Les enfants riaient aux éclats. La
neige était vraiment quelque chose de merveilleux. Quiloma ne put
s'empêcher de sourire. Sabda n'était pas la dernière à s'amuser
dans cette gigantesque bataille de boules de neige. Il reconnut aussi
Tandrag ainsi que les enfants de Kalgar. Il savait que cette première
neige ne durerait pas. Les enfants de ce premier printemps avaient
juste acquis assez d'autonomie pour aller jouer avec tous les autres.
La Solvette lui avait dit que c'était une bonne année pour la cité.
Il y avait à la fois assez de nourriture et assez de nouveaux bras.
Il repensait à la rencontre qu'il venait d'avoir...
- Oui, Mon Prince, nous avons suivi les
ordres.
- C'est le Seigneur Dragon lui-même
qui vous a dit cela ?
- Oui, Mon Prince. Le Seigneur Dragon
voulait qu'on laisse l'homme sans main en vie. Il a dit que son
destin était de conduire les siens à la mort et un autre à la vie.
- Le Seigneur Dragon dit des paroles
étranges, Mlaqui. Que voulait-il laisser entendre ?
Sstanch suivait avec difficulté cet
échange entre le prince et son konsyli. Il ne parlait pas encore
assez bien leur langue pour suivre tous les détails. Il avait
compris que Mlaqui racontait les derniers évènements. Le dragon
était revenu pour donner ses ordres. Sstanch trouvait encore cela
étrange. Avant la dernière saison des neiges, jamais il n'aurait pu
imaginer une telle rencontre. Il se pensait du bon côté avec un
allié dragon. Natckin l'avait refroidi dans son enthousiasme. Les
esprits étaient plus circonspects quant à l'avenir. Rien n'était
joué. Leurs oracles concernant le dragon étaient obscurs. Ce qui
était certain : la cité ne vivrait qu'en continuant ce chemin.
Le dragon avait encore des épreuves à passer. Quelqu'un devrait
faire Sangha avec le dragon mais nul n'avait compris si c'était un
habitant de la cité, un guerrier du froid ou un prince. Nul n'avait
compris non plus ce que voulait dire Sangha.
Sstanch revint au moment présent.
Mlaqui racontait la traque des seconds guerriers. Le dragon avait
demandé d'en laisser un en vie et de laisser Schtenkel sur ses
traces.
- D'autres guerriers de métal doivent
venir avant le grand guerrier. Telles furent les paroles du Seigneur
Dragon. La neige les tuera peut-être.
- Je ne crois pas Mlaqui. Il n'en est
pas encore tombé assez. C'est un heureux présage pour les habitants
du village. Elle veut dire la paix pour nous et surtout la
possibilité que les nôtres arrivent.
Se tournant vers Sstanch qui attendait
un genou à terre, Quiloma lui dit :
- Debout, maître d'armes de la cité.
Où en sont les dix mains d'hommes ?
- Ils progressent bien. Ils ont
beaucoup appris dans cette rencontre avec les chevaliers des plaines.
- Cela est bon. Cinq mains d'hommes
doivent être toujours prêtes au départ, jusqu'à l'arrivée des
renforts.
- Oui, prince Quiloma.
La conversation roula sur les
nécessités techniques de l'organisation. Quiloma aurait bien voulu
plus d'hommes. Un prince neuvième peut commander jusqu'à dix
phalanges, mais ici, il ne pouvait dégarnir les champs de leurs
bras. Le temps que les enfants arrivent à maturité, lui serait trop
vieux. Il avait déjà connu beaucoup d'hivers. Il ne pouvait
s'empêcher de penser à Sabda. S'il repartait dans son pays
devait-il l'emmener ? Il sut la réponse en se posant la
question. La Solvette ne voudrait pas et qui était-il pour se mettre
contre la Solvette ? Il sourit intérieurement. Quel destin
étrange que le sien. Parfaite machine à faire la guerre, il était
devenu sensible au sourire d'une enfant et de sa mère. Si Schtenkel
et le second guerrier arrivaient à Tichcou assez vite, peut-être y
aurait-il une nouvelle expédition. Il avait rencontré un... Il ne
savait pas trop bien. Il était parti sur la journée pour
s'entraîner avec une main d'hommes. En explorant un des versants de
la montagne où était la cité, ils étaient tombés sur un
campement. Avant, il aurait passé tout le monde au fil de l'épée
car aucun n'avait les yeux bridés, mais aujourd'hui avec le vécu de
cette dernière saison, il avait observé. Le chef de ce groupe
n'était pas un marabout, ni probablement un prêtre de la cité
quoique il leur ressemblait. Ce qui l'avait arrêté était le bâton.
