Quiloma écoutait Ivoho lui faire son
rapport. Ils avaient bien travaillé. Toute la vallée était devenue
un piège après la barrière des épineux. Il savait que cela ne
suffirait pas à arrêter une armée. Il décida de piéger
efficacement la gorge de Cantichcou. C'était le seul endroit
possible pour le passage d'une armée. Quiloma avait envoyé une main
de guerriers faire la reconnaissance de la région. Ils avaient
cherché toutes les routes possibles pour descendre dans la vallée.
Jamais une armée ne pourrait passer par les chemins qu'ils avaient
découverts. Le chemin principal passait par la gorge de Cantichcou.
Les bêtes de somme pouvaient emprunter ce chemin à condition
d'avoir un pied assez sûr. La route des crêtes était certes
difficile, mais possible. Tous les autres chemins comportaient des
difficultés quasi-insurmontables pour un petit groupe. Jamais une
armée ne passerait par ces endroits-là.
Quiloma savait que si l'attaque ne
venait pas rapidement, une partie des pièges ne serait plus
fonctionnelle. Il ne pouvait maintenir ses hommes dans une pression
constante pour les vérifier tous les jours. Il lui fallait quelque
chose de permanent qui résiste à une armée ou qui lui impose des
restrictions de passage suffisantes pour qu'il puisse contrôler
l'ennemi. Il ne pouvait compter sur le dragon. Celui-ci vivait sa
vie. Si son peuple était au service des dragons, les dragons
n'étaient pas à leur service. Il avait envoyé un konsyli et son
groupe chercher sa grotte refuge. Il leur avait donné les
indications reçues de la Solvette. Les charcs avaient rapporté
avoir vu le dragon dans la vallée sombre. C'était une série de
gorges profondes inaccessibles aux parois abruptes. Les guerriers de
Quiloma avaient essayé de pénétrer dedans sans y parvenir. Par
contre, ils avaient vu le dragon aller et venir en volant. La gorge
était trop sinueuse pour qu'on voie l'entrée de la grotte. Ils
avaient donc prospecté le haut des parois. La roche trop friable,
leur avait interdit de s'approcher assez pour voir dans la vallée.
Mlaqui était le responsable nommé par Quiloma pour s'occuper du
dragon. Il avait exploré tous les trous, toutes les cavités
s'ouvrant au sommet des parois. Il avait un doute sur une cheminée
naturelle qu'il avait explorée. Il avait dû arrêter son
exploration car elle devenait trop étroite. Pourtant un courant
d'air ascendant lui avait fait sentir une odeur qu'il connaissait,
celle du dragon. La grotte devait être en dessous pas très loin. Il
n'avait pas insisté. Il n'est jamais bon de
déranger un dragon chez lui.
La gorge de la Cantichcou ressemblait à
cela avec des parois abruptes creusées de cavités et une roche
assez friable qui en interdisait l'escalade. Seulement le fond en
était plus large. Un chemin longeait la rivière. Assez sinueuse,
elle se prêtait à une embuscade. Il fallait la préparer. Pour
Quiloma, il y avait une certaine urgence puisque la Solvette lui
avait confié sentir des forces de violence à l'œuvre contre la
région. Elle ne comprenait pas pourquoi. Quiloma lui avait alors
expliqué que les dragons avaient des rites bien à eux. Quand un
dragon prend la livrée qu'il gardera adulte, c'est-à-dire sa
couleur, avait-il précisé à la Solvette, il devait commencer à
amasser un trésor. Un dragon sans trésor ne trouvait jamais de
femelle. Quiloma pensait que les gens de la plaine ne supportaient
pas les raids du dragon et qu'ils avaient sûrement l'intention
d'intervenir pour les faire cesser, voire pour récupérer leurs
biens.
Quiloma réquisitionna des hommes de la
ville pour faire le travail. Dans les grottes à deux hauteurs
d'hommes, il avait fait installer des tas de charbon de bois qu'il
avait fait mélanger avec de la roche couleur herbe sèche. Il avait
fait des essais. Cela produisait beaucoup de fumée âcre et lourde.
Les vents soufflant le plus souvent vers la plaine, il pensait que
cela ferait fuir les ennemis. Il fit faire une chaîne avec les
brancards à machpes. Les gens de la ville de nouveau récriminèrent.
