa foule de soldats ne lui plaisait pas.
    - Vous n’allez pas partir ce soir, dit la mère de la maisonnée.
Siemp tiqua. Il aurait préféré ne pas rester. Ils allaient perdre encore une demi-journée. Quand il l’expliqua à son interlocutrice, elle répliqua en lui parlant de la nervosité des soldats.
   - Soit il est mort et vous risquez d’être pris dans les représailles, soit il a rencontré les bayagas et là, je ne sais pas ce qui peut se passer. Les courriers vont partir dans toutes les directions pour prévenir. Bientôt toute la région va être sur le pied de guerre.
Siemp se rangea aux arguments de la mère de la maisonnée. La prudence était préférable. Elle avait à peine fini de parler qu’une patrouille pénétra dans la cour de la maisonnée. Le chef du détachement l’apostropha :
    - Tu as combien de grands-marcheurs disponibles ?
    - Un dizaine, seigneur.
  - Alors je les réquisitionne. Fais les venir immédiatement. Voici les plis. Je viendrai chercher les réponses demain. Ai-je ta parole ?
   - Vous avez ma parole, seigneur.
En disant cela la mère de la maisonnée entraînait tous les Oh’m’en dans la mission. La parole d’un Oh’m’en était sacrée. Les seigneurs le savaient comme tous les autres. Elle fit venir tous les grands-marcheurs présents et leur répartit les plis à porter aux différents villages autour de Rusbag. Elle donna à Siemp un pli pour Edol.
    - C’est vers l’est. Il vous faudra courir un peu, mais vous pourrez y être ce soir.
    - Et pour la réponse ? 
   - Là-bas, il y a Lerbo. Tu lui diras de ramener la réponse et tu continueras pour respecter ta parole. Partez tout de suite. Tiens voici le sauf-conduit.
Siemp mena un train d’enfer. Koubaye eut du mal à suivre. Comme Siemp portait la bannière des courriers seigneuriaux, ils ne furent pas arrêtés. Ils arrivèrent à Edol alors que le soleil se couchait. La mère de la maisonnée fit tout de suite porter le courrier par Lerbo au seigneur local.
Elle s’inquiéta de ne pas le voir revenir alors qu’on servait le repas. Les ragots colportaient le bruit que les seigneurs avaient déjà tué les porteurs de mauvaises nouvelles. Elle fut soulagée de le voir arriver avant le lever de l’étoile de Lex.
   - Mais pourquoi ce retard ?
  - Ils m’ont fait rester, mère, car ils voulaient que la réponse parte au lever du soleil. Je les ai entendus raconter que ce salaud de Bureg avait été retrouvé errant, l’épée à la main, couvert de blessures et divagant complétement.
   - L’oeuvre des bayagas ?
   - C’est ce qu’ils semblent croire. Mais ils ont peur de la révolte.
Tout le monde y alla de son commentaire sur la nouvelle. La joie était générale. Bureg avait mis en danger volontairement des centaines de voyageurs en les retardant. Jusque-là, il était toujours rentré à temps. Son cheval était rapide. Il se délectait le lendemain en voyant les tristes épaves qui sortaient du bois sombre.
Une remarque fit tendre l’oreille à Koubaye :
   - Remarque, disait un Oh’m’en à un autre. S’ils croient que c’est la faute aux bayagas, y’aura pas de représailles…
  - J’espère que tu dis vrai. Rappelle-toi ce que nous avait raconté le vieux Sayane. Ils avaient commencé à massacrer tout un village quand ils ont compris que la mort de leur soldat était accidentelle.
   - Ceux d’ici ne feront rien. Ils doivent envoyer des patrouilles pour éviter toute rébellion.
Koubaye dormit mal. À Tiemcen, il se sentait à l’origine de la catastrophe. Il espérait qu’ici, ses paroles de colère n’auraient pas de mauvaises conséquences.
