Le roi Yas n'était pas content du
tout. Non seulement les pirates des grandes îles de la mer bleue
continuaient leur razzia dans la province sans que ses troupes
puissent les arrêter, non seulement son palais n'avançait pas en
raison de l'incompétence de l'architecte, mais voilà qu'on venait
lui rapporter des histoires de vols d'or et de pierres précieuses
dans la plaine de Shoufsi. Il marchait à grand pas dans la boue qui
aurait dû être un jardin devant un bâtiment à la façade
effondrée.
- Grand Roi, ce n'est pas de ma faute
si les pluies ont tout détrempé. Le mortier ne tient pas.
Plus habitué à vivre sous une tente
et à changer de lieu tous les jours, le roi Yas contemplait le
chantier.
- J'ai fait une erreur... Je t'ai fait
confiance.
Dégainant son épée, il le décapita.
Il y eut un mouvement de recul parmi certains courtisans qui le
suivaient. Le roi Yas avait annexé cette province, il y a peu. Le
roi local n'avait pas survécu aux combats, par contre beaucoup de
ses courtisans avaient trouvé toutes les qualités au roi vainqueur.
Seulement, ils déchantaient. Le roi Yas était violent, irascible et
ses proches fonctionnaient sur le même mode. Le petit royaume de
Tienne avait été englouti par la vague des armées du roi Tas.
Devant le choix de se soumettre ou de mourir, le choix avait été
souvent rapide. Seulement, les anciens courtisans de Tienne
découvraient qu'il ne suffisait pas de se soumettre pour survivre.
Le roi Yas avait décidé d'y faire sa capitale. Sa situation
centrale et la beauté de ses maisons l'avaient séduit.
Avec son armure de cuir renforcé, il
tranchait sur les nobles locaux en habits beaucoup moins martiaux.
- Toi, dit le roi Yas, en désignant un
des tailleurs de pierre.
L'homme se leva. Il ne salua pas, ne
baissa pas les yeux.
Un aide de camp se précipita pour le
soumettre, le roi Yas leva la main, l'arrêtant dans son élan.
- Tu me sembles bien fier, pour un
tailleur de pierre.
- Je viens du Karatkan.
Yas connaissait, cette ville royaume de
réputation. Un homme, une vie aurait pu être leur devise. Tous y
vivaient sur un pied d'égalité. Seule leur capacité dans la
maîtrise de leur art les distinguait les uns des autres. Fiers et
farouches, ils ne baissaient la tête devant personne
- Que penses-tu de cette construction?
- On ne fait pas un château dans une
mare.
- Qu'aurais-tu fait?
- Il y a, là-bas, à une demi-journée
de marche un bel endroit pour la pierre. J'aurais construit là.
- Alors, va et ne me déçois pas!
Le regard de l'homme brilla.
- Tu auras le château que tu mérites,
roi Yas.
Sans rien ajouter, il fit demi-tour.
Faisant signe à ses compagnons, ils ramassèrent leurs outils.
Le roi se tourna vers son grand
conseiller.
- Qu'on lui donne ce qu'il demande!
Quittant le chantier sans se retourner,
le roi Yas vit un cheval au galop qui arrivait. Il s'arrêta de
marcher le temps que le cavalier démonte.
Celui-ci se jeta aux pieds du roi.
- Relève-toi et parle. Que dit le
général?
Le messager se releva.
- Les pirates ont attaqué Toutkat, la
ville aux cent fontaines. Ils remontent vers le nord. Sans bateau,
nous ne pourrons jamais les combattre efficacement. Ils vont plus
vite que nous. Le général Lujàn vous demande des troupes pour
tenir la côte face à ces pirates de malheur.
- Pars et sois ma parole : dis-lui :
ton roi vient à ton aide.
Le messager salua, sauta à cheval et
au grand galop s'éloigna.
- Tïan, je pars avec la troupe. Fais
préparer mes affaires.
