mercredi 25 juillet 2012


Les deux groupes avaient fait leur jonction. Zothom était pâle mais tenait debout. Les deux konsylis tinrent conseil. Avec un blessé, ils ne pourraient aller aussi vite qu'ils le désiraient. Ils décidèrent d'envoyer Mlaqui en avance pour prévenir le prince. Deux hommes partiraient avec Zothom par la voie des crêtes, où les montures ne pouvaient pas aller. Les sept autres allaient retarder la traque autant que possible. Tout dépendait du nombre d'ennemis derrière eux. Profitant de la nuit assez claire, ils se mirent en marche. Zothom fut bientôt hors de vue.Endurant et rapide, si tout allait bien, il serait près du prince dans trois jours. Ils avaient le temps de préparer les pièges. Prudents, ils avaient reconnu les chemins en descendant.

L'officier ne décolérait pas. Deux morts, il avait eu deux morts et pas un ennemi de tué. Des traces de sang laissaient penser qu'il y avait eu un blessé. Le pisteur avait parlé de deux traces. Ses cavaliers mis à mal par des piétons. Cela le mettait en rage. Il ne pouvait laisser cela comme ça. Ses ordres étaient clairs. Il était là pour faire régner l'ordre du roi Yas. Après des années de guerres, il avait pacifié la plaine sous son autorité. Maintenant, il avait décidé d'envoyer ses troupes explorer et sécuriser les marges du royaume. Tzenk avait été détaché avec deux cents hommes pour reconnaître cette vallée. Pauvre et peuplée de paysans, plus préoccupés de survivre que de se battre, ils avaient remonté la vallée sans rencontrer la moindre résistance. Il avait entendu parler de Tichcou à plusieurs jours de marche comme étant la capitale de la région. Il y a deux jours, ils avaient rencontré des émissaires de ce gros bourg. Avec force courbettes, ils avaient invité les guerriers du grand roi à venir dans leur humble village pour s'y reposer. Tzenk avait souri devant tant d'obséquiosité. Accompagné de cent cavaliers, il avait fait route vers cette bourgade. Il devait juger si elle se prêtait mieux que le plateau qu'il avait repéré pour mettre un fort. Pendant son absence, les hommes restant devaient commencer les travaux pour un fort. Il avait renvoyé le chef du village qui n'arrêtait pas de s'excuser et de se disculper. Il avait failli le gifler. Il était évident que l'attaque ne venait pas de ces mous. Ce n'est pas avec leur ridicule milice de quinze hommes mal armés qu'ils auraient fait cela. Non, il avait en face de lui des guerriers, des vrais, entraînés, rapides et bien armés. Leurs flèches étaient curieuses. Des empennages en écorce, alors que partout dans la plaine et ici à Tichcou, ils utilisaient des plumes. Les légendes parlaient d'hommes étranges venus du froid. Guerriers redoutables, aux armes inhabituelles, ils avaient été surnommés les barbares blancs. Il regardait pensivement les plumes en écorce noire et blanche, un code de reconnaissance probablement. Leur forme vrillée était curieuse. Il n'avait jamais vu cela. La pointe était triangulaire, faite dans une matière noire et brillante. Les bords tranchaient mieux que les meilleures pointes des armuriers du royaume.
- Ils ne doivent pas être grands.
Tzenk se retourna pour regarder celui qui avait parlé.
- Non, sergent, l'allonge est courte, trop courte pour les gens d'ici et leurs grands arcs.
- Que fait-on? On part les traquer ?
- Oui, sergent. Les ordres du roi sont formels. Il faut sécuriser la zone. Faites-moi venir quelqu'un qui connaît bien la région. On va avoir ces barbares et leur faire payer cher. Dites aussi aux hommes que nous partirons demain à l'aube, cinq jours de vivre. On laisse vingt hommes ici.
Le sergent fit demi-tour après avoir salué.
- Ah ! Sergent, envoyez aussi un émissaire prévenir le reste de la troupe.

