samedi 14 juillet 2012


Quiloma avait des ordres. Mais cela ne l'arrangeait pas tout en lui convenant. La guerre dans le monde blanc se passait mal. Le messager n'avait pas dit cela, mais c'est ce que Quiloma avait compris. Le peuple Gowaï ne rendait pas les armes. Le Prince Majeur, en cette saison du jour sans fin, ne pouvait pas mobiliser toutes les ressources du pays. Il devait aussi prévoir les artisans pour la chasse, les récoltes et toutes ces choses indispensables qui se faisaient en cette période. Les phalanges des princes dixièmes avaient été battues. C'est ce qui ressortait du premier ordre de renvoyer la moitié de la phalange pour « compléter la victoire », avait dit la Voix du Prince Majeur. Quiloma avait entendu « pour boucher les trous ». Qunienka allait devoir partir avec dix mains de guerriers. Quiloma avait ordre de rester là pour surveiller, et si possible apprivoiser le dragon pour le Prince Majeur. Cela le laissait en position de faiblesse. Avec les morts et les blessés, dont lui, il n'avait pas assez de force pour tenir le village face à une révolte, ou face à une attaque venue de l'extérieur. Il en avait discuté avec Qunienka. Celui-ci lui avait fait remarquer que vu le nombre de nouveaux-nés aux yeux allongés dans le village, il y avait peu à craindre. Bien sûr, ils restaient quelques exaltés prêts à se battre, mais même les prêtres ne demandaient plus le retour dans le temple. Ils avaient adapté la maison Andrysio à leurs rites. Leur panthéon local avait adopté le Dieu Dragon comme dieu des dieux. De plus le dragon vivant qui volait dans la région suffisait à renforcer cette idée. Quiloma en avait convenu. Homme prudent, il avait prévu de faire de l'ancien temple, une forteresse. Il fallait aussi qu'il adapte l'armement et les tenues des hommes à une vie sans neige. La question de l'apprivoisement du dragon le laissait dubitatif. Il avait fréquenté assez de marabouts pour savoir que les dragons, hé bien sont les dragons, des êtres libres par essence, à la force suffisante pour ne pas se laisser dicter leur conduite et à l'esprit différent des humains. Celui qui volait dans la région était jeune, voire très jeune. Peut-être pouvait-on le rendre docile ? Il fallait aussi qu'il ne soit pas un dragon lié. Quiloma ne pouvait s'empêcher de rapprocher les deux faits. L'enfant qui avait disparu ici, avait précédé de peu le dragon. Quant à l'anneau, il était dans la région. Et cela aussi intéressait le Prince Majeur. Il lui fallait cet anneau pour en finir avec le Gowaï. Quiloma avait quand même une petite idée. Ses hommes avaient vu le juvénile lors de l'explosion. Si le dragon avait l'anneau, le Prince Majeur aurait bien du mal à le récupérer. On ne touche pas au trésor d'un dragon. Tout le monde savait cela. Exceptionnellement, les dragons donnaient certains de leurs trésors, mais cela les liait au receveur. Peut-être qu'un juvénile serait plus influençable? Quiloma pouvait peut-être jouer sa propre partition. Si le dragon le laissait manipuler l'anneau-roi alors son rang dans la hiérarchie des princes le mettrait juste derrière le Prince Majeur. L'image de Jorohery s'imposa dans son esprit. Il grimaça. S'il avait l'anneau, il lui faudrait composer avec lui. Cela valait-il le coup?
Mais le plus important, même s'il ne se le reconnaissait pas, était la Solvette. Une telle femme ! Il n'avait jamais rencontré de femme comme elle. Dans son pays, les femmes étaient des mères potentielles, la plupart du temps discrètes pour ne pas dire soumises. Seuls les compagnes officielles des princes avaient du répondant, un peu de répondant si on les comparait à la Solvette. Elle était marabout, commandait aux charcs et aux éléments. Non vraiment Quiloma ne voyait pas à qui la comparer. Elle lui avait fait un enfant. Non, il ne pouvait pas dire cela. Elle l'avait choisi pour être le père de l'enfant qu'elle désirait. C'était une fille. Elle répondait au nom de Sabda, mais dans le village tout le monde l'appelait la petite Solvette. Si elle avait les yeux un peu allongés, elle avait le regard de sa mère. Quiloma se sentait interpellé par ce petit bout de fille, lui qui n'avait jamais prêté d'attention aux enfants qu'il avait essaimés ça et là. Même s'il ne le reconnaissait pas, il aimait être avec elles. Il ne savait pas que ses guerriers trouvaient la relation de leur prince fort satisfaisante. Si la discipline et l'entraînement ne s'étaient pas relâchés, ils trouvaient leur prince encore plus attentif à leur sort. Cela rendait l'éloignement du pays plus tolérable.
Quiloma fit la liste des partants avec Qunienka. Cela lui serra le cœur de se séparer de ses hommes. Il n'avait pas le choix. Ils devaient accompagner la voix du Prince Majeur. S'il y eut quelques larmes au départ des guerriers, il y eut beaucoup de sourires aussi. Avec neuf mains de guerriers, pourrait-il remplir sa mission?

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