Ils repartirent le lendemain allant toujours vers l’ouest. Lerbo était reparti vers Rusbag aux premières lueurs du jour. Siemp et Koubaye avaient pris son chargement et continuaient leur route. Ils avançaient dans une région de collines devenant basses. Après ils allaient traverser la grande plaine du centre. Si tout allait bien, ils passeraient au nord de la capitale pour traverser le fleuve. Koubaye avait bien compris que cela dépendait aussi de ce qu’ils pourraient avoir comme chargement. Les Oh’m’en étaient régulièrement surveillés. Siemp préférait aller un peu moins vite et éviter les grandes routes qui partaient vers la capitale. Les chemins qu’ils suivaient étaient moins bons. Il fallait faire plus attention où l’on mettait le bout de ses échasses. Il y avait les ornières et, au fond des vallons, la boue des ruisseaux qui couraient librement sur les chemins. Koubaye était heureux de ne pas avoir de pluie. Il avait failli tomber plusieurs fois en glissant. Il s’était même retrouvé une fois à terre. Heureusement le tapis d’herbes qu’il y avait près du cours d’eau l’avait amorti et il ne s’était pas fait mal. Tout penaud, il avait regardé Siemp. Être à terre voulait dire prendre du retard. Siemp, après s’être assuré qu’il n’était pas blessé, regarda autour de lui et lui dit :
   - Nous avons de la chance. Il y a une table de Oh’m’en !
Il traversa à son tour le ruisseau avec prudence et fit signe à Koubaye de le suivre. Ce dernier s’était relevé. Siemp avait raison. Ils avaient de la chance. Koubaye ne souffrait que dans son orgueil. Les échasses n’avaient rien. Il suivit Siemp qui se dirigeait de ses pas de géants vers l’autre versant. Koubaye trottina en portant ses échasses sur l’épaule. Siem s’était arrêté à côté d'un rocher plat en haut d’un talus. Koubaye comprit tout de suite l'intérêt de cette configuration. Il grimpa sur le talus et, depuis le rocher plat, put rechausser.
   - Tu vois ce signe sur le rocher, dit Siemp en montrant deux barres verticales gravées, colorées en blanc. On les voit de loin et elles signalent une table de Oh’m’en pour pouvoir rechausser quand on glisse...
Les collines s’abaissaient et l’horizon se dégageait. Le soir venu, ils s’arrêtèrent à Mrac, petite ville paysanne. Personne ne fit attention à eux. Les charrettes rentraient des champs et les gardes, assis sur les bornes de la porte de la ville, contrôlaient sans se lever. Siemp marqua un temps d’arrêt mais le soldat lui fit signe d’y aller. La mère de la maisonnée les accueillit avec simplicité. Comme à chaque étape, il y eut un long temps d’échange de nouvelles. Koubaye entendait des noms qu’il ne connaissait pas, mais qui enrichissait sa géographie intérieure. Il avait compris que le pays était vaste et il se le représentait en distance de grand-marcheur. Au nord, le pays des seigneurs et plus loin encore, la mer. Il n’en avait récupéré qu’une représentation floue. C’était grand, c’était liquide mais il n’arrivait pas à en avoir une image nette. Toujours au nord mais de l’autre côté du fleuve, les falaises et le saut de Cannfou fermaient la vallée où était le village et le rocher du roi Riou. Entre eux et la vallée, il y avait les montagnes et le col de Difna. Ils avaient parcouru le pays des collines et la grande  plaine. C’était la région la plus fertile et la plus peuplée du royaume. La capitale était au sud et pas très loin, trois jours de marche de grand-marcheur. Siemp ne voulait pas y aller. Il fallait aller vers l’ouest et traverser le fleuve et encore aller vers l’ouest jusqu’au mont des vents à travers la plaine puis les steppes et les régions arides où vivaient les Oh’m’en. Demain, ils verraient le fleuve et ils seraient à Sursu. Siemp discuta avec la mère de la maisonnée des dangers de la ville. Elle s'excusa de ne pas savoir. Elle était à Mrac depuis longtemps et ne bougeait jamais. Elle ne tenait qu’une toute petite maison car il y avait peu de trafic mais aujourd’hui Grafba était avec eux car on venait de lui remettre un colis pour Sursu. Elle appela dans la pièce commune un dénommé Werth.
