Le temps fut rythmé par deux séries
d’évènements a priori indépendants. La météo se maintenait
entre le beau et la pluie. La température restait douce. Cela
permettait à Quiloma de pousser l'entraînement des recrues. Il
avait besoin d'eux pour gérer la deuxième série d’événements
qui était l'incursion de guerriers sur les territoires du dragon.
Le premier avait été repéré
facilement. Un gardien de tiburs l'avait, ou plutôt les avait vus se
diriger à travers le pierrier du mont Pelé. Il avait couru aussi
vite qu'il pouvait prévenir une patrouille qu'il avait heureusement
rencontrée juste au col. Il était tombé sur Sstanch qui conduisait
de jeunes recrues, deux mains de guerriers débutants. Ce dernier
grimaça en espérant que ce guerrier si grand, si impressionnant
décrit par le gardien de tiburs, n'était pas les prémices d'une
attaque. Il fit presser le pas, conscient que ces bleus avaient trop
peu d’entraînement pour tenir une cadence de course. Lui-même
partit avec un guerrier blanc en éclaireur pour voir les forces en
présence. Ils couraient à petites foulées quand la pluie se mit à
tomber. Comme toujours, ces averses détrempaient le sol, rendant le
chemin dangereux. Ils choisirent un pas de marche rapide pour ne pas
glisser. C'est juste à la sortie du bois avant la combe qui
conduisait au mont Pelé qu'ils virent l'ennemi. Il était en bien
mauvaise posture. Un homme était couché en travers du chemin,
accroché à un arbre d'une main et les pieds coincés comme ils
pouvaient par une mauvaise souche. Il retenait de son autre main un
guerrier en armure étincelante. Sstanch fut d'accord avec le gardien
de tiburs, ce guerrier était un géant. Alourdi par toute cette
ferraille, l'homme avait dû glisser. Le chemin en dévers avait fait
le reste. Il s'était manifestement accroché à son compagnon dans
sa chute. S'il lâchait, il glisserait de plusieurs centaines de
pieds sur l'herbe mouillée de la combe avant de tomber dans le
précipice plus bas. Sstanch se retourna vers Mlaqui avec un regard
interrogateur. Celui-ci dit en s'asseyant :
- Il suffit d'attendre.
Il y eut un claquement sec et le
guerrier géant commença à glisser semblant emporter la main de son
compagnon. Il n'eut pas un cri, pas une plainte, même quand il
bascula dans le vide.
- Allons chercher le rescapé, dit
Mlaqui en se relevant.
C'est ainsi que Schtenkel se retrouva
prisonnier. En le fouillant, Mlaqui comprit ce qu'il s'était passé.
Le chevalier, comme l'appelait Schtenkel, avait attrapé le crochet
qui servait de main à son guide. Malheureusement pour lui, la
lanière qui le fixait avait cassé. Après avoir vérifié que son
prisonnier n’avait pas d'arme, Mlaqui le mit en route d'une
bourrade dans le dos.
Il n'avait pas l'air bien dangereux
avec sa main en moins. Il tremblait de tous ses membres en tenant un
jargon incompréhensible pour Mlaqui.
- Il dit qu'il s'appelle Schtenkel. Il
implore notre pitié. Si on ne l'avait pas forcé, jamais il ne
serait venu.
- On va le ramener au Prince, il
décidera, répondit Mlaqui.
Le retour vers le col se fit
précautionneusement. Avec les rochers glissants, un faux pas et
c'était une chute de plusieurs centaines de pieds. Les deux hommes
furent obligés de soutenir Schtenkel dans certains passages. Sstanch
se dit qu'il avait eu peur, très peur. Il sentit en lui monter un
sentiment de pitié.
La pluie les rattrapa juste après le
col. Ils avaient récupéré le reste du groupe et marchait avec
Schtenkel au milieu des jeunes recrues qui essayaient de tenir un
semblant d'ordre. Ce fut une averse violente, avec des rafales de
vent. Stoïques, le convoi continua sa progression. Un bois proche
leur laissait espérer une relative protection. C'est alors qu'arriva
la grêle. Sstanch vit le danger.
- Courez, hurla-t-il.
Ce fut une débandade, mais ils étaient
à l'abri sous les sapins quand arrivèrent les gros grêlons. En
quelques instants la prairie qu'ils venaient de traverser fut
couverte de glace. Certains grêlons étaient gros comme un poing
d'enfant.
- On l'a échappé belle, dit un des
hommes.
- Le prisonnier ! Où est le prisonnier
?
Il fallut se rendre à l'évidence,
Schtenkel leur avait faussé compagnie. Mlaqui entra dans une rage
terrible. La pluie, la grêle et le piétinement des hommes avaient
effacé les traces. Il n'arrêtait pas de jurer tout en cherchant
autour du groupe s'il voyait quelque chose. A la fin de l'averse, il
repartit dans la prairie. Avec la couche de grêlons sur le sol et
les traces de courses de tous les hommes, il ne vit rien. Il alla au
bord du bois et commença à longer la lisière. Pendant ce temps
Sstanch remettait de l'ordre dans la troupe. Il distribua un certain
nombre de gifles pour les mettre en rang. Quand les dix hommes furent
alignés, il les fit manœuvrer. Mlaqui poussa un cri. Il avait
retrouvé la piste. Sstanch fit mettre la troupe au pas de course. Il
arriva à la lisière sur les pas de Mlaqui le premier, mais derrière
certains étaient tombés. Il ne les attendit pas. Tout le groupe
s'enfonça dans le bois pour poursuivre Schtenkel. La course était
soutenue car dans le sens de la pente. Ils s'arrêtèrent au bord du
ruisseau en voyant Mlaqui qui tournait en rond. De nouveau les traces
avaient disparu. Sstanch entendit Mlaqui jurer.
- Prends une main d'hommes et va vers
l'amont, je prends une main d'hommes et je vais vers l'aval. Celui
qui trouve des traces prévient l'autre.
Ils se séparèrent. Sstanch avançait
en fouillant du regard les berges à la recherche des traces du
fuyard. La nuit arrivait quand il repéra un indice. Sortant son
appeau, il siffla selon le code prévu. Il s'engagea dans le
sous-bois dense qui bordait le ruisseau. Il marchait lentement
cherchant la piste. La lumière baissa trop pour qu'il puisse
continuer. Il donna les ordres pour bivouaquer. Mlaqui arriva tard
dans la nuit. Les hommes qui l'accompagnaient s'effondrèrent sur
place, épuisés.
Quand le jour se leva, Mlaqui donna
l'ordre de retour.
- Il est trop loin pour que nous
puissions le rejoindre. Il vaut mieux rentrer prévenir le Prince.
Quiloma écouta avec attention ce que
lui rapportait Mlaqui. Il le remercia.
- Va te reposer, Mlaqui. Tu as bien
agi. Sstanch, tes hommes ont encore besoin d’entraînement. Il ne
faut pas les laisser au repos. Va !
Quiloma resta seul. Il se leva et
sortit. Il réfléchissait à ce qu'il devait faire. Ses pas le
conduisaient naturellement vers le bas de la ville et vers la
Solvette.
Schtenkel n'en revenait toujours pas.
Les dieux lui avaient été favorables. Il avait réussi à
s'échapper. Il avait commencé à suivre la pente pour mettre le
maximum d'espace entre lui et ses poursuivants. En rencontrant le
ruisseau, il avait décidé d'appliquer les recettes de Torétaro. Il
était parti vers l'amont alors que Tichcou était en aval. Il avait
tenu un bon pas pendant des heures ne s'arrêtant même pas la nuit.
Il savait qu'il laissait des traces mais il n'avait pas le choix. Le
jour suivant, il avait fait mille détours pour semer ses
poursuivants et épuisé, s'était endormi après être monté dans
un arbre.
Quand il se réveilla, il grimpa
jusqu'à la cime pour s'orienter tout en restant attentif aux bruits
de la forêt. Il trouva ses repères. Il avait bien couru les jours
précédents. Il reconnaissait un mont caractéristique. En allant
par là, en le contournant il trouverait la rivière qui le guiderait
jusqu'à la vallée de Tichcou. Il eut besoin de trois jours pour
faire ce trajet. S'il trouva quelques baies, c'est affamé qu'il se
présenta aux portes de la ville.
Il eut l'amère surprise de se faire
arrêter. Le successeur de Jianme venait d'arriver. Il avait décidé
de reprendre les choses en mains. Schtenkel était toujours
officiellement un soldat au service du roi et sa conduite n'en était
pas digne. On lui reprochait ses beuveries et les altercations qu'il
avait eues depuis son retour après la mort de Jianme. Quand il fut
présenté au nouveau lieutenant ce fut pour apprendre qu'il allait
passer en conseil de guerre pour désertion. Schtenkel fut effondré.