Le grand conseiller salua et s'éloigna
vers le camp du roi. Tout en marchant, le roi continua à recevoir
les différents ambassadeurs des peuples soumis. Il écouta les
compliments convenus des uns et des autres, accepta les tributs. Son
regard fut attiré par un hobereau, un petit chef à voir sa tenue, à
l'agitation contenue. Il pensa à un non-familier de la cour qui
voulait lui parler, ou à un assassin cherchant un moment favorable,
ce qui ne serait pas la première fois. Le dernier ambassadeur
partait quand l'homme s'approcha. D'un geste qui semblait naturel, le
roi mit la main sur la garde de son épée. Son geste déclencha la
mise en alerte de toute sa garde. L'homme continua à s'avancer sans
avoir l'air de remarquer ce qui se passait autour de lui. Voyant le
roi qui semblait partir, il s'élança. Il n'avait pas fait deux pas
qu'il fut plaqué au sol. Brutalement retourné, il fut désarmé et
se retrouva avec une épée sur la gorge.
- Qui t'envoie?
Le roi avait fait demi-tour et
regardait l'homme à terre
- C'est le lieutenant Hongüo qui m'a
dit que votre oreille serait attentive.
Le roi revit le visage ravagé du
lieutenant Hongüo quand celui-ci lui avait parlé de la fin de son
officier devant le dragon. Il fit un geste et ses gardes relevèrent
l'homme.
- Qui es-tu? demanda le roi.
- Je suis Aguege, maître de la terre
des eaux dormantes. Mon fief est à une semaine de marche de Tichcou,
où l'officier Tzenk rencontra le dragon. J'ai fait soumission à
votre majesté quand la plaine de Shoufsi résistait encore.
Un conseiller du roi lui glissa un mot
à l'oreille.
- Ah! C'est donc toi qui relèves les
tributs de la plaine.
- Oui, Majesté, dit Aguege soulagé de
se voir reconnu.
- Quelle est ta supplique?
- Je viens supplier votre majesté. Par
la faute du dragon, nous ne pourrons payer le tribut prévu.
- Parle !
- Nous avions rassemblé l'or promis.
Vous avez ma parole, Roi Yas. Le chariot était prêt à partir quand
le monstre nous a attaqués. Il a soufflé son feu sur les hommes et
les bêtes qui se sont enfuis. Les trois cavaliers de ta garde qui
venaient surveiller le transfert ont tenté d'empêcher ce vol. Ils
ont péri en combattant, l'épée à la main. J'ai ramené leurs
dépouilles jusqu'ici.
En disant cela, Aguege montra un
chariot plus loin sur le chemin. Le roi Yas fit un signe à un
lieutenant qui partit inspecter le chargement.
- Continue ton récit !
- Quand je suis arrivé sur les lieux,
le monstre s'était envolé avec le coffre dans ses griffes. Il
repartait vers la montagne. Je vous jure, Majesté que mon récit est
véridique, dit Aguege en s'agenouillant et en baissant la tête.
Le lieutenant revenait de son
inspection. Le roi lui fit signe.
- Ce sont bien des soldats de la garde.
Enfin ce qu'il en reste. Ils ont été salement brûlés. Leurs épées
ont disparu.
Sans lever la tête, le maître de la
terre des eaux dormantes reprit la parole.
- Le monstre les a prises. Il avait
commencé à battre des ailes quand il s'est mis à renifler comme un
chien sur une piste. Un archer a voulu tirer. La flèche ne l'a même
pas fait sursauter, mais lui a mis le feu à la maison d'où venait
le tir. Je l'ai vu gratter le sol pour récupérer les trois armes.
Il les a prises dans sa gueule et les a plantées dans le coffre.
C'est ce que m'a raconté mon régisseur qui a tout vu. Il tremblait
encore quand je l'ai interrogé.
- Ton récit concorde avec les autres.
Ce dragon devient une menace. Il est bon de s'en débarrasser.
Se tournant vers la cour, il cria :
- Jianme !
Un lieutenant sortit des rangs de la
garde royale. Il s'inclina devant le roi.
- A tes ordres, Mon Roi !
- Prends une compagnie et va,
ramène-moi la dépouille de ce dragon et l'or qu'il m'a pris. Venge
ceux qui furent tués.
Plantant là les deux hommes, le roi
Yas partit vers son campement.
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