   - Il vient de Sursu et va à Rusbag. Son savoir peut être utile.
Koubaye vit arriver une sorte de géant. Il pensa que cet Oh’m’en n’avait quasiment pas besoin d’échasse. Werth resta discuter une bonne partie de la soirée alors que Koubaye partait se coucher.
Alors que Koubaye était curieux et pressé de voir la grande ville, Siemp marchait sans accélérer. Koubaye le pensait fatigué. Il avait veillé tard et beaucoup parlé avec Werth de leurs steppes. Werth était un cousin de Siemp. Ils avaient bu à la nostalgie qu’ils avaient dans le cœur. La journée était belle et la route facile bien que peu fréquentée. Koubaye marchait souvent en tête, pour une fois. En arrivant en haut d’une colline, Siemp le vit s’arrêter. Quand il arriva à sa hauteur, il allait l’interroger quand il vit aussi le paysage. Dans la lumière du soir, devant eux, Sursu s’étalait.
   - Mais, il y a un lac, s’exclama Koubaye.
   - Oui, le plus grand du pays.
   - Tout cela est une seule ville ?
   - Oui.
   - Mais c’est…
 - Gigantesque ? Oui. Sursu est la deuxième ville du pays. La capitale est à trois jours de grand-marcheur en amont. Elle est plus grande, plus belle, mais elle n’a pas le lac qui fait la beauté de Sursu.
Après un moment de contemplation, ils descendirent vers la ville. Siemp apprit à Koubaye qu’une grande ville comme cela comptait plusieurs maisons de Oh’m’en. Plus ils se rapprochaient, plus les routes devenaient chargées. Les gens rentraient vers la protection que représentaient les remparts. Ils y pénétrèrent par la porte de l’est. Koubaye, qui n’avait jamais vu autant de gens en dehors de la grande fête, ouvrait de grands yeux en découvrant les rues, les places, les maisons trop hautes à son goût. L’avantage des échasses était de pouvoir surplomber la foule. Ils croisèrent d’autres grands-marcheurs. Siemp en profita pour demander sa route. Koubaye avait la tête qui tournait. Le bruit, les odeurs et toutes ces nouvelles choses qu’il découvrait lui saturaient l’esprit. Il se sentait envahi. Il s’appuya sur une maison.
   - Il n’a pas l’air bien, ton jeune, dit l’autre grand-marcheur à Siemp
Siemp se retourna et regarda Koubaye, appuyé sur une maison les yeux fermés.
   - Tu devrais t’arrêter à la maison de la mère Razol qui est à deux rues d’ici.
Ayant dit cela, le Oh’m’en partit continuer sa livraison. Sursu était si vaste qu’il était habituel de demander aux Oh’m’en de porter un colis d’un bout à l’autre de la ville. Siemp s’approcha de Koubaye et le prit par le bras pour aller à la maison Oh’m’en la plus proche. Ils y arrivèrent avec difficulté. Alors qu’ils étaient encore au bout de la rue qui menait à la maison, Koubaye s’effondra presque. Des grands-marcheurs arrivèrent en courant pour aider Siemp à porter Koubaye. Quand ils atteignirent la maison, Koubaye était inconscient.

