mardi 7 août 2012


La Solvette parcourait les champs et les bois pour recueillir des plantes. Elle ne partait pas longtemps laissant sa fille à la garde des animaux de la maison. La petite poussait bien. En une saison, elle passait du statut de bébé dépendant de sa mère à petit être presque autonome. Si tout se passait bien, elle pouvait espérer connaître une vingtaine de cycles de saison. La Solvette avait déjà connu sept cycles. Sa mère lui avait dit qu'alors ce serait bon pour elle d'avoir une descendance. Elle ne s'était pas posé la question d'un partenaire avant cette saison. Et Quiloma était arrivé. Elle savait que les réponses arrivaient en leur temps et qu'il ne servait à rien à vouloir savoir avant. Elle différait des autres habitants qui se tournaient vers les sorciers pour avoir des prédictions. Elle se trouvait dans une clairière qu'elle aimait bien. Elle y trouvait ces plantes rares dont les fleurs avaient des vertus guérisseuses. Elle était à genoux en train de ramasser délicatement fleurs et feuilles quand un grand vent se leva pour s'arrêter presque aussitôt. Sans se presser elle se retourna.
- Bonjour, jeune dragon.
- Bonjour, être debout.
La Solvette garda le silence. Elle regardait le dragon dans les yeux. Celui-ci la dominait de toute sa taille.
- Ton aura est étrange, être debout.
- Mon nom est Solvette.
- Je sais ce nom mais il n'est pas tien, être debout.
- Le mien fut oublié avec mon jeune temps.
- Tu dis vrai, être debout. Dis-tu toujours vrai?
- Si je répondais : « oui », tu ne me croirais pas.
Le rire du dragon fit rire la Solvette.
- Ta langue est agile être debout Solvette. Tu es la seule à rire quand je suis là.
- Tu as parlé de mon aura, jeune dragon. Que voulais-tu dire?
- Tu ressembles à l'être debout Mandihi. Lui aussi irradiait cette couleur. Lui aussi était un marabout. Il connaissait les secrets qui font guérir.
- T'a-t-il guéri?
- En quelque sorte, il m'a guéri d'une partie de mon ignorance. C'est pour cela que je suis venu te voir.
- Qu'ignores-tu, jeune dragon?
- Encore trop de choses, être debout Solvette, mais pour l'instant parle-moi des enfants qui ont été sous la pierre qui bouge.
- Je suis étonnée que tu connaisses cette histoire. Elle s'est passée avant que tu n'arrives. Qui te l'a contée?
- J'ai rencontré l'être debout Bistasio qui avait bien du souci avec les loups. Il m'a raconté beaucoup de choses.
- Il y a peu à dire. Les sorciers ont imposé la cérémonie de l'exposition et les enfants ont été exposés.
- Je sais cela, être debout Solvette. Mais qu'as-tu fait?
La Solvette vit la prunelle du dragon virer au jaune brillant. « L'or fondu n'a pas de plus belle couleur », pensa-t-elle.
- Mon savoir m'a permis d'aider les enfants à ne pas avoir froid, enfin pour la fille. Je n'ai pas pu faire grand chose pour le garçon.
- La pierre a-t-elle beaucoup chauffé?
- La neige avait fondu sur plusieurs pas autour. Une meute de loups noirs en avait profité pour passer la nuit au chaud.
- Des loups noirs, voilà une nouvelle intéressante. Ressemblent-ils aux loups gris?
- Non, jeune dragon. Le loup noir est plus grand, plus fort, plus rapide, il ne vit qu'en meute.
- Tes paroles sont pleines d'enseignement pour moi. Sois remerciée, être debout Solvette.
Le dragon commença à bouger pour partir.
- Attends, jeune dragon. Moi aussi j'ai des questions pour toi.
Le dragon s'immobilisa, reposa ses pattes avant, replia ses ailes et se retourna vers la Solvette.
- Tu es un être débout extraordinaire, être debout Solvette. Tu sais rire quand je suis là et tu oses poser des questions. Quelle est ta question?
- On dit dans les légendes que les dragons sont Maîtres du feu.
- Les légendes disent vrai...
- Nous ne savons pas faire naître le feu. Le prince venu du froid le sait. Il a juré de ne le révéler à personne, pas même moi. Pourrais-tu m'enseigner?
