mercredi 29 août 2012

- Tu racontes-bien, petit homme !
Au fond de son trou, l'homme s'était assis. Cela faisait des heures et des heures sans interruption qu'il racontait les légendes que sa mère lui avait racontées.
- Tu as raison, petit homme. Tu me racontes ton histoire telle qu'on te l'a racontée.
L'homme sursauta. Le dragon pouvait-il lire ses pensées? Il ne put y réfléchir davantage, le dragon reprenait la parole.
- Je connais, ceux qui sont comme toi. Le repos leur est nécessaire, ainsi que l'eau et la nourriture. Nous reprendrons ton récit quand tu auras fait tout cela.
L'œil du saurien disparut à sa vue. Un énorme rocher vint prendre sa place, le laissant dans une quasi-obscurité. L'homme se laissa aller. Il s'endormit aussitôt.
Quand il se réveilla, un rai de lumière passait en haut du rocher. Il devait faire plein jour dans la grotte. Quelqu'un avait mis des provisions et de l'eau. Ce ne pouvait être le dragon. Avait-il des serviteurs ? Une pensée lui traversa l'esprit. Peut-être était-ce le sort qui l'attendait ? Il ne se voyait pas passer sa vie à servir un tel maître. La nourriture était infecte. Elle lui rappela celle que lui avait servie une fois le vieux guide à la main coupée. Après cette fois, il avait exigé de s'occuper de la cuisine. La faim le tenaillait. Il mangea tout et but toute l'eau. Il se demandait comment tout cela allait finir. Sa pensée erra sur son aventure. Il allait à nouveau devoir raconter, raconter, raconter... sans savoir où il allait.

lundi 27 août 2012

Fin des premières saisons.

samedi 25 août 2012

Les enfants riaient aux éclats. La neige était vraiment quelque chose de merveilleux. Quiloma ne put s'empêcher de sourire. Sabda n'était pas la dernière à s'amuser dans cette gigantesque bataille de boules de neige. Il reconnut aussi Tandrag ainsi que les enfants de Kalgar. Il savait que cette première neige ne durerait pas. Les enfants de ce premier printemps avaient juste acquis assez d'autonomie pour aller jouer avec tous les autres. La Solvette lui avait dit que c'était une bonne année pour la cité. Il y avait à la fois assez de nourriture et assez de nouveaux bras. Il repensait à la rencontre qu'il venait d'avoir...

- Oui, Mon Prince, nous avons suivi les ordres.
- C'est le Seigneur Dragon lui-même qui vous a dit cela ?
- Oui, Mon Prince. Le Seigneur Dragon voulait qu'on laisse l'homme sans main en vie. Il a dit que son destin était de conduire les siens à la mort et un autre à la vie.
- Le Seigneur Dragon dit des paroles étranges, Mlaqui. Que voulait-il laisser entendre ?
Sstanch suivait avec difficulté cet échange entre le prince et son konsyli. Il ne parlait pas encore assez bien leur langue pour suivre tous les détails. Il avait compris que Mlaqui racontait les derniers évènements. Le dragon était revenu pour donner ses ordres. Sstanch trouvait encore cela étrange. Avant la dernière saison des neiges, jamais il n'aurait pu imaginer une telle rencontre. Il se pensait du bon côté avec un allié dragon. Natckin l'avait refroidi dans son enthousiasme. Les esprits étaient plus circonspects quant à l'avenir. Rien n'était joué. Leurs oracles concernant le dragon étaient obscurs. Ce qui était certain : la cité ne vivrait qu'en continuant ce chemin. Le dragon avait encore des épreuves à passer. Quelqu'un devrait faire Sangha avec le dragon mais nul n'avait compris si c'était un habitant de la cité, un guerrier du froid ou un prince. Nul n'avait compris non plus ce que voulait dire Sangha.
Sstanch revint au moment présent. Mlaqui racontait la traque des seconds guerriers. Le dragon avait demandé d'en laisser un en vie et de laisser Schtenkel sur ses traces.
- D'autres guerriers de métal doivent venir avant le grand guerrier. Telles furent les paroles du Seigneur Dragon. La neige les tuera peut-être.
- Je ne crois pas Mlaqui. Il n'en est pas encore tombé assez. C'est un heureux présage pour les habitants du village. Elle veut dire la paix pour nous et surtout la possibilité que les nôtres arrivent.
Se tournant vers Sstanch qui attendait un genou à terre, Quiloma lui dit :
- Debout, maître d'armes de la cité. Où en sont les dix mains d'hommes ?
- Ils progressent bien. Ils ont beaucoup appris dans cette rencontre avec les chevaliers des plaines.
- Cela est bon. Cinq mains d'hommes doivent être toujours prêtes au départ, jusqu'à l'arrivée des renforts.
- Oui, prince Quiloma.
La conversation roula sur les nécessités techniques de l'organisation. Quiloma aurait bien voulu plus d'hommes. Un prince neuvième peut commander jusqu'à dix phalanges, mais ici, il ne pouvait dégarnir les champs de leurs bras. Le temps que les enfants arrivent à maturité, lui serait trop vieux. Il avait déjà connu beaucoup d'hivers. Il ne pouvait s'empêcher de penser à Sabda. S'il repartait dans son pays devait-il l'emmener ? Il sut la réponse en se posant la question. La Solvette ne voudrait pas et qui était-il pour se mettre contre la Solvette ? Il sourit intérieurement. Quel destin étrange que le sien. Parfaite machine à faire la guerre, il était devenu sensible au sourire d'une enfant et de sa mère. Si Schtenkel et le second guerrier arrivaient à Tichcou assez vite, peut-être y aurait-il une nouvelle expédition. Il avait rencontré un... Il ne savait pas trop bien. Il était parti sur la journée pour s'entraîner avec une main d'hommes. En explorant un des versants de la montagne où était la cité, ils étaient tombés sur un campement. Avant, il aurait passé tout le monde au fil de l'épée car aucun n'avait les yeux bridés, mais aujourd'hui avec le vécu de cette dernière saison, il avait observé. Le chef de ce groupe n'était pas un marabout, ni probablement un prêtre de la cité quoique il leur ressemblait. Ce qui l'avait arrêté était le bâton. Il connaissait ce type de bâton. Il en possédait un morceau dans son étui rouge. Il donnait le feu et la légende lui prêtait la puissance des dragons quand il était entier. L'homme avait pris le temps de nettoyer son bâton avant de lui remettre un petit fourreau. Quiloma sentit son regard se libérer. Était-il face à l'élu ?
Cela expliquerait la présence d'un juvénile par ici. Pourtant la légende disait que l'élu serait de son peuple. Quiloma ne savait que penser.
- Bonjour, prince Quiloma.
Quiloma sursauta en entendant son nom. Cet homme qu'il n'avait jamais vu, regardait dans sa direction et l'appelait. Il était pourtant sûr d'être invisible et de ne pas avoir fait de bruit. D'ailleurs les compagnons de l'homme, sursautèrent aussi en l'entendant parler. Ils se jetèrent sur des armes. L'homme reprit la parole :
- Vous ne risquez rien, posez-vos armes mes amis et toi, Iaryango, pose l'arc de Rhinaphytia, tu risques de blesser quelqu'un.
Quiloma sortit à découvert. Il avait sa lance à la main. Par gestes, il avait dit à ses hommes de ne pas bouger.
- Dructa Quiloma ? (Sais-tu qui est Quiloma?).
- Oui, je te connais prince Quiloma. Je comprends même ta langue.
- Mru... (Qui es-tu, toi qui tiens un bâton de puissance?)
- Juste un homme, prince Quiloma. Quant à ce bâton, il n'a de puissance que les lignes qui y convergent.
- Stomr...(Que fais-tu ici, toi que je n'ai jamais vu ?).
- Je suis le Maître Sorcier de la cité que tu habites.
- Mro... (La mort serait une bonne chose pour toi !).
- Je sais ce que tu penses de nos coutumes et de nos croyances. Tu es venu, porté par les ailes du bouleversement. Tu crois ton rôle important. Comme moi tu obéis à d'autres dont les desseins te dépassent.
- Donne-moi une raison de ne pas te tuer ? dit Quiloma dans la langue de Kyll.
- Je crois qu'elle passe, répondit Kyll.
Une grande ombre les survola. Quiloma leva la tête. Quand il redescendit les yeux, Kyll avait enlevé la protection du bâton. Quiloma ne pouvait plus bouger les yeux. Son regard était comme hypnotisé. Il suivait les courbes des arabesques. Il les reconnaissait. Dans la caverne des dragons, il avait vu les mêmes.
- Tu as une raison, maître sorcier. Je ne peux que me soumettre.
Lentement, il sortit son étui et fit glisser ce qu'il contenait dans sa main. Il en sentit la chaleur et la puissance, ou plutôt le souvenir de la puissance. Il savait qu'il n'avait en sa possession qu'un morceau du dernier bâton de puissance. Un bâton plus vieux que les souvenirs des vivants, un bâton de légende, celui du dernier roi dragon. La légende disait que même un simple morceau brillerait en rencontrant le nouveau bâton. C'est pourquoi les princes en avaient tous une parcelle. Cela faisait des générations qu'on cherchait le nouveau roi dragon. Quiloma fut déçu. Il n'y eut pas de réponse. Il n'était pas en face de l'élu, mais en face de quelqu'un qui avait une relation privilégiée avec le dragon, ou avec l'élu.
- Que sais-tu, maître sorcier ? Je sais que tu n'es pas l'élu.
- Tu sais bien, prince Quiloma. Je ne suis que Maître Sorcier. Les esprits m'ont parlé de toi. C'est pourquoi le crammplac poilu t'a épargné.
- Si je suis vivant, c'est qu'il ne m'a pas tué. La prédiction est facile, ironisa Quiloma.
- Sais-tu qu'il a chassé pour toi et les tiens. Rappelle-toi le clach qui est tombé dans ton abri. Les esprits ont demandé que tu vives. Le crammplac poilu a obéi.
Quiloma fut troublé. L'histoire de sa chasse n'avait pas quitté le cercle des guerriers du froid. Elle était un récit tabou puisque le roi dragon était intervenu.
- Que peux-tu encore me prédire, maître sorcier?
- De ce que tu feras un jour naîtra l'avenir. Si ton héroïsme est fort comme la vie alors naîtra la vie du roi dragon, sinon, nous vivrons des temps noirs.