lundi 5 mars 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 41

Riak voyageait comme une mère c’est-à-dire en litière. Le grand rassemblement se terminait avec le départ de la grande prêtresse. Les hommes présents se pressaient pour avoir l’honneur de porter sa litière. Six solides gaillards soulevaient les poutres et le voyage démarrait. Les mères âgées ou de haut rang voyageaient de même. À cause de sa chevelure, Riak se retrouvait dans la même situation. Elle partageait sa litière avec la novice. Loilex et Fannebuis occupaient une autre litière. Les rideaux étaient tirés et personne n’avait le droit de les soulever, surtout pas les porteurs. La longue procession durerait ainsi des jours. La grande prêtresse rentrait à la capitale. Riak savait qu’à un moment choisi, elle quitterait le convoi pour se diriger vers le sanctuaire de Nairav. La novice, qui s’appelait Inali, était tout excitée par le voyage. Elle n’arrêtait pas de chuchoter pour raconter à Riak ce qu’elle connaissait, elle qui avait grandi dans ce pays. Inali avait montré à Riak LE trou dans le rideau qui permettait de voir à l’extérieur. Elles y regardaient chacune leur tour. Riak ne s’y interessait pas plus que cela. Elle était dans la crainte de l’inconnu. Elle fut quand même heureuse de voir sa grande-mère et Pramib faire des grands signes d’au-revoir. Les larmes lui piquèrent les yeux. Elle laissa Inali regarder tout son saoul. Riak préférait qu’elle ne voie pas son émotion. La journée fut longue, monotone et fatigante. Les porteurs se relayaient régulièrement. Riak apprit de sa compagne que le portage durerait jusqu’au saut de la Cann. Après elles seraient en chariot. Cela permettait d’aller plus vite et plus confortablement.
Quand le premier soir arriva, elles campèrent dans les granges du village. Seule la grande prêtresse et ses adjointes dormirent dans la maison du chef du village.
Au milieu de la nuit, Riak, qui était avec les novices, se réveilla. Il lui fallait s’isoler. Prétextant le besoin d’aller se soulager, elle se glissa au fond de la bâtisse. Elle trouva un espace libre. Elle put alors se laisser aller. Toute une journée avec Inali puis avec les novices l’avait épuisée nerveusement. Elle pensa à Koubaye et à leur solitude dans la montagne. En pensées, elle repassa sa journée et ses tensions. Comme toujours quand elle faisait cela, elle sentit la présence de Koubaye. Elle se détendit et le sommeil la prit. Personne ne vit la lueur du médaillon qu’elle portait à son cou, comme personne ne la vit, les yeux fermés, enchaîner les mouvements et les arabesques. On aurait pu prendre cela pour une danse.
Au petit matin, Riak fut étonnée de se réveiller là où elle était. La mémoire lui revint et elle se dépêcha de retourner avec les autres. Personne ne fit de remarque. Seule Koulfa, la gardienne, la suivit des yeux.
Le deuxième jour du voyage ressembla au premier. Riak aurait voulu courir, explorer bois et collines. Au lieu de cela, elle était pliée dans un réduit à écouter les chuchotements de Inali.
Le troisième jour, elle se sentit désespérer. Si cela continuait comme cela, elle allait devenir folle, ou neurasthénique. Au milieu du jour, le convoi croisa le chemin d’un groupe de seigneurs. Ce fut l’émoi dans les litières. Comme lui avait expliqué Inali, le temple était à la fois fort et faible, fort de son soutien populaire mais faible car les seigneurs ne les aimaient pas.
   - C’est à cause des légendes…
Riak lui prêta une oreille attentive.
   - Nous avons nos légendes mais ils ont les leurs. C’est Fannebuis qui un jour nous a enseigné. Tu connais la prophétie qui annonce le retour de la Dame Blanche pour un temps de paix et de prospérité. Chez eux, ils ont aussi une dame blanche, mais elle vient des enfers pour juger et punir. C’est pour cela que toutes celles qui ont les cheveux blancs, pas les vieilles bien sûr, mais toutes celles comme toi et moi sont pourchassées. En fait ils ont peur de nous… Enfin pas vraiment, ils ont peur que l’une de nous soit l’avatar de leur dame blanche des enfers.