Une odeur chatouillait les narines du dragon. Qu'elle était agréable cette odeur! Plus, c'était un appel impérieux. Il se mit en vol. Sortant de la vallée, il trouva les courants du vent. Il repéra la direction d'où venait cet effluve merveilleux. Se laissant planer pour retarder le moment de la rencontre, il contempla le paysage en dessous de lui. Il repéra l'être debout Kyll. Celui-ci était assis sur un rocher semblant dormir. Malgré l'envie pressante qui sollicitait son odorat, il descendit.
Quand il se posa, Kyll lui jeta un regard curieux.
- Ton esprit est là mais ton corps est ailleurs, être debout Kyll.
- Je te vois aussi nettement. Je te croyais dans le monde réel.
- J'y suis aussi.
- Ainsi un dragon est entre les deux mondes.
- Non, être debout Kyll, je suis pas entre les deux mondes, je suis dans les deux mondes. Où est ton corps?
- Dans la caverne où j'habite, gardé par mes amis.
- C'est une bonne chose, être debout Kyll, comme cela tu ne risques rien avec les loups.
- As-tu toujours ta question?
- Oui, être debout Kyll. Dans la ville d'où tu viens, y a-t-il eu des faits inhabituels?
- Un dragon est arrivé.
Kyll sursauta en entendant rire le dragon.
- Tu dis de drôles de vérités, être debout Kyll. Maintenant je sais, dit le dragon en prenant son envol.
- Que sais-tu ? hurla Kyll.
- Qu'il est chez vous, lui répondit le dragon sans se retourner.

Mazoména et Ivoho venaient de finir le piège. Ils étaient assez contents d'eux. Ils repartirent en petite foulée. Le reste du groupe était plus loin en train de préparer d'autres pièges. Ils avaient mis les tomcats. Ils n'avaient aucun désir d'être pris pour des ennemis.

Tzenk et son détachement étaient partis en chasse à l'ennemi. Les attaquants avaient dû venir de la ville à trois jours de marche plus loin. Le maître de ville de Tichcou lui avait décrit cette bourgade comme une ville pauvre à la limite des terres désolées et froides. Elle avait un nom imprononçable.
Les habitants y vivaient dans une quasi-autarcie d'élevage, d'un peu d'agriculture et de mapche ou de quelque chose qui se prononçait comme cela. Il n'y avait pas d'échanges avec eux ou très peu. En échange de quelques têtes de bétails, ou de peaux de trappeurs, ils récupéraient ce qu'ils ne pouvaient pas faire. Depuis des générations, à Tichcou, on considérait que cette ville était un cul-de-sac pour ceux qui fuyaient la vie.
Le chemin était assez bien tracé, mais difficile pour les bêtes. Parfois étroit, il obligeait les cavaliers à avancer un par un. Un premier groupe faisait office d'éclaireurs. Tzenk et un sergent réglaient les détails de la marche en tête du détachement principal quand il vit arriver un cavalier.
- Commandant ! Commandant ! Venez voir.
Tzenk éperonna sa monture. L'homme avait fait volte-face et galopait dans l'autre sens. Après un millier de pas environ, Tzenk vit ses hommes, l'arc bandé ou l'épée à la main, en position de défense. Il démonta et l'arme à la main, courut les rejoindre.
- Que se passe-t-il sergent ?
Celui-ci pour toute réponse lui montra l'avant de la colonne. Il vit deux corps littéralement empalés, suspendus au-dessus du chemin.
- Qu'est-ce...
- Nous avancions, mon commandant, avec les précautions d'usage. Après un passage étroit, comme vous avez vu, nous reprenions le petit trot dans cet espace plus large quand c'est arrivé. Les pièges sont terriblement efficaces. Viant pistait et ce n'est pas, enfin ce n'était pas un débutant. Il n'a rien signalé avant de prendre l'épieu en travers du corps. Le sergent se releva doucement.
- Les éclaireurs reviennent. Ils font signe qu'il n'y a plus de danger.
Tzenk se releva en jurant. Il rengaina son arme et alla voir le lieu du drame. Il observa en connaisseur le piège.
- Ces salauds s'y connaissent, jura-t-il entre ses dents.
Deux hommes de moins, quatre depuis leur arrivée à Tichcou, alors qu'il n'y avait eu qu'un blessé par chute avant ça. La chasse allait être beaucoup plus dangereuse qu'il ne le pensait. Dans cet environnement, les montures n'étaient pas vraiment un atout.
Il ordonna d'enterrer les hommes et de continuer à pied. Il répartit les hommes en différents groupes pour une avancée en ordre dispersé pour éviter d'autres pièges.
- Ils ne doivent pas être très nombreux. Ils nous affaiblissent en évitant la confrontation. Sergent, dès que vous avez réparti vos hommes, reprenez la progression. Il nous les faut !