mercredi 22 août 2012

Le temps fut rythmé par deux séries d’évènements a priori indépendants. La météo se maintenait entre le beau et la pluie. La température restait douce. Cela permettait à Quiloma de pousser l'entraînement des recrues. Il avait besoin d'eux pour gérer la deuxième série d’événements qui était l'incursion de guerriers sur les territoires du dragon.
Le premier avait été repéré facilement. Un gardien de tiburs l'avait, ou plutôt les avait vus se diriger à travers le pierrier du mont Pelé. Il avait couru aussi vite qu'il pouvait prévenir une patrouille qu'il avait heureusement rencontrée juste au col. Il était tombé sur Sstanch qui conduisait de jeunes recrues, deux mains de guerriers débutants. Ce dernier grimaça en espérant que ce guerrier si grand, si impressionnant décrit par le gardien de tiburs, n'était pas les prémices d'une attaque. Il fit presser le pas, conscient que ces bleus avaient trop peu d’entraînement pour tenir une cadence de course. Lui-même partit avec un guerrier blanc en éclaireur pour voir les forces en présence. Ils couraient à petites foulées quand la pluie se mit à tomber. Comme toujours, ces averses détrempaient le sol, rendant le chemin dangereux. Ils choisirent un pas de marche rapide pour ne pas glisser. C'est juste à la sortie du bois avant la combe qui conduisait au mont Pelé qu'ils virent l'ennemi. Il était en bien mauvaise posture. Un homme était couché en travers du chemin, accroché à un arbre d'une main et les pieds coincés comme ils pouvaient par une mauvaise souche. Il retenait de son autre main un guerrier en armure étincelante. Sstanch fut d'accord avec le gardien de tiburs, ce guerrier était un géant. Alourdi par toute cette ferraille, l'homme avait dû glisser. Le chemin en dévers avait fait le reste. Il s'était manifestement accroché à son compagnon dans sa chute. S'il lâchait, il glisserait de plusieurs centaines de pieds sur l'herbe mouillée de la combe avant de tomber dans le précipice plus bas. Sstanch se retourna vers Mlaqui avec un regard interrogateur. Celui-ci dit en s'asseyant :
- Il suffit d'attendre.
Il y eut un claquement sec et le guerrier géant commença à glisser semblant emporter la main de son compagnon. Il n'eut pas un cri, pas une plainte, même quand il bascula dans le vide.
- Allons chercher le rescapé, dit Mlaqui en se relevant.
C'est ainsi que Schtenkel se retrouva prisonnier. En le fouillant, Mlaqui comprit ce qu'il s'était passé. Le chevalier, comme l'appelait Schtenkel, avait attrapé le crochet qui servait de main à son guide. Malheureusement pour lui, la lanière qui le fixait avait cassé. Après avoir vérifié que son prisonnier n’avait pas d'arme, Mlaqui le mit en route d'une bourrade dans le dos.
Il n'avait pas l'air bien dangereux avec sa main en moins. Il tremblait de tous ses membres en tenant un jargon incompréhensible pour Mlaqui.
- Il dit qu'il s'appelle Schtenkel. Il implore notre pitié. Si on ne l'avait pas forcé, jamais il ne serait venu.
- On va le ramener au Prince, il décidera, répondit Mlaqui.
Le retour vers le col se fit précautionneusement. Avec les rochers glissants, un faux pas et c'était une chute de plusieurs centaines de pieds. Les deux hommes furent obligés de soutenir Schtenkel dans certains passages. Sstanch se dit qu'il avait eu peur, très peur. Il sentit en lui monter un sentiment de pitié.
La pluie les rattrapa juste après le col. Ils avaient récupéré le reste du groupe et marchait avec Schtenkel au milieu des jeunes recrues qui essayaient de tenir un semblant d'ordre. Ce fut une averse violente, avec des rafales de vent. Stoïques, le convoi continua sa progression. Un bois proche leur laissait espérer une relative protection. C'est alors qu'arriva la grêle. Sstanch vit le danger.
- Courez, hurla-t-il.
Ce fut une débandade, mais ils étaient à l'abri sous les sapins quand arrivèrent les gros grêlons. En quelques instants la prairie qu'ils venaient de traverser fut couverte de glace. Certains grêlons étaient gros comme un poing d'enfant.
- On l'a échappé belle, dit un des hommes.
- Le prisonnier ! Où est le prisonnier ?
Il fallut se rendre à l'évidence, Schtenkel leur avait faussé compagnie. Mlaqui entra dans une rage terrible. La pluie, la grêle et le piétinement des hommes avaient effacé les traces. Il n'arrêtait pas de jurer tout en cherchant autour du groupe s'il voyait quelque chose. A la fin de l'averse, il repartit dans la prairie. Avec la couche de grêlons sur le sol et les traces de courses de tous les hommes, il ne vit rien. Il alla au bord du bois et commença à longer la lisière. Pendant ce temps Sstanch remettait de l'ordre dans la troupe. Il distribua un certain nombre de gifles pour les mettre en rang. Quand les dix hommes furent alignés, il les fit manœuvrer. Mlaqui poussa un cri. Il avait retrouvé la piste. Sstanch fit mettre la troupe au pas de course. Il arriva à la lisière sur les pas de Mlaqui le premier, mais derrière certains étaient tombés. Il ne les attendit pas. Tout le groupe s'enfonça dans le bois pour poursuivre Schtenkel. La course était soutenue car dans le sens de la pente. Ils s'arrêtèrent au bord du ruisseau en voyant Mlaqui qui tournait en rond. De nouveau les traces avaient disparu. Sstanch entendit Mlaqui jurer.
- Prends une main d'hommes et va vers l'amont, je prends une main d'hommes et je vais vers l'aval. Celui qui trouve des traces prévient l'autre.
Ils se séparèrent. Sstanch avançait en fouillant du regard les berges à la recherche des traces du fuyard. La nuit arrivait quand il repéra un indice. Sortant son appeau, il siffla selon le code prévu. Il s'engagea dans le sous-bois dense qui bordait le ruisseau. Il marchait lentement cherchant la piste. La lumière baissa trop pour qu'il puisse continuer. Il donna les ordres pour bivouaquer. Mlaqui arriva tard dans la nuit. Les hommes qui l'accompagnaient s'effondrèrent sur place, épuisés.
Quand le jour se leva, Mlaqui donna l'ordre de retour.
- Il est trop loin pour que nous puissions le rejoindre. Il vaut mieux rentrer prévenir le Prince.

Quiloma écouta avec attention ce que lui rapportait Mlaqui. Il le remercia.
- Va te reposer, Mlaqui. Tu as bien agi. Sstanch, tes hommes ont encore besoin d’entraînement. Il ne faut pas les laisser au repos. Va !
Quiloma resta seul. Il se leva et sortit. Il réfléchissait à ce qu'il devait faire. Ses pas le conduisaient naturellement vers le bas de la ville et vers la Solvette.

Schtenkel n'en revenait toujours pas. Les dieux lui avaient été favorables. Il avait réussi à s'échapper. Il avait commencé à suivre la pente pour mettre le maximum d'espace entre lui et ses poursuivants. En rencontrant le ruisseau, il avait décidé d'appliquer les recettes de Torétaro. Il était parti vers l'amont alors que Tichcou était en aval. Il avait tenu un bon pas pendant des heures ne s'arrêtant même pas la nuit. Il savait qu'il laissait des traces mais il n'avait pas le choix. Le jour suivant, il avait fait mille détours pour semer ses poursuivants et épuisé, s'était endormi après être monté dans un arbre.
Quand il se réveilla, il grimpa jusqu'à la cime pour s'orienter tout en restant attentif aux bruits de la forêt. Il trouva ses repères. Il avait bien couru les jours précédents. Il reconnaissait un mont caractéristique. En allant par là, en le contournant il trouverait la rivière qui le guiderait jusqu'à la vallée de Tichcou. Il eut besoin de trois jours pour faire ce trajet. S'il trouva quelques baies, c'est affamé qu'il se présenta aux portes de la ville.
Il eut l'amère surprise de se faire arrêter. Le successeur de Jianme venait d'arriver. Il avait décidé de reprendre les choses en mains. Schtenkel était toujours officiellement un soldat au service du roi et sa conduite n'en était pas digne. On lui reprochait ses beuveries et les altercations qu'il avait eues depuis son retour après la mort de Jianme. Quand il fut présenté au nouveau lieutenant ce fut pour apprendre qu'il allait passer en conseil de guerre pour désertion. Schtenkel fut effondré. Il pensa que s'il avait survécu à la rencontre avec le dragon, c'était pour finir exécuté par les siens. Il avait déjà assisté à trop de conseils de guerre pour espérer une autre issue. Le roi Yas tenait ses troupes d'une main de fer. Les jours passèrent gris et sordides pour lui. Quand la porte s'ouvrit enfin, il était résigné. C'est la mort qui l'attendait.
Schtenkel n'en revenait toujours pas. Il était vivant et il courait les bois. Sans surprise après un procès mené au pas de charge, il avait été condamné à mort. C'est alors que s'était levé un prince à en juger par sa tenue. Il avait demandé au lieutenant de surseoir à l'exécution le temps que Schtenkel rende service aux chevaliers du Flamtimo pour tuer le dragon.
Schtenkel menait une petite troupe. Ils avaient décidé d'éviter le chemin des crêtes en passant par la vallée débouchant en aval de Tichcou Deux chevaliers et leurs serviteurs l'accompagnaient. Ils avaient été tirés au sort par le prince de Flamtimo parmi tous les chevaliers présents. Le voyage fut long mais se passa sans incident. Ils arrivèrent en vue de l'antre du dragon sans avoir vu âme qui vive. Ils se mirent à la recherche d'un abri. En amont de l'antre, ils découvrirent une petite grotte. Profonde et étroite d'entrée, elle leurs sembla idéale pour faire une base d'attente. Les chevaliers se félicitèrent. Les jours du dragon étaient comptés. Pendant que les écuyers préparaient les tenues de combat, les deux chevaliers firent un rite de divination à base de dés pour choisir qui attaquerait en premier. En voyant le sourire de Tlimp, Schtenkel sut qu'il avait gagné. L'attente dura quelques jours. Tlimp observa longuement les allées et venues du dragon. Un soir, il dit :
- C'est le bon jour, demain je serai comme un dieu... Ou je serai mort.
Ses compagnons le virent partir dans la pénombre du soir. Il voulait être en place quand rentrerait le monstre. La nuit passa, puis la journée sans avoir de nouvelle ni de Tlimp ni du dragon.
- J’attends jusqu'à demain et sans nouvelle de Tlimp je tenterai ma chance, dit le deuxième chevalier.
La nuit passa. Avant l'aube, Schtenkel et un écuyer sortirent pour aller relever les collets. Ils revenaient chargés de gibier, discutant de ce qu'ils allaient en faire. Si Schtenkel défendait la broche, son compagnon préférait une cuisson à l'étouffée plus discrète. En approchant de la falaise pour rejoindre la grotte, un bruit les inquiéta. Ils se mirent à courir, tenant les pièces de gibier pour ne pas qu'elles balancent. Ils mirent un instant à comprendre. Le dragon battant vigoureusement des ailes, se maintenait en vol stationnaire devant l'entrée du tunnel de pierre et soufflait son feu. Les deux hommes s'arrêtèrent brusquement. Ce mouvement attira l'attention du grand saurien qui se tourna vers eux. Quand la boule de feu les atteignit, ils couraient aussi vite qu'ils pouvaient pour fuir dans la forêt. Trop éparpillée par les arbres, la chaleur ne fit que leur roussir le dos et les cheveux. Ce n'est qu'après plusieurs heures de course qu'ils reprirent souffle.
- C'est pas possible! C'est pas possible! disait le jeune écuyer.
- On est vivant, lui répondit Schtenkel
Il fallut toute la journée pour que l'adolescent se calme. À la nuit tombée, ils trouvèrent le courage de faire le chemin inverse. Aux abords de la grotte, tout était calme et silencieux. Schtenkel dit:
- Ne bouge pas, je vais voir. Crie et fuis si tu vois le dragon.
Le jeune dont les genoux tremblaient, hocha la tête. Il se positionna derrière un gros tronc et fit le guet. Schtenkel s'approcha de l'entrée et après un dernier regard vers le guetteur, il pénétra dans la grotte. L'écuyer le vit ressortir très vite. Tombant à genoux, Schtenkel vomit. Il resta là un moment puis se remit debout péniblement et revint vers son compagnon.
- Ça pue trop là-dedans ... On ira voir demain.