Tout en racontant cela, elle regardait régulièrement par le trou dans le rideau. Les seigneurs regardaient passer le convoi. Leurs chevaux piaffaient et leurs mines étaient à faire peur.
   - On raconte, continua Inali, que dans l’est, ils ont ainsi fouillé les chariots d’un de nos convois. Heureusement, il n’y avait que des novices banales, enfin avec des cheveux normaux, enfin tu me comprends. Tu crois qu’ils vont essayer de fouiller les litières.
Riak regarda à son tour par le trou. Elle vit le groupe de seigneurs. Ils étaient solidement armés.
   - Je crois que nous ne risquons rien. Ils ne sont que cinq et nos porteurs sont prêts à en découdre s’ils veulent intervenir.
À ce moment-là commença le chant des hommes. Il était en langue ancienne, heureusement incompréhensible pour les seigneurs. Il parlait de vengeance et de massacres, de haine et de victoire. Inali qui avait repris son observation, s’écria :
   - Ils s’en vont…
Riak se précipita à son tour pour voir. Elle ne vit pas grand-chose mais entendit le galop des chevaux s’éloigner vers l’amont de la vallée. Dans ses veines la colère bouillait. Elle ne savait pas dire si c’était la peur ou sa haine qui lui donnait cette impression. Sans la parole qu’elle avait donnée à la grande prêtresse, elle serait peut-être allée se battre.
Le reste du jour fut aussi monotone que la veille. Pourtant cette banale rencontre alimenta les conversations des novices toute la soirée.
Le quatrième jour fut pour Riak le plus dur. Elle n’avait rien à faire et souffrait de crampes et de courbatures dans cet espace restreint qu’elle partageait avec Inali. Celle-ci ne semblait pas en meilleur forme. Elle la vit se recroqueviller dans un coin et se laisser aller au bercement des porteurs. Riak en fut jalouse. Jamais, elle ne put dormir. Son corps réclamait du mouvement.
Le soir venu, elle faillit pleurer en apprenant qu’il lui restait encore un jour de voyage. Il était trop tard pour faire la descente. Elles dormirent en haut de la cascade. La mère des novices, comme chaque soir, leur donna les consignes pour le lendemain. Descendre le long de la cascade était malaisé pour les piétons. Elle s’approcha d’Inali et de Riak :
   - Il faudra vous couvrir. Je viendrai vérifier que vous ne risquez rien.
Riak faillit répondre vertement. Quand elle vit Inali faire une révérence en remerciant la mère des novices pour sa sollicitude, elle préféra se taire. À voir le regard noir que lui lança la mère des novices, elle comprit que même son silence était interprété comme une insoumission.
Cette nuit-là, Riak dormit mal. L’espace qu’on leur avait donné était trop petit. Elle ne put trouver de coin pour s’isoler.
Quand le jour se leva, elle était de mauvaise humeur. Elle avait les membres raides et les muscles endoloris. C’est alors que la porte de la grange s’ouvrit brutalement. Un groupe de seigneurs entra. À voir leur démarche et leurs propos, ils avaient passé la nuit à boire et, complètement saouls, ils venaient s’occuper des novices comme ils disaient. Des gardiennes bicolores surgirent de partout et s’interposèrent entre eux et les novices. Le plus grand et celui qui tenait le mieux sur ses jambes dégaina son épée avec la ferme intention de se frayer un passage jusqu’aux jeunes filles :
   - DÉGAGEZ, brailla-t-il ou je vous embroche.
Dehors, des hommes commencèrent à se regrouper. Riak sentit la situation devenir explosive, d’autant plus que l’homme et ses compagnons, l’épée dans une main, un flacon dans l’autre, commencèrent à avancer. Les bicolores armées de bâtons se mirent en garde. Riak pensa que si la bataille s’engageait, elle allait avoir de l’exercice. Son pendentif se fit plus lourd.
