dimanche 18 mars 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 43

Riak fut étonnée de voir Bemba entrer dans sa chambre à l’heure de l’office de la salutation au roi. Celle-ci s’inclina et dit :
   - J’ai reçu ordre de vous demander de venir vous chercher.
Riak acquiesça et, au moment de sortir, vit que Bemba rassemblait les quelques affaires qu’elle avait. Bemba la fit descendre dans la cour principale mais immédiatement se dirigea vers l’arrière d’un bâtiment. Là, un chariot attendait. On la fit monter. À l’intérieur, elle trouva Mitaou qui lui tendit une grande cape à capuche et une coiffe.
   - Où va-t-on ?
  - Je ne sais pas, Noble Hôte. Le bouvier est muet ou sourd, ou les deux car il ne répond pas aux questions.
Bemba fut la dernière à monter. Puis le bouvier chargea des caisses qui occupèrent tout l’arrière du chariot au point qu’on ne les voyait pas.
Ils empruntèrent une porte latérale et le chariot cahota sur les mauvais chemins. Riak n’aima pas voyager ainsi sans rien voir. Les grands espaces lui manquaient. Les trois femmes se taisaient. Mitaou avait son âge. Pour Bemba, sa peau sombre et fine rendait plus difficile la détermination. Riak la pensait jeune. Elle avait un corps massif et même si elle ne faisait plus partie des gardes bicolores, elle avait une puissante musculature.
Le chariot s’arrêta brusquement. Autour d’eux on entendait beaucoup d’agitation et de cris. Riak se pensa arriver à une des portes de Riega. Elles sentirent les manoeuvres du chariot et il se mit à reculer. Mitaou prit un air interrogatif et Bemba haussa les épaules en signe d’ignorance. Le chariot s’immobilisa enfin. Les trois femmes attendirent et sursautèrent quand quelqu’un commença à décharger les colis qui occupaient l’arrière de leur véhicule. Riak porta la main à sa dague jusqu’à ce que la tête du bouvier apparaisse. Il leur fit signe de venir. Quand Riak se leva, Il lui fit signe d’attendre et tendit la main vers Mitaou. Il l’aida à descendre et lui montra quelque chose et, par gestes, sembla lui expliquer la marche à suivre. Mitaou se retourna et dit :
   - Il y a un bateau et il faut que l’on monte dessus. 
Bemba intervint :
   - Mettez bien vos capuches. On ne doit pas vous voir.
Riak rangea sa dague et fit descendre sa capuche le plus bas possible. Elles descendirent toutes du chariot pendant que le bouvier rechargeait son chariot. Le bateau était tout prêt. Un homme les aida à sauter sur le pont et leur désigna un abri à l’arrière de la barge. Les trois femmes s’y réfugièrent. On était dans une pièce aussi grande qu’une cellule de temple avec trois couchettes. Dans un coin il y avait un petit passage atteignant un lieu d’aisance.
    - On va rester là combien de temps ? demanda Mitaou.
    - Le temps du voyage… répondit Bemba.
Bientôt les ordres fusèrent dehors et le bateau remua sous les efforts des bateliers. Riak entendit claquer des toiles. S’approchant de la seule fenêtre, fermée par un rideau, elle jeta un coup d’oeil dehors. Sur l’unique mât aussi grand qu’un des sapins de ses montagnes, les marins venaient de lancer une voile qui prenait le vent en se gonflant. Sous l’effort toutes les membrures craquèrent. Ce fut pour elle un moment terrifiant. Elle n’avait jamais navigué et se savoir ainsi à la merci de l’eau lui fit connaître un moment de panique. Bemba arriva derrière elle et écarta le rideau. En faisant cela, elle cacha les deux jeunes filles.
   - Et bien, nous voilà avec les Treïbens.
   - Les quoi ? demanda Riak.
   - Les Treïbens ! C’est une peuplade du lac de Sursu. Ils font le transport sur le fleuve.
   - Sur le fleuve ?
   - Ah ! C’est vrai que tu ne connais rien au pays, fit remarquer Mitaou. Le grand fleuve sur lequel on est, c’est le Prarove. Il vient du mont des vents et finit à la mer dans le pays des seigneurs. Après Riega, les rapides sont si dangereux qu’on décharge tout pour traverser les gorges et puis d’autres bateliers prennent la suite plus bas
   - Et Nairav est près du mont des vents ?