À Tichcou leur récit fit sensation. Le prince de Flamtimo lui-même fut très impressionné. Deux chevaliers morts ainsi que leurs aides, brûlés vifs au fond de leur trou sans combat, cette vérité calma les ardeurs des plus timorés mais pas de la majorité des candidats. Si le jeune écuyer fut renvoyé dans sa famille, on ne laissa pas le choix à Schtenkel. Il aurait une autre expédition à conduire avant les premières neiges. Ils furent cinq volontaires qu'on ne put pas départager. Ils firent tous le même lancé de dés et les dés donnèrent le même résultat. Le prince de Flamtimo trancha, ils partiraient à cinq mais pas tous ensemble. Il décida de les faire se suivre. Schtenkel serait devant avec le frère de Tlimp, le solide Limpa, suivraient les cousins Chemtimo, puis Tsiemch qui venait juste d'être adoubé et Flamchi le vieux qui avait participé à tant de quêtes et de batailles. Chaque chevalier était accompagné de cinq écuyers qui portaient les armes et le ravitaillement. Schtenkel avait juste obtenu de ne pas entrer dans la vallée du dragon. C'est sans joie qu'il reprit la route des crêtes. Il aurait préféré reprendre la route du bas, mais les vieux de Tichcou prévoyaient que la neige serait bientôt là. Les chevaliers ne voulaient pas rater une possibilité d'en finir avec le dragon. Si le roi Yas avait donné son accord à la quête des chevaliers de Flamtimo, il avait annoncé son intention de venir régler le problème lui-même, en cas d'échec. Pour Schtenkel, tout avait mal commencé. Il avait vu passer un animal au pelage noir qui avait traversé la route de droite vers la gauche. Comme si cela ne suffisait pas comme mauvais présage, il s'était aperçu qu'il avait emmêlé les cordelettes qui retenaient ses armes. Essayant de se rassurer, il compta ses pas pour traverser le pont de Tichcou. Toutes les sorcières vous le diront, si vous montez et que vous descendez du pont avec le même pied, alors vous conjurez le mauvais sort. Il était là attentif à poser ses pieds sur les planches mal équarries qui formaient le pont à cet endroit. Arrivant au bout, il rapetissa son pas pour que son pied droit soit le premier à toucher terre. C'était sans compter avec le vent. Une bourrasque le déstabilisa et pour ne pas tomber à l'eau, il dut presque sautiller sur place. Il sentit une boule prendre naissance dans son ventre quand il s'aperçut que son pied gauche avait glissé de la planche le premier. Une bourrade dans le dos, le fit avancer. Limpa qui descendait du pont à sa suite, lui dit :
- Beeelle jourrrnée, pourrr une chassse au drrragon !
Schtenkel lui jeta un regard torve et entama la montée. Ses présages ne l'avaient jamais trompé. Le voyage allait être un enfer.

Sstanch répéra les ennemis dès qu'ils sortirent de la vallée de Tichcou. En tête marchait Schtenkel. Il ne doutait de rien, pensa Sstanch. Revenir ainsi voulait dire qu'il les mettait au défi de l'arrêter. Et bien, il voulait la bagarre, il allait l'avoir. Rampant en arrière, Sstanch se dégagea. Il avait avec lui deux mains d'hommes, bien sûr, ce n'était que des jeunes recrues mais pour une fois, la chance lui souriait. C'étaient les meilleurs archers. Il leur fit faire mouvement pour se positionner près du pierrier du mont chauve. Quelques bonnes volées de flèches feraient reculer les ennemis. Quand tous furent en place, Sstanch reprit sa fonction de guetteur, à côté de lui, son grand arc et cinq flèches. L'attente ne fut pas très longue. Il vit arriver Schtenkel. Il le vit s'arrêter et mettre le nez ne l'air comme s'il humait le vent. Subitement inquiet Sstanch se demanda s'ils n'avaient pas été repérés. Il fut rassuré quand il vit déboucher un de ces guerriers géants qui en voulait à leur dragon. Il marchait devant cinq hommes portant des charges qui semblaient bien lourdes. Un casque, une cotte de mailles et une épée longue semblaient constituer son armement de voyage. Il le vit se retourner pour apostropher Schtenkel et lui faire un grand signe du bras pour le faire venir. Ce dernier répondit quelque chose en faisant le geste de continuer le chemin. Sstanch espérait qu'il ne ferait pas demi-tour. Ses hommes étaient prêts et voulaient tous montrer leur adresse et leur bravoure. Le grand guerrier reprit sa progression. Il avançait en regardant où il mettait les pieds. Ces pierres roulantes avaient déjà été fatales pour un de ses compagnons. Sstanch sursauta. Le premier guerrier allait bientôt arriver à portée de tir quand il vit Schtenkel resté près de l'orée de la forêt qui faisait des signes. Là-bas deux nouveaux chevaliers émergeaient de la pénombre des bois. Comme le premier, ils portaient cottes de mailles et épée. Ils avaient aussi des grands arcs à la main. Sstanch pensa qu'ils étaient trop loin pour être gênants. Il n'avait pas prévu que le grand guerrier ne serait pas seul. Il se maudit intérieurement. Il allait décevoir le prince. Chassant ces pensées, il se consacra à sa tâche actuelle. Il prit son arc en silence. Il entendit les autres faire comme lui. Quand les six premiers hommes furent à portée, il lâcha sa flèche qui alla se planter dans la poitrine du chevalier. Elle fut suivie par une volée de vingt traits qui tombèrent en pluie mortelle. Le chevalier dégainant son épée hurla :
- Susss, susss à l'ennemi, en se mettant à courir vers eux.
Une fois, les cinq volées de flèches envoyées, Sstanch donna l'ordre de décrocher. Le grand guerrier était à terre, ses serviteurs morts ou blessés, en tout cas hors de combat. Quelques flèches venues de trop loin pour être précises se plantèrent ici ou là. Les autres chevaliers agissaient mais trop tard.

Quand les cousins Chemtimo arrivèrent près de Limpa et de ses gens, ils avaient lancé quelques traits vers les assaillants. Ils se savaient trop loin pour être précis mais pensaient les mettre en fuite. Pendant qu'un des cousins continua sa course vers les positions ennemies en lâchant des flèches de manière irrégulière, l'autre s'arrêta près de Limpa pour faire le point. Il avait pris plusieurs flèches. Si son pourpoint de cuir était troué, sa cotte avait arrêté les flèches. Sa blessure la plus sérieuse était un trait qui lui traversait la jambe gauche sous le genou. Cette zone peu protégée pendant les marches restaient à découvert. C'était une blessure fréquente pendant les embuscades. La flèche avait traversé le mollet sans toucher l'os. Si elle n'était pas empoisonnée, Limpa devrait s'en remettre. Il ne pourrait plus se déplacer facilement pendant quelques temps. Par contre ses écuyers étaient mal en point, un était mort d'une flèche dans le cou, l'autre ne valait guère mieux avec cet empennage qui dépassait de sa poitrine, le troisième avec une plaie dans un bras et une flèche dans une cuisse, le quatrième avait la main transpercée et fixée à sa charge par la flèche, seul le dernier n'avait que des ecchymoses récoltées quand il s'était jeté à terre. Le cousin Chemtimo fit signe que tout danger était écarté pour le moment.
- Je vous l'avais bien dit qu'il ne fallait pas passer par là, dit Schtenkel. Ce chemin est trop dangereux.
- Ccce mot n'exissste pas dans notrrre langue, lui répondit Limpa.
Il venait de casser le bois de la flèche qu'il avait dans le mollet. Il tendit la pointe à Schtenkel.
- Elle ne sssemble pas empoisssonnée. Toi qui connais ccces gens qu'en dis-tu?
- Je ne les connais pas. Ils sont mes ennemis comme les vôtres.
Le vieux Flamchi s'occupa des écuyers à terre, pendant que les autres récupéraient les charges et rejoignaient le bois. Les serviteurs firent plusieurs voyages pour transporter morts et blessés à l'abri du bois. Ils firent un cairn pour les deux morts. Limpa accepta que celui qui avait deux blessures regagne Tichcou. Les deux autres se répartirent la charge avec Limpa. Celui-ci s'équipa de pied en cap, laissant les provisions aux écuyers.
- Comme ccela, je ssserrrais prrrêt pourrr la prrochaine fois!
Les chevaliers repartirent. L'ordre de la colonne avait changé. Schtenkel était toujours devant avec les cousins, suivaient Flamchi et Tsiemch, Limpa suivait comme il pouvait. Il n'arriva au bivouac qu'à la nuit noire. Il ne se plaignit pas, ne fit pas de remarque mais ne participa pas aux conversations.