Le premier homme se rua en avant mais ne fit qu’un pas. Un fouet avait claqué, lui entourant la cheville et le mettant à terre. Tous les regards se tournèrent vers ce nouvel arrivant. À son allure et à sa vêture, on comprit qu’on avait à faire à un chef. D’un deuxième coup de fouet, il fit sauter le flacon de la main de l’homme à terre. Sa voix claqua comme son fouet :
   - Rangez vos armes !
Les hommes, qui étaient prêts à se battre quelques instants plus tôt, prirent des airs de gamins fautifs aidés par les ordres et le fouet de leur chef. Sur ses entrefaites, la grande prêtresse arriva.
   - Qu’est-ce à dire ? demanda-t-elle à l’homme au fouet.
   - Rien de grave, Altesse, répondit l’homme. Quelques ivrognes qui veulent se rendre intéressants.
Il se tourna vers les soldats qui quittaient la grange :
   - Allez au camp et n’en bougez pas !
Il accompagna ses ordres de quelques coups de fouet bien placés qui les firent accélérer. Il se tourna alors vers la grande prêtresse :
   - Baron Kaja Sink, dit-il en saluant. Mes hommes seront punis. Je ne tolère pas ces conduites.
   - Que faites-vous ici, Baron ? Vous êtes loin de vos terres.
   - Vous avez raison, Altesse. J’avais l’ordre de patrouiller dans la région le temps de votre grand rassemblement. Vous savez comme notre roi tient à la paix.
Ayant dit cela, il salua et repartit vers son campement.
Inali glissa à l’oreille de Riak :
   - Je te parie qu’il l’a fait exprès pour humilier la grande prêtresse… Tu as vu comme il l’a traitée…
Riak l’avait trouvé plutôt bienveillant.
   - Et puis, il ne punira jamais ses hommes.
Riak n’écoutait plus Inali qui continuait à babiller dans son coin. Elle avait croisé le regard du baron. Il l’avait vu tête nue et n’avait rien dit.
On les réveilla tôt le matin. La mère des novices arriva et se mit à houspiller tout le monde. Elle se dirigea vers Inali et Riak :
   - Aujourd’hui, vous allez marcher. Seules la grande prêtresse et les mères âgées auront une monture. Je dis cela pour toi, Riak. Inali connaît les règles.
Elle fit signe à une servante qui arriva avec des vêtements.
   - Mettez ça. Vous marcherez en dixième position et vingtième position.
Ayant dit cela, elle les quitta pour aller donner ses ordres à d’autres groupes.
Riak, qui était heureuse de marcher enfin, fit grise mine en voyant le vêtement qu’on leur avait fourni. C’était un grand manteau de toile grossière descendant sous le genou avec une capuche tellement profonde qu’une fois mise sur sa tête, elle n’avait plus qu’une vision réduite du monde. Elle la mit en essayant de se dégager les yeux le plus possible. Quand elle la vit, la mère des novices s’écria :
   - Non ! Non ! Non ! Regarde Inali, elle, elle l’a bien mise !
Elle lui retira sa capuche, râla après ses cheveux blancs qui dépassaient de la coiffe. À l’aide d’épingles, elle empaqueta les cheveux de Riak en un chignon recouvert de tissu. Puis elle lui rabattit la capuche en serrant les cordons ce qui ne lui laissa voir qu’une distance de trois pas devant ses pieds.
   - Et garde la tête baissée quand tu marches.
Puis s’adressant aux autres, elle éleva la voix :
   - Je ne veux pas en voir une relever la tête dans la descente. La discrétion est une des vertus de notre ordre !
Elle-même mit sa capuche et prit la tête de la colonne des novices. Toutes les vingt novices se tenait une gardienne. N’étant pas destinée au culte, elles étaient en tenue habituelle, noire et blanche. Plus grande que les novices, et armée d’un long roseau, elle avait pour mission de surveiller qu’aucune novice ne déroge à la règle. C’est ainsi qu’elles se dirigèrent vers le chemin de Cannfou.