- Je ne t'enseignerai pas ce que sait le prince. Ce savoir est leur savoir.
La déception envahit le visage de la Solvette. Elle regardait le grand saurien et elle eut l'impression d'une moquerie dans son œil.
- Mais, mais, mais, n'es-tu pas maître dans la connaissance des plantes ? reprit le dragon. As-tu déjà regardé ce champignon qui pousse au pied des clams?
- Oui, je connais ce champignon, il gâche le clams, n'est pas mangeable et donne des coliques aux bêtes qui en consomment.
- Ah! Je reconnais là quelqu'un qui a la connaissance, mais pas toute. Cueille-le, découpe-le en lamelles et laisse-le tremper avec la poudre blanche de vos grottes. Quand il sera bien sec, fais une étincelle avec un couteau et cette pierre dure et sombre qu'on trouve à côté de ta maison, tu verras naître ce que tu cherches.
- Sois remercié, jeune dragon. Puis-je encore te demander un service?
- Parle être debout Solvette. Si cela est en mon pouvoir j'y accéderai.
- J'aimerais que tu allumes un feu pour moi dans cette clairière.
- Qu'il soit fait comme tu le souhaites, être debout Solvette. Rassemble les pierres du foyer et le bois, je mettrai la flamme en son sein.
La Solvette rassembla des pierres et des branches comme l'avait demandé le dragon. Puis elle s'éloigna un peu. Le grand saurien pencha la tête presque jusqu'à toucher le sol et d'un tout petit jet de flammes, mit le feu au bois.
- Que tes jours soient heureux, être debout Solvette.
- Que les tiens soient fructueux, jeune dragon.
S'étant ainsi salués, ils se quittèrent. La Solvette regarda le dragon s'éloigner vers la plaine. Quiloma lui avait expliqué que le dragon, qui aimait l'or et les pierres précieuses comme tous ceux de sa race, partait en chasse dans la plaine pour en trouver. Elle pensa que cela ne le rendrait pas heureux toute sa vie.
Elle sourit. Le dragon l'avait bien aidée sans le vouloir. Elle était devenue dépositaire du secret du feu comme Quiloma, mais elle avait maintenant un feu à sa disposition. Elle était assez loin de la ville et elle allait pouvoir faire ses expériences en paix.
Elle sortit de sa musette un peu de cette pierre noire qu'elle avait demandée à Quiloma, elle y mélangea un peu de la pierre jaune réduite en poudre qu'elle avait déjà préparée. Elle les pétrit bien.
Faisant une petite cuvette dans le sol sablonneux de la clairière, elle y déposa son mélange et y mit le feu. Une fumée vert jaune âcre et piquante s'éleva du mélange qui brûlait. Quiloma avait raison. L'odeur en était insupportable.
Elle recommença son essai en y ajoutant de la poudre blanche qu'elle avait récupéré sur les plateaux des brancards qu'utilisaient les ouvriers dans les grottes. Cette poudre semblait naître des parois, elles-mêmes. On l'enlevait régulièrement. Avec son pilon, elle malaxa longuement le mélange. De nouveau, elle creusa une cuvette et y déposa un peu de sa préparation. Elle eut à peine le temps de poser le brandon enflammé dessus que tout avait brûlé avec un grand bruit et une fumée blanche. Elle sursauta. C'était tellement violent qu'effectivement cela pouvait être la cause de l'effondrement de la montagne. Décidée à en avoir le cœur net, elle prépara une nouvelle cuvette, remit de la poudre dedans, en répandit un peu autour et boucha le tout avec une pierre. Saisissant une branche de résineux, elle l'enflamma et la jeta sur le trou. Le bruit fut plus violent, la pierre vola au loin. La Solvette regarda le résultat, abasourdie. Elle n'aurait jamais imaginé une telle violence contenue dans d'aussi petites choses. Quiloma avait raison de penser qu'il y avait de la puissance des dieux dans ce mélange. Elle pensa qu'il valait mieux garder cela secret. Les hommes étaient trop fous pour un tel savoir. Elle pensa au dragon. Un tel maître du feu, connaissait-il ce secret? Elle pensa que oui. Il lui avait conseillé de mélanger le champignon avec la poudre des grottes, il devait savoir pour les autres pierres.
Profitant du feu, elle se fit cuire son repas, tout en réfléchissant à tout ce qu'elle venait d'apprendre.

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