   - Je ne sais pas… répondit Mitaou
   - Personne ne sait vraiment où est Nairav. Seuls ceux qui sont en chemin le découvrent, dit le proverbe.
   - Mais comment va-t-on savoir ?
   - J’irai interroger les bateliers, Noble Hôte, dit Bemba. Pour votre sécurité, il faut que vous restiez ici. Tels sont les ordres que m’a donnés la mère intendante.
La nouvelle contraria Riak. Elle allait encore être enfermée pour des jours dans un espace réduit à ne pouvoir courir.
Lentement la lourde barge se mit en mouvement. Les marins de part et d’autre avec de longues perches aidaient au mouvement. Au milieu du fleuve d’autres barges descendaient en suivant le courant. Bemba referma le rideau, enfermant les deux jeunes filles entre les quatre murs de la pièce.
Débarrassées de leurs grandes capes, les deux jeunes filles tournèrent en rond dans la pièce toute la matinée. Au milieu du jour, Bemba sortit pour aller chercher de quoi manger. Elle revint, portant des bols d’une soupe épaisse. Riak renifla l’odeur étrange et fit la moue.
   - Vous pouvez manger, Noble Hôte, c’est une soupe de poissons. Les Treïbens sont très doués pour la pêche. Le vert ce sont des pousses de roseaux du lac.
Riak goûta avec suspicion. Bemba avait raison. Si l’odeur en était étrange, le goût en était très doux, très agréable. Elle mangea avec plaisir. Mitaou, une fois le bol avalé, demanda si elles ne pourraient pas aller à l’extérieur prendre l’air.
   - Vous n’y pensez pas. Il n’y a que des hommes.
Mitaou et Riak furent déçues. La journée s’étira en longueur. Elles s’ennuyaient. Quand le soir tomba, Riak avait des fourmillements dans tout le corps. Après la soupe du soir, pendant que Bemba était partie reporter les bols, elle regarda par la fenêtre. La nuit était noire. La barge était ancrée non loin de la berge et les marins faisaient du feu sur un petit banc de sable. Tout semblait désert. Elle serra sa coiffe et sortit. Mitaou poussa un petit cri vite étouffé. Le pont était couvert de marchandises en tas plus ou moins réguliers. Riak se glissa de l’un à l’autre comme lui avait appris Koubaye. Elle ressentit le goût des plaisirs interdits. Alors qu’elle revenait vers la cabine, elle vit un homme se glisser vers la porte. Elle crut reconnaître un des marins. Alors qu’il tentait d’ouvrir, Bemba arriva telle une furie. Elle attrapa un bâton qui traînait par là et lui administra une correction qui mit les autres en alerte. Bientôt tout le pont arrière fut couvert par l’équipage. Riak avait trouvé refuge derrière un tas de bois sur l’avant.
Le chef du groupe qui tenait lieu de capitaine s’avança vers Bemba :
   - Tu as bien fait, lui dit-il. J’avais donné ma parole et il nous déshonore.
Se tournant vers les autres Treïbens, il ajouta :
   - Qu’on le jette à terre !
Riak entendit le cri terrifié de l’homme. C’était bientôt l’heure de l’étoile de Lex. Ses protestations et ses cris n’arrêtèrent pas le mouvement. Il fut lié rapidement et abandonné sur la berge. Riak profita du mouvement pour rejoindre l’arrière du bateau. Elle était rentrée avant que Bemba ne revienne. Cette dernière était descendue avec tous les hommes pour s’assurer que le fautif était bien loin des jeunes filles. Mitaou tremblait et pleurait de peur à son retour. Bemba essaya de la rassurer. À travers ses explications hoquetantes, Bemba comprit que Riak était sortie. Elle la regarda avec des yeux de reproche mais Riak lui lança un regard de défi. Bemba baissa les yeux la première. Elle n’était qu’une servante et Riak était un hôte du temple. L’étoile de Lex monta à l’horizon. Le marin abandonné criait et gémissait sur la berge. Les autres avaient monté des cloisons et s’étaient mis à l’abri.