Le reste de la journée ne vit pas d'autre victime mais plusieurs alertes. Une seule fut vraie. Sur le chemin, personne n'avait rien remarqué. Ce furent les éclaireurs qui marchaient dans les buissons du bord de la route qui mirent en évidence les lianes du mécanisme. Le sergent laissa un homme et continua. Le regroupement se fit le soir. Une clairière accueillit hommes et bêtes. Tzenk doubla les sentinelles et imposa des postes de garde. Les soldats pour une fois ne manifestèrent pas leur mécontentement et allèrent couper les branches d'épineux pour faire des sortes de guérites pour les gardes. Quand il y eut un sifflement caractéristique d'une flèche, tout le camp fut en alerte.
A la lueur de la lune, tout le monde se mit en position de défense. On essaya de voir d'où venait l'attaque. Des flèches partirent en direction de bruits plus ou moins furtifs dans le sous-bois environnant. Tzenk comme les autres, chercha l'ennemi. Le reste de la nuit fut long mais calme. Quand le jour se leva, Tzenk fit le tour du camp. On lui signala deux blessés par des flèches amies et on lui montra la flèche à empennage en écorce plantée dans une de ses sacoches. De nouveau il jura. Les légendes avaient raison. Ces barbares étaient des diables.
La colonne reprit sa progression, les hommes toujours à l'affût malgré la fatigue, découvrirent assez facilement deux pièges. Le troisième fut fatal au pied d'un éclaireur. Occupé à chercher les pièges pour cavaliers, il ne vit pas la fosse remplie de petits pieux acérés...
Tzenk sentit la tension monter encore d'un cran dans son détachement. Il entendait certains décrire les tortures qu'ils prévoyaient pour leur faire payer ça. Durant la journée, ils détectèrent une dizaine de chausses-trappes. Le soir tomba sans qu'il trouve un bon endroit pour s'arrêter. Avec la nuit, la peur augmenta d'un cran. Pour le pisteur, les ennemis ne devaient pas avoir beaucoup d'avance sur eux. Préparer des traquenards demandait du temps. Cela voulait dire aussi, qu'ils ne fuyaient pas mais se repliaient en bon ordre. Tzenk avait conscience de ce fait. Les traces ne montraient pas une grosse troupe, une dizaine tout au plus. Il était sûr de pouvoir en venir à bout. Une question restait. Cela pouvait être une simple bande en razzia, mais cela pouvait être aussi les éclaireurs d'une armée. Il en discutait avec le lieutenant quand une des bêtes s'effondra dans un bruit sourd. Une flèche vibrait encore entre ses deux yeux. Tous les feux furent couverts, toutes les lumières éteintes. Dans le silence, on entendit distinctement le sifflement de la flèche et le râle sourd de l'homme quand il la reçut. Tzenk entendit plusieurs de ses hommes tirer dans la direction d'où venait le trait. Rien ne se passa. Une autre flèche vola. Il y eut un autre blessé.
- Ce n'est pas possible, mon commandant ! Il voit la nuit !
- Qu'on envoie une flèche enflammée !
Un des hommes fit ce que demandait le commandant. Le trait de lumière partit et alla se planter dans un tronc à cinquante pas de là. Alors qu'il volait, une autre flèche vint en retour pour se planter dans le bras de l'archer.
- Là, dans l'arbre, une silhouette !
Aussitôt une dizaine de flèches partirent dans cette direction. On entendit les chocs d'impact. Il y eut des bruits de branches cassées, de feuillages remués. D'autres flèches partirent mais l'obscurité avait englouti l'ombre entrevue. D'autres flèches enflammées furent tirées, bientôt un cercle de lumière vacillante entoura le bivouac.
- Heureusement que la forêt est humide, continuez à tirer qu'il ne puisse pas recommencer.
Quand une flèche s'éteignait, une autre était tirée. Tzenk fit un tour de quart pour les hommes. Lui-même alla se reposer pendant que le lieutenant prenait la première veille. Il entendit les cordes vibrer au départ des flèches. C'est le cri qui le réveilla. Se levant d'un bond, il regarda autour de lui. Le cercle de lumière était complet et pourtant un de ses hommes venait de s'écrouler. Tzenk jura. Non seulement, ils semblaient ne pas être gênés par le noir, mais en plus leurs arcs dépassaient ceux de son armée. Tout le monde s'était mis à couvert. Derrière le cercle de lumière, les feuillages bougèrent, puis le silence se fit. Tous les cavaliers étaient aux aguets. Le reste de la nuit fut long, très long.

Ivoho rejoignit le groupe sur le petit matin.
- Ils n'auront pas beaucoup dormi cette nuit.
- Toi non plus, dit son konsyli. Pars en avant, va jusqu'à la barrière rocheuse, là repose-toi. Nous allons les occuper pendant ce temps.
Ivoho partit au petit trot.
- Ils vont être fatigués, dit un konsyli.
- Oui, mais nous arrivons sur le premier plateau et là nous sommes désavantagés.
Le groupe avait repris sa progression. La vallée s'élargissait en un espace presque plat. On avait là les plus lointains pâturages du village. L'herbe y était belle. Des vastes terrasses aménageaient l'espace. Les cavaliers retrouveraient l'avantage des montures rapides. Pour les piétons qu'ils étaient, la zone était dangereuse. Ils traversèrent une série de plateformes. Il n'y avait pas beaucoup de possibilité d'arrêter une charge, de nombreux passages joignaient chaque niveau.
Courant toujours, ils traversèrent un bois et atteignirent une zone plus raide aux terrasses plus étroites. Les murs étaient beaucoup plus hauts et ne pouvaient être franchis par les cavaliers que par des rampes qui alternaient d'un côté et de l'autre. Pour les marcheurs qu'ils étaient, des échelles de pierre leur permettaient de gagner du temps. Ils décidèrent de piéger les rampes du haut...