Sstanch avait félicité ses hommes. Les ennemis bivouaquaient dans le bois. Les éclaireurs avaient fait leur rapport. Au moins deux morts, un blessé trop grave pour continuer et trois plus légers représentaient un beau tableau de chasse. Il avait deux mains d'hommes pas très aguerris, en face pratiquement six mains de soldats qui bien que chargés n'en étaient pas moins redoutables. Avec les konsylis, il décida de faire des pièges sur le chemin pour éliminer le maximum d'hommes sans risque. Ils y passèrent la nuit. Quand le jour se leva, Sstanch conduisit sa troupe de l'autre côté de la gorge et de son sentier. Il détruisit la réparation que Bistasio avait faite. Ils passèrent le virage et utilisèrent le rempart naturel pour préparer l'embuscade. L'attente fut éprouvante pour les nerfs. Au moindre bruit sur le sentier, ils se préparaient à tirer. Sstanch et les deux konsylis essayaient de les calmer sans grand succès. Forts de leur première victoire, ils voulaient en finir. Sstanch craignait que trop de témérité fasse des victimes. C'est quand ils n'y croyaient plus qu'ils les virent arriver. Trop pressé, le plus jeune tira, dévoilant sa position au chevalier qui s'avançait sur le chemin. La flèche le toucha et rebondit sur la lourde cuirasse de l'homme, sans lui faire le moindre mal. Cette première flèche fut comme un signal pour les autres. Ils oublièrent les consignes et vidèrent leur carquois sur cette silhouette de métal qui était devant eux. Il fallut que Sstanch hurle pour que les tirs s'arrêtent. Le chevalier était toujours debout de l'autre côté de l'effondrement. Sstanch donna l'ordre par signe de repli. Deux hommes n'obéirent pas. Ils grimaçaient de douleur. Trop sûrs d'eux, ils s'étaient exposés et en payaient le prix. Il monta à son poste d'observation. Il voyait la scène entre les branches d'un buisson. S'il ne pouvait pas tirer, il ne pouvait pas non plus être vu. Le chevalier n'avait pas attendu la fin de la pluie de flèches sans riposter. Il n'avait pas beaucoup usé de traits. Sûr de son immunité, il avait pris le temps de viser. L'arc bandé, il semblait scruter le talus qui lui faisait face, prêt à décocher. Derrière lui, une autre silhouette de métal fit son apparition. Aussi bien armé, le deuxième chevalier se mit aussi en position de tir. Sstanch jura. Il fit signe à un Konsyli.
- Reste-là et observe. J'organise le repli vers le col.

Les cousins Chemtimo avaient pensé qu'à la place des ennemis, ils auraient piégé le chemin. Ils avançaient en prenant des précautions. Ils avaient comme Limpa, revêtu leur armure de combat. La progression avait beaucoup perdu de sa rapidité. Schtenkel donnait ses instructions et les cousins exploraient le terrain avant l'arrivée des écuyers. Il n'avait eu qu'un accident. Lors du bivouac, s'éloignant pour satisfaire un besoin naturel, Flamchi avait fait jouer un piège. Il avait eu beaucoup de chance, le mécanisme du piège avait mal marché. Les pointes de bois acérées ne l'avaient pas touché avec assez de force pour percer sa cotte de maille. Au bivouac, il l'avait vu revenir plié en deux en se tenant les côtes. Ses écuyers avaient couru pour le soutenir. Il les avait fermement repoussés. Ils l'avaient aidé à retirer sa cotte de maille. Flamchi arborait de superbes hématomes au point d'impact. Le lendemain la progression avait repris avec le même luxe de précautions. Ils avaient atteint le chemin de la gorge sans encombre. A chaque tournant, un chevalier partait en avant jusqu'au virage suivant. Un des cousins était en éclaireur quand il découvrit l'effondrement du chemin. Il s'était à peine arrêté qu'une pluie de flèches était tombée. Heureusement les agresseurs ne possédaient pas d'arme suffisamment puissante pour le blesser. Son armure supportait les chocs sans broncher. Il en profita pour utiliser son grand arc. Il tira peu, quatre fois seulement avant la fuite des ennemis. Il estima qu'il avait dû faire mouche au moins une fois sur deux. Quand son cousin arriva, le calme revenait. Du bruit de l'autre côté du talus laissait présager que les ennemis fuyaient. Leur mépris monta d'un cran devant ses lâches qui refusaient un beau combat. Prudents, ils restèrent un bon moment sans bouger prêts à la riposte. Rien ne venait, rien ne se manifestait. Tsiemch arriva à son tour. Sans arc et l'épée au fourreau, il amenait un solide tronc pour renforcer le chemin. Les cousins sans cesser de guetter le laissèrent passer. Flamchi vint à son tour. A eux deux, ils mirent en place un à un les troncs qu'ils allaient chercher auprès des écuyers. Ils avaient sécurisé une extrémité avec des liens accrochés aux rochers qui surplombaient le chemin. Flamchi qui était le plus léger, s'entoura la taille d'une corde et commença la traversée du pont qu'ils avaient jeté sur ce qui restait du chemin. A part quelques frayeurs dues aux mouvements des troncs, il arriva sans encombre de l'autre côté. Il dégaina son épée, la posa à côté de lui et se mit en devoir de tenir les troncs pendant que Tsiemch traversait. Les deux cousins, l'arc bandé, restaient en couverture. Dès qu'ils furent tous sur la terre ferme, Flamchi reprit son épée, et se mit en garde prêt à défendre l'accès au pont. Pendant ce temps, avec des cordages, Tsiemch sécurisa l'autre extrémité. Il traversa plusieurs fois pour en tester la solidité. Quand tout fut prêt, il fit signe aux autres chevaliers. Les deux cousins traversèrent. Ensemble, ils se mirent en route vers le prochain virage. Le sentier trop étroit ne permettait que le passage un par un. Flamchi jeta un coup d'œil de l'autre côté. Il ne vit rien. L'épée haute, il bondit passa le virage, immédiatement suivi par un cousin Chemtimo. La flèche lui rentra sous le bras, au défaut de la cuirasse. Il entendit le grand arc vibrer derrière lui avant que la douleur ne devienne une réalité. Il vit une ombre qui s'enfuyait, une flèche qui se plantait non loin de cette silhouette puis le monde devint noir. Sienne Chemtimo multiplia les tirs sans réussir à atteindre le fuyard. Son cousin qui arrivait, fit de même. Ils virent devant eux, Flamchi tomber à genoux, puis basculer sur le côté. Avant qu'ils n'aient pu intervenir, ils le virent basculer dans le vide. Il y eut un silence suivi d'un « plouf » retentissant.
Au bivouac, Schtenkel récriminait:
- Je vous l'avais bien dit qu'il ne fallait pas prendre ce chemin. Finalement, nous n'allons pas aller plus vite et il y a déjà un mort.
- SILENCE !, répondit Sienne Chemtimo, Flamchi est morrrt les arrrmes à la main. Son honneur est sauf. Nous chanterrrons ssses louanges.
Les écuyers de Flamchi avaient été répartis entre Limpa dont les traits tirés montraient que la blessure était plus grave que ce qu'il disait et Tsiemch dont l'équipe manquait d'expérience.

- Ton savoir est grand, être debout Kyll. Ton bâton est bien gravé.
- J'ai laissé les esprits guider mes doigts. Un esprit fort, très fort est venu récemment. Je ne l'ai pas vu mais je l'ai senti pendant que je gravais. J'ai tracé cela sous son emprise.
Kyll montra le haut de son bâton au dragon. Des entrelacs sculptés le décoraient. Ils avaient un effet quasi hypnotique, comme kyll l'avait remarqué. Ses compagnons ne pouvaient pas les quitter des yeux. Kyll libérait leur attention prisonnière en mettant la main sur les signes gravés. Il avait même fabriqué un manchon de peau pour les recouvrir.
- C'est très bien, être debout Kyll. Tu as fait ce qui devait être fait. Le jour venu, il recevra la puissance.
- Que veux-tu dire, jeune dragon?
- L'être debout Mandihi m'a montré les écrits sacrés des dragons. Il y est dit qu'un être debout de grand savoir doit graver un bâton quand naît un dragon pour que ce bâton soit puissance entre les mains de l'élu. Ne le perds pas, être debout Kyll.
- Il ne me quittera pas, jeune dragon, ne crains rien.
- Je ne crains pas, être debout Kyll !
- Je te sens moins attentif que lors de nos autres rencontres. Serais-tu nerveux?
- Je ressens des présences néfastes.
- Les esprits m'en ont parlé. Ceux qui viennent pour devenir des dieux sont néfastes, ceux qui viennent la peur au ventre sont sans danger.
- Ton savoir est grand, être debout Kyll. Je vois les esprits mais ils ne me parlent pas. Ils s'écartent quand je passe.

Sstanch avait regroupé ses hommes après le col. Le Konsyli resté en arrière, était arrivé en petite foulée. Il admira l'entraînement du guerrier du froid. Ses hommes étaient loin de tenir cette cadence.
- Vlr...(La mort en a entraîné un dans ses griffes. Il reste quatre grands guerriers de métal, dont un blessé, ainsi que quatre mains de seconds guerriers).
Sstanch admira la manière dont parlaient les guerriers du froid. Il ne se vantait pas d'avoir tué un ennemi. La mort ne les réjouissait pas. Elle faisait juste partie de leur vie.
- Qui...(Le prince Quiloma doit être prévenu) répondit-il, nous allons faire des défenses pour les accueillir. Ils ne doivent pas atteindre la vallée du dragon.
Les deux konsylis hochèrent la tête. Sstanch donna les ordres aux autres hommes. Deux furent envoyés à la ville et tous les autres se mirent au travail pour préparer un fortin pour se battre contre les hommes de métal.

