vendredi 17 août 2012


Quiloma comptait ses forces. Avec la défaite de l'arbre, il se retrouvait dans l'incapacité de mener à bien ses missions. Il ne pouvait plus surveiller la vallée du nouveau lac, les gorges de Cantichcou comme disaient les natifs, et le chemin qu'avaient emprunté les agresseurs du Dragon, tout en tenant la ville en sécurité.
Mlaqui avait fait son rapport. Si un des hommes s'était noyé, le dragon avait laissé partir les deux autres. Mlaqui ne savait pas pourquoi. Il les avait pourchassés. Deux jours plus tard, il en avait complètement perdu la trace et était rentré. Il n'avait pas réjoui Quiloma en lui faisant le récit.
Trois à quatre mains d'hommes valides sur les vingt du début, c'est tout ce qu'il restait. A la moindre attaque, il serait battu. Heureusement la saison avançait. Avec de la chance, les premières neiges seraient en avance et avec elles, il espérait des renforts et des nouvelles.
En attendant, il convoqua Chan et Sstanch.
La conversation se déroula dans la langue de Quiloma. Sstanch avait fait beaucoup d'efforts pour l'apprendre. Proche de Kalgar, il avait été souvent en contact avec Cilfrat et avec Eéri. Cilfrat était douée pour apprendre. Sans effort, elle avait appris de Eéri et maintenant, c'est elle qui enseignait les gens de la ville dans le parler des gens du froid. Chan était beaucoup plus hésitant. Son regard allait de Quiloma à Sstanch pour avoir la traduction.
- Votre ville a bien évolué depuis notre arrivée, dit Quiloma. Nos rapports ont mal débuté, pourtant aujourd'hui vous êtes partie prenante de notre combat et de notre royaume. Toi, chef de ville et tes sorciers vous nous soutenez.
- Votre venue, Prince, a, il est vrai, bouleversé notre vie. Mais aujourd'hui, le peuple de la ville reconnaît le bienfait de votre venue.
Chan s'exprimait avec des hésitations. De temps à autre, il demandait à Sstanch la traduction d'un mot. Il continua sur ce ton un moment. Quiloma l'interrompit.
- C'est un point de vue intéressant sur le passé, mais aujourd'hui je vous ai fait venir pour discuter d'avenir. L'ennemi est à notre porte. Il faut contrôler les passages qui viennent de la vallée. Vous allez me fournir vingt mains d'hommes.
Chan sursauta en entendant cela. Trouver cent personnes pour en faire des soldats, allait faire la révolution dans la ville.
- Nous sommes des paysans, prince Quiloma. Peu d'entre nous savent manier les armes...
- J'ai vu lors de la première bataille. Vous n'avez pas le choix. J'ai besoin d'hommes pour vous défendre et défendre l'honneur du Dieu Dragon. Être les serviteurs du dragon n'est pas chose aisée. Cela demande des sacrifices. Et vous savez chef de ville que si vous n'êtes pas avec moi vous êtes contre moi et je me battrai pour assurer la sécurité du dragon.
Les dernières paroles furent prononcées sur un ton dur et sans réplique.
- Donnez-moi quelques jours, prince pour vous trouver des volontaires. Seront-ils sous vos ordres?
- Non, pas directement, je vais nommer votre maître d'armes konsyli, mais je fournirai les instructeurs. Nous n'avons pas beaucoup de temps. Je vous donne ça de jours, dit Quiloma en montrant deux doigts.
Chan se retira, alors que Sstanch fut sommé de rester pour recevoir ses ordres. Il ne montra rien mais intérieurement il jubilait. Il avait été reconnu par le Prince à sa juste valeur.
Chan courut à la maison Andrysio. Il en força presque la porte. Il voulait voir Natckin. La situation était explosive. Il ne voyait pas les maîtres de maison donner des hommes pour Quiloma.
- Vous voilà bien agité, Chef de Ville.
Sans respecter le protocole, Chan vida son sac. Natckin l'écouta sans l'interrompre. A la fin, il se tourna vers Tasmi.
- Viens, faisons un rite. Les esprits vont nous guider.
La nouvelle se répandit comme une inondation entre les murs de la maison Andrysio. Le maître officiant, Tonlen, distribua ses ordres avant de rejoindre le premier disciple. Nul ne devait sortir ni répandre la nouvelle avant que les esprits ne soient consultés.
Quand il entra dans le nouveau temple, le bois de clams brûlait déjà. Natckin n'avait pas attendu. Il avait commencé les exercices, comme toujours Tasmi sur ses talons. La fumée revenait vers eux, les enveloppait dans ses volutes, brouillant leurs contours. Tonlen rejoignit son poste. Se concentrant, il enregistra tout ce qui se passait.
Tasmi cria et tomba en arrière, comme tétanisé. Sa voix prit les intonations du maître sorcier :
- Oui, Premier disciple Natckin, les ordres du prince sont bons. Ce matin, l'esprit du Dieu Dragon m'a visité. Encore une fois nous sommes à une croisée des chemins. La victoire de notre ville n'est pas assurée. L'esprit du Dieu Dragon approuve Quiloma. Nous aurons besoin de force pour répondre aux forces de destruction qui s'annoncent.
Tasmi eut un cri inarticulé. Des disciples vinrent le chercher pour l'allonger sur une natte. Tonlen s'apprêtait à descendre de son siège quand il entendit bouger Natckin. Celui-ci s'éleva au-dessus du sol. Enveloppé de fumée, il se mit à léviter en tournant lentement sur lui-même. Une voix profonde, grave sortit de sa gorge :
- Écoutez tous, disciples des esprits. Moi le Dieu Dragon j'appelle. Venez à moi, vous mes guerriers...
Tonlen sentit son corps attiré vers cette forme vaporeuse qui entourait le premier disciple. Depuis longtemps habitué à la rencontre des esprits et à la discipline de maître de cérémonie, il se contrôla, ouvrant tous ses sens pour enregistrer le moindre détail. C'est alors que la porte s'ouvrit à la volée. Des disciples arrivaient, comme lui attiré par l'étrange appel de l'esprit du Dieu Dragon. Ils avançaient comme hypnotisés, répétant : « Graph ta cron ! Graph ta cron ! »
Il y en eut bientôt dix puis vingt, puis arrivèrent des habitants en costume de travail. La salle des cérémonies fut bientôt remplie pas un chœur chantant « Graph ta cron ! Graph ta cron ! Graph ta cron! »
C'était une mélopée sourde, martelée par cent bouches. L'air lui-même semblait chanter la gloire du dieu dragon. Le premier rang se prosterna, puis le second et ainsi de suite. Le son diminua jusqu'au murmure. Quand ils furent tous à genoux, tête contre terre, Natckin se posa doucement au centre du dispositif.
Tonlen inspira une grande goulée d'air. Il était resté en apnée tout ce temps-là. Il regarda autour de lui, ces hommes qui se relevaient, l'air un peu hébété? Son regard croisa celui de Chan qui entrait dans la pièce. Il y lut le même étonnement.

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