Il pensa que s'il avait survécu à la rencontre avec le dragon,
c'était pour finir exécuté par les siens. Il avait déjà assisté
à trop de conseils de guerre pour espérer une autre issue. Le roi
Yas tenait ses troupes d'une main de fer. Les jours passèrent gris
et sordides pour lui. Quand la porte s'ouvrit enfin, il était
résigné. C'est la mort qui l'attendait.
Schtenkel n'en revenait toujours pas.
Il était vivant et il courait les bois. Sans surprise après un
procès mené au pas de charge, il avait été condamné à mort.
C'est alors que s'était levé un prince à en juger par sa tenue. Il
avait demandé au lieutenant de surseoir à l'exécution le temps que
Schtenkel rende service aux chevaliers du Flamtimo pour tuer le
dragon.
Schtenkel menait une petite troupe. Ils
avaient décidé d'éviter le chemin des crêtes en passant par la
vallée débouchant en aval de Tichcou Deux chevaliers et leurs
serviteurs l'accompagnaient. Ils avaient été tirés au sort par le
prince de Flamtimo parmi tous les chevaliers présents. Le voyage fut
long mais se passa sans incident. Ils arrivèrent en vue de l'antre
du dragon sans avoir vu âme qui vive. Ils se mirent à la recherche
d'un abri. En amont de l'antre, ils découvrirent une petite grotte.
Profonde et étroite d'entrée, elle leurs sembla idéale pour faire
une base d'attente. Les chevaliers se félicitèrent. Les jours du
dragon étaient comptés. Pendant que les écuyers préparaient les
tenues de combat, les deux chevaliers firent un rite de divination à
base de dés pour choisir qui attaquerait en premier. En voyant le
sourire de Tlimp, Schtenkel sut qu'il avait gagné. L'attente dura
quelques jours. Tlimp observa longuement les allées et venues du
dragon. Un soir, il dit :
- C'est le bon jour, demain je serai
comme un dieu... Ou je serai mort.
Ses compagnons le virent partir dans la
pénombre du soir. Il voulait être en place quand rentrerait le
monstre. La nuit passa, puis la journée sans avoir de nouvelle ni de
Tlimp ni du dragon.
- J’attends jusqu'à demain et sans
nouvelle de Tlimp je tenterai ma chance, dit le deuxième chevalier.
La nuit passa. Avant l'aube, Schtenkel
et un écuyer sortirent pour aller relever les collets. Ils
revenaient chargés de gibier, discutant de ce qu'ils allaient en
faire. Si Schtenkel défendait la broche, son compagnon préférait
une cuisson à l'étouffée plus discrète. En approchant de la
falaise pour rejoindre la grotte, un bruit les inquiéta. Ils se
mirent à courir, tenant les pièces de gibier pour ne pas qu'elles
balancent. Ils mirent un instant à comprendre. Le dragon battant
vigoureusement des ailes, se maintenait en vol stationnaire devant
l'entrée du tunnel de pierre et soufflait son feu. Les deux hommes
s'arrêtèrent brusquement. Ce mouvement attira l'attention du grand
saurien qui se tourna vers eux. Quand la boule de feu les atteignit,
ils couraient aussi vite qu'ils pouvaient pour fuir dans la forêt.
Trop éparpillée par les arbres, la chaleur ne fit que leur roussir
le dos et les cheveux. Ce n'est qu'après plusieurs heures de course
qu'ils reprirent souffle.
- C'est pas possible! C'est pas
possible! disait le jeune écuyer.
- On est vivant, lui répondit
Schtenkel
Il fallut toute la journée pour que
l'adolescent se calme. À la nuit tombée, ils trouvèrent le courage
de faire le chemin inverse. Aux abords de la grotte, tout était
calme et silencieux. Schtenkel dit:
- Ne bouge pas, je vais voir. Crie et
fuis si tu vois le dragon.
Le jeune dont les genoux tremblaient,
hocha la tête. Il se positionna derrière un gros tronc et fit le
guet. Schtenkel s'approcha de l'entrée et après un dernier regard
vers le guetteur, il pénétra dans la grotte. L'écuyer le vit
ressortir très vite. Tombant à genoux, Schtenkel vomit. Il resta là
un moment puis se remit debout péniblement et revint vers son
compagnon.
- Ça pue trop là-dedans ... On ira
voir demain.
À Tichcou leur récit fit sensation.
Le prince de Flamtimo lui-même fut très impressionné. Deux
chevaliers morts ainsi que leurs aides, brûlés vifs au fond de leur
trou sans combat, cette vérité calma les ardeurs des plus timorés
mais pas de la majorité des candidats. Si le jeune écuyer fut
renvoyé dans sa famille, on ne laissa pas le choix à Schtenkel. Il
aurait une autre expédition à conduire avant les premières neiges.
Ils furent cinq volontaires qu'on ne put pas départager. Ils firent
tous le même lancé de dés et les dés donnèrent le même
résultat. Le prince de Flamtimo trancha, ils partiraient à cinq
mais pas tous ensemble. Il décida de les faire se suivre. Schtenkel
serait devant avec le frère de Tlimp, le solide Limpa, suivraient
les cousins Chemtimo, puis Tsiemch qui venait juste d'être adoubé
et Flamchi le vieux qui avait participé à tant de quêtes et de
batailles. Chaque chevalier était accompagné de cinq écuyers qui
portaient les armes et le ravitaillement. Schtenkel avait juste
obtenu de ne pas entrer dans la vallée du dragon. C'est sans joie
qu'il reprit la route des crêtes. Il aurait préféré reprendre la
route du bas, mais les vieux de Tichcou prévoyaient que la neige
serait bientôt là. Les chevaliers ne voulaient pas rater une
possibilité d'en finir avec le dragon. Si le roi Yas avait donné
son accord à la quête des chevaliers de Flamtimo, il avait annoncé
son intention de venir régler le problème lui-même, en cas
d'échec. Pour Schtenkel, tout avait mal commencé. Il avait vu
passer un animal au pelage noir qui avait traversé la route de
droite vers la gauche. Comme si cela ne suffisait pas comme mauvais
présage, il s'était aperçu qu'il avait emmêlé les cordelettes
qui retenaient ses armes. Essayant de se rassurer, il compta ses pas
pour traverser le pont de Tichcou. Toutes les sorcières vous le
diront, si vous montez et que vous descendez du pont avec le même
pied, alors vous conjurez le mauvais sort. Il était là attentif à
poser ses pieds sur les planches mal équarries qui formaient le pont
à cet endroit. Arrivant au bout, il rapetissa son pas pour que son
pied droit soit le premier à toucher terre. C'était sans compter
avec le vent. Une bourrasque le déstabilisa et pour ne pas tomber à
l'eau, il dut presque sautiller sur place. Il sentit une boule
prendre naissance dans son ventre quand il s'aperçut que son pied
gauche avait glissé de la planche le premier. Une bourrade dans le
dos, le fit avancer. Limpa qui descendait du pont à sa suite, lui
dit :
- Beeelle jourrrnée, pourrr une
chassse au drrragon !
Schtenkel lui jeta un regard torve et
entama la montée. Ses présages ne l'avaient jamais trompé. Le
voyage allait être un enfer.
Sstanch répéra les ennemis dès
qu'ils sortirent de la vallée de Tichcou. En tête marchait
Schtenkel. Il ne doutait de rien, pensa Sstanch. Revenir ainsi
voulait dire qu'il les mettait au défi de l'arrêter. Et bien, il
voulait la bagarre, il allait l'avoir. Rampant en arrière, Sstanch
se dégagea. Il avait avec lui deux mains d'hommes, bien sûr, ce
n'était que des jeunes recrues mais pour une fois, la chance lui
souriait. C'étaient les meilleurs archers. Il leur fit faire mouvement
pour se positionner près du pierrier du mont chauve. Quelques bonnes
volées de flèches feraient reculer les ennemis. Quand tous furent
en place, Sstanch reprit sa fonction de guetteur, à côté de lui,
son grand arc et cinq flèches. L'attente ne fut pas très longue. Il
vit arriver Schtenkel. Il le vit s'arrêter et mettre le nez ne l'air
comme s'il humait le vent. Subitement inquiet Sstanch se demanda
s'ils n'avaient pas été repérés. Il fut rassuré quand il vit
déboucher un de ces guerriers géants qui en voulait à leur dragon.
Il marchait devant cinq hommes portant des charges qui semblaient
bien lourdes. Un casque, une cotte de mailles et une épée longue
semblaient constituer son armement de voyage. Il le vit se retourner
pour apostropher Schtenkel et lui faire un grand signe du bras pour
le faire venir. Ce dernier répondit quelque chose en faisant le
geste de continuer le chemin. Sstanch espérait qu'il ne ferait pas
demi-tour. Ses hommes étaient prêts et voulaient tous montrer leur
adresse et leur bravoure. Le grand guerrier reprit sa progression. Il
avançait en regardant où il mettait les pieds. Ces pierres
roulantes avaient déjà été fatales pour un de ses compagnons.
Sstanch sursauta. Le premier guerrier allait bientôt arriver à
portée de tir quand il vit Schtenkel resté près de l'orée de la
forêt qui faisait des signes. Là-bas deux nouveaux chevaliers
émergeaient de la pénombre des bois. Comme le premier, ils
portaient cottes de mailles et épée. Ils avaient aussi des grands
arcs à la main. Sstanch pensa qu'ils étaient trop loin pour être
gênants. Il n'avait pas prévu que le grand guerrier ne serait pas
seul. Il se maudit intérieurement. Il allait décevoir le prince.
Chassant ces pensées, il se consacra à sa tâche actuelle. Il prit
son arc en silence. Il entendit les autres faire comme lui. Quand les
six premiers hommes furent à portée, il lâcha sa flèche qui alla
se planter dans la poitrine du chevalier. Elle fut suivie par une
volée de vingt traits qui tombèrent en pluie mortelle. Le chevalier
dégainant son épée hurla :
- Susss, susss à l'ennemi, en se
mettant à courir vers eux.
Une fois, les cinq volées de flèches
envoyées, Sstanch donna l'ordre de décrocher. Le grand guerrier
était à terre, ses serviteurs morts ou blessés, en tout cas hors
de combat. Quelques flèches venues de trop loin pour être précises
se plantèrent ici ou là. Les autres chevaliers agissaient mais trop
tard.
Quand les cousins Chemtimo arrivèrent
près de Limpa et de ses gens, ils avaient lancé quelques traits
vers les assaillants. Ils se savaient trop loin pour être précis
mais pensaient les mettre en fuite. Pendant qu'un des cousins
continua sa course vers les positions ennemies en lâchant des
flèches de manière irrégulière, l'autre s'arrêta près de Limpa
pour faire le point. Il avait pris plusieurs flèches. Si son
pourpoint de cuir était troué, sa cotte avait arrêté les flèches.
Sa blessure la plus sérieuse était un trait qui lui traversait la
jambe gauche sous le genou. Cette zone peu protégée pendant les
marches restaient à découvert. C'était une blessure fréquente
pendant les embuscades. La flèche avait traversé le mollet sans
toucher l'os. Si elle n'était pas empoisonnée, Limpa devrait s'en
remettre. Il ne pourrait plus se déplacer facilement pendant
quelques temps. Par contre ses écuyers étaient mal en point, un
était mort d'une flèche dans le cou, l'autre ne valait guère mieux
avec cet empennage qui dépassait de sa poitrine, le troisième avec
une plaie dans un bras et une flèche dans une cuisse, le quatrième
avait la main transpercée et fixée à sa charge par la flèche,
seul le dernier n'avait que des ecchymoses récoltées quand il
s'était jeté à terre. Le cousin Chemtimo fit signe que tout danger
était écarté pour le moment.
- Je vous l'avais bien dit qu'il ne
fallait pas passer par là, dit Schtenkel. Ce chemin est trop
dangereux.
- Ccce mot n'exissste pas dans notrrre
langue, lui répondit Limpa.
Il venait de casser le bois de la
flèche qu'il avait dans le mollet. Il tendit la pointe à Schtenkel.
- Elle ne sssemble pas empoisssonnée.
Toi qui connais ccces gens qu'en dis-tu?
- Je ne les connais pas. Ils sont mes
ennemis comme les vôtres.
Le vieux Flamchi s'occupa des écuyers
à terre, pendant que les autres récupéraient les charges et
rejoignaient le bois. Les serviteurs firent plusieurs voyages pour
transporter morts et blessés à l'abri du bois. Ils firent un cairn
pour les deux morts. Limpa accepta que celui qui avait deux blessures
regagne Tichcou. Les deux autres se répartirent la charge avec
Limpa. Celui-ci s'équipa de pied en cap, laissant les provisions aux
écuyers.
- Comme ccela, je ssserrrais prrrêt
pourrr la prrochaine fois!
Les chevaliers repartirent. L'ordre de
la colonne avait changé. Schtenkel était toujours devant avec les
cousins, suivaient Flamchi et Tsiemch, Limpa suivait comme il
pouvait. Il n'arriva au bivouac qu'à la nuit noire. Il ne se
plaignit pas, ne fit pas de remarque mais ne participa pas aux
conversations.
Sstanch avait félicité ses hommes.
Les ennemis bivouaquaient dans le bois. Les éclaireurs avaient fait
leur rapport. Au moins deux morts, un blessé trop grave pour
continuer et trois plus légers représentaient un beau tableau de
chasse. Il avait deux mains d'hommes pas très aguerris, en face
pratiquement six mains de soldats qui bien que chargés n'en étaient
pas moins redoutables. Avec les konsylis, il décida de faire des
pièges sur le chemin pour éliminer le maximum d'hommes sans risque.
Ils y passèrent la nuit. Quand le jour se leva, Sstanch conduisit sa
troupe de l'autre côté de la gorge et de son sentier. Il détruisit
la réparation que Bistasio avait faite. Ils passèrent le virage et
utilisèrent le rempart naturel pour préparer l'embuscade. L'attente
fut éprouvante pour les nerfs. Au moindre bruit sur le sentier, ils
se préparaient à tirer. Sstanch et les deux konsylis essayaient de
les calmer sans grand succès. Forts de leur première victoire, ils
voulaient en finir. Sstanch craignait que trop de témérité fasse
des victimes. C'est quand ils n'y croyaient plus qu'ils les virent
arriver. Trop pressé, le plus jeune tira, dévoilant sa position au
chevalier qui s'avançait sur le chemin. La flèche le toucha et
rebondit sur la lourde cuirasse de l'homme, sans lui faire le moindre
mal. Cette première flèche fut comme un signal pour les autres. Ils
oublièrent les consignes et vidèrent leur carquois sur cette
silhouette de métal qui était devant eux. Il fallut que Sstanch
hurle pour que les tirs s'arrêtent. Le chevalier était toujours
debout de l'autre côté de l'effondrement. Sstanch donna l'ordre par
signe de repli. Deux hommes n'obéirent pas. Ils grimaçaient de
douleur. Trop sûrs d'eux, ils s'étaient exposés et en payaient le
prix. Il monta à son poste d'observation. Il voyait la scène entre
les branches d'un buisson. S'il ne pouvait pas tirer, il ne pouvait
pas non plus être vu. Le chevalier n'avait pas attendu la fin de la
pluie de flèches sans riposter. Il n'avait pas beaucoup usé de
traits. Sûr de son immunité, il avait pris le temps de viser. L'arc
bandé, il semblait scruter le talus qui lui faisait face, prêt à
décocher. Derrière lui, une autre silhouette de métal fit son
apparition. Aussi bien armé, le deuxième chevalier se mit aussi en
position de tir. Sstanch jura. Il fit signe à un Konsyli.
- Reste-là et observe. J'organise le
repli vers le col.
Les cousins Chemtimo avaient pensé
qu'à la place des ennemis, ils auraient piégé le chemin. Ils
avançaient en prenant des précautions. Ils avaient comme Limpa,
revêtu leur armure de combat. La progression avait beaucoup perdu de
sa rapidité. Schtenkel donnait ses instructions et les cousins
exploraient le terrain avant l'arrivée des écuyers. Il n'avait eu
qu'un accident. Lors du bivouac, s'éloignant pour satisfaire un
besoin naturel, Flamchi avait fait jouer un piège. Il avait eu
beaucoup de chance, le mécanisme du piège avait mal marché. Les
pointes de bois acérées ne l'avaient pas touché avec assez de
force pour percer sa cotte de maille. Au bivouac, il l'avait vu
revenir plié en deux en se tenant les côtes. Ses écuyers avaient
couru pour le soutenir. Il les avait fermement repoussés. Ils
l'avaient aidé à retirer sa cotte de maille. Flamchi arborait de
superbes hématomes au point d'impact. Le lendemain la progression
avait repris avec le même luxe de précautions. Ils avaient atteint
le chemin de la gorge sans encombre. A chaque tournant, un chevalier
partait en avant jusqu'au virage suivant. Un des cousins était en
éclaireur quand il découvrit l'effondrement du chemin. Il s'était
à peine arrêté qu'une pluie de flèches était tombée.
Heureusement les agresseurs ne possédaient pas d'arme suffisamment
puissante pour le blesser. Son armure supportait les chocs sans
broncher. Il en profita pour utiliser son grand arc. Il tira peu,
quatre fois seulement avant la fuite des ennemis. Il estima qu'il
avait dû faire mouche au moins une fois sur deux. Quand son cousin
arriva, le calme revenait. Du bruit de l'autre côté du talus
laissait présager que les ennemis fuyaient. Leur mépris monta d'un
cran devant ses lâches qui refusaient un beau combat. Prudents, ils
restèrent un bon moment sans bouger prêts à la riposte. Rien ne
venait, rien ne se manifestait. Tsiemch arriva à son tour. Sans arc
et l'épée au fourreau, il amenait un solide tronc pour renforcer le
chemin. Les cousins sans cesser de guetter le laissèrent passer.
Flamchi vint à son tour. A eux deux, ils mirent en place un à un
les troncs qu'ils allaient chercher auprès des écuyers. Ils avaient
sécurisé une extrémité avec des liens accrochés aux rochers qui
surplombaient le chemin. Flamchi qui était le plus léger, s'entoura
la taille d'une corde et commença la traversée du pont qu'ils
avaient jeté sur ce qui restait du chemin. A part quelques frayeurs
dues aux mouvements des troncs, il arriva sans encombre de l'autre
côté. Il dégaina son épée, la posa à côté de lui et se mit en
devoir de tenir les troncs pendant que Tsiemch traversait. Les deux
cousins, l'arc bandé, restaient en couverture. Dès qu'ils furent
tous sur la terre ferme, Flamchi reprit son épée, et se mit en
garde prêt à défendre l'accès au pont. Pendant ce temps, avec des
cordages, Tsiemch sécurisa l'autre extrémité. Il traversa
plusieurs fois pour en tester la solidité. Quand tout fut prêt, il
fit signe aux autres chevaliers. Les deux cousins traversèrent.
Ensemble, ils se mirent en route vers le prochain virage. Le sentier
trop étroit ne permettait que le passage un par un. Flamchi jeta un
coup d'œil de l'autre côté. Il ne vit rien. L'épée haute, il
bondit passa le virage, immédiatement suivi par un cousin Chemtimo.
La flèche lui rentra sous le bras, au défaut de la cuirasse. Il
entendit le grand arc vibrer derrière lui avant que la douleur ne
devienne une réalité. Il vit une ombre qui s'enfuyait, une flèche
qui se plantait non loin de cette silhouette puis le monde devint
noir. Sienne Chemtimo multiplia les tirs sans réussir à atteindre
le fuyard. Son cousin qui arrivait, fit de même. Ils virent devant
eux, Flamchi tomber à genoux, puis basculer sur le côté. Avant
qu'ils n'aient pu intervenir, ils le virent basculer dans le vide. Il
y eut un silence suivi d'un « plouf » retentissant.
Au bivouac, Schtenkel récriminait:
- Je vous l'avais bien dit qu'il ne
fallait pas prendre ce chemin. Finalement, nous n'allons pas aller
plus vite et il y a déjà un mort.
- SILENCE !, répondit Sienne Chemtimo,
Flamchi est morrrt les arrrmes à la main. Son honneur est sauf. Nous
chanterrrons ssses louanges.
Les écuyers de Flamchi avaient été
répartis entre Limpa dont les traits tirés montraient que la
blessure était plus grave que ce qu'il disait et Tsiemch dont
l'équipe manquait d'expérience.
- Ton savoir est grand, être debout
Kyll. Ton bâton est bien gravé.
- J'ai laissé les esprits guider mes
doigts. Un esprit fort, très fort est venu récemment. Je ne l'ai
pas vu mais je l'ai senti pendant que je gravais. J'ai tracé cela
sous son emprise.
Kyll montra le haut de son bâton au
dragon. Des entrelacs sculptés le décoraient. Ils avaient un effet
quasi hypnotique, comme kyll l'avait remarqué. Ses compagnons ne
pouvaient pas les quitter des yeux. Kyll libérait leur attention
prisonnière en mettant la main sur les signes gravés. Il avait même
fabriqué un manchon de peau pour les recouvrir.
- C'est très bien, être debout Kyll.
Tu as fait ce qui devait être fait. Le jour venu, il recevra la
puissance.
- Que veux-tu dire, jeune dragon?
- L'être debout Mandihi m'a montré
les écrits sacrés des dragons. Il y est dit qu'un être debout de
grand savoir doit graver un bâton quand naît un dragon pour que ce
bâton soit puissance entre les mains de l'élu. Ne le perds pas,
être debout Kyll.
- Il ne me quittera pas, jeune dragon,
ne crains rien.
- Je ne crains pas, être debout Kyll !
- Je te sens moins attentif que lors de
nos autres rencontres. Serais-tu nerveux?
- Je ressens des présences néfastes.
- Les esprits m'en ont parlé. Ceux qui
viennent pour devenir des dieux sont néfastes, ceux qui viennent la
peur au ventre sont sans danger.
- Ton savoir est grand, être debout
Kyll. Je vois les esprits mais ils ne me parlent pas. Ils s'écartent
quand je passe.
Sstanch avait regroupé ses hommes
après le col. Le Konsyli resté en arrière, était arrivé en
petite foulée. Il admira l'entraînement du guerrier du froid. Ses
hommes étaient loin de tenir cette cadence.
- Vlr...(La mort en a entraîné un
dans ses griffes. Il reste quatre grands guerriers de métal, dont un
blessé, ainsi que quatre mains de seconds guerriers).
Sstanch admira la manière dont
parlaient les guerriers du froid. Il ne se vantait pas d'avoir tué
un ennemi. La mort ne les réjouissait pas. Elle faisait juste partie
de leur vie.
- Qui...(Le prince Quiloma doit être
prévenu) répondit-il, nous allons faire des défenses pour les
accueillir. Ils ne doivent pas atteindre la vallée du dragon.
Les deux konsylis hochèrent la tête.
Sstanch donna les ordres aux autres hommes. Deux furent envoyés à
la ville et tous les autres se mirent au travail pour préparer un
fortin pour se battre contre les hommes de métal.
Schtenkel insistait. Leur but n'était
pas de se battre avec les hommes de là-haut mais d'atteindre la
vallée du dragon. A la sortie de la gorge, il y avait une
possibilité difficile mais faisable sans les armures. La discussion
dura un bon moment. C'est Limpa qui emporta la décision. Sa blessure
lui faisait mal. Il tiendrait un combat, pas deux. Il voulait
affronter le dragon pas de vagues ennemis qui préféraient fuir
plutôt que de les affronter. S'il y avait de la gloire à gagner,
elle était dans la grotte du dragon pas face à ces guerriers de
second ordre. Ils envoyèrent quand même un des écuyers sans charge
en observation. Ils entamèrent la descente dans les arbres et les
rochers. Limpa dut se faire aider plusieurs fois. Sa jambe ne
répondait pas bien. La plaie était maintenant infectée. La peau
autour avait pris des teintes verdâtres du plus mauvais effet. Son
écuyer soigneur avait l'ordre de se taire. Limpa voulait affronter
le dragon même si c'était son dernier combat. Alors, il serrait les
dents et avançait. Sans l'armure, ils allaient plus vite. L'écuyer
éclaireur était parti avec un arc et un carquois bien plein. Il
avait pour rôle d'occuper les ennemis pendant au moins une journée
puis de rentrer à Tichcou. Quand il arriva à la sortie du bois, il
s'arrêta. Une prairie s'étendait devant lui. Schtenkel lui en avait
parlé. C'est là que la grêle avait surpris le groupe. Il chercha
de l'autre côté à voir la présence ennemie. Il lui fallut un bon
moment pour les repérer. Derrière des buissons, un mouvement lui
fit entrevoir le reflet de la lumière sur du métal. Il bénéficiait
de la lumière. A cette heure-ci le soleil éclairait l'orée
ennemie. A l'abri de l'ombre, il arma le grand arc. Habitué depuis
son enfance au maniement des armes, il se coucha sur le dos. Il prit
la corde à deux mains, avec les pieds stabilisa le corps de l'arc et
encocha une flèche. Il tendit au maximum de l'allonge de l'arme et
décocha. Il vit la flèche monter puis redescendre et disparaître
derrière les buissons. Il savait que cette technique de tir lui
permettait une portée inaccessible aux autres arcs. Il prépara une
autre flèche quand il vit le remue-ménage que la première avait
suscité.
Sstanch jura quand la flèche se planta
à dix pas de lui. Ils avaient été repérés. Les ennemis étaient
là et leurs arcs portaient loin, beaucoup plus loin que les leurs.
Il continua à jurer entre ses dents. Il n'avait pas assez d'hommes
pour les risquer en terrain découvert face à une dizaine d'arcs de
cette puissance.
- Restez couverts ! On va essayer de
repérer où ils sont.
Le temps passa un peu. Un homme bougea,
faisant remuer un buisson. La flèche ne tarda pas à se planter
dedans sans toucher personne.
- Knam, jura Sstanch entre ses dents, à
cause du soleil qu'il avait dans l'œil
Il avait vu à peu près d'où
partaient les traits. Il fit passer l'ordre de bouger à un homme au
bout du système de défense. De nouveau une flèche arriva. Il jura
à nouveau, ce n'était le même tireur. Il fit de nouveaux essais en
faisant bouger différents hommes. A chaque fois, l'arc chantait et
la flèche arrivait. Sstanch avait compté entre une et deux mains de
tireurs. Il allait continuer quand...
- Tsy... (Il n'y en a qu'un qui se
déplace) dit un konsyli. (l'arc chante pareil).
- Runt... (Quand le soleil sera en haut
du ciel, attaquez), dit le deuxième konsyli, (Je vais le
contourner).
Au petit trot, il partit. Pendant ce
temps Sstanch faisait bouger ses hommes. En face le tireur répliquait
régulièrement. A la moitié du jour, le groupe sortit en hurlant
pour charger la forêt. A mi-parcours, la moitié ne hurlait plus et
à l'orée du bois, tous étaient essoufflés sauf Sstanch et le
konsyli. Ils découvrirent un homme à terre. Une pointe dépassait
de sa poitrine. Derrière, le konsyli attendait accroupi, scrutant la
forêt. Quand Sstanch arriva, il se leva.
- Rtu... (Il est seul. J'ai regardé
partout. Les autres ne sont pas là. Ils ont dû trouver un autre
chemin).
- Dez... (Ils nous ont bloqués pendant
la moitié d'une journée. Cela devait être sa mission), répondit
Sstanch au konsyli qui avait éliminé l'ennemi. Puis se tournant
vers ses hommes, il expliqua la situation et donna l'ordre de se
mettre en marche vers la vallée du dragon. Il envoya deux nouveaux
messagers à Quiloma.
Si Schtenkel était dans le groupe de
tête, il n'était plus en tête. C'est Sienne Chemtimo qui menait le
train. Et il allait vite. Son cousin suivait sans difficulté ainsi
que leurs écuyers. Derrière, perdant lentement du terrain Tsiemch
serrait les dents pour ne pas se laisser distancer. Plus loin Limpa
marchait comme il pouvait, le plus souvent avec l'aide d'un écuyer.
Deux jours passèrent comme cela. Le groupe de tête laissait des
marques pour ceux qui suivaient. Tsiemch avait ramené son groupe
bien après la tombée de la nuit, mais Limpa n'avait pas rejoint.
Les cousins Chemtimo pensèrent qu'il avait préféré bivouaquer
dans la clairière qu'ils avaient traversée en milieu de journée.
La discussion tournait autour du temps qu'il restait pour atteindre
la grotte du dragon. Schtenkel parla de deux jours de marche si tout
allait bien. Même s'ils plaignaient Limpa, il sentit bien que les
cousins étaient heureux d'avoir un concurrent de moins dans cette
course à la gloire. Sienne qui dominait, serait le premier à tenter
sa chance. Fmine son cousin, l'aiderait dans cette conquête. Moins
grand et moins brillant, il ne se voyait pas les chances de remplir
cette mission. Tsiemch rêvait de gloire. Schtenkel ne l'en croyait
pas capable. Quant à Limpa, il pensait que sa blessure le tuerait
avant qu'il ne rencontre le dragon.
Il avait tort.
Limpa se tenait debout les armes à la
main. Ses écuyers avaient fui quand le dragon s'était posé dans la
clairière. La soirée avait à peu près bien commencé. Fatigué
par la marche Limpa s'était reposé pendant que ses serviteurs
préparaient le repas. Les plantes que son écuyer soigneur lui avait
fait prendre avaient calmé la douleur. Alors que la lune se levait,
voilé par les nuages, il avait décidé de tester ses différentes
armures pour choisir celle avec laquelle, il pourrait affronter le
monstre. Il avait ainsi revêtu son armure de parade. Très décorée,
elle protégeait moins mais pesait deux fois moins lourd que l'autre.
Si sa plaie n'empirait pas, il pourrait tenter de combattre ainsi.
Avec l'autre il aurait été trop lent. L'épée à la main, il
faisait des exercices quand brusquement la lumière avait baissé. Un
vent violent s'était levé. Une masse énorme occupait l'espace et
se posait dans la clairière. Si tous les écuyers prirent la fuite,
Limpa se mit le dos contre un arbre et leva sa garde. Devant lui se
tenait le monstre. Il s'aperçut que ses yeux où dansait le reflet
du feu, ressemblaient à des lacs d'or. Sa cuirasse faite de plaques,
lui rappela le vermeil. Il fut admiratif. Il sut qu'il livrerait là
son dernier combat.
- Tu viens cherrrcherrr la morrrt qui
t'est dûe, Monssstrrre, hurla-t-il.
- Et toi, petit homme, viens-tu
chercher une place de dieu?
Limpa fut étonné d'entendre le dragon
parler et encore plus de la douceur de sa voix.
- Je rrreviendrrrai dans mon pays avec
ta dépouille et je serrrai comme un dieu.
- Tu ne reverras pas ton pays, petit
homme. J'ai vu un être debout dont le savoir est grand. Je sais ta
blessure. Je sais ton orgueil. Je sais aussi ta droiture.
- Tu sssais bien des chossses,
monssstrrre, mais cela ne t'éviterrra pas la morrrt.
- Tes compagnons méritent le sort qui
sera le leur. Toi, aujourd'hui, tu as le choix. Pose ton arme,
rends-toi et tu auras la vie sauve, ou alors bats-toi et tu mourras
avec honneur et panache.
- Les chevaliers de Flamtimo ne se
rrrendent pas, monssstrrre, alorrrs .... SSSUSSS !
Limpa courut en avant... Il attaqua le
dragon aux pattes. Sa seule chance était d'être plus mobile et plus
vif que le dragon. De toutes ses forces, il abattit son épée qui
n'écorna même pas la griffe sur laquelle elle glissa. Le dragon le
repoussa de sa patte, déchirant sa cuisse au passage. Faisant fi de
la douleur, Limpa repartit à l'attaque, bouclier haut pour éviter
le souffle brûlant qui tomba sur lui, il toucha une patte, éclatant
une des plaques vermeilles qui protégeait la chair. Le dragon retira
sa patte mais d'un coup de gueule arracha le bouclier. Limpa recula à
nouveau. Un instant leurs regards se croisèrent. Il crut lire du
respect dans l'œil du dragon juste avant de se ruer à nouveau à
l'assaut. C'est de la patte droite que le dragon lui ouvrit le thorax
malgré l'armure. Limpa retomba à terre. La nuit se fit. Les
premiers flocons tombèrent.
Les cousins Chemtimo n'attendirent même
pas le lever du jour pour partir. L'aube pâlissait à peine quand
ils levèrent le camp. Tsiemch n'avait pas donné les ordres pour
cela et ses écuyers n'étaient pas prêts. Il hurla et tempêta mais
dut attendre la fin des préparatifs. Il faisait grand jour quand sa
compagnie s'ébranla. Il essaya de faire presser le pas sans grand
résultat. Heureusement la neige qui était tombée, gardait les
traces du passage des cousins. La journée fut longue et monotone.
Les corps étaient fatigués. La forêt semblait interminable. Ils
s'arrêtèrent en entendant les cris derrière eux. Les écuyers de
Limpa arrivaient sans armes ni bagages. Affolés, ils racontèrent la
fin du chevalier. Tsiemch les écouta jusqu'au bout et jura qu'il
mettrait fin à la vie de ce monstre responsable de la mort du grand
chevalier Limpa dont la geste était connue dans tout Flamtimo. Il en
profita pour répartir les charges sur plus d'épaules et pour faire
accélérer le mouvement. Tout en marchant, il se fit raconter
plusieurs fois le récit du combat. Le dragon l'avait pris en
traitre. Mal équipé, Limpa n'avait eu aucune chance. Heureusement
Tsiemch avait ce qu'il y a de mieux en armement et en armure.
Néanmoins, il pensait qu'il fallait mieux surprendre le dragon dans
son sommeil que de vouloir le combattre. Prudent, il décida de
revêtir son armure de combat. Cela le ralentirait mais il serait
paré pour toutes les mauvaises rencontres. Quand la nuit tomba, ils
n'avaient pas rejoint le groupe des cousins. Ils étaient à quelques
heures de marche derrière. Il donna les ordres pour le lendemain
matin. Avec la nuit la neige se remit à tomber, lentement,
doucement, sans bruit.
Alors que la lumière pâlissait à
peine, tout le camp s'activait. Malheureusement, les traces des
cousins avaient disparu sous la poudreuse. De nouveau Tsiemch entra
en colère. De son épée, il frappa les arbres pour se soulager. Il
rageait aussi contre les cousins qui n'avaient pas laissé de
balises. Il reconnaissait bien là, leur mauvaise foi et leur manque
au protocole. Ce n'était pas la première fois que Sienne ne
respectait pas l'honneur de la chevalerie. Il en était là de ses
réflexions quand un écuyer de Limpa cria en se jetant à terre :
- Le monssstrrre !
Tsiemch chercha du regard autour de
lui. Rien ! Il leva la tête à temps pour voir disparaître une
grande silhouette rouge.
- Il nous montrrre la route...
Suivons-le!
Tsiemch partit dans la direction du vol
du dragon. Ils marchèrent ainsi quelques centaines de pas avant de
trouver des traces des cousins. Il jubila intérieurement. Il allait
pouvoir remplir sa mission. Plus ils avançaient, plus la trace
devenait fraîche. A cet endroit, la forêt devenait moins dense.
Alors qu'ils atteignaient une crête, un écuyer repéra le groupe
des cousins plus loin en contrebas. Armés de pied en cap, le
bouclier au bras, ils avançaient avec précaution. Tsiemch pensa :
« La vallée du dragon ». Les écuyers s'équipèrent de
leur cotte de maille, lui prit son bouclier pour continuer. La
journée se passa sans autre incident. Ils eurent quelques frayeurs
en voyant passer et repasser le dragon au-dessus de leurs têtes,
mais bien cachés par la végétation, ils se sentaient invisibles.
Sstanch était heureux que Mlaqui soit
arrivé avec deux mains de guerriers du froid. Pour eux, l'arrivée
de la neige était un bon présage. Ils avaient pris position
au-dessus de la grotte du dragon quand les premiers flocons
tombèrent.
- Smi...(Ils devraient arriver par
l'autre versant), dit Mlaqui, (demain nous descendrons pour sécuriser
la vallée.)
- Quil...(Est-ce la volonté du prince
Quiloma?), demanda Sstanch.
- Tsi...(Oui, le dragon est jeune
encore. Notre avenir dépend de lui).
Ils n'avaient pas fini de parler que,
dans un grand déplacement d'air, le dragon se posa.
Si les guerriers du froid restèrent
impassibles, les autres reculèrent effrayés.
- Nsi...(Bonsoir, être debout qui
connaît les onguents.)
- Nsi...(Bonsoir, Seigneur Dragon),
répondit Mlaqui en mettant un genou à terre, imité par tous les
présents.
- Smo...(De petits hommes arrivent pour
me voler mon trésor, ou ma vie. Ma volonté est de les combattre
sans l'aide des êtres debouts)
- Quil...(Mon prince, le prince Quiloma
souhaiterait t'aider, Seigneur Dragon. C'est pour cela que je suis
là.).
- Tri...(Ma force et ma ruse devraient
suffire pour occire les trois porteurs de carapaces. Je vous laisse
leurs aides... mais qu'on ne touche pas à celui à qui j'ai coupé
la main.).
- Lte...( Si telle est ta volonté,
Seigneur Dragon, nous le ferons.).
- Nie...(Que la neige te soit
favorable, être debout Mlaqui, ainsi qu'à ceux qui t'accompagnent).
Ayant dit cela le dragon d'un puissant
coup d'ailes se jeta dans le vide.
Les cousins Chemtimo étaient heureux
dans leur grotte. Avec ses deux entrées, elle ne pourrait pas
devenir un piège. Ils avaient trouvé un passage tortueux et étroit
par où le plus jeune des écuyers avait une très bonne vue sur
l'entrée de la grotte du monstre.
- La neige est tombée deux fois, dit
Sienne.
- Oui, cela nous débarrrasssera des
deux autrrres, répondit Fmine.
- Limpa ? Il n'arrrrivera même pas
iccci. Tsiemch ne nous gênerrra pas. Il est trrrop nul. Je parrle de
la neige pourrr te dirrre que nous n'aurrrons pas d'autrrre chance.
Le plus tôt serrra le mieux.
A ce moment-là, l'écuyer guetteur
arriva tout excité:
- Le monssstrrre vient de rrrentrrrer
...
- Allonsss-y et finisssonsss-en ! dit
Fmine.
Un bruit venu de l'extérieur les fit
sursauter. L'épée à la main pour les chevaliers, l'arc prêt pour
les autres, ils guettèrent dans la pénombre du soir, cherchant à
voir qui en était la cause.
Un cri chuchoté se fit entendre.
Les cousins se regardèrent et Sienne
jura. Manifestement Tsiemch arrivait. Ils l'entendirent renouveler
son appel. Ils lui firent signe.
Ils se serrèrent dans la grotte. La
discussion s'orienta sur les nouvelles que Tsiemch apportait. Limpa
était mort au combat, valeureusement avaient précisé les écuyers.
Puis on parla du monstre qui attendait
tapi dans son antre. Sienne était d'avis d'y aller tout de suite,
Tsiemch préférait attendre. Fmine ne savait pas trop quoi penser.
Sienne emporta la décision en parlant du problème des guerriers
ennemis que allaient forcément arriver à moins qu'ils ne soient
déjà là. La nuit assez claire était un bon moment pour atteindre
la grotte.
C'est peu après que les trois
chevaliers se mirent en route. La neige luisait faiblement sous la
lune. Avec cette luminosité, ils n'auraient pas besoin de torche.
Malgré leurs équipements, les trois hommes se déplaçaient presque
sans bruit. Dans la grotte, l'écuyer guetteur avait repris sa
veille. Il avait intégré l'équipage de Sienne Chemtimo depuis peu
et espérait tirer des bénéfices de la victoire de son maître, car
il était certain de sa victoire. Ses collègues plus âgés étaient
confiants mais pas aveugles. Ils pensaient que même si le dragon
était mort, il y aurait les guerriers ennemis qui voudraient le
venger. Déjà, ils préparaient la retraite, faisant le tri entre ce
qui méritait d'être ramené et ce qui pouvait être abandonné,
s'il fallait se replier rapidement.
Les trois hommes marchaient en silence,
accompagnés du bruissement de la neige qu'on écrase. Ils virent un
feu au loin sur la rive au-dessus de la grotte du monstre. Les
guerriers ennemis étaient là. C'était à la fois une bonne et une
mauvaise nouvelle. Ce soir, ils étaient là-haut. Ils ne seraient
pas à les chercher. Demain ce serait une autre histoire. Schtenkel
n'avait pas eu le choix. Il marchait devant assez loin, en balisant
le terrain de ses traces. Habillé de blanc, il se coulait dans le
paysage, ombre blanche dans les ombres de la nuit. Il avançait la
peur au ventre. Sa mission était aussi d'avertir en cas de danger.
Il arriva au bord du lac sans avoir rencontré âme qui vive. Il
repensa au dragon qui avait surgi de l'eau. Il espérait que ce soir,
il n'avait pas quitté sa grotte. Un oiseau de nuit hulula. Il
sursauta. S'arrêtant, il scruta la nuit un moment. Comme rien ne
bougeait, il se remit en marche. Il atteignit la base de la falaise
de la grotte. Il chercha à droite et à gauche un passage. Longeant
la paroi, il arriva devant ce qui lui sembla être un chemin
possible. De nouveau, l'oiseau de nuit hulula. Schtenkel commença
son ascension. Il atteignit une plateforme. Il n'avait pas fait trois
pas que ... L'oiseau hulula à ses oreilles. Il se retourna
brusquement. Il sentait une présence. Il porta la main à son épée
pour la dégainer. Il n'arriva pas au bout de son geste. On venait de
lui jeter un grand sac sur la tête. Une corde le serra à la taille,
une autre autour de la tête l'empêchant de crier. Il se sentit
quitter terre.
Les trois chevaliers suivaient la piste
de Schtenkel. Ils lui avaient fait décrire le chemin. Sienne avait
tiqué quand Schtenkel avait expliqué ne pas avoir dépassé le lac.
Il lui avait quand même intimé l'ordre de partir en éclaireur. Ils
l'avaient suivi à distance. Arrivés au lac, ils eurent juste une
pensée pour le frère de Limpa. Ils ne s'arrêtèrent pas. Les
traces de Schtenkel étaient bien visibles malgré la faible lumière.
Ils s'engagèrent sous les frondaisons. De nouveau un oiseau de nuit
hulula. Ils l'avaient déjà entendu plusieurs fois. Craignant qu'il
n'alerte le dragon, ils se figèrent. Ils restèrent un long moment
comme cela. La lune se montra enfin entre les nuages. Fmine soupira
de contentement. Ils n'allaient pas être gênés par la neige pour
gravir la falaise. Une ombre volant sans bruit passa devant la lune.
Sienne la montra à ses compagnons. L'oiseau était parti, ils
pouvaient reprendre leur progression. Ils dégainèrent en silence.
Peut-être y avait-il des sentinelles. Schtenkel n'avait pas donné
signe de vie. Devant la falaise, ils suivirent ses traces. Elles
partaient vers la droite et semblaient bien régulières. En arrivant
à une plateforme, ils s'arrêtèrent. Schtenkel avait piétiné là.
Ils écoutèrent et scrutèrent les lieux. Il n'y avait pas d'autres
traces et ils voyaient ses pas repartir vers l'amont. Cela mit
Tsiemch mal à l'aise. Il fit un signe interrogatif à Sienne. Ce
dernier haussa les épaules et reprit sa progression en murmurant :
- S'il avait été attaqué, on
verrrait la trrraccce de ses agrrressssseurs !
Tsiemch se calma en voyant que le
chemin bien que raide et difficile, leur permettait de s'élever vers
l'antre du monstre. La lune éclairait parfaitement les lieux. Si
jamais il y avait des guetteurs bien placés, ils ne pouvaient passer
inaperçus. Sienne jura sourdement. Il s'arrêta et scruta autour de
lui. Ils attendirent que la lune se cache à nouveau derrière un
nuage pour repartir. Ils marchaient maintenant sur une corniche
étroite. Fmine qui avançait en tête, se retourna pour voir son
cousin. Celui-ci rengaina son épée et lui fit signe d'avancer.
Fmine fit de même. Il longea la paroi tout en s'assurant de bonnes
prises pour les mains. Au bout, le vent avait dipersé la neige. Les
traces avaient disparu. La lune de nouveau se dévoila. Il en fut
soulagé. Il voyait un espace plus dégagé plus loin où ils
allaient pouvoir se regrouper. Il parcourut la petite surface sans
trouver les traces de Schtenkel. Vu la paroi, il ne pouvait avoir
disparu. Fmine attendit son cousin. Il ne comprenait pas où était
le chemin. Celui-ci ne tarda pas. Il demanda à voix basse :
- Pourrrquoi tu n'avanccces pas ?
- Il n'y a plus de traccces !
Sienne haussa les épaules et commença
à faire le tour de l'espace. Son cousin avait raison, le vent avait
balayé la neige. Schtenkel n'avait laissé aucune empreinte sur ce
rocher. II sentit la colère bouillonner en lui. Pourtant ce n'était
pas le moment de se laisser aller à des gestes bruyants.
- Où a-t-il pu passser ? se
demanda-t-il.
- Je ne vois pas, répondit son cousin.
- Que se passe-t-il ? chuchota à son
tour Tsiemch qui venait d'arriver
- Il n'y a plus de chemin, répondit
Fmine. On ne voit pas où est passssé Ssschtenkel.
- Là ! s'exclama Sienne en montrant du
doigt une direction.
Il courut jusqu'à un tronc et
l'observa. C'était sûr. Il était parti en escaladant le tronc. A
la lumière de la lune, il examina l'arbre qui poussait là. Le tronc
était mince mais bien droit. Plaqué contre la falaise, il avait
poussé avec peu de ramure. En contrebas, les racines semblaient
plaquées contre le rocher. Sienne douta de leur solidité. En
regardant en haut, il crut apercevoir une silhouette qui lui faisait
signe. L'idée de grimper à un mât avec son armure de combat lui
déplut. Il ne voyait pas d'autres choix possibles. Il grimaça. Se
retournant vers les autres, il dit :
- Il est là-haut. On ne peut pas
monter à trrrois. Il faudrrra ssse sssuivrrre. Je passssse le
prrremier. Fmine, tu sssuivrrras.
La montée fut éprouvante. Malgré la
fraicheur de la nuit, il transpirait dans son armure. Heureusement,
les restes de branches donnaient des appuis bienvenus. Arrivé en
haut, il se laissa glisser sur le rocher. Il aurait voulu se reposer,
mais s'aperçut qu'il était à l'entrée de l'antre. Il chercha un
repli où se cacher. Il chercha Schtenkel des yeux, sans le trouver.
La lune n'éclairait plus. Les nuages de plus en plus épais
cachaient sa lumière. Il entendit du bruit venant de l'arbre. Il se
risqua jusqu'au bord pour récupérer son cousin. Une fois réunis, à
tâtons, ils s'enfoncèrent dans la grotte.
Non loin de là, un œil jaune
s'entrouvrit.
Tsiemch hahanalt. Il se hissa avec
peine sur le bord. Le froid devenait plus vif, les nuages plus
présents. Il pensa que la neige revenait. Il essaya dans la pénombre
de comprendre où il était et où étaient les autres. L'oiseau de
nuit hulula à nouveau. Décidément, il n'aimait pas ces bêtes-là.
A travers une trouée dans les nuages, il eut un bref éclairage. Il
sursauta. Il était devant l'entrée de la caverne du dragon.
Instinctivement, il retint son souffle. Il écouta. Le vent
soufflait. Il entendait les bruits habituels de la nuit, sans plus.
Les cousins n'étaient pas en vue. Ils devaient être rentrés dans
la caverne pour tuer le monstre. Fidèle à sa décision, il essaya
de trouver un recoin pour se cacher et attendre le moment favorable
pour frapper le dragon quand il ne s'y attendrait pas. Il se mit
debout. Où pouvait se cacher la bête ? Il estima qu'elle
devait dormir sur ses trésors. Quand il l'aurait tué, il se promit
de se couronner de la couronne du roi Yas. Devenu comme un dieu, il
n'aurait aucun mal à se faire obéir de tous ces prétendus
puissants. Il avançait à tâtons tout en rêvant de gloire et de
puissance.
Dans la pénombre de la grotte, les
cousins cherchaient des yeux où pouvait traîner le monstre. Ils
virent le trésor.
- Là, la courrronne ! dit Fmine
en s'avançant vers elle.
- Arrrrrête-toi ! lui dit son
cousin. Tu es fou ! Il ne faut pas qu'il devine notre présence.
Fmine se bloqua.
- Cachons-nous, le drrragon n'est pas
là. Il doit y avoirrr d'autrrres sssalles.
Les deux cousins se cachèrent au fond
d'un boyau obscur. Un bruit les fit retenir leur respiration. Ils
restèrent tapis en retenant leur souffle. Le bruit se précisa. Ils
respirèrent. C'était des pas d'hommes. Ils sortirent de leur
cachette.
- Ne ressste pas là ! Il
pourrrrrrait arrrrrriver.
Tsiemch sursauta en les entendant. Il
se déplaça à tâtons. Une ombre plus sombre l'attira. Un tunnel
lui offrait son abri. Il chercha et trouva une place où il pourrait
attendre. Il mangea un morceau. Savoir qu'il allait se battre lui
ouvrait toujours l'appétit. Après, il s'installa du mieux qu'il
put. L'attente commença.
Les cousins ne disaient rien mais
trouvaient que le temps ne passait pas vite. Enfin la lumière se fit
un peu plus forte. Bien cachés, ils allaient pouvoir observer et
débusquer la bête.
Le dragon ouvrit les yeux avec l'aube.
Ces petits hommes puaient la suffisance et l'orgueil. Il avait laissé
le dernier chevalier s'enfoncer sous le porche de sa grotte. Ils
sentaient l'or et l'argent. Il se dit qu'il allait enrichir son
trésor. Il regarda la neige qui venait de se mettre à tomber. Quand
l'aube pâlissait, il se dit qu'il était temps de secouer la
poudreuse qu'il avait sur le dos. Il étendit sa perception
l'ensemble de l'espace de sa grotte. Il repéra les auras des intrus.
Les cousins étaient embusqués dans la salle principale. Le dernier
petit homme traînait dans un des couloirs latéraux. Il se mit en
marche.
L'écuyer guetteur cria.
- « Le drrragon ! »
Il recula rapidement dans le boyau
d'accès. Il arriva dans la salle principale.
- Il arrrrrrive ! Le drrragon, il
arrrrrrive !
Tout le monde se retourna vers lui.
- Calme-toi ! Qu'est-ccce que tu
dis ?
- Le drrragon, on le crrroyait endormi
dans sssa grrrotte et je viens de le voirrr rrrentrrrer.
Un des écuyers jura.
- Ccc'est lui qui va les
sssurprrrendrrre et pas le contrrrairrre.
- Comment peut-on les aider ?
demanda un autre.
- Le temps d'arrrrrriver et il
ssserrrrra trrrop tarrrd, ajouta un troisième.
- En plusss la neige va rrrendrrre les
déplacccements difficcciles.
La discussion devint générale.
Schtenkel sentit qu'on le posait à
terre. Quelqu’un l'avait hissé pendant un bon moment. A peine
posé, il avait senti des mains vérifier ses liens, son bâillon.
On l'avait fouillé sans ménagement mais sans violence. Il n'avait
plus d'épée ni de dague, ni son couteau. De nouveau, on le
transporta. Cela dura un moment assez long. Ceux qui le portaient ne
semblaient pas forcer. Il ne les entendait pas s'essouffler et
pourtant le rythme de déplacement était rapide et montant. Puis on
l'assit par terre. La chaleur d'un feu lui chauffait les genoux et le
devant du corps. Il ne comprenait pas les voix qu'il entendait. Il
pensa qu'il était de nouveau prisonnier. Aurait-il encore de la
chance comme la dernière fois ? On lui retira sa cagoule.
- Tu es vraiment où il ne faut pas,
Schtenkel !
Il reconnaissait l'homme comme étant
celui qui l'avait capturé. Il était de nouveau entre ses mains. Un
peu plus loin il vit des hommes aux yeux bridés et au parler
étrange. Il pensa qu'il devait être au bivouac qu'il avait vu
au-dessus de la caverne du dragon.
- Tesd...(Le dragon t'a marqué. Tu es
à lui.)
Schtenkel se tourna vers celui qui
parlait. Celui-là aussi était là la première fois.
Sstanch lui traduisit.
- Ça veut dire quoi que je suis au
dragon ?
- Le dragon a donné des ordres pour
toi, mais ils manquent de précision. Le konsyli que voici est chargé
de rencontrer le dragon et de lui faire préciser ce qu'on doit faire
de toi.
Le dragon se mit en colère. Un de ces
foutus petits hommes avait touché à son trésor. Il renifla la
couronne du roi Yas. Il reconnut l'odeur. Il allait leur faire payer,
surtout aux deux qui se croyaient à l'abri dans leur recoin. Le
troisième s'était caché avec la ferme intention de ne sortir que
plus tard quand il le croirait endormi. L'idiot n'avait même pas
pensé que sa bouffe sentait autant... « ça sent comme du loup
gris et il ose manger ça chez moi ! » pensa le dragon.
Celui-là ne perdait rien pour attendre. Les chevaliers l'avait
sous-estimé, tant pis pour eux. Il fit ce qu'ils attendaient. Il
grogna, racla le sol, griffa les rochers et … prépara son piège.
Les cousins Chemtimo s'étaient calés
au fond de leur abri en entendant le dragon rentrer. Ils comprirent
qu'il n'était pas dans la grotte à leur arrivée. Ils entendirent
ses déplacements. Pour faire autant de bruit, c'est qu'il était
maladroit à terre. Les raclements sur les pierres et les rochers qui
bougeaient, prenaient le sens d'une bête à l'étroit dans sa
tanière. Coincé, il serait d'autant plus facile à abattre qu'eux
seraient mobiles. Quand tout se calma, Sienne jeta un œil. Le dragon
était là, couché, lové sur son trésor. Ils voyaient son flanc, à
moins que ce ne soit une épaule. La tête reposait sur un rocher.
Les yeux étaient fermés. Il semblait dormir. Sienne fit signe à
son cousin de ne pas bouger. Ils avaient la journée devant eux. La
patience était leur alliée. La bête endormie ou somnolente serait
plus facile à circonvenir.
Tsiemch avait entendu le dragon bouger
dans la grotte. Le bruit était impressionnant. Il pensa qu'il avait
bien choisi. Ce tunnel était beaucoup trop étroit pour le monstre.
Il avait assez de provisions pour tenir quelques jours. Restait à
attendre que les cousins Chemtimo échouent.
Le dragon restait attentif aux esprits
des deux chevaliers. Il sentait leur impatience et leur volonté
d'attendre. Il sourit intérieurement. Ces petits hommes étaient
tellement prévisibles. Incapables de comprendre ce qu'était un
dragon, incapables d'écouter leurs corps qui suaient la peur, ils
allaient mourir. D'ailleurs il les entendit bouger. Bien sûr, ils se
faisaient discrets. Mais comment être discret quand on est bardé de
métal. Il perçut le glissement des épées qui sortaient du
fourreau. Il était sûr que le plus fanfaron des deux serait devant.
Il voulait trop la gloire pour laisser son allié de sang passer
devant.
Tsiemch avait enlevé son heaume.
Collant l'oreille à la paroi, il écoutait les bruits que lui
transmettait la roche. Il entendit le raclement léger que firent les
cousins quand ils se mirent debout. Délaissant la paroi, il se
rapprocha du centre du couloir. Il avait une vue partielle de la
grotte. Dans la lueur blafarde d'un jour neigeux, il voyait la masse
rouge sombre du dragon. Il jura intérieurement. Il ne s'attendait
pas à une aussi grosse bête. Il eut un doute, juste un léger doute
sur sa possibilité de le tuer. Les cousins devaient préparer leur
attaque. Il remit son heaume au cas où...
Sienne fit un pas. Le monstre respirait
tranquillement, inconscient de sa mort qui approchait. Sienne sourit.
En quelques pas, il pouvait être juste à hauteur de la plaque
fatale sur le poitrail de la bête. « En un coup d'épée ! »
pensa-t-il, « en un coup et s'en sera fini, je deviendrai comme
un dieu ! ». Il fit un autre pas, quand même prêt à se
jeter en arrière. Tout était tranquille. La neige à l'extérieur
étouffait les bruits. Le calme régnait dans cet abri. Au troisième
pas, il entendit le faible raclement des poulines de métal de son
cousin. Il s'immobilisa. Le bruit de la respiration du monstre
continua, régulier, ample.
Sienne estima qu'il était à six pas
de frapper. Il se baissa pour passer sous le rocher que
la bête avait dû déplacer en
rentrant. Cette arche naturelle le protégeait. Derrière, son cousin
fit aussi un pas de plus. Sienne prit appui sur la roche et jeta un
coup d’œil. Trois pas le séparaient de son but. Il allait avancer
le pied quand la respiration du dragon fit une pause. Il se recula
vivement heurtant une pierre de son talon. Celle-ci bougea, roula,
libérant un caillou plus gros qui se mit aussi en mouvement. Sienne
ne songea qu'au bruit. Cela allait réveiller le dragon. Il avança
la main pour tenir le caillou avant qu'il ne dévale la pente. Elle
fut écrasé par le rocher que le caillou calait. Sienne hurla sa
douleur. Son cousin essaya de lui porter secours, mais d'équilibre
instable en équilibre instable, les rochers s’effondrèrent sur
eux.
Tsiemch avait repéré Sienne au moment
où il sortait de sous ce gros rocher. Lui aussi avait entendu la
pause respiratoire. Instinctivement, il s'était reculé. En
entendant les rochers rouler, il refit un pas en avant. Avec horreur,
il vit les cousins Chemtimo se faire engloutir sous un amas de
roches. Il se recula avec vivacité. Le dragon allait se réveiller.
Il sursauta en entendant la voix.
- Alors petit homme, tu te crois à
l'abri.
Tsiemch tendit le cou pour voir qui
parlait ainsi. Il vit que la poussière était retombée. Du tas de
rochers dépassaient des membres revêtus d'armures. Il vit un bras
qui bougeait faiblement. Il essayait d'en voir plus quand un œil
jaune se montra au bout du conduit. Il se plaqua contre la pierre.
S'il avait pu, à cet instant précis, il se serait enfoui dedans.
- Je n'aime pas ceux qui en veulent à
mon trésor.
Le monstre parlait ! Tsiemch pensa
un instant qu'il délirait. Pourtant ce qu'il vivait était bien
réel.
- Tu es un voleur, mais en plus tu es
muet !
Devant l'insulte, Tsiemch se redressa :
- Je ne sssuis pas un voleurrr !
- Tu es pire alors, un tueur !
- Ccc'est toi monssstrrre, qui est
voleurrr et tueurrr !
Tsiemch fut déconcerté par le rire du
dragon.
- Même aux portes de la mort, ton
ridicule orgueil te tient. Alors si tu n'es ni tueur, ni voleur, qui
es-tu ?
- Je sssuis Tsssiemch, Chevalier de
Femtimo, adoubé parrr le prrrinccce en perrrsssonne. Mon rrrôle et
mon honneurrr sont de chasser les monssstrrres comme toi.
- Quelle grandeur d'âme, cher petit
homme chevalier. Tu es venu par pur altruisme jusqu'à mon domaine.
Que cela est beau.
- Trrremble drrragon, car même sssi je
ne rrréussssssis pas, d'autrrres viendrrront et te tuerrront pour
rrrendrrre ce que tu as volé à leurrrs prrroprrriétairrres et me
venger !
- Tu es bien présomptueux, petit
homme.
- Le rrroi Yasss lui-même viendrrra
avec son arrrmée, plus nombreuse que les arrrbrrres de la forrrêt,
pourrr te pourrrchasser.
- La neige arrive, petit homme et les
rois ont bien des soucis.
Tsiemch avait dégainé son épée
doucement pendant cet échange de paroles. Le couloir était dans le
noir. Il avait une chance de lui crever un œil. Il fonça en
hurlant.
L'œil qu'il visait s'effaça tellement
vite que Tsiemch en fut surpris. Emporté par son élan, il continua
sa course sur la roche du plancher de la caverne, cherchant des yeux
le dragon. Quand il le vit, c'est à peine s'il put infléchir sa
trajectoire. D'un coup de patte dans le thorax, il envoya Tsiemch
voler par dessus le bord de la grotte.
Les écuyers aussi lourdement armés
qu'ils pouvaient le virent planer un instant. Eux qui venaient pour
secourir leurs chevaliers assistèrent à l'écrasement de leur
maître dans la forêt en contrebas.
- Sus, tuons-le, cria un des écuyers.
- À morrrt ! cria un second.
- Attention, cria le troisième.
Une pluie de flèches s'abattit sur
eux. Ils battirent en retraite aussi rapidement qu'ils le pouvaient.
Leurs cottes de mailles ne valaient pas les armures de combat. Ils
laissèrent la moitié des leurs avant d'atteindre la protection de
la caverne qu'ils venaient de quitter. Derrière eux, des guerriers
aux yeux bridés donnaient la chasse.
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