Quiloma avait des ordres. Mais cela ne
l'arrangeait pas tout en lui convenant. La guerre dans le monde blanc
se passait mal. Le messager n'avait pas dit cela, mais c'est ce que
Quiloma avait compris. Le peuple Gowaï ne rendait pas les armes. Le
Prince Majeur, en cette saison du jour sans fin, ne pouvait pas
mobiliser toutes les ressources du pays. Il devait aussi prévoir les
artisans pour la chasse, les récoltes et toutes ces choses
indispensables qui se faisaient en cette période. Les phalanges des
princes dixièmes avaient été battues. C'est ce qui ressortait du
premier ordre de renvoyer la moitié de la phalange pour « compléter
la victoire », avait dit la Voix du Prince Majeur. Quiloma
avait entendu « pour boucher les trous ». Qunienka allait
devoir partir avec dix mains de guerriers. Quiloma avait ordre de
rester là pour surveiller, et si possible apprivoiser le dragon pour
le Prince Majeur. Cela le laissait en position de faiblesse. Avec les
morts et les blessés, dont lui, il n'avait pas assez de force pour
tenir le village face à une révolte, ou face à une attaque venue
de l'extérieur. Il en avait discuté avec Qunienka. Celui-ci lui
avait fait remarquer que vu le nombre de nouveaux-nés aux yeux
allongés dans le village, il y avait peu à craindre. Bien sûr, ils
restaient quelques exaltés prêts à se battre, mais même les
prêtres ne demandaient plus le retour dans le temple. Ils avaient
adapté la maison Andrysio à leurs rites. Leur panthéon local avait
adopté le Dieu Dragon comme dieu des dieux. De plus le dragon vivant
qui volait dans la région suffisait à renforcer cette idée.
Quiloma en avait convenu. Homme prudent, il avait prévu de faire de
l'ancien temple, une forteresse. Il fallait aussi qu'il adapte
l'armement et les tenues des hommes à une vie sans neige. La
question de l'apprivoisement du dragon le laissait dubitatif. Il
avait fréquenté assez de marabouts pour savoir que les dragons, hé
bien sont les dragons, des êtres libres par essence, à la force
suffisante pour ne pas se laisser dicter leur conduite et à l'esprit
différent des humains. Celui qui volait dans la région était
jeune, voire très jeune. Peut-être pouvait-on le rendre docile ? Il
fallait aussi qu'il ne soit pas un dragon lié. Quiloma ne pouvait
s'empêcher de rapprocher les deux faits. L'enfant qui avait disparu
ici, avait précédé de peu le dragon. Quant à l'anneau, il était
dans la région. Et cela aussi intéressait le Prince Majeur. Il lui
fallait cet anneau pour en finir avec le Gowaï. Quiloma avait quand
même une petite idée. Ses hommes avaient vu le juvénile lors de
l'explosion. Si le dragon avait l'anneau, le Prince Majeur aurait
bien du mal à le récupérer. On ne touche pas au trésor d'un
dragon. Tout le monde savait cela. Exceptionnellement, les dragons
donnaient certains de leurs trésors, mais cela les liait au
receveur. Peut-être qu'un juvénile serait plus influençable?
Quiloma pouvait peut-être jouer sa propre partition. Si le dragon le
laissait manipuler l'anneau-roi alors son rang dans la hiérarchie
des princes le mettrait juste derrière le Prince Majeur. L'image de
Jorohery s'imposa dans son esprit. Il grimaça. S'il avait l'anneau,
il lui faudrait composer avec lui. Cela valait-il le coup?
Mais le plus important, même s'il ne
se le reconnaissait pas, était la Solvette. Une telle femme ! Il
n'avait jamais rencontré de femme comme elle. Dans son pays, les
femmes étaient des mères potentielles, la plupart du temps
discrètes pour ne pas dire soumises. Seuls les compagnes officielles
des princes avaient du répondant, un peu de répondant si on les
comparait à la Solvette. Elle était marabout, commandait aux charcs
et aux éléments. Non vraiment Quiloma ne voyait pas à qui la
comparer. Elle lui avait fait un enfant. Non, il ne pouvait pas dire
cela. Elle l'avait choisi pour être le père de l'enfant qu'elle
désirait. C'était une fille. Elle répondait au nom de Sabda, mais
dans le village tout le monde l'appelait la petite Solvette. Si elle
avait les yeux un peu allongés, elle avait le regard de sa mère.
Quiloma se sentait interpellé par ce petit bout de fille, lui qui
n'avait jamais prêté d'attention aux enfants qu'il avait essaimés
ça et là. Même s'il ne le reconnaissait pas, il aimait être avec
elles. Il ne savait pas que ses guerriers trouvaient la relation de
leur prince fort satisfaisante. Si la discipline et l'entraînement
ne s'étaient pas relâchés, ils trouvaient leur prince encore plus
attentif à leur sort. Cela rendait l'éloignement du pays plus
tolérable.
Quiloma fit la liste des partants avec
Qunienka. Cela lui serra le cœur de se séparer de ses hommes. Il
n'avait pas le choix. Ils devaient accompagner la voix du Prince
Majeur. S'il y eut quelques larmes au départ des guerriers, il y eut
beaucoup de sourires aussi. Avec neuf mains de guerriers, pourrait-il
remplir sa mission?
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