La Solvette parcourait les champs et
les bois pour recueillir des plantes. Elle ne partait pas longtemps
laissant sa fille à la garde des animaux de la maison. La petite
poussait bien. En une saison, elle passait du statut de bébé
dépendant de sa mère à petit être presque autonome. Si tout se
passait bien, elle pouvait espérer connaître une vingtaine de
cycles de saison. La Solvette avait déjà connu sept cycles. Sa mère
lui avait dit qu'alors ce serait bon pour elle d'avoir une
descendance. Elle ne s'était pas posé la question d'un partenaire
avant cette saison. Et Quiloma était arrivé. Elle savait que les
réponses arrivaient en leur temps et qu'il ne servait à rien à
vouloir savoir avant. Elle différait des autres habitants qui se
tournaient vers les sorciers pour avoir des prédictions. Elle se
trouvait dans une clairière qu'elle aimait bien. Elle y trouvait ces
plantes rares dont les fleurs avaient des vertus guérisseuses. Elle
était à genoux en train de ramasser délicatement fleurs et
feuilles quand un grand vent se leva pour s'arrêter presque
aussitôt. Sans se presser elle se retourna.
- Bonjour, jeune dragon.
- Bonjour, être debout.
La Solvette garda le silence. Elle
regardait le dragon dans les yeux. Celui-ci la dominait de toute sa
taille.
- Ton aura est étrange, être debout.
- Mon nom est Solvette.
- Je sais ce nom mais il n'est pas
tien, être debout.
- Le mien fut oublié avec mon jeune
temps.
- Tu dis vrai, être debout. Dis-tu
toujours vrai?
- Si je répondais : « oui »,
tu ne me croirais pas.
Le rire du dragon fit rire la Solvette.
- Ta langue est agile être debout
Solvette. Tu es la seule à rire quand je suis là.
- Tu as parlé de mon aura, jeune
dragon. Que voulais-tu dire?
- Tu ressembles à l'être debout
Mandihi. Lui aussi irradiait cette couleur. Lui aussi était un
marabout. Il connaissait les secrets qui font guérir.
- T'a-t-il guéri?
- En quelque sorte, il m'a guéri d'une
partie de mon ignorance. C'est pour cela que je suis venu te voir.
- Qu'ignores-tu, jeune dragon?
- Encore trop de choses, être debout
Solvette, mais pour l'instant parle-moi des enfants qui ont été
sous la pierre qui bouge.
- Je suis étonnée que tu connaisses
cette histoire. Elle s'est passée avant que tu n'arrives. Qui te l'a
contée?
- J'ai rencontré l'être debout
Bistasio qui avait bien du souci avec les loups. Il m'a raconté
beaucoup de choses.
- Il y a peu à dire. Les sorciers ont
imposé la cérémonie de l'exposition et les enfants ont été
exposés.
- Je sais cela, être debout Solvette.
Mais qu'as-tu fait?
La Solvette vit la prunelle du dragon
virer au jaune brillant. « L'or fondu n'a pas de plus belle
couleur », pensa-t-elle.
- Mon savoir m'a permis d'aider les
enfants à ne pas avoir froid, enfin pour la fille. Je n'ai pas pu
faire grand chose pour le garçon.
- La pierre a-t-elle beaucoup chauffé?
- La neige avait fondu sur plusieurs
pas autour. Une meute de loups noirs en avait profité pour passer la
nuit au chaud.
- Des loups noirs, voilà une nouvelle
intéressante. Ressemblent-ils aux loups gris?
- Non, jeune dragon. Le loup noir est
plus grand, plus fort, plus rapide, il ne vit qu'en meute.
- Tes paroles sont pleines
d'enseignement pour moi. Sois remerciée, être debout Solvette.
Le dragon commença à bouger pour
partir.
- Attends, jeune dragon. Moi aussi j'ai
des questions pour toi.
Le dragon s'immobilisa, reposa ses
pattes avant, replia ses ailes et se retourna vers la Solvette.
- Tu es un être débout
extraordinaire, être debout Solvette. Tu sais rire quand je suis là
et tu oses poser des questions. Quelle est ta question?
- On dit dans les légendes que les
dragons sont Maîtres du feu.
- Les légendes disent vrai...
- Nous ne savons pas faire naître le
feu. Le prince venu du froid le sait. Il a juré de ne le révéler à
personne, pas même moi. Pourrais-tu m'enseigner?
- Je ne t'enseignerai pas ce que sait
le prince. Ce savoir est leur savoir.