Schtenkel insistait. Leur but n'était pas de se battre avec les hommes de là-haut mais d'atteindre la vallée du dragon. A la sortie de la gorge, il y avait une possibilité difficile mais faisable sans les armures. La discussion dura un bon moment. C'est Limpa qui emporta la décision. Sa blessure lui faisait mal. Il tiendrait un combat, pas deux. Il voulait affronter le dragon pas de vagues ennemis qui préféraient fuir plutôt que de les affronter. S'il y avait de la gloire à gagner, elle était dans la grotte du dragon pas face à ces guerriers de second ordre. Ils envoyèrent quand même un des écuyers sans charge en observation. Ils entamèrent la descente dans les arbres et les rochers. Limpa dut se faire aider plusieurs fois. Sa jambe ne répondait pas bien. La plaie était maintenant infectée. La peau autour avait pris des teintes verdâtres du plus mauvais effet. Son écuyer soigneur avait l'ordre de se taire. Limpa voulait affronter le dragon même si c'était son dernier combat. Alors, il serrait les dents et avançait. Sans l'armure, ils allaient plus vite. L'écuyer éclaireur était parti avec un arc et un carquois bien plein. Il avait pour rôle d'occuper les ennemis pendant au moins une journée puis de rentrer à Tichcou. Quand il arriva à la sortie du bois, il s'arrêta. Une prairie s'étendait devant lui. Schtenkel lui en avait parlé. C'est là que la grêle avait surpris le groupe. Il chercha de l'autre côté à voir la présence ennemie. Il lui fallut un bon moment pour les repérer. Derrière des buissons, un mouvement lui fit entrevoir le reflet de la lumière sur du métal. Il bénéficiait de la lumière. A cette heure-ci le soleil éclairait l'orée ennemie. A l'abri de l'ombre, il arma le grand arc. Habitué depuis son enfance au maniement des armes, il se coucha sur le dos. Il prit la corde à deux mains, avec les pieds stabilisa le corps de l'arc et encocha une flèche. Il tendit au maximum de l'allonge de l'arme et décocha. Il vit la flèche monter puis redescendre et disparaître derrière les buissons. Il savait que cette technique de tir lui permettait une portée inaccessible aux autres arcs. Il prépara une autre flèche quand il vit le remue-ménage que la première avait suscité.

Sstanch jura quand la flèche se planta à dix pas de lui. Ils avaient été repérés. Les ennemis étaient là et leurs arcs portaient loin, beaucoup plus loin que les leurs. Il continua à jurer entre ses dents. Il n'avait pas assez d'hommes pour les risquer en terrain découvert face à une dizaine d'arcs de cette puissance.
- Restez couverts ! On va essayer de repérer où ils sont.
Le temps passa un peu. Un homme bougea, faisant remuer un buisson. La flèche ne tarda pas à se planter dedans sans toucher personne.
- Knam, jura Sstanch entre ses dents, à cause du soleil qu'il avait dans l'œil
Il avait vu à peu près d'où partaient les traits. Il fit passer l'ordre de bouger à un homme au bout du système de défense. De nouveau une flèche arriva. Il jura à nouveau, ce n'était le même tireur. Il fit de nouveaux essais en faisant bouger différents hommes. A chaque fois, l'arc chantait et la flèche arrivait. Sstanch avait compté entre une et deux mains de tireurs. Il allait continuer quand...
- Tsy... (Il n'y en a qu'un qui se déplace) dit un konsyli. (l'arc chante pareil).
- Runt... (Quand le soleil sera en haut du ciel, attaquez), dit le deuxième konsyli, (Je vais le contourner).
Au petit trot, il partit. Pendant ce temps Sstanch faisait bouger ses hommes. En face le tireur répliquait régulièrement. A la moitié du jour, le groupe sortit en hurlant pour charger la forêt. A mi-parcours, la moitié ne hurlait plus et à l'orée du bois, tous étaient essoufflés sauf Sstanch et le konsyli. Ils découvrirent un homme à terre. Une pointe dépassait de sa poitrine. Derrière, le konsyli attendait accroupi, scrutant la forêt. Quand Sstanch arriva, il se leva.
- Rtu... (Il est seul. J'ai regardé partout. Les autres ne sont pas là. Ils ont dû trouver un autre chemin).
- Dez... (Ils nous ont bloqués pendant la moitié d'une journée. Cela devait être sa mission), répondit Sstanch au konsyli qui avait éliminé l'ennemi. Puis se tournant vers ses hommes, il expliqua la situation et donna l'ordre de se mettre en marche vers la vallée du dragon. Il envoya deux nouveaux messagers à Quiloma.

Si Schtenkel était dans le groupe de tête, il n'était plus en tête. C'est Sienne Chemtimo qui menait le train. Et il allait vite. Son cousin suivait sans difficulté ainsi que leurs écuyers. Derrière, perdant lentement du terrain Tsiemch serrait les dents pour ne pas se laisser distancer. Plus loin Limpa marchait comme il pouvait, le plus souvent avec l'aide d'un écuyer. Deux jours passèrent comme cela. Le groupe de tête laissait des marques pour ceux qui suivaient. Tsiemch avait ramené son groupe bien après la tombée de la nuit, mais Limpa n'avait pas rejoint. Les cousins Chemtimo pensèrent qu'il avait préféré bivouaquer dans la clairière qu'ils avaient traversée en milieu de journée. La discussion tournait autour du temps qu'il restait pour atteindre la grotte du dragon. Schtenkel parla de deux jours de marche si tout allait bien. Même s'ils plaignaient Limpa, il sentit bien que les cousins étaient heureux d'avoir un concurrent de moins dans cette course à la gloire. Sienne qui dominait, serait le premier à tenter sa chance. Fmine son cousin, l'aiderait dans cette conquête. Moins grand et moins brillant, il ne se voyait pas les chances de remplir cette mission. Tsiemch rêvait de gloire. Schtenkel ne l'en croyait pas capable. Quant à Limpa, il pensait que sa blessure le tuerait avant qu'il ne rencontre le dragon.
Il avait tort.

Limpa se tenait debout les armes à la main. Ses écuyers avaient fui quand le dragon s'était posé dans la clairière. La soirée avait à peu près bien commencé. Fatigué par la marche Limpa s'était reposé pendant que ses serviteurs préparaient le repas. Les plantes que son écuyer soigneur lui avait fait prendre avaient calmé la douleur. Alors que la lune se levait, voilé par les nuages, il avait décidé de tester ses différentes armures pour choisir celle avec laquelle, il pourrait affronter le monstre. Il avait ainsi revêtu son armure de parade. Très décorée, elle protégeait moins mais pesait deux fois moins lourd que l'autre. Si sa plaie n'empirait pas, il pourrait tenter de combattre ainsi. Avec l'autre il aurait été trop lent. L'épée à la main, il faisait des exercices quand brusquement la lumière avait baissé. Un vent violent s'était levé. Une masse énorme occupait l'espace et se posait dans la clairière. Si tous les écuyers prirent la fuite, Limpa se mit le dos contre un arbre et leva sa garde. Devant lui se tenait le monstre. Il s'aperçut que ses yeux où dansait le reflet du feu, ressemblaient à des lacs d'or. Sa cuirasse faite de plaques, lui rappela le vermeil. Il fut admiratif. Il sut qu'il livrerait là son dernier combat.
- Tu viens cherrrcherrr la morrrt qui t'est dûe, Monssstrrre, hurla-t-il.
- Et toi, petit homme, viens-tu chercher une place de dieu?
Limpa fut étonné d'entendre le dragon parler et encore plus de la douceur de sa voix.
- Je rrreviendrrrai dans mon pays avec ta dépouille et je serrrai comme un dieu.
- Tu ne reverras pas ton pays, petit homme. J'ai vu un être debout dont le savoir est grand. Je sais ta blessure. Je sais ton orgueil. Je sais aussi ta droiture.
- Tu sssais bien des chossses, monssstrrre, mais cela ne t'éviterrra pas la morrrt.
- Tes compagnons méritent le sort qui sera le leur. Toi, aujourd'hui, tu as le choix. Pose ton arme, rends-toi et tu auras la vie sauve, ou alors bats-toi et tu mourras avec honneur et panache.
- Les chevaliers de Flamtimo ne se rrrendent pas, monssstrrre, alorrrs .... SSSUSSS !
Limpa courut en avant... Il attaqua le dragon aux pattes. Sa seule chance était d'être plus mobile et plus vif que le dragon. De toutes ses forces, il abattit son épée qui n'écorna même pas la griffe sur laquelle elle glissa. Le dragon le repoussa de sa patte, déchirant sa cuisse au passage. Faisant fi de la douleur, Limpa repartit à l'attaque, bouclier haut pour éviter le souffle brûlant qui tomba sur lui, il toucha une patte, éclatant une des plaques vermeilles qui protégeait la chair. Le dragon retira sa patte mais d'un coup de gueule arracha le bouclier. Limpa recula à nouveau. Un instant leurs regards se croisèrent. Il crut lire du respect dans l'œil du dragon juste avant de se ruer à nouveau à l'assaut. C'est de la patte droite que le dragon lui ouvrit le thorax malgré l'armure. Limpa retomba à terre. La nuit se fit. Les premiers flocons tombèrent.