Avant qu’elles n’entament la descente, elles entendirent des bruits de fouet. Malgré les ordres, Riak regarda. Six hommes étaient attachés entre les arbres, torse nu. Ils recevaient des coups de fouet. Non loin, sur sa monture, le baron Kaja Sink regardait. Il ne tourna pas la tête.
Équipée comme elle l’était, la descente ne fut pas une partie de plaisir. À chaque difficulté, des hommes étaient là pour les aider. Plus bas dans la pente, sur le chemin muletier, elle vit les mules qui transportaient celles qui ne pouvaient pas marcher.
Cela prit une bonne partie de la journée et si la grande prêtresse dormit au temple de Cannfou, les novices, les servantes et les gardiennes dormirent dans les granges autour.
Le lendemain matin, des chariots les attendaient. Les servantes se tenaient sur les bancs et les gardiennes sur les marchepieds. On les fit monter par dix dans chaque chariot qui démarrait dès qu’il était chargé. Riak se retrouva avec Inali et avec neuf autres novices. Riak ne se sentait pas à l’aise. Elle était en surnombre. Tous les regards étaient tournés vers elle pendant que le chariot cahotait sur le chemin en direction des gorges de Tianpolang. Ils allaient ainsi suivre le cours du fleuve. Sur le banc de conduite deux servantes, sur le marchepied deux gardiennes. Les boeufs tiraient régulièrement quel que soit le profil du chemin.
   - Je suis Pokina, la chef de dizaine. Tu connais Inali, voici Dipno, Adna, Galbu, Manchu, Goster, Galan, Dalanja, Airague.
Chacune des novices, à l’énoncé de son nom, s’était levée à moitié malgré les cahots, en esquissant une espèce de révérence.
   - Moi, c’est Riak.
   - C’est vrai que tu vas être novice avec nous ? demanda Adna. 
   - La grande prêtresse n’a pas encore décidé, répondit Riak qui voulait rester fidèle à sa promesse de ne rien dire.
Elle avait compris que la grande prêtresse préférait le secret. C’était pour elle un gage de sécurité. Elle l’avait prévenue que son transfert vers le sanctuaire de Nairav se ferait mais ne lui avait dit ni où, ni quand. Elle avait fait courir le bruit que Riak allait peut-être faire son noviciat.
   - Notre mère à tous cultive le secret, sans parler de Keylake. Heureusement qu’elle ne deviendra pas la prochaine grande prêtresse, intervint Galbu
   - C’est Loilex qui a toutes ses chances. Fannebuis est trop limitée, dit Dalanja.
  - Je te trouve injuste avec elle. Elle a la plus belle des voix et si elle est discrète, c’est pour mieux préparer son avenir, dit Dipno.
   - À moins qu’Inali ne les coiffe au poteau, dit une autre dont Riak n’avait pas retenu le nom.
 À partir de là, la discussion devint générale et cacophonique. Chacune y allait de ses supputations. Elles estimaient les chances de l’une ou de l’autre, tout en calculant l’âge de la grande prêtresse pour savoir quand elle passerait le pouvoir.
Riak en apprit beaucoup. Si elles étaient quatre à avoir les cheveux blancs dans ce convoi, il existait d’autres nonnes ayant le même attribut. En tout, il y avait une quinzaine de prétendantes possibles au trône dont Gochan, bien qu’Airague soutînt qu’elle avait des mèches plus grises que blanches.
Le soir venu, elles couchèrent à Clébiande dite la porte de Tianpolang. Les seigneurs avaient considérablement renforcé ses défenses. Sur le promontoire qui bordait le fleuve, il y avait la citadelle. Sur chaque versant, il y avait un fort. Le passage était impossible sans être vu et sans autorisation. Le chariot fut contrôlé avant de passer les remparts. À l’intérieur, toutes les novices avaient mis voile et capuches. Le garde les regarda à peine et laissa passer le chariot. C’était déjà le douzième de la journée.