Dans la chambre, tout le monde s’était couché. Riak s’endormit difficilement, se demandant si les bayagas viendraient ou pas cette nuit. Le chef avait expliqué à Bemba le châtiment. En cas de manquement grave, le marin était abandonné, attaché sur la berge. Si le lendemain, il était encore vivant et conscient, on le reprenait à bord. Sinon…
La nuit était noire et sans lune. Riak ouvrit les yeux. Elle pensa à Koubaye, aux bayagas. Dans un état second, elle se leva. Simplement vêtue d’une tunique sombre, elle sortit sur le pont. Elle fut bientôt sur le banc de sable, exécutant une danse aux gestes guerriers. Sur la berge, non loin, gémissait le marin. Une lueur apparut, petite flamme bleue qui vibrait. Une seconde sembla prendre naissance sur la berge dans des teintes rouges. Le marin gémit plus fort. Rapidement une sarabande de feux follets dansaient sur la berge et sur le sable, entourant les deux humains qui y étaient. Riak ne semblait rien voir. Son pendentif brillait d’une lueur rougeoyante. Les formes s’affirmèrent prenant des allures humaines difformes et terrifiantes. L’une d’elle s’était penchée sur le marin sur le sable qui ne faisait que gémir. D’autres s’approchèrent de Riak. L’une d’entre elles dégaina une épée fantomatique, Riak lui fit face, pointa vers elle sa dague. Tous les bayagas s’agitèrent brusquement devant ce geste. Délaissant le marin, l’ombre lumineuse d’un géant sauta sur le banc de sable faisant face à Riak. Dans ce qui lui tenait lieu de main, un cimeterre brillait d’une lueur malsaine. D’un moulinet, il se rua vers Riak qui feinta pour l’éviter. Sa coiffe s’envola dégageant sa blanche chevelure. Riak planta sa dague dans le flanc de son agresseur. Il y eut une explosion d'étincelles. Riak en fut entourée. Ses cheveux brillaient comme des rayons de lune. Il y eut un grand gémissement et toutes les autres lueurs disparurent comme aspirées par sa lumière. Puis la nuit reprit ses droits.
Au petit matin, les marins qui se levaient, allèrent sur la berge. Leur compagnon était vivant. Il leur tint un discours étrange qu’ils lui firent répéter devant leur chef :
   - Je l’ai vu. Je le jure par Bénalki, la déesse de l’eau, j’ai vu la dame blanche. Les bayagas étaient déjà là et elle est apparue survolant l’eau et les chassant. Sa chevelure était plus blanche que la blanche lune. Elle est venue pour que je sois à son service.
Bemba rapporta la nouvelle un peu plus tard dans la chambre. Le Treïben, qui se nommait Jirzérou, se mettait à leur service car elles étaient les servantes de la dame blanche. Celui-là même qui avait essayé d’entrer dans la pièce réservée jurait sur Bénalki de les servir jusqu’à la mort.
   - Mais on ne peut pas le croire, dit Mitaou. Il a essayé d’entrer… il va recommencer. 
   - Le chef des Treïbens m’assure que non. Il a survécu à l’épreuve et il est devenu presque sacré, c’était un Treïbénalki, un homme de la déesse. Personne ne le touchera, personne ne le prendra à son service et aucune femme ne voudra de lui.
   - Il a vu les bayagas, ajouta Riak. Qu’a-t-il vu d’autre ? Je le sens maintenant différent. Qu’on le garde.
Mitaou et Bemba s’inclinèrent. Riak était une hôte du temple.
Jirzérou prit ses quartiers à côté de la porte. Pour les autres marins, il n’était plus de leur monde. Il avait parlé de la dame blanche, avatar de la déesse. Il était à la fois objet d’envie et de peur. Il était maintenant surtout objet de crainte. Jirzérou se rasa les cheveux et la barbe et peignit son corps en blanc. Une fois cela fait, il monta sur le toit de la cabine et, assis, se mit à psalmodier. Rapidement des cris montèrent de chaque bateau qu’ils croisaient. Plus rapide que l’air, le cri sauta de bateau en bateau vers l’aval ou vers l’amont et avant que ne soit arrivée la nuit, tout le pleuple des Treïben sut qu’il y avait un Treïbénalki.
Quand vint le soir, Jirzérou ne quitta pas le toit. Le sort des Treïbénalki était de devenir la proie des bayagas. Ils passaient toutes les nuits dehors. Les plus chanceux avaient ainsi survécu toute une lunaison. Les moins chanceux n’avaient pas résisté à la deuxième nuit. Le capitaine avait expliqué cela à Bemba qui l’avait rapporté aux deux jeunes filles.