Les cousins Chemtimo n'attendirent même pas le lever du jour pour partir. L'aube pâlissait à peine quand ils levèrent le camp. Tsiemch n'avait pas donné les ordres pour cela et ses écuyers n'étaient pas prêts. Il hurla et tempêta mais dut attendre la fin des préparatifs. Il faisait grand jour quand sa compagnie s'ébranla. Il essaya de faire presser le pas sans grand résultat. Heureusement la neige qui était tombée, gardait les traces du passage des cousins. La journée fut longue et monotone. Les corps étaient fatigués. La forêt semblait interminable. Ils s'arrêtèrent en entendant les cris derrière eux. Les écuyers de Limpa arrivaient sans armes ni bagages. Affolés, ils racontèrent la fin du chevalier. Tsiemch les écouta jusqu'au bout et jura qu'il mettrait fin à la vie de ce monstre responsable de la mort du grand chevalier Limpa dont la geste était connue dans tout Flamtimo. Il en profita pour répartir les charges sur plus d'épaules et pour faire accélérer le mouvement. Tout en marchant, il se fit raconter plusieurs fois le récit du combat. Le dragon l'avait pris en traitre. Mal équipé, Limpa n'avait eu aucune chance. Heureusement Tsiemch avait ce qu'il y a de mieux en armement et en armure. Néanmoins, il pensait qu'il fallait mieux surprendre le dragon dans son sommeil que de vouloir le combattre. Prudent, il décida de revêtir son armure de combat. Cela le ralentirait mais il serait paré pour toutes les mauvaises rencontres. Quand la nuit tomba, ils n'avaient pas rejoint le groupe des cousins. Ils étaient à quelques heures de marche derrière. Il donna les ordres pour le lendemain matin. Avec la nuit la neige se remit à tomber, lentement, doucement, sans bruit.
Alors que la lumière pâlissait à peine, tout le camp s'activait. Malheureusement, les traces des cousins avaient disparu sous la poudreuse. De nouveau Tsiemch entra en colère. De son épée, il frappa les arbres pour se soulager. Il rageait aussi contre les cousins qui n'avaient pas laissé de balises. Il reconnaissait bien là, leur mauvaise foi et leur manque au protocole. Ce n'était pas la première fois que Sienne ne respectait pas l'honneur de la chevalerie. Il en était là de ses réflexions quand un écuyer de Limpa cria en se jetant à terre :
- Le monssstrrre !
Tsiemch chercha du regard autour de lui. Rien ! Il leva la tête à temps pour voir disparaître une grande silhouette rouge.
- Il nous montrrre la route... Suivons-le!
Tsiemch partit dans la direction du vol du dragon. Ils marchèrent ainsi quelques centaines de pas avant de trouver des traces des cousins. Il jubila intérieurement. Il allait pouvoir remplir sa mission. Plus ils avançaient, plus la trace devenait fraîche. A cet endroit, la forêt devenait moins dense. Alors qu'ils atteignaient une crête, un écuyer repéra le groupe des cousins plus loin en contrebas. Armés de pied en cap, le bouclier au bras, ils avançaient avec précaution. Tsiemch pensa : « La vallée du dragon ». Les écuyers s'équipèrent de leur cotte de maille, lui prit son bouclier pour continuer. La journée se passa sans autre incident. Ils eurent quelques frayeurs en voyant passer et repasser le dragon au-dessus de leurs têtes, mais bien cachés par la végétation, ils se sentaient invisibles.

Sstanch était heureux que Mlaqui soit arrivé avec deux mains de guerriers du froid. Pour eux, l'arrivée de la neige était un bon présage. Ils avaient pris position au-dessus de la grotte du dragon quand les premiers flocons tombèrent.
- Smi...(Ils devraient arriver par l'autre versant), dit Mlaqui, (demain nous descendrons pour sécuriser la vallée.)
- Quil...(Est-ce la volonté du prince Quiloma?), demanda Sstanch.
- Tsi...(Oui, le dragon est jeune encore. Notre avenir dépend de lui).
Ils n'avaient pas fini de parler que, dans un grand déplacement d'air, le dragon se posa.
Si les guerriers du froid restèrent impassibles, les autres reculèrent effrayés.
- Nsi...(Bonsoir, être debout qui connaît les onguents.)
- Nsi...(Bonsoir, Seigneur Dragon), répondit Mlaqui en mettant un genou à terre, imité par tous les présents.
- Smo...(De petits hommes arrivent pour me voler mon trésor, ou ma vie. Ma volonté est de les combattre sans l'aide des êtres debouts)
- Quil...(Mon prince, le prince Quiloma souhaiterait t'aider, Seigneur Dragon. C'est pour cela que je suis là.).
- Tri...(Ma force et ma ruse devraient suffire pour occire les trois porteurs de carapaces. Je vous laisse leurs aides... mais qu'on ne touche pas à celui à qui j'ai coupé la main.).
- Lte...( Si telle est ta volonté, Seigneur Dragon, nous le ferons.).
- Nie...(Que la neige te soit favorable, être debout Mlaqui, ainsi qu'à ceux qui t'accompagnent).
Ayant dit cela le dragon d'un puissant coup d'ailes se jeta dans le vide.

Les cousins Chemtimo étaient heureux dans leur grotte. Avec ses deux entrées, elle ne pourrait pas devenir un piège. Ils avaient trouvé un passage tortueux et étroit par où le plus jeune des écuyers avait une très bonne vue sur l'entrée de la grotte du monstre.
- La neige est tombée deux fois, dit Sienne.
- Oui, cela nous débarrrasssera des deux autrrres, répondit Fmine.
- Limpa ? Il n'arrrrivera même pas iccci. Tsiemch ne nous gênerrra pas. Il est trrrop nul. Je parrle de la neige pourrr te dirrre que nous n'aurrrons pas d'autrrre chance. Le plus tôt serrra le mieux.
A ce moment-là, l'écuyer guetteur arriva tout excité:
- Le monssstrrre vient de rrrentrrrer ...
- Allonsss-y et finisssonsss-en ! dit Fmine.
Un bruit venu de l'extérieur les fit sursauter. L'épée à la main pour les chevaliers, l'arc prêt pour les autres, ils guettèrent dans la pénombre du soir, cherchant à voir qui en était la cause.
Un cri chuchoté se fit entendre.
Les cousins se regardèrent et Sienne jura. Manifestement Tsiemch arrivait. Ils l'entendirent renouveler son appel. Ils lui firent signe.
Ils se serrèrent dans la grotte. La discussion s'orienta sur les nouvelles que Tsiemch apportait. Limpa était mort au combat, valeureusement avaient précisé les écuyers.
Puis on parla du monstre qui attendait tapi dans son antre. Sienne était d'avis d'y aller tout de suite, Tsiemch préférait attendre. Fmine ne savait pas trop quoi penser. Sienne emporta la décision en parlant du problème des guerriers ennemis que allaient forcément arriver à moins qu'ils ne soient déjà là. La nuit assez claire était un bon moment pour atteindre la grotte.
C'est peu après que les trois chevaliers se mirent en route. La neige luisait faiblement sous la lune. Avec cette luminosité, ils n'auraient pas besoin de torche. Malgré leurs équipements, les trois hommes se déplaçaient presque sans bruit. Dans la grotte, l'écuyer guetteur avait repris sa veille. Il avait intégré l'équipage de Sienne Chemtimo depuis peu et espérait tirer des bénéfices de la victoire de son maître, car il était certain de sa victoire. Ses collègues plus âgés étaient confiants mais pas aveugles. Ils pensaient que même si le dragon était mort, il y aurait les guerriers ennemis qui voudraient le venger. Déjà, ils préparaient la retraite, faisant le tri entre ce qui méritait d'être ramené et ce qui pouvait être abandonné, s'il fallait se replier rapidement.

Les trois hommes marchaient en silence, accompagnés du bruissement de la neige qu'on écrase. Ils virent un feu au loin sur la rive au-dessus de la grotte du monstre. Les guerriers ennemis étaient là. C'était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Ce soir, ils étaient là-haut. Ils ne seraient pas à les chercher. Demain ce serait une autre histoire. Schtenkel n'avait pas eu le choix. Il marchait devant assez loin, en balisant le terrain de ses traces. Habillé de blanc, il se coulait dans le paysage, ombre blanche dans les ombres de la nuit. Il avançait la peur au ventre. Sa mission était aussi d'avertir en cas de danger. Il arriva au bord du lac sans avoir rencontré âme qui vive. Il repensa au dragon qui avait surgi de l'eau. Il espérait que ce soir, il n'avait pas quitté sa grotte. Un oiseau de nuit hulula. Il sursauta. S'arrêtant, il scruta la nuit un moment. Comme rien ne bougeait, il se remit en marche. Il atteignit la base de la falaise de la grotte. Il chercha à droite et à gauche un passage. Longeant la paroi, il arriva devant ce qui lui sembla être un chemin possible. De nouveau, l'oiseau de nuit hulula. Schtenkel commença son ascension. Il atteignit une plateforme. Il n'avait pas fait trois pas que ... L'oiseau hulula à ses oreilles. Il se retourna brusquement. Il sentait une présence. Il porta la main à son épée pour la dégainer. Il n'arriva pas au bout de son geste. On venait de lui jeter un grand sac sur la tête. Une corde le serra à la taille, une autre autour de la tête l'empêchant de crier. Il se sentit quitter terre.