Deux jours aller, deux jours retour, cela faisait beaucoup de jours
perdus. Chan qui avait vu le massacre de la maison Andrysio, n'avait
qu'une peur : que cela recommence. Il s'appuyait sur les dires des
sorciers pour imposer d'obéir. Il organisa ainsi un tour de rôle
pour que personne ne soit trop lésé. Ce qui n'empêcha pas Rinca et
Chountic de venir se plaindre.
La première attaque vint avant que
tout ne soit prêt. Aidés par l'arc géant, des fantassins allèrent
jusqu'à la barrière d'épineux. Ils n'allèrent pas bien loin. Le
groupe de cinq qui montait la garde avait réagit rapidement en
faisant tomber des fagots de branches épineuses en travers des
passages. Dans leur rapport, ils insistèrent auprès du prince. Ils
n'avaient pas été très brillants. Heureusement que le bois de
stijcac était dur et qu'il avait émoussé les lames des fantassins.
Ils avaient pu tirer quelques flèches. L'arc géant était une
menace mortelle. Il était servi par des hommes compétents qui
savaient bien le régler. A chaque flèche à pointe noire tirée
répondait une flèche géante ce qui empêchait d'être efficace en
protection de la barrière naturelle.
- Combien? demanda Quiloma.
- Une main de jours, mon prince. Ce
sera le temps qu'il leur faudra pour passer la haie.
Quiloma grimaça. Le temps que le
konsyli vienne lui faire son rapport, il se passait dejà deux jours,
le temps de réagir et cela ferait deux jours de plus. Il envoya tous
les guerriers disponibles pour retarder l'avancée des troupes
ennemies et descendit voir le maître de ville pour qu'il
réquisitionne tous les hommes et les brancards pour emmener le
charbon de bois et la pierre jaune dans les grottes de la gorge de
Cantichcou.
Les hommes renâclèrent quand en
rentrant de leur journée de labeur, ils durent descendre dans les
grottes de machpes pour récupérer les brancards encore sales des
autres labeurs. Éclairés par des torches, Quiloma leur fit prendre
la route sans attendre. Les femmes furent elles-même réquisitionnées
pour porter les provisions. Ce fut une étrange procession. Le dragon
qui volait assez haut, descendit un peu pour voir cela. Dans la nuit
noire personne ne le remarqua. Tous regardaient où ils mettaient les
pieds. Un jour et demi fut nécessaire pour mener à bien la
descente. Même ivres de fatigue, ils travaillèrent à installer
leur charge dans les grottes selon les ordres. Quiloma les fit se
retirer juste à temps. Ses guerriers se repliaient en bon ordre.
Chaque Konsyli qui arrivait dans la gorge venait lui faire un
rapport. Quiloma était nerveux. Il avait préparé ses meilleurs
archers, des feux pour les flèches, mais se demandait si son piège
serait suffisant. Les rapports faisaient état de soldats aguerris
qui ne reculaient pas malgré les pertes. Aidés par l'arc géant,
ils avaient remporté leur première victoire en obligeant les
guerriers blancs à reculer. La troupe ennemie avançait lentement
mais avançait. Quelques hommes avaient été mis hors de combat par
les pièges mais globalement, ils n'avaient pas bien rempli leur
rôle. Les pisteurs de la plaine arrivaient souvent à les déjouer.
Quatre mains de guerriers avaient pris position derrière les grottes
piégées. Quiloma tenait la crête avec les autres hommes. Les
flèches se mirent à pleuvoir quand l'avant-garde ennemie arriva.
Ils reculèrent prestement.
- Lieutenant ! Lieutenant !
- Ici ! répondit Jianme.
L'homme se dirigea au pas de course
vers l'officier.
- Je pense que nous les avons fixés.
Nous venons d'essuyer une volée de flèches.
- Combien?
- Je dirais entre trente et quarante.
- Que disent les pisteurs?
- L'endroit est idéal pour un piège.
Les parois sont verticales et ils tiennent les crêtes. Il existe des
grottes qui pourraient nous servir si nous les atteignons, mais il y
a un groupe un peu plus haut dans la gorge.