La barge s’était rapprochée de la berge à nouveau pour passer la nuit. Les marins avaient remonté leur abri de bois à l’avant de l’embarcation. Quand l’étoile de Lex apparut, il n’y avait que Jirzérou qui attendait stoïquement son sort. Sous ses pieds, dans la cabine, le médaillon de Riak se fit plus lourd. Riak ouvrit les yeux. Elle se leva. Elle écouta un instant le bruit régulier des respirations de ses voisines. Elle ouvrit la porte et se retrouva dehors dans la fraicheur de la nuit. Elle avança doucement sur le pont. Elle leva la tête et vit Jirzérou qui regardait vers la berge opposée. Les lueurs tremblotantes des bayagas couraient dans les herbes. Elle sortit sa dague et retira sa coiffe. Toutes les formes lumineuses se figèrent. Riak, dague pointée vers le ciel, entonna le chant de princesse. Ce fut comme un signal. Ce fut comme si un flot de lumières multicolores se précipitait vers elle. Jirzérou regardait cela comme tétanisé. Quand la barge fut entourée de toutes ces lueurs qui dansaient à l’unisson de la chanson, Riak d’un bond sauta sur le toit de la cabine. Jirzérou se mit à trembler alors que les fantomatiques lueurs se rapprochaient. Il en devinait maintenant les contours horribles et les armes dentelées. Riak dit :
   - Tu es mien serviteur. Ton signe sera ce cheveu que je te donne.
Elle prit un de ses cheveux et le coupa avec sa dague. Jirzérou le reçut comme on reçoit un trésor. Autour de son cou pendait un sac-amulette. Il le prit et le vida par terre. Il y glissa le cheveu.
Le temps qu’il fasse cela, Riak avait disparu. Il était là, seul sur le toit, entouré de bayagas qui s’éloignaient. Jirzérou pleura. L’avatar de la déesse était revenu lui donner sa confiance. C’est là que les autres marins le découvrirent le lendemain, le corps couvert de peinture blanche que les larmes avaient fait couler, endormi mais vivant. Quand il fut réveillé, il répondit à toutes les questions :
   - Je suis le serviteur de la dame blanche.
Les Treïbens utilisaient une langue cri pour parler d’un bateau à l’autre. L’information circula que le Treïbénalki avait passé la deuxième nuit, qu’il avait à nouveau rencontré les bayagas et la dame blanche et qu’il en était devenu le serviteur.
Ce troisième jour de navigation, Riak regarda par la fenêtre toute la journée. Enfin, elle passa l’œil collé aux trous de l’épais rideau qui occultait la fenêtre. Sur d’autres barques et d’autres barges, elle vit des femmes. Elle demanda à Bemba de se renseigner. L’information lui revint avec la soupe du midi. C’étaient les femmes du peuple des Treïbens. Si la plupart restait dans les villages flottants avec les enfants, il était fréquent que d’autres accompagnent leur compagnon dans son périple. Riak dit à Bemba de lui trouver des habits comme elles en portaient. Si Mitaou trouva cela contraire à l’éthique du temple, Bemba répliqua que Riak n’était pas une novice mais une hôte et qu’elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait.
En fin d’après-midi, Riak put enfin sortir de la chambre-cabine. Elle portait le pantalon de grosse toile. La tunique, qui lui descendait à mi-cuisse, cachait ses bras jusqu’au poignet. Elle portait le masque traditionnel sur la cagoule et le chapeau à larges bords pour la protéger du soleil. C’était le luxe des femmes Treïbens, avoir la peau la plus claire possible. Sa panoplie était complétée par des gants et des sortes de bottes souples. Même Mitaou avait reconnu qu’à part les yeux, les étrangers ne la verraient pas. L’équipage l’accueillit avec des cris de satisfaction. Pour eux, c’étaient une nonne du temple. Ils vivaient comme un honneur qu’elle ait accepté de se vêtir comme une Tréïben.
Ce fut avec les yeux pétillant de plaisir que Riak put parcourir le bateau et découvrir le fleuve. Elle fut étonnée de la foule d’embarcations de toutes tailles. Cela allait de la pirogue creusée dans un simple tronc à la barge comme celle sur laquelle elle naviguait capable de porter des charges énormes.
La nuit suivante, le médaillon mobilisa à nouveau Riak. Si quelqu’un l’avait regardée dans les yeux, il aurait compris que Riak était somnambule. De nouveau elle sortit et commença à danser les combats. Jirzérou la rejoignit. Son corps couvert de blanc lui donnait un aspect fantomatique. Il avait attrapé une des gaffes que les marins utilisaient. Face à Riak, ils entreprirent un combat virevoltant. Un observateur, mais qui aurait osé braver les bayagas, aurait vu dans la nuit étoilée une ombre blanche s’agiter face à une ombre noire à la longue chevelure scintillante pendant que claquait le bruit de leurs armes.
