samedi 11 août 2012


La pluie arriva. Il faisait chaud et humide. Les lourds nuages noirs se vidaient sur les pentes, noyant hommes et bêtes.
- Knam, knam, knam...
- Ne jure pas comme cela, Chountic, tu vas indisposer les esprits.
- On voit bien que ce ne sont pas tes terres qui sont sous l'eau.
- Attends, je suis comme les autres, mes récoltes ne vont pas tenir leurs promesses. La saison des pluies est en avance cette année et les esprits l'ont voulu abondante.
- Oui, mais être obligé de rentrer les récoltes dans les grottes pour les faire sécher, on n'avait jamais vu ça.
La discussion se poursuivit entre les deux hommes qui descendaient la grande rue pour aller vers les grottes. Tout encapuchonnés et recouverts de leur cape de pluie, Chountic et son voisin baissaient la tête pour éviter la nouvelle averse. Comme les autres, ils ne prêtèrent pas attention aux deux hommes qu'ils croisèrent. Équipés comme eux, ils longeaient l'autre bord de la rue pour éviter de patauger dans la boue. Cette pluie arrangeait bien, Schtenkel et ses hommes. Elle avait commencé le lendemain de leur arrivée dans la ville. Tombant par averses violentes qui duraient la moitié de la journée, la pluie obligeait tout le monde à se terrer. Schtenkel jubilait. Après la peur lors de la rencontre de la femme le premier soir, ils avaient pu grâce à la pluie, passer inaperçus. Il avait maintenant un plan de la ville et de ses remparts. Il avait une idée exacte des forces dont disposait le chef ennemi. Il avait même réussi à apprendre son nom. C'était le prince Quiloma. Une ou deux fois, il avait craint pour sa sécurité et celle de ses hommes. Les soldats du prince étaient manifestement surentraînés. C'est la pluie qui en redoublant les avait à chaque fois sauvés. Il faisait avec Bistasio une dernière reconnaissance pour aller voir la vallée d'où viendrait le dragon. Ils se dirigèrent vers la clairière de la dislocation. C'est là qu'ils retrouvèrent les autres. Tous les six se dirigèrent vers la rivière en gardant la même altitude. Bistasio avait cru comprendre qu'une patrouille surveillait systématiquement le repaire du dragon, mais il n'en était pas sûr. Schtenkel faisait avancer ses hommes avec précaution. Il ne voulait pas risquer la confrontation avec les soldats du froid. Ce furent deux longues journées, s'arrêtant souvent pour essayer de repérer des ennemis. La nuit avait été calme. Ils avaient repris leur progression. Bistasio fit signe qu'ils approchaient de la vallée. Schtenkel fit monter son groupe sur la ligne de crête. C'est là qu'ils aperçurent le groupe de cinq à l'abri d'un auvent rocheux. Ils avaient fait un feu et ne semblaient pas en alerte. Schtenkel remarqua quand même que l'un d'eux guettait les environs. Il fit signe à ses hommes de reculer. Ils firent demi-tour pour gagner l'autre côté de la crête. Ils arrivaient en haut quand le soleil se démasqua derrière les nuages. La lumière fut tout de suite très violente. Bistasio jura. Ils étaient complètement éclairés. Si les hommes de Quiloma étaient dans le coin, ils étaient des cibles trop faciles. Ils se mirent à courir jusqu'à un bois voisin. Cachés derrière les fûts des arbres, ils regardèrent le panorama. Au loin un grand oiseau volait. Le dragon ! pensa Bistasio. Effectivement peu après, ils virent passer en dessous d'eux le grand animal. Schtenkel donna tout de suite l'ordre de départ. L'occasion était trop belle de découvrir le repaire du monstre. Il devait y avoir des courants porteurs car le dragon se mouvait lentement sans battre des ailes. Ils purent ainsi le suivre pendant un bon moment. Le souffle devenait court et les muscles durs quand ils le virent disparaître à leur vue.
- Le repaire doit être quelque part là dessous, dit Schtenkel. On va s'approcher discrètement pour en voir plus.