Le lieutenant Jianme avait fait
mouvement vers l'entrée de la gorge. Il regarda le terrain devant
lui. La vallée assez large, se resserrait brutalement. Les pentes
devenaient parois et des barres rocheuses coupaient la vue vers le
haut.
- Continuez à les exciter. Qu'ils
gâchent un maximum de flèches.
Ayant donné ses ordres, il repartit
vers l'arrière. Le terrain n'était pas facile mais avec une
compagnie, il devait pouvoir en venir à bout. La barrière d'épineux
avait demandé surtout du temps pour se frayer un chemin. L'arc géant
avait bien rempli son office. Ils avaient essuyé assez peu de tir et
le corps transpercé qu'ils avaient trouvé en haut du passage avait
prouvé son efficacité. La suite de la progression avait été assez
facile. De nombreuses escarmouches entre l'avant-garde et des groupes
de quatre-cinq soldats mais rien de bien sérieux. Jianme avait
surtout peur d'une intervention du dragon. Il l'avait vu passer
au-dessus d'eux plusieurs fois sans que celui-ci ne fasse mine de
s'intéresser à ce qui se passait en bas. Le troisième jour, il
commençait à penser que Tzenk était mort par hasard. Le dragon
voulait de l'or et il en avait. Son épée était célèbre pour sa
garde et ses incrustations de pierres. Jianme avait obligé ses
hommes à poser leur or et comme personne n'avait de pierre
précieuse, il s'espérait à l'abri du monstre volant. Ses pisteurs
avaient bien joué leur rôle pour déjouer les pièges. Deux morts
seulement, c'était peu. Les traces de sang trouvé ça et là
étaient le signe que leurs flèches valaient bien celles de leur
ennemi. Tout blessé en face rendrait la tâche plus aisée.
Arrivé près du gros de la troupe, il
appela un sergent.
- Où est-il ?
- Les tracks ne sont pas des bêtes de
somme, ils n'aiment pas tirer les charges. Ils ont pris du retard.
- Quand arriveront-ils?
- Demain dans la journée!
- Trop long, je les veux à pied
d'œuvre demain matin. Pars et transmets mon ordre, qu'ils marchent
toute la nuit mais qu'ils soient là au lever du jour.
Le sergent salua, sauta sur son tracks
et partit au galop.
En attendant, Jianme donna l'ordre de
bivouaquer.
Quiloma avait donné l'ordre de ne
tirer qu'à coup sûr. Il voulait donner l'impression qu'ils allaient
manquer de flèches. Ce n'était pas le cas. Il avait obtenu de
Kalgar des pointes de métal de bonne qualité. Ses hommes ne les
aimaient pas car elles ne réagissaient pas comme leurs pointes
habituelles. Il avait intensifié leur entraînement au tir pour
compenser. Quand tomba la nuit, on comptait quelques blessés chez
les assaillants mais pas chez les défenseurs. La nuit était avancée
quand on le réveilla.
- Mon prince! Venez voir.
Quiloma vit les lueurs des torches dans
la nuit. Il entendit les bruits dans le camp adverse. Il grimaça en
pensant qu'ils avaient reçu des renforts. La bataille était loin
d'être gagnée, pensa-t-il. Il fallut attendre le petit matin pour
voir ce qu'il se passait.
L'arc géant trônait au milieu de la
vallée. Il était loin, trop loin pour les tireurs de la vallée.
Pour ceux des crêtes, avec l'aide de la différence de hauteur, ils
avaient une chance d'être à portée de tir.
-Ivoho, essaie!
Ivoho regarda longuement les positions
ennemies. Il vit les soldats décharger les lourdes flèches de l'arc
géant. Prenant son arc, il s'avança au bord de la falaise.
Encochant une flèche à bout de métal, il banda son arc. Il resta
indifférent aux bruits venant du camp ennemi. On l'avait vu. On
s'affairait pour viser avec l'arc géant. Ivoho décocha sa flèche
quelques instants avant que l'arc géant ne tire. Les deux traits se
croisèrent en vol. La lourde flèche fila droit sur le tireur qui
se replia . Elle se planta dans un tronc non loin de Quiloma. On
entendit un bruit évoquant le beuglement du macoca blessé. Quiloma
se précipita pour voir une de leurs bêtes de trait s'enfuir en
boitant. Bousculant des ennemis, Quiloma eut l'espoir un instant
qu'elle renverse l'arc géant. Malheureusement pour lui, un soldat la
détourna en la piquant avec une des grandes flèches. Il jura entre
ses dents. Ivoho avait bien visé mais la portée était
insuffisante. La bataille pour les gorges allait commencer.
