mardi 31 juillet 2012


Le roi Yas n'était pas content du tout. Non seulement les pirates des grandes îles de la mer bleue continuaient leur razzia dans la province sans que ses troupes puissent les arrêter, non seulement son palais n'avançait pas en raison de l'incompétence de l'architecte, mais voilà qu'on venait lui rapporter des histoires de vols d'or et de pierres précieuses dans la plaine de Shoufsi. Il marchait à grand pas dans la boue qui aurait dû être un jardin devant un bâtiment à la façade effondrée.
- Grand Roi, ce n'est pas de ma faute si les pluies ont tout détrempé. Le mortier ne tient pas.
Plus habitué à vivre sous une tente et à changer de lieu tous les jours, le roi Yas contemplait le chantier.
- J'ai fait une erreur... Je t'ai fait confiance.
Dégainant son épée, il le décapita. Il y eut un mouvement de recul parmi certains courtisans qui le suivaient. Le roi Yas avait annexé cette province, il y a peu. Le roi local n'avait pas survécu aux combats, par contre beaucoup de ses courtisans avaient trouvé toutes les qualités au roi vainqueur. Seulement, ils déchantaient. Le roi Yas était violent, irascible et ses proches fonctionnaient sur le même mode. Le petit royaume de Tienne avait été englouti par la vague des armées du roi Tas. Devant le choix de se soumettre ou de mourir, le choix avait été souvent rapide. Seulement, les anciens courtisans de Tienne découvraient qu'il ne suffisait pas de se soumettre pour survivre. Le roi Yas avait décidé d'y faire sa capitale. Sa situation centrale et la beauté de ses maisons l'avaient séduit.
Avec son armure de cuir renforcé, il tranchait sur les nobles locaux en habits beaucoup moins martiaux.
- Toi, dit le roi Yas, en désignant un des tailleurs de pierre.
L'homme se leva. Il ne salua pas, ne baissa pas les yeux.
Un aide de camp se précipita pour le soumettre, le roi Yas leva la main, l'arrêtant dans son élan.
- Tu me sembles bien fier, pour un tailleur de pierre.
- Je viens du Karatkan.
Yas connaissait, cette ville royaume de réputation. Un homme, une vie aurait pu être leur devise. Tous y vivaient sur un pied d'égalité. Seule leur capacité dans la maîtrise de leur art les distinguait les uns des autres. Fiers et farouches, ils ne baissaient la tête devant personne
- Que penses-tu de cette construction?
- On ne fait pas un château dans une mare.
- Qu'aurais-tu fait?
- Il y a, là-bas, à une demi-journée de marche un bel endroit pour la pierre. J'aurais construit là.
- Alors, va et ne me déçois pas!
Le regard de l'homme brilla.
- Tu auras le château que tu mérites, roi Yas.
Sans rien ajouter, il fit demi-tour. Faisant signe à ses compagnons, ils ramassèrent leurs outils.
Le roi se tourna vers son grand conseiller.
- Qu'on lui donne ce qu'il demande!
Quittant le chantier sans se retourner, le roi Yas vit un cheval au galop qui arrivait. Il s'arrêta de marcher le temps que le cavalier démonte.
Celui-ci se jeta aux pieds du roi.
- Relève-toi et parle. Que dit le général?
Le messager se releva.
- Les pirates ont attaqué Toutkat, la ville aux cent fontaines. Ils remontent vers le nord. Sans bateau, nous ne pourrons jamais les combattre efficacement. Ils vont plus vite que nous. Le général Lujàn vous demande des troupes pour tenir la côte face à ces pirates de malheur.
- Pars et sois ma parole : dis-lui : ton roi vient à ton aide.
Le messager salua, sauta à cheval et au grand galop s'éloigna.
- Tïan, je pars avec la troupe. Fais préparer mes affaires.