Il connaissait ce type de bâton. Il en possédait un morceau dans
son étui rouge. Il donnait le feu et la légende lui prêtait la
puissance des dragons quand il était entier. L'homme avait pris le
temps de nettoyer son bâton avant de lui remettre un petit fourreau.
Quiloma sentit son regard se libérer. Était-il face à l'élu ?
Cela expliquerait la présence d'un
juvénile par ici. Pourtant la légende disait que l'élu serait de
son peuple. Quiloma ne savait que penser.
- Bonjour, prince Quiloma.
Quiloma sursauta en entendant son nom.
Cet homme qu'il n'avait jamais vu, regardait dans sa direction et
l'appelait. Il était pourtant sûr d'être invisible et de ne pas
avoir fait de bruit. D'ailleurs les compagnons de l'homme,
sursautèrent aussi en l'entendant parler. Ils se jetèrent sur des
armes. L'homme reprit la parole :
- Vous ne risquez rien, posez-vos armes
mes amis et toi, Iaryango, pose l'arc de Rhinaphytia, tu risques de
blesser quelqu'un.
Quiloma sortit à découvert. Il avait
sa lance à la main. Par gestes, il avait dit à ses hommes de ne pas
bouger.
- Dructa Quiloma ? (Sais-tu qui
est Quiloma?).
- Oui, je te connais prince Quiloma. Je
comprends même ta langue.
- Mru... (Qui es-tu, toi qui tiens un
bâton de puissance?)
- Juste un homme, prince Quiloma. Quant
à ce bâton, il n'a de puissance que les lignes qui y convergent.
- Stomr...(Que fais-tu ici, toi que je
n'ai jamais vu ?).
- Je suis le Maître Sorcier de la cité
que tu habites.
- Mro... (La mort serait une bonne
chose pour toi !).
- Je sais ce que tu penses de nos
coutumes et de nos croyances. Tu es venu, porté par les ailes du
bouleversement. Tu crois ton rôle important. Comme moi tu obéis à
d'autres dont les desseins te dépassent.
- Donne-moi une raison de ne pas te
tuer ? dit Quiloma dans la langue de Kyll.
- Je crois qu'elle passe, répondit
Kyll.
Une grande ombre les survola. Quiloma
leva la tête. Quand il redescendit les yeux, Kyll avait enlevé la
protection du bâton. Quiloma ne pouvait plus bouger les yeux. Son
regard était comme hypnotisé. Il suivait les courbes des
arabesques. Il les reconnaissait. Dans la caverne des dragons, il
avait vu les mêmes.
- Tu as une raison, maître sorcier. Je
ne peux que me soumettre.
Lentement, il sortit son étui et fit
glisser ce qu'il contenait dans sa main. Il en sentit la chaleur et
la puissance, ou plutôt le souvenir de la puissance. Il savait qu'il
n'avait en sa possession qu'un morceau du dernier bâton de puissance.
Un bâton plus vieux que les souvenirs des vivants, un bâton de
légende, celui du dernier roi dragon. La légende disait que même
un simple morceau brillerait en rencontrant le nouveau bâton. C'est
pourquoi les princes en avaient tous une parcelle. Cela faisait des
générations qu'on cherchait le nouveau roi dragon. Quiloma fut
déçu. Il n'y eut pas de réponse. Il n'était pas en face de l'élu,
mais en face de quelqu'un qui avait une relation privilégiée avec
le dragon, ou avec l'élu.
- Que sais-tu, maître sorcier ?
Je sais que tu n'es pas l'élu.
- Tu sais bien, prince Quiloma. Je ne
suis que Maître Sorcier. Les esprits m'ont parlé de toi. C'est
pourquoi le crammplac poilu t'a épargné.
- Si je suis vivant, c'est qu'il ne m'a
pas tué. La prédiction est facile, ironisa Quiloma.
- Sais-tu qu'il a chassé pour toi et
les tiens. Rappelle-toi le clach qui est tombé dans ton abri. Les
esprits ont demandé que tu vives. Le crammplac poilu a obéi.
Quiloma fut troublé. L'histoire de sa
chasse n'avait pas quitté le cercle des guerriers du froid. Elle
était un récit tabou puisque le roi dragon était intervenu.
- Que peux-tu encore me prédire,
maître sorcier?
- De ce que tu feras un jour naîtra
l'avenir. Si ton héroïsme est fort comme la vie alors naîtra la
vie du roi dragon, sinon, nous vivrons des temps noirs.
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