Quiloma donna ses ordres et les
informations sur les positions ennemies par code gestuel. La première
attaque fut précédée par une pluie de flèches géantes sur la
falaise. Ils avaient choisi un tir parabolique qui ne permettait pas
de se mettre à l'abri. Quel que soit l'endroit du camp, on risquait
de recevoir un projectile. Le guetteur fut touché. Le tir tomba à
côté de lui. La lourde pointe de métal explosa la roche. Les
éclats le blessèrent au front et à l'oeil. Quiloma dut le faire
remplacer. Il ne voyait plus assez. Avant que son successeur ne soit
en place, ils entendirent les cris de ceux qui chargeaient. Tout se
précipita. Chacun connaissait son rôle. Protégés par de lourds
boucliers de bois, les ennemis s'avançaient sur le chemin. Les
guerriers blancs les plus en avant, posèrent leurs arcs et se
préparèrent au corps à corps en sortant leurs deux épées
courtes. Du haut de la falaise, les flèches se mirent à pleuvoir.
Jianme avait envoyé quelques dizaines
d'hommes pour voir le dispositif de défense de cette gorge. Passer
par la falaise était impossible. La roche en était pourrie. Il lui
fallait passer en force. Il était content d'avoir fait venir le
grand arc. Sa puissance allait être précieuse. La situation lui
évoquait un siège quand la première brèche est ouverte. Il ne
doutait pas de sa victoire. Il vit les archers, d'ailleurs pas très
nombreux, de chaque côté. Il nota la position du premier groupe des
défenseurs dans la gorge. Ils étaient derrière les rochers,
probablement dans une de ces grottes. Il vit les premiers combats et
la qualité des combattants. Il donna l'ordre de repli.
Quiloma fut étonné du retrait des
ennemis. Il avait pensé qu'ils passeraient en force. Ils avaient
sûrement une autre stratégie. Il fit le point, en haut, un blessé
qui pouvait se battre, en bas, un konsyli plus sérieusement touché
était hors de combat, ainsi que quelques autres moins atteints. Il
n'y avait pas de morts, pas encore. Le reste de la journée se passa
à attendre. Quiloma fit améliorer les défenses. Les ennemis
n'allaient pas attaquer avec le soleil de face. Il fit préparer ses
hommes pour le lever du jour.
La première grande flèche qui arriva,
ne surprit personne. Elles se mirent à tomber régulièrement. Tout
le monde se prépara au combat.
Jianme avait estimé le nombre de ses
ennemis à quelques dizaines. Sans remparts, ils ne pouvaient pas
tenir très longtemps. Le grand arc prépara le terrain.
Le premier groupe s'avança dans la
gorge. Les lourds boucliers devant et au-dessus les protégeaient des
flèches. Jianme avait fait préparer trente hommes. Comme un long
serpent cuirassé, il avançait vers sa proie. Le grand arc tirait
beaucoup mais pas assez vite pour empêcher l'action des jeteurs de
pierres. Heureusement pour les attaquants les parois de la gorge
n'étaient pas des remparts. De nombreuses pierres rebondissaient mal
et s'écrasaient dans le ruisseau sans toucher personne. Jianme fit
partir le deuxième groupe. Dès qu'ils se trouvèrent à l'entrée
de la gorge, ils posèrent des échelles pour atteindre le premier
niveau des grottes. Les défenseurs furent obligés de séparer leurs
forces en deux.
