Quiloma comptait ses forces. Avec la
défaite de l'arbre, il se retrouvait dans l'incapacité de mener à
bien ses missions. Il ne pouvait plus surveiller la vallée du
nouveau lac, les gorges de Cantichcou comme disaient les natifs, et
le chemin qu'avaient emprunté les agresseurs du Dragon, tout en
tenant la ville en sécurité.
Mlaqui avait fait son rapport. Si un
des hommes s'était noyé, le dragon avait laissé partir les deux
autres. Mlaqui ne savait pas pourquoi. Il les avait pourchassés.
Deux jours plus tard, il en avait complètement perdu la trace et
était rentré. Il n'avait pas réjoui Quiloma en lui faisant le
récit.
Trois à quatre mains d'hommes valides
sur les vingt du début, c'est tout ce qu'il restait. A la moindre
attaque, il serait battu. Heureusement la saison avançait. Avec de
la chance, les premières neiges seraient en avance et avec elles, il
espérait des renforts et des nouvelles.
En attendant, il convoqua Chan et
Sstanch.
La conversation se déroula dans la
langue de Quiloma. Sstanch avait fait beaucoup d'efforts pour
l'apprendre. Proche de Kalgar, il avait été souvent en contact avec
Cilfrat et avec Eéri. Cilfrat était douée pour apprendre. Sans
effort, elle avait appris de Eéri et maintenant, c'est elle qui
enseignait les gens de la ville dans le parler des gens du froid.
Chan était beaucoup plus hésitant. Son regard allait de Quiloma à
Sstanch pour avoir la traduction.
- Votre ville a bien évolué depuis
notre arrivée, dit Quiloma. Nos rapports ont mal débuté, pourtant
aujourd'hui vous êtes partie prenante de notre combat et de notre
royaume. Toi, chef de ville et tes sorciers vous nous soutenez.
- Votre venue, Prince, a, il est vrai,
bouleversé notre vie. Mais aujourd'hui, le peuple de la ville
reconnaît le bienfait de votre venue.
Chan s'exprimait avec des hésitations.
De temps à autre, il demandait à Sstanch la traduction d'un mot. Il
continua sur ce ton un moment. Quiloma l'interrompit.
- C'est un point de vue intéressant
sur le passé, mais aujourd'hui je vous ai fait venir pour discuter
d'avenir. L'ennemi est à notre porte. Il faut contrôler les
passages qui viennent de la vallée. Vous allez me fournir vingt
mains d'hommes.
Chan sursauta en entendant cela.
Trouver cent personnes pour en faire des soldats, allait faire la
révolution dans la ville.
- Nous sommes des paysans, prince
Quiloma. Peu d'entre nous savent manier les armes...
- J'ai vu lors de la première
bataille. Vous n'avez pas le choix. J'ai besoin d'hommes pour vous
défendre et défendre l'honneur du Dieu Dragon. Être les serviteurs
du dragon n'est pas chose aisée. Cela demande des sacrifices. Et vous
savez chef de ville que si vous n'êtes pas avec moi vous êtes
contre moi et je me battrai pour assurer la sécurité du dragon.
Les dernières paroles furent
prononcées sur un ton dur et sans réplique.
- Donnez-moi quelques jours, prince
pour vous trouver des volontaires. Seront-ils sous vos ordres?
- Non, pas directement, je vais nommer
votre maître d'armes konsyli, mais je fournirai les instructeurs.
Nous n'avons pas beaucoup de temps. Je vous donne ça de jours, dit
Quiloma en montrant deux doigts.
Chan se retira, alors que Sstanch fut
sommé de rester pour recevoir ses ordres. Il ne montra rien mais
intérieurement il jubilait. Il avait été reconnu par le Prince à
sa juste valeur.
Chan courut à la maison Andrysio. Il
en força presque la porte. Il voulait voir Natckin. La situation
était explosive. Il ne voyait pas les maîtres de maison donner des
hommes pour Quiloma.
- Vous voilà bien agité, Chef de
Ville.
Sans respecter le protocole, Chan vida
son sac. Natckin l'écouta sans l'interrompre. A la fin, il se tourna
vers Tasmi.
- Viens, faisons un rite. Les esprits
vont nous guider.
La nouvelle se répandit comme une
inondation entre les murs de la maison Andrysio. Le maître
officiant, Tonlen, distribua ses ordres avant de rejoindre le premier
disciple. Nul ne devait sortir ni répandre la nouvelle avant que les
esprits ne soient consultés.
Quand il entra dans le nouveau temple,
le bois de clams brûlait déjà. Natckin n'avait pas attendu. Il
avait commencé les exercices, comme toujours Tasmi sur ses talons.
La fumée revenait vers eux, les enveloppait dans ses volutes,
brouillant leurs contours. Tonlen rejoignit son poste. Se
concentrant, il enregistra tout ce qui se passait.
Tasmi cria et tomba en arrière, comme
tétanisé. Sa voix prit les intonations du maître sorcier :
- Oui, Premier disciple Natckin, les
ordres du prince sont bons. Ce matin, l'esprit du Dieu Dragon m'a
visité. Encore une fois nous sommes à une croisée des chemins. La
victoire de notre ville n'est pas assurée. L'esprit du Dieu Dragon
approuve Quiloma. Nous aurons besoin de force pour répondre aux
forces de destruction qui s'annoncent.
Tasmi eut un cri inarticulé. Des
disciples vinrent le chercher pour l'allonger sur une natte. Tonlen
s'apprêtait à descendre de son siège quand il entendit bouger
Natckin. Celui-ci s'éleva au-dessus du sol. Enveloppé de fumée, il
se mit à léviter en tournant lentement sur lui-même. Une voix
profonde, grave sortit de sa gorge :
- Écoutez tous, disciples des esprits.
Moi le Dieu Dragon j'appelle. Venez à moi, vous mes guerriers...
Tonlen sentit son corps attiré vers
cette forme vaporeuse qui entourait le premier disciple. Depuis
longtemps habitué à la rencontre des esprits et à la discipline de
maître de cérémonie, il se contrôla, ouvrant tous ses sens pour
enregistrer le moindre détail. C'est alors que la porte s'ouvrit à
la volée. Des disciples arrivaient, comme lui attiré par l'étrange
appel de l'esprit du Dieu Dragon. Ils avançaient comme hypnotisés,
répétant : « Graph ta cron ! Graph ta cron ! »
Il y en eut bientôt dix puis vingt,
puis arrivèrent des habitants en costume de travail. La salle des
cérémonies fut bientôt remplie pas un chœur chantant « Graph
ta cron ! Graph ta cron ! Graph ta cron! »
C'était une mélopée sourde, martelée
par cent bouches. L'air lui-même semblait chanter la gloire du dieu
dragon. Le premier rang se prosterna, puis le second et ainsi de
suite. Le son diminua jusqu'au murmure. Quand ils furent tous à
genoux, tête contre terre, Natckin se posa doucement au centre du
dispositif.
Tonlen inspira une grande goulée
d'air. Il était resté en apnée tout ce temps-là. Il regarda
autour de lui, ces hommes qui se relevaient, l'air un peu hébété?
Son regard croisa celui de Chan qui entrait dans la pièce. Il y lut
le même étonnement.
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