Les trois chevaliers suivaient la piste de Schtenkel. Ils lui avaient fait décrire le chemin. Sienne avait tiqué quand Schtenkel avait expliqué ne pas avoir dépassé le lac. Il lui avait quand même intimé l'ordre de partir en éclaireur. Ils l'avaient suivi à distance. Arrivés au lac, ils eurent juste une pensée pour le frère de Limpa. Ils ne s'arrêtèrent pas. Les traces de Schtenkel étaient bien visibles malgré la faible lumière. Ils s'engagèrent sous les frondaisons. De nouveau un oiseau de nuit hulula. Ils l'avaient déjà entendu plusieurs fois. Craignant qu'il n'alerte le dragon, ils se figèrent. Ils restèrent un long moment comme cela. La lune se montra enfin entre les nuages. Fmine soupira de contentement. Ils n'allaient pas être gênés par la neige pour gravir la falaise. Une ombre volant sans bruit passa devant la lune. Sienne la montra à ses compagnons. L'oiseau était parti, ils pouvaient reprendre leur progression. Ils dégainèrent en silence. Peut-être y avait-il des sentinelles. Schtenkel n'avait pas donné signe de vie. Devant la falaise, ils suivirent ses traces. Elles partaient vers la droite et semblaient bien régulières. En arrivant à une plateforme, ils s'arrêtèrent. Schtenkel avait piétiné là. Ils écoutèrent et scrutèrent les lieux. Il n'y avait pas d'autres traces et ils voyaient ses pas repartir vers l'amont. Cela mit Tsiemch mal à l'aise. Il fit un signe interrogatif à Sienne. Ce dernier haussa les épaules et reprit sa progression en murmurant :
- S'il avait été attaqué, on verrrait la trrraccce de ses agrrressssseurs !
Tsiemch se calma en voyant que le chemin bien que raide et difficile, leur permettait de s'élever vers l'antre du monstre. La lune éclairait parfaitement les lieux. Si jamais il y avait des guetteurs bien placés, ils ne pouvaient passer inaperçus. Sienne jura sourdement. Il s'arrêta et scruta autour de lui. Ils attendirent que la lune se cache à nouveau derrière un nuage pour repartir. Ils marchaient maintenant sur une corniche étroite. Fmine qui avançait en tête, se retourna pour voir son cousin. Celui-ci rengaina son épée et lui fit signe d'avancer. Fmine fit de même. Il longea la paroi tout en s'assurant de bonnes prises pour les mains. Au bout, le vent avait dipersé la neige. Les traces avaient disparu. La lune de nouveau se dévoila. Il en fut soulagé. Il voyait un espace plus dégagé plus loin où ils allaient pouvoir se regrouper. Il parcourut la petite surface sans trouver les traces de Schtenkel. Vu la paroi, il ne pouvait avoir disparu. Fmine attendit son cousin. Il ne comprenait pas où était le chemin. Celui-ci ne tarda pas. Il demanda à voix basse :
- Pourrrquoi tu n'avanccces pas ?
- Il n'y a plus de traccces !
Sienne haussa les épaules et commença à faire le tour de l'espace. Son cousin avait raison, le vent avait balayé la neige. Schtenkel n'avait laissé aucune empreinte sur ce rocher. II sentit la colère bouillonner en lui. Pourtant ce n'était pas le moment de se laisser aller à des gestes bruyants.
- Où a-t-il pu passser ? se demanda-t-il.
- Je ne vois pas, répondit son cousin.
- Que se passe-t-il ? chuchota à son tour Tsiemch qui venait d'arriver
- Il n'y a plus de chemin, répondit Fmine. On ne voit pas où est passssé Ssschtenkel.
- Là ! s'exclama Sienne en montrant du doigt une direction.
Il courut jusqu'à un tronc et l'observa. C'était sûr. Il était parti en escaladant le tronc. A la lumière de la lune, il examina l'arbre qui poussait là. Le tronc était mince mais bien droit. Plaqué contre la falaise, il avait poussé avec peu de ramure. En contrebas, les racines semblaient plaquées contre le rocher. Sienne douta de leur solidité. En regardant en haut, il crut apercevoir une silhouette qui lui faisait signe. L'idée de grimper à un mât avec son armure de combat lui déplut. Il ne voyait pas d'autres choix possibles. Il grimaça. Se retournant vers les autres, il dit :
- Il est là-haut. On ne peut pas monter à trrrois. Il faudrrra ssse sssuivrrre. Je passssse le prrremier. Fmine, tu sssuivrrras.
La montée fut éprouvante. Malgré la fraicheur de la nuit, il transpirait dans son armure. Heureusement, les restes de branches donnaient des appuis bienvenus. Arrivé en haut, il se laissa glisser sur le rocher. Il aurait voulu se reposer, mais s'aperçut qu'il était à l'entrée de l'antre. Il chercha un repli où se cacher. Il chercha Schtenkel des yeux, sans le trouver. La lune n'éclairait plus. Les nuages de plus en plus épais cachaient sa lumière. Il entendit du bruit venant de l'arbre. Il se risqua jusqu'au bord pour récupérer son cousin. Une fois réunis, à tâtons, ils s'enfoncèrent dans la grotte.
Non loin de là, un œil jaune s'entrouvrit.

Tsiemch hahanalt. Il se hissa avec peine sur le bord. Le froid devenait plus vif, les nuages plus présents. Il pensa que la neige revenait. Il essaya dans la pénombre de comprendre où il était et où étaient les autres. L'oiseau de nuit hulula à nouveau. Décidément, il n'aimait pas ces bêtes-là. A travers une trouée dans les nuages, il eut un bref éclairage. Il sursauta. Il était devant l'entrée de la caverne du dragon. Instinctivement, il retint son souffle. Il écouta. Le vent soufflait. Il entendait les bruits habituels de la nuit, sans plus. Les cousins n'étaient pas en vue. Ils devaient être rentrés dans la caverne pour tuer le monstre. Fidèle à sa décision, il essaya de trouver un recoin pour se cacher et attendre le moment favorable pour frapper le dragon quand il ne s'y attendrait pas. Il se mit debout. Où pouvait se cacher la bête ? Il estima qu'elle devait dormir sur ses trésors. Quand il l'aurait tué, il se promit de se couronner de la couronne du roi Yas. Devenu comme un dieu, il n'aurait aucun mal à se faire obéir de tous ces prétendus puissants. Il avançait à tâtons tout en rêvant de gloire et de puissance.

Dans la pénombre de la grotte, les cousins cherchaient des yeux où pouvait traîner le monstre. Ils virent le trésor.
- Là, la courrronne ! dit Fmine en s'avançant vers elle.
- Arrrrrête-toi ! lui dit son cousin. Tu es fou ! Il ne faut pas qu'il devine notre présence.
Fmine se bloqua.
- Cachons-nous, le drrragon n'est pas là. Il doit y avoirrr d'autrrres sssalles.
Les deux cousins se cachèrent au fond d'un boyau obscur. Un bruit les fit retenir leur respiration. Ils restèrent tapis en retenant leur souffle. Le bruit se précisa. Ils respirèrent. C'était des pas d'hommes. Ils sortirent de leur cachette.
- Ne ressste pas là ! Il pourrrrrrait arrrrrriver.
Tsiemch sursauta en les entendant. Il se déplaça à tâtons. Une ombre plus sombre l'attira. Un tunnel lui offrait son abri. Il chercha et trouva une place où il pourrait attendre. Il mangea un morceau. Savoir qu'il allait se battre lui ouvrait toujours l'appétit. Après, il s'installa du mieux qu'il put. L'attente commença.
Les cousins ne disaient rien mais trouvaient que le temps ne passait pas vite. Enfin la lumière se fit un peu plus forte. Bien cachés, ils allaient pouvoir observer et débusquer la bête.

Le dragon ouvrit les yeux avec l'aube. Ces petits hommes puaient la suffisance et l'orgueil. Il avait laissé le dernier chevalier s'enfoncer sous le porche de sa grotte. Ils sentaient l'or et l'argent. Il se dit qu'il allait enrichir son trésor. Il regarda la neige qui venait de se mettre à tomber. Quand l'aube pâlissait, il se dit qu'il était temps de secouer la poudreuse qu'il avait sur le dos. Il étendit sa perception l'ensemble de l'espace de sa grotte. Il repéra les auras des intrus. Les cousins étaient embusqués dans la salle principale. Le dernier petit homme traînait dans un des couloirs latéraux. Il se mit en marche.

L'écuyer guetteur cria.
- « Le drrragon ! »
Il recula rapidement dans le boyau d'accès. Il arriva dans la salle principale.
- Il arrrrrrive ! Le drrragon, il arrrrrrive !
Tout le monde se retourna vers lui.
- Calme-toi ! Qu'est-ccce que tu dis ?
- Le drrragon, on le crrroyait endormi dans sssa grrrotte et je viens de le voirrr rrrentrrrer.
Un des écuyers jura.
- Ccc'est lui qui va les sssurprrrendrrre et pas le contrrrairrre.
- Comment peut-on les aider ? demanda un autre.
- Le temps d'arrrrrriver et il ssserrrrra trrrop tarrrd, ajouta un troisième.
- En plusss la neige va rrrendrrre les déplacccements difficcciles.
La discussion devint générale.

Schtenkel sentit qu'on le posait à terre. Quelqu’un l'avait hissé pendant un bon moment. A peine posé, il avait senti des mains vérifier ses liens, son bâillon. On l'avait fouillé sans ménagement mais sans violence. Il n'avait plus d'épée ni de dague, ni son couteau. De nouveau, on le transporta. Cela dura un moment assez long. Ceux qui le portaient ne semblaient pas forcer. Il ne les entendait pas s'essouffler et pourtant le rythme de déplacement était rapide et montant. Puis on l'assit par terre. La chaleur d'un feu lui chauffait les genoux et le devant du corps. Il ne comprenait pas les voix qu'il entendait. Il pensa qu'il était de nouveau prisonnier. Aurait-il encore de la chance comme la dernière fois ? On lui retira sa cagoule.
- Tu es vraiment où il ne faut pas, Schtenkel !
Il reconnaissait l'homme comme étant celui qui l'avait capturé. Il était de nouveau entre ses mains. Un peu plus loin il vit des hommes aux yeux bridés et au parler étrange. Il pensa qu'il devait être au bivouac qu'il avait vu au-dessus de la caverne du dragon.
- Tesd...(Le dragon t'a marqué. Tu es à lui.)
Schtenkel se tourna vers celui qui parlait. Celui-là aussi était là la première fois.
Sstanch lui traduisit.
- Ça veut dire quoi que je suis au dragon ?
- Le dragon a donné des ordres pour toi, mais ils manquent de précision. Le konsyli que voici est chargé de rencontrer le dragon et de lui faire préciser ce qu'on doit faire de toi.

Le dragon se mit en colère. Un de ces foutus petits hommes avait touché à son trésor. Il renifla la couronne du roi Yas. Il reconnut l'odeur. Il allait leur faire payer, surtout aux deux qui se croyaient à l'abri dans leur recoin. Le troisième s'était caché avec la ferme intention de ne sortir que plus tard quand il le croirait endormi. L'idiot n'avait même pas pensé que sa bouffe sentait autant... « ça sent comme du loup gris et il ose manger ça chez moi ! » pensa le dragon. Celui-là ne perdait rien pour attendre. Les chevaliers l'avait sous-estimé, tant pis pour eux. Il fit ce qu'ils attendaient. Il grogna, racla le sol, griffa les rochers et … prépara son piège.