Quiloma jura en voyant ces espèces de
tiampos à plaques. On rencontrait ces animaux cuirassés dans le
désert de glace. Ornés de lourdes plaques résistantes, les tiampos
ne craignaient pas les épées. Accrochés à la glace, seul le feu
pouvait les arrêter. Avec deux groupes d'ennemis progressant en bas,
ses hommes ne tiendraient pas sans aide. Il décida d'enflammer le
premier bûcher. Il fit signe à deux archers sur l'autre berge. Les
deux hommes, côte à côte, tirèrent des flèches enflammées. Les
premières furent inefficaces. Ils recommencèrent. Tout occupés à
leur mission. Ils ne virent pas arriver la lourde flèche. Quiloma
vit ses hommes se faire embrocher. Ils restèrent un instant comme
figés puis lentement, ils basculèrent vers l'avant. Leur chute se
fit sans un cri pendant que le bruit des premiers combats montait du
fond de la gorge. Sans attendre, deux autres archers prirent leur
place, décochèrent et se replièrent avant l'arrivée de la grande
flèche. Le feu prit dans les branchages. Au départ, c'est à peine
si on voyait la fumée. Le deuxième groupe des attaquants
progressait juste en dessous. Quiloma ne voyant rien des foyers qui
débutaient, fit préparer les cordes de lianes pour venir en aide à
ceux qui combattaient en bas. Alors qu'on jetait la première,
l'odeur caractéristique de pourri se fit sentir. Bientôt, Quiloma
vit les volutes jaune-vert prendre du volume. Le bruit des combats
cessa. Les guetteurs signalèrent le repli des ennemis. Le vent était
favorable. Un gentil zéphyr courait dans la gorge. Quiloma eut un
rictus de satisfaction. Bientôt c'est tout le camp ennemi qui allait
être touché. Ses guerriers avaient comme ordre de se replier dès
que viendrait la fumée. Ils avaient confectionné des masques en
fibres végétales pour filtrer l'air.
Jianme enrageait. Il pleurait et
toussait depuis un bon moment. Cette fumée était un mystère. Il y
voyait la marque du dragon. Seul un souffle de ce monstre pouvait
exhaler une telle puanteur. Elle était sortie d'une grotte juste
au-dessus du deuxième groupe d'assaut. L'attaque se passait comme
prévue. Le premier groupe avait établi le contact. Les combats
étaient violents. Les longues épées et les boucliers avaient des
avantages mais rendaient la manœuvre difficile dans cette gorge
étroite. Les ennemis, ces infâmes serviteurs du démon, avec leurs
deux épées courtes et leur petite taille avaient l'avantage de la
mobilité. Alors que le deuxième groupe allait intervenir, les
forces infernales s'étaient manifestées. Jianme avait fait reculer
ses troupes jusqu'à avoir de l'air respirable. Il décida de
préparer un rite pour contrer cela.
Quiloma avait aussi fait reculer ses
hommes. Seul un guetteur restait pour surveiller l'ennemi. D'où il
était, Quiloma voyait que le feu ne s'épuisait pas comme il avait
pensé. Dans cet espace confiné qu'était la gorge de Cantichcou, la
chaleur augmentait. Les autres bûchers étaient trop près. Pendant
qu'il soignait les blessés, il vit un deuxième feu prendre puis
celui d'au-dessus. Bientôt toute la paroi fut couverte de flammes.
Ce qu'il se passa ensuite lui fut incompréhensible. Les légendes
racontèrent que dans les flammes était apparu le dieu Dragon.
Celui-ci avait alors fait exploser la roche provoquant le comblement
de la gorge.
Quiloma n'en croyait pas ses yeux. La
montagne avait ondulé comme si une main gigantesque l'avait modelée.
Une épaisse fumée noire s'échappait du tas de roches qui obstruait
la gorge. Le bruit, gigantesque, les avait quasiment rendus sourds.
Le guetteur revint plus vite que prévu. De ses oreilles coulait du
sang.
Dans le camp de Jianme, tout le monde
était à terre. Les fumées jaune-vert irrespirables avaient fait
exploser la falaise. Un vent de panique soufflait. Ils avaient vu
voler des roches qu'aucun humain n'aurait pu soulever. L'une d'elles
avait écrasé le grand arc comme s'il n'était que brindilles. Les
animaux avaient rompu leurs liens et avaient fui. Les hommes se
relevaient lentement, regardant autour d'eux comme s'ils voyaient le
monde pour la première fois. Jianme regardait la gorge de
Cantichcou. Une fumée épaisse et noire comme la nuit continuait à
s'échapper de l'éboulis. Le passage avait disparu. La rivière
s'asséchait.
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