Le grand conseiller salua et s'éloigna vers le camp du roi. Tout en marchant, le roi continua à recevoir les différents ambassadeurs des peuples soumis. Il écouta les compliments convenus des uns et des autres, accepta les tributs. Son regard fut attiré par un hobereau, un petit chef à voir sa tenue, à l'agitation contenue. Il pensa à un non-familier de la cour qui voulait lui parler, ou à un assassin cherchant un moment favorable, ce qui ne serait pas la première fois. Le dernier ambassadeur partait quand l'homme s'approcha. D'un geste qui semblait naturel, le roi mit la main sur la garde de son épée. Son geste déclencha la mise en alerte de toute sa garde. L'homme continua à s'avancer sans avoir l'air de remarquer ce qui se passait autour de lui. Voyant le roi qui semblait partir, il s'élança. Il n'avait pas fait deux pas qu'il fut plaqué au sol. Brutalement retourné, il fut désarmé et se retrouva avec une épée sur la gorge.
- Qui t'envoie?
Le roi avait fait demi-tour et regardait l'homme à terre
- C'est le lieutenant Hongüo qui m'a dit que votre oreille serait attentive.
Le roi revit le visage ravagé du lieutenant Hongüo quand celui-ci lui avait parlé de la fin de son officier devant le dragon. Il fit un geste et ses gardes relevèrent l'homme.
- Qui es-tu? demanda le roi.
- Je suis Aguege, maître de la terre des eaux dormantes. Mon fief est à une semaine de marche de Tichcou, où l'officier Tzenk rencontra le dragon. J'ai fait soumission à votre majesté quand la plaine de Shoufsi résistait encore.
Un conseiller du roi lui glissa un mot à l'oreille.
- Ah! C'est donc toi qui relèves les tributs de la plaine.
- Oui, Majesté, dit Aguege soulagé de se voir reconnu.
- Quelle est ta supplique?
- Je viens supplier votre majesté. Par la faute du dragon, nous ne pourrons payer le tribut prévu.
- Parle !
- Nous avions rassemblé l'or promis. Vous avez ma parole, Roi Yas. Le chariot était prêt à partir quand le monstre nous a attaqués. Il a soufflé son feu sur les hommes et les bêtes qui se sont enfuis. Les trois cavaliers de ta garde qui venaient surveiller le transfert ont tenté d'empêcher ce vol. Ils ont péri en combattant, l'épée à la main. J'ai ramené leurs dépouilles jusqu'ici.
En disant cela, Aguege montra un chariot plus loin sur le chemin. Le roi Yas fit un signe à un lieutenant qui partit inspecter le chargement.
- Continue ton récit !
- Quand je suis arrivé sur les lieux, le monstre s'était envolé avec le coffre dans ses griffes. Il repartait vers la montagne. Je vous jure, Majesté que mon récit est véridique, dit Aguege en s'agenouillant et en baissant la tête.
Le lieutenant revenait de son inspection. Le roi lui fit signe.
- Ce sont bien des soldats de la garde. Enfin ce qu'il en reste. Ils ont été salement brûlés. Leurs épées ont disparu.
Sans lever la tête, le maître de la terre des eaux dormantes reprit la parole.
- Le monstre les a prises. Il avait commencé à battre des ailes quand il s'est mis à renifler comme un chien sur une piste. Un archer a voulu tirer. La flèche ne l'a même pas fait sursauter, mais lui a mis le feu à la maison d'où venait le tir. Je l'ai vu gratter le sol pour récupérer les trois armes. Il les a prises dans sa gueule et les a plantées dans le coffre. C'est ce que m'a raconté mon régisseur qui a tout vu. Il tremblait encore quand je l'ai interrogé.
- Ton récit concorde avec les autres. Ce dragon devient une menace. Il est bon de s'en débarrasser.
Se tournant vers la cour, il cria :
- Jianme !
Un lieutenant sortit des rangs de la garde royale. Il s'inclina devant le roi.
- A tes ordres, Mon Roi !
- Prends une compagnie et va, ramène-moi la dépouille de ce dragon et l'or qu'il m'a pris. Venge ceux qui furent tués.
Plantant là les deux hommes, le roi Yas partit vers son campement.

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