La déception envahit le visage de la
Solvette. Elle regardait le grand saurien et elle eut l'impression
d'une moquerie dans son œil.
- Mais, mais, mais, n'es-tu pas maître
dans la connaissance des plantes ? reprit le dragon. As-tu déjà
regardé ce champignon qui pousse au pied des clams?
- Oui, je connais ce champignon, il
gâche le clams, n'est pas mangeable et donne des coliques aux bêtes
qui en consomment.
- Ah! Je reconnais là quelqu'un qui a
la connaissance, mais pas toute. Cueille-le, découpe-le en lamelles
et laisse-le tremper avec la poudre blanche de vos grottes. Quand il
sera bien sec, fais une étincelle avec un couteau et cette pierre
dure et sombre qu'on trouve à côté de ta maison, tu verras naître
ce que tu cherches.
- Sois remercié, jeune dragon. Puis-je
encore te demander un service?
- Parle être debout Solvette. Si cela
est en mon pouvoir j'y accéderai.
- J'aimerais que tu allumes un feu pour
moi dans cette clairière.
- Qu'il soit fait comme tu le
souhaites, être debout Solvette. Rassemble les pierres du foyer et
le bois, je mettrai la flamme en son sein.
La Solvette rassembla des pierres et
des branches comme l'avait demandé le dragon. Puis elle s'éloigna
un peu. Le grand saurien pencha la tête presque jusqu'à toucher le
sol et d'un tout petit jet de flammes, mit le feu au bois.
- Que tes jours soient heureux, être
debout Solvette.
- Que les tiens soient fructueux, jeune
dragon.
S'étant ainsi salués, ils se
quittèrent. La Solvette regarda le dragon s'éloigner vers la
plaine. Quiloma lui avait expliqué que le dragon, qui aimait l'or et
les pierres précieuses comme tous ceux de sa race, partait en chasse
dans la plaine pour en trouver. Elle pensa que cela ne le rendrait
pas heureux toute sa vie.
Elle sourit. Le dragon l'avait bien
aidée sans le vouloir. Elle était devenue dépositaire du secret du
feu comme Quiloma, mais elle avait maintenant un feu à sa
disposition. Elle était assez loin de la ville et elle allait
pouvoir faire ses expériences en paix.
Elle sortit de sa musette un peu de
cette pierre noire qu'elle avait demandée à Quiloma, elle y
mélangea un peu de la pierre jaune réduite en poudre qu'elle avait
déjà préparée. Elle les pétrit bien.
Faisant une petite cuvette dans le sol
sablonneux de la clairière, elle y déposa son mélange et y mit le
feu. Une fumée vert jaune âcre et piquante s'éleva du mélange qui
brûlait. Quiloma avait raison. L'odeur en était insupportable.
Elle recommença son essai en y
ajoutant de la poudre blanche qu'elle avait récupéré sur les
plateaux des brancards qu'utilisaient les ouvriers dans les grottes.
Cette poudre semblait naître des parois, elles-mêmes. On l'enlevait
régulièrement. Avec son pilon, elle malaxa longuement le mélange.
De nouveau, elle creusa une cuvette et y déposa un peu de sa
préparation. Elle eut à peine le temps de poser le brandon enflammé
dessus que tout avait brûlé avec un grand bruit et une fumée
blanche. Elle sursauta. C'était tellement violent qu'effectivement
cela pouvait être la cause de l'effondrement de la montagne. Décidée
à en avoir le cœur net, elle prépara une nouvelle cuvette, remit
de la poudre dedans, en répandit un peu autour et boucha le tout
avec une pierre. Saisissant une branche de résineux, elle l'enflamma
et la jeta sur le trou. Le bruit fut plus violent, la pierre vola au
loin. La Solvette regarda le résultat, abasourdie. Elle n'aurait
jamais imaginé une telle violence contenue dans d'aussi petites
choses. Quiloma avait raison de penser qu'il y avait de la puissance
des dieux dans ce mélange. Elle pensa qu'il valait mieux garder cela
secret. Les hommes étaient trop fous pour un tel savoir. Elle pensa
au dragon. Un tel maître du feu, connaissait-il ce secret? Elle
pensa que oui. Il lui avait conseillé de mélanger le champignon
avec la poudre des grottes, il devait savoir pour les autres pierres.
Profitant du feu, elle se fit cuire son
repas, tout en réfléchissant à tout ce qu'elle venait d'apprendre.
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