Le lendemain, le vent soufflait. Les toiles du chariot claquaient comme des voiles, rendant toute discussion impossible. Vers midi, la pluie se mit de la partie. Une pluie fine et pénétrante. Comme dit une des novices :
   - Je préfère être là que sur le banc dehors...
Petit à petit, les gorges s’évasaient et le vent diminuait. La pluie cessa dans l’après-midi laissant un chemin boueux. Elles firent halte dans un village. Elles n’avaient pas réussi à rejoindre la ville de Riega.
Derrière elles, d’autres chariots firent de même. Riak découvrait que les déplacements étaient contraints par la nuit. Il fallait avoir trouvé un abri avant que l’étoile de Lex ne brille. Rares étaient ceux qui osaient braver les bayagas. Il fallait connaître les rites. Des noms s’échangeaient plus ou moins secrètement pour ceux qui ne pouvaient attendre. Ceux qui avaient ce savoir se faisaient payer cher.
Au troisième jour, elles arrivèrent à Riega vers le milieu du jour. À leur arrivée au temple, elles reçurent l’ordre de rester sur place. Les autres chariots après un bref passage repartaient vers la capitale. Sur tout le convoi, cinq chariots s'arrêtèrent à Riega. Si pour certains, on le savait, les nonnes transportées étaient de Riega, pour d’autres, c’était étonnant. Riak apprit la présence de Loilex et de Fannebuis en entendant les servantes se plaindre du caractère d’une des mères arrivées aujourd’hui.
Quand elle se retrouva seule dans une chambre, elle se mit à réfléchir à ce que voulait dire cet arrêt. Peut-être que la route de Nairav partait de Riega. Mais alors pourquoi se retrouvait-elle avec les autres cheveux blancs ?
Elle n'alla pas plus loin dans ses réflexions. Elle vit arriver Mitaou, suivie peu après de Bemba. Leurs chariots avaient subi le même sort que le sien. La mère intendante de Riega leur avait donné l'ordre de rejoindre Riak. Ce fut pour elle un plaisir de prendre un bain et de se reposer.
La convocation tomba après l'office du soir. Riak fut conduite chez la mère supérieure. Elle allait enfin savoir. Elle fut étonnée de trouver dans l'antichambre Fannebuis, Loilex et Inali. À peine Riak fut-elle arrivée qu’on les introduisit.
La mère supérieure était jeune. Elle stoppa toute tentative de révérence. Elle commença immédiatement à parler :
   - Je vous transmets les ordres impératifs de la grande prêtresse. Aucune contestation ni aucun changement n'aura lieu. Ce sont ses propos paroles.
Si Fannebuis fit un sourire en s'inclinant légèrement, Loilex commença une phrase que la mère supérieure coupa immédiatement :
   - Que les justes gestes soient faits !
Loilex prit un air buté mais répondit d’une voix soumise :  
   - Cela sera fait.
   - Mère Fannebuis, vous partez demain matin à la première heure pour Latrys pour y seconder la mère supérieure. Mère Loilex, demain après l’office, vous partez pour Solve pour un temps de retraite et de méditation. Novice Inali vous partez dès le milieu de journée pour le temple de Urku pour y poursuivre votre noviciat. Quant à Riak, elle sera notre hôte pour un temps. Que les justes gestes soient faits.
Alors que les autres commençaient à partir, Riak dit :
   - Oh ! Oh ! Oh ! Ça va pas ça ! Il faut qu’on m’explique !
La mère supérieure eut un sourire las :
   - La grande prêtresse m’avait prévenue que vous réagiriez comme cela ! Sachez que lors de l’intervention des seigneurs dans la grange, ils vous ont vus tête nue. Leur chef va prévenir la capitale. Votre vie est en danger. Maintenant allez !