Les cousins Chemtimo s'étaient calés au fond de leur abri en entendant le dragon rentrer. Ils comprirent qu'il n'était pas dans la grotte à leur arrivée. Ils entendirent ses déplacements. Pour faire autant de bruit, c'est qu'il était maladroit à terre. Les raclements sur les pierres et les rochers qui bougeaient, prenaient le sens d'une bête à l'étroit dans sa tanière. Coincé, il serait d'autant plus facile à abattre qu'eux seraient mobiles. Quand tout se calma, Sienne jeta un œil. Le dragon était là, couché, lové sur son trésor. Ils voyaient son flanc, à moins que ce ne soit une épaule. La tête reposait sur un rocher. Les yeux étaient fermés. Il semblait dormir. Sienne fit signe à son cousin de ne pas bouger. Ils avaient la journée devant eux. La patience était leur alliée. La bête endormie ou somnolente serait plus facile à circonvenir.

Tsiemch avait entendu le dragon bouger dans la grotte. Le bruit était impressionnant. Il pensa qu'il avait bien choisi. Ce tunnel était beaucoup trop étroit pour le monstre. Il avait assez de provisions pour tenir quelques jours. Restait à attendre que les cousins Chemtimo échouent.

Le dragon restait attentif aux esprits des deux chevaliers. Il sentait leur impatience et leur volonté d'attendre. Il sourit intérieurement. Ces petits hommes étaient tellement prévisibles. Incapables de comprendre ce qu'était un dragon, incapables d'écouter leurs corps qui suaient la peur, ils allaient mourir. D'ailleurs il les entendit bouger. Bien sûr, ils se faisaient discrets. Mais comment être discret quand on est bardé de métal. Il perçut le glissement des épées qui sortaient du fourreau. Il était sûr que le plus fanfaron des deux serait devant. Il voulait trop la gloire pour laisser son allié de sang passer devant.

Tsiemch avait enlevé son heaume. Collant l'oreille à la paroi, il écoutait les bruits que lui transmettait la roche. Il entendit le raclement léger que firent les cousins quand ils se mirent debout. Délaissant la paroi, il se rapprocha du centre du couloir. Il avait une vue partielle de la grotte. Dans la lueur blafarde d'un jour neigeux, il voyait la masse rouge sombre du dragon. Il jura intérieurement. Il ne s'attendait pas à une aussi grosse bête. Il eut un doute, juste un léger doute sur sa possibilité de le tuer. Les cousins devaient préparer leur attaque. Il remit son heaume au cas où...

Sienne fit un pas. Le monstre respirait tranquillement, inconscient de sa mort qui approchait. Sienne sourit. En quelques pas, il pouvait être juste à hauteur de la plaque fatale sur le poitrail de la bête. « En un coup d'épée ! » pensa-t-il, « en un coup et s'en sera fini, je deviendrai comme un dieu ! ». Il fit un autre pas, quand même prêt à se jeter en arrière. Tout était tranquille. La neige à l'extérieur étouffait les bruits. Le calme régnait dans cet abri. Au troisième pas, il entendit le faible raclement des poulines de métal de son cousin. Il s'immobilisa. Le bruit de la respiration du monstre continua, régulier, ample.
Sienne estima qu'il était à six pas de frapper. Il se baissa pour passer sous le rocher que
la bête avait dû déplacer en rentrant. Cette arche naturelle le protégeait. Derrière, son cousin fit aussi un pas de plus. Sienne prit appui sur la roche et jeta un coup d’œil. Trois pas le séparaient de son but. Il allait avancer le pied quand la respiration du dragon fit une pause. Il se recula vivement heurtant une pierre de son talon. Celle-ci bougea, roula, libérant un caillou plus gros qui se mit aussi en mouvement. Sienne ne songea qu'au bruit. Cela allait réveiller le dragon. Il avança la main pour tenir le caillou avant qu'il ne dévale la pente. Elle fut écrasé par le rocher que le caillou calait. Sienne hurla sa douleur. Son cousin essaya de lui porter secours, mais d'équilibre instable en équilibre instable, les rochers s’effondrèrent sur eux.

Tsiemch avait repéré Sienne au moment où il sortait de sous ce gros rocher. Lui aussi avait entendu la pause respiratoire. Instinctivement, il s'était reculé. En entendant les rochers rouler, il refit un pas en avant. Avec horreur, il vit les cousins Chemtimo se faire engloutir sous un amas de roches. Il se recula avec vivacité. Le dragon allait se réveiller.
Il sursauta en entendant la voix.
- Alors petit homme, tu te crois à l'abri.
Tsiemch tendit le cou pour voir qui parlait ainsi. Il vit que la poussière était retombée. Du tas de rochers dépassaient des membres revêtus d'armures. Il vit un bras qui bougeait faiblement. Il essayait d'en voir plus quand un œil jaune se montra au bout du conduit. Il se plaqua contre la pierre. S'il avait pu, à cet instant précis, il se serait enfoui dedans.
- Je n'aime pas ceux qui en veulent à mon trésor.
Le monstre parlait ! Tsiemch pensa un instant qu'il délirait. Pourtant ce qu'il vivait était bien réel.
- Tu es un voleur, mais en plus tu es muet !
Devant l'insulte, Tsiemch se redressa :
- Je ne sssuis pas un voleurrr !
- Tu es pire alors, un tueur !
- Ccc'est toi monssstrrre, qui est voleurrr et tueurrr !
Tsiemch fut déconcerté par le rire du dragon.
- Même aux portes de la mort, ton ridicule orgueil te tient. Alors si tu n'es ni tueur, ni voleur, qui es-tu ?
- Je sssuis Tsssiemch, Chevalier de Femtimo, adoubé parrr le prrrinccce en perrrsssonne. Mon rrrôle et mon honneurrr sont de chasser les monssstrrres comme toi.
- Quelle grandeur d'âme, cher petit homme chevalier. Tu es venu par pur altruisme jusqu'à mon domaine. Que cela est beau.
- Trrremble drrragon, car même sssi je ne rrréussssssis pas, d'autrrres viendrrront et te tuerrront pour rrrendrrre ce que tu as volé à leurrrs prrroprrriétairrres et me venger !
- Tu es bien présomptueux, petit homme.
- Le rrroi Yasss lui-même viendrrra avec son arrrmée, plus nombreuse que les arrrbrrres de la forrrêt, pourrr te pourrrchasser.
- La neige arrive, petit homme et les rois ont bien des soucis.
Tsiemch avait dégainé son épée doucement pendant cet échange de paroles. Le couloir était dans le noir. Il avait une chance de lui crever un œil. Il fonça en hurlant.
L'œil qu'il visait s'effaça tellement vite que Tsiemch en fut surpris. Emporté par son élan, il continua sa course sur la roche du plancher de la caverne, cherchant des yeux le dragon. Quand il le vit, c'est à peine s'il put infléchir sa trajectoire. D'un coup de patte dans le thorax, il envoya Tsiemch voler par dessus le bord de la grotte.

Les écuyers aussi lourdement armés qu'ils pouvaient le virent planer un instant. Eux qui venaient pour secourir leurs chevaliers assistèrent à l'écrasement de leur maître dans la forêt en contrebas.
- Sus, tuons-le, cria un des écuyers.
- À morrrt ! cria un second.
- Attention, cria le troisième.
Une pluie de flèches s'abattit sur eux. Ils battirent en retraite aussi rapidement qu'ils le pouvaient. Leurs cottes de mailles ne valaient pas les armures de combat. Ils laissèrent la moitié des leurs avant d'atteindre la protection de la caverne qu'ils venaient de quitter. Derrière eux, des guerriers aux yeux bridés donnaient la chasse.

dimanche 19 août 2012


La mort de Jianme avait calmé les ardeurs guerrières à Tichcou. Le sous-officier qui se retrouvait en charge du commandement pensait que ce n'était pas son rôle de prendre des initiatives. Schtenkel avait fait un récit propre à marquer les esprits. Personne n'était là pour le contredire. Torétaro n'était pas rentré avec lui. Dans son discours, il disparaissait comme avalé par la forêt. La réalité était autre. Torétaro avait pris le discours du dragon comme un avertissement. Il avait décidé que le temps était venu pour lui de retrouver son peuple et sa terre. Il avait semé les poursuivants après la vallée du dragon, remit Schtenkel sur le bon chemin, un ruisseau qui arrivait en aval de la ville dans la vallée de Tichcou. Il avait alors donné l'accolade à Schtenkel en lui souhaitant toutes les bénédictions du monde et s'était enfoncé dans la forêt. Dans son rapport, Schtenkel le faisait disparaître avant la rencontre avec le dragon, victime d'un mal mystérieux. Il ajoutait des détails comme Torétaro quasi aveugle et presque sans force se faisant raconter le paysage pour les aider à progresser malgré tout. C'est cette version qui arriva au palais de pierre en construction à Tienne. Le chambellan, qui avait vu le dragon à l'œuvre sur l'ancien palais, n'eut aucun mal à le croire. Il envoya un messager au roi pour demander des ordres. La légende de Jianme commença à se répandre. On vit arriver à Tichcou des chevaliers de la haute caste de la province de Flamtimo. Leurs épopées racontaient les hauts faits de ceux qui devinrent des dieux. Dans ces épopées, il y avait la chasse au dragon. Lourdement armés, hyper entraînés, ces chevaliers qui savaient les autres exploits épiques impossibles en ces temps, venaient tenter leur chance d'atteindre à la divinité. Schtenkel qui coulait des jours assez paisibles en se faisant rémunérer pour raconter son histoire, vit d'un mauvais œil leur apparition. Dans l'auberge qui lui tenait lieu de maison, l'entrée du premier chevalier fit son effet. Grand comme une montagne disaient les gens, large comme une armoire, il devait se baisser pour passer sous le linteau de pierre de la porte. Il se déplaçait dans un bruit de ferraille.
- Tu eess SCHETNEKEL dit-il à moitié hurlant.
Le vide se fit comme par magie autour des deux hommes. La soirée déjà bien avancée et bien arrosée rendait Schtenkel moins réactif. Il toisa l'homme :
- Pt'ête bien !
- Alorrrrrs, rraconteux !, dit le chevalier en posant deux pièces d'or sur la table.
Schtenkel avala sa salive, hypnotisé par l'or et commença son récit.
- Nooonnn, Toi as pas bien comprrris, dit le chevalier en tapant sur la table. Toi venirrr, conduirrre moi.
Il attrapa Schtenkel par le cou et le souleva. Ce dernier poussa un cri mais personne ne l'aida.
- Toi avoirrr beaucoup d'orrrr quand drrragon morrrt...
Sans autre forme de procès, il sortit de l'auberge en emportant Schtenkel comme un fagot.