Quand vint le jour, les marins sortirent avec crainte. Ils avaient entendu les bruits de combat. Quand ils virent que le Treïbénalki était toujours vivant, la peur les saisit. Le capitaine les remit au travail. Il fallait livrer la marchandise. Les autres bateaux s’approchaient et les saluaient d’un cri de respect. Le capitaine répondait à chacun. Il connaissait les règles. Riak profitait de sa tenue pour être dehors. C’est elle qui attira l’attention d’un marin sur une chaloupe qui venait vers eux à grand renfort de rame. Le marin lâcha son bâton de manœuvre et courut prévenir le capitaine. Celui-ci fit descendre la voile et mettre en panne. Riak l’entendit jurer. Son médaillon devenait lourd et lui chauffait la poitrine. Quand la chaloupe fut près de la barge, des Tréïbens en armes sautèrent à bord et amarrèrent les deux bateaux à couple. Un des marins derrière elle, cracha en jurant, insultant à mi-voix les renégats, mais tous mirent un genou à terre en baissant la tête. Riak les imita. Elle jeta de temps à autre un coup d’œil. Un seigneur monta sur le pont et hurla :
   - Qui est le capitaine ?
Ce dernier se leva à toute vitesse et vint s’incliner devant le seigneur.
   - Il parait que tu transportes des gens et que tu as un cinglé avec toi.
Le capitaine ne releva pas l’insulte. Il ne savait que trop ce que voulait dire une révolte.
   - Je ne fais que transporter ce que l’on me donne à transporter, dit-il.
   - Dans la cabine ?
   - Oui, seigneur.
Le seigneur, suivi de deux marins l’arme à la main, se dirigea vers la cabine. Jirzérou qui était sur le toit, l’interpella :
   - N’entre pas. La déesse protège les filles de la dame blanche !
   - Tu bouges, t’es mort !
Le seigneur fit signe à un des soldats qui banda son arc et le mit en joue. Sans attendre, le seigneur pénétra dans la cabine. Riak entendit le cri de Mitaou et vit ressortir le seigneur immédiatement.
   - Ce n’est qu’une novice sans intérêt ! Il n’y a pas plus de cheveux blancs que de déesse ici ! dit-il à un des Treïbens qui l’accompagnaient.
   - Mais lieutenant, les paroles-cris le disaient pourtant.
   - Votre folklore m’emmerde ! On rentre.
Il se dirigea à grand pas vers sa chaloupe suivi des soldats. L’archer fut le dernier à quitter le bateau. Jirzérou, dressé sur le toit, les maudît de ses paroles-cris en faisant des gestes menaçants de sa gaffe. Sur un geste du lieutenant, l’archer tira. La flèche se planta dans la gaffe qu’il agitait toujours devant lui.
   - La déesse me protège, renégat. Reviens vers elle ou tu mourras !
La chaloupe s’éloignait aussi vite qu’elle était arrivée. Riak au loin vit le fort qui commandait ce coude du fleuve. C’est de là que venait la chaloupe. Sur les remparts, il y avait catapultes et balistes. Le capitaine hurla ses ordres pour qu’on reprenne au plus vite la route. Riak, elle, se précipita à l’intérieur de la cabine. Elle trouva Mitaou pleurant à chaudes larmes dans les bras d’une Bemba qui essayait de la consoler.
   - Qu’est-ce qui s’est passé ?
   - Il est entré et sans un mot lui a arraché sa coiffe et l’a laissée tête nue. Ce n’est rien, petite, dit Bemba à l’intention de Mitaou en lui caressant le dos. Ce n’est rien. Il n’a tué personne.
Riak, qui avait des envies de meurtre, prit la parole :
   - Ils cherchent les chevelures blanches… J’espère que les autres sont à l’abri.
   - Vous pouvez faire confiance à la grande prêtresse, Noble Hôte.
“ N’empêche, pensa Riak, si j’étais restée comme hier, il m’aurait trouvée”.
   - La barge est repartie. Je ne sais pas où nous devons aller, mais la présence du Treïbénalki est dangereuse pour nous. Elle attire l’attention. Nous ferions bien de partir.
    - Mais, Noble Hôte, seul le capitaine sait où il doit nous conduire.
    - Et bien, je vais aller lui demander !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire