Bistasio guidait un groupe sur le
chemin des crêtes. Il n'était pas très rassuré par la tournure
que prenaient les évènements. Il n'avait pas eu le choix. Son
arrivée à Tichcou n'avait pas été aussi simple qu'il l'avait
espéré. Son contact sur place au lieu de garder le silence sur sa
présence, avait alerté les soldats. On lui avait confisqué ses
tiburs et il s'était retrouvé prisonnier. Il s'était fait frapper
sans en comprendre les raisons. Les soldats qu'il avait vus,
parlaient une langue chantante qu'il ne comprenait pas. Le maître de
la ville de Tichcou était arrivé avec le chef des troupes. On
l'avait interrogé longuement et pas toujours avec douceur. Il avait
raconté l'arrivée des soldats du froid, leur nombre, les divisions
dans la ville, il avait cité Chountic et Rinca et leur désir de se
venger des occupants. L'attitude du chef des soldats avait changé à
partir de ce moment-là. Les questions étaient devenues plus
techniques sur le chemin et la topographie du terrain. Après il y
avait une longue discussion dans la pièce d'à côté entre le
militaire en chef et ses sous-fifres. Quand il était revenu, on lui
avait traduit les ordres. Il allait conduire des soldats dans la
ville pour espionner et ils redescendraient rendre compte. Bistasio
avait dit l'impossibilité d'une telle chose. Les abords étaient
trop surveillés. Les soldats du froid ne seraient pas dupes. Il
fallait que la présence des soldats de la plaine soit naturelle pour
que tout se passe bien, c'est-à-dire qu'ils aient l'air de
serviteurs de Bistasio portant les marchandises qu'il avait eues en
échange de ses tiburs. La négociation avait été serrée, le chef
de ville ne voulait pas perdre les tiburs qu'il avait confisqués, ni
donner des produits en échange. C'est le militaire qui avait
tranché. Bistasio aurait ses marchandises. Le chef de ville avait
fait grise mine mais avait cédé. C'est ainsi que Bistasio guidait
cinq hommes sur le chemin des crêtes. Ils portaient tous une charge
de tissus, de métal ou d'objets qui manquaient dans la ville. Rinca
et Chountic seraient contents d'avoir cela à vendre. Les soldats qui
l'accompagnaient parlaient un peu la langue du cru, et avaient été
habillés comme les locaux. La seule différence était les armes
qu'ils portaient sous leurs habits. Le chemin fut rude avec les
charges. Bistasio les guida avec beaucoup de précautions si bien
qu'ils ne virent pas âme qui vive avant d'arriver sur les pâtures
orientales. La réparation du chemin de la gorge avait tenu. Les
soldats de la plaine parlaient entre eux dans leur langue. Bistasio
les fit taire. Ils étaient trop près de la ville pour prendre le
risque. Ils s'arrêtèrent avant le dernier col. La nuit serait assez
claire pour qu'ils puissent atteindre la ville sans se faire
remarquer. Bistasio leur avait expliqué qu'il allait les conduire
dans des grottes, où ils pourraient se cacher. Ils pénétrèrent
dans la ville par la porte près de la maison de la Solvette. Ils
étaient tous nerveux. Bistasio espérait qu'ils ne paniqueraient
pas. Si l'un d'entre eux sortait une arme, ce serait le massacre. Les
premières ruelles étaient vides. Avant de s'engager dans une autre
voie, Bistasio jetait un coup d'œil devant lui. Ils passèrent
devant la maison de la Solvette, sous le regard intéressé des
charcs qui, comme toujours, étaient posés sur les murs. Encore
deux, trois rues et ils seraient dans les grottes. Encore un
tournant...
- Bonsoir Bistasio.
- Bonsoir Cifralt, tu sors bien tard ce
soir.
- Oui, il me faut aller chez la
Solvette, les enfants de Kalgar en ont besoin.
- Je vois que tu es bien tombée chez
eux.
- Cela me change de la maison Andrysio.
Mais toi, que deviens-tu? Tu es avec des étrangers.
- J'ai fait une expédition jusqu'à
Tichcou et l'acheteur m'a prêté des serviteurs pour ramener les
marchandises. D'ailleurs je passerai voir Kalgar, j'ai du métal.
- Fais attention avec le bruit des
combats, les étrangers pourraient être mal vus.
- Ils repartent demain à la première
heure. Ce soir il est trop tard.
- A bientôt Bistasio.
- Au revoir Cifralt.
Il la regarda tourner au coin de la
rue. Il entendit alors les armes qui glissaient dans leurs fourreaux.
- Venez, leur dit-il.
Il les guida jusqu'à la zone des
grottes de l'ancienne maison Andrysio. Mal ventilées, elles avaient
été délaissées. Bistasio savait qu'ils y seraient tranquilles.
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