Pendant que ses quatre compères reprenaient leur souffle, Schtenkel et Bistasio s'approchèrent du bord. Malheureusement, ils ne purent que constater qu'une corniche quelques pieds plus bas cachait la vue. Si la grotte était là, il faudrait être sur l'autre rive de la vallée pour la voir. Schtenkel jugea qu'il en savait assez. Il ne se voyait pas faire encore tout un détour de plusieurs jours pour atteindre la berge opposée. Il rampa en arrière pour ne pas tomber et se redressa. Bistasio fit de même. Ils avaient à peine fait quelques pas qu'un violent coup de vent les renversa. En tombant Bistasio se fit la remarque que les soldats de la plaine faisaient vraiment une drôle de tête.
Une voix venue de très haut les interpella:
- Alors, êtres debout, que faites-vous si près de chez moi ?
Schtenkel se retourna et tenta de fuir à quatre pattes sur le dos. Cela fit rire le dragon.
- Tu n'es pas un être debout, tu es juste un petit homme.
Un des soldats se rua sur le dragon en hurlant, l'épée au point. Déployant le cou, celui-ci le happa et l'envoya voler dans le vide de la vallée. Son cri se répercuta longtemps avant de s'éteindre.
- Je reconnais votre odeur... Vous êtes des petits hommes de la plaine. Votre odeur ressemble à celle des loups gris et je n'aime pas les loups gris.
Les survivants étaient tétanisés. Plus personne ne bougeait.
- Mais ça sent aussi l'or...
Le mufle du dragon s'approcha des hommes.
- Toi, petit homme, tu possèdes de l'or.
- Mais non, j'ai tout laissé à Tichcou.
- Ah! Tu viens de ce village. Je sens que je vais aller y faire un tour. Mais tu sens l'or... petit homme.
Tu as intérêt à trouver où tu le caches...ou je vais perdre patience et aller le chercher moi-même.
En disant cela le grand saurien s'était approché de Schtenkel. Celui-ci fouillait frénétiquement ses poches sans rien trouver. La peur le faisait trembler. Ses pensées tournaient en rond à toute vitesse. Ce n'était pas possible. Ce qu'il vivait ne pouvait exister. Juste au moment où il allait perdre espoir, ses doigts sentirent un corps dur dans la tunique.
- Là, là il y a une pièce dans la doublure...
Schtenkel disait cela en tendant le vêtement. Avant qu'il ait compris quoi que ce soit, le dragon avec arraché le morceau d'un coup de crocs.
Schtenkel regarda sa tunique déchirée et son bras, quelque chose n'allait pas. Et puis la douleur arriva et le sang gicla. Sa main avait disparu. Il hurla. Bistasio qui était à côté se retourna pour vomir. Un des hommes se précipita pour faire un pansement.
- Je vais vous faire cadeau de votre vie pour cette fois, petits hommes, mais ne revenez jamais. Quant à toi, être debout Bistasio, évite ces gens-là.
Le dragon déploya ses ailes et dans un déchaînement de bourrasques, prit son envol.
- Viens, Schtenkel, ne restons pas là. Les guerriers du froid vont arriver.
Soutenant leur chef, les trois hommes et Bistasio s'enfuirent vers les bois proches.
Le retour fut pénible. Schtenkel délirait à moitié avec la fièvre qui l'habitait. Bistasio les avaient laissés après le premier col. Il refusait d'aller plus loin. Le passage du dragon au-dessus de leur tête avait renforcé sa détermination. La pluie avait rendu les passages quasiment infranchissables. Le chemin de la gorge fut un calvaire, aucun des trois rescapés n'en sortit valide. C'est épuisés qu'ils arrivèrent à Tichcou, couverts de plaies, de miasmes. Ils pensaient pourvoir se reposer et se refaire une santé mais ils arrivèrent dans une bourgade qui semblait avoir connu la guerre. Ils reconnurent à peine Jianme qui n'avait plus de cheveux et dont le visage était brûlé. Tichcou avait connu la fureur du dragon. Seules les pluies diluviennes avaient sauvé les habitations et leurs occupants.

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