- Cette forêt ne finira-t-elle jamais?
En posant cette question le sergent résumait l'état d'esprit des soldats. Obligés de marcher à pied, fatigués par les veilles nocturnes, l'humeur de la troupe n'était pas bonne. Il fallait progresser lentement pour éviter les pièges. La moitié de la matinée était passée sans que le moindre piège ne soit trouvé. Les éclaireurs signalèrent le changement de topographie. Tzenk arriva au bord de la forêt. Manifestement, ils arrivaient à proximité de la ville du haut. Ces terrasses n'étaient pas naturelles. En pente douce avec des petits murets de soutènement, elles devaient servir de pâtures ou de champs. Il n'y avait pas de trace d'utilisation récente, mais à cette altitude, la neige persistait encore en de nombreux endroits. Les paysans du coin n'avaient pas dû encore venir ici. L'espace dégagé, l'absence de possibilité de piège fit remonter le moral. Tzenk envoya des éclaireurs vers le bois visible au loin. Lui-même attendit le gros de la troupe.
Les cavaliers se remettaient en selle quand un messager arriva.
- Ils sont là ! Ils sont là ! criait-il.
Tzenk sentit l'adrénaline monter dans ses veines. Les éclaireurs avaient vu un petit groupe, cinq personnes, sur l'autre groupe de terrasses. Ils semblaient en train de creuser une fosse dans une des pentes de jonction.
- Allons-y mais en silence !
Le groupe avança rapidement. Les bêtes et les hommes piaffaient. Ils arrivèrent au bois. Tzenk fit installer sa troupe en ordre d'attaque. Il vit avec plaisir que malgré la fatigue, ils n'avaient perdu ni leurs habitudes, ni leur combativité. A travers les branchages, il voyait les cinq hommes creusant le sol. Il vit dans leur dos les arcs courts, il vit le faisceau des lances un peu en retrait.
Un éclaireur s'approcha de lui et murmura:
- Je n'ai vu aucun autre ennemi...mais on ne voit pas après la quatrième terrasse.
- Faites passer : que trente hommes nous nettoient cette racaille.
Les trente premiers cavaliers se préparèrent.
En entendant le bruit sourd des sabots battant le sol, les cinq guerriers ennemis se redressèrent. Tzenk admira l'entraînement. Il n'y eut aucune hésitation. D'un même mouvement, ils prirent chacun leurs deux lances courtes et se précipitèrent vers le mur de la terrasse suivante et... l'escaladèrent.
C'est à ce moment qu'il repéra les escaliers faits de pierres en saillie.
- Les archers, tirez !
Le groupe de vingt archers qui avait pris position à l'orée du bois, tira une volée de flèches. Aucune n'atteignit son but. Une deuxième volée suivit la première pendant que les cavaliers se rapprochaient au galop. Le dernier à prendre pied sur la terrasse supérieure trébucha sous l'impact et s'étala une flèche dans la cuisse. Les quatre autres se mirent en position et tirèrent sur le détachement qui passait en dessous de leur position. Tzenk jura quand il vit trois hommes blessés et une bête qui s'effondra entraînant son cavalier. Les guerriers ennemis n'avaient pas attendu. Repartant vers la terrasse suivante, ils escaladèrent les marches de pierre, aidant leur blessé qui continua vers l'amont. La charge ne s'arrêta pas au bout de la terrasse, mais prenant la pente, les bêtes lancées au galop continuèrent leur progression dans l'autre sens sur la terrasse supérieure. Pendant ce temps, les archers envoyaient volée de flèches sur volée de flèches, mais la distance les rendait très imprécises. De nouveau, il y eut quatre cavaliers mis hors de combat, un blessé et trois chutes. Le scénario se reproduisit. Tzenk voyait le blessé monter de terrasse en terrasse pendant que les quatre autres tiraient sur les cavaliers. Au troisième passage, un des cavaliers, avait délaissé sa lance et pris son arc. Il blessa un ennemi. Tzenk cria sa joie. On voyait l'homme, une flèche dans le flanc, tenter de rejoindre l'escalier suivant. La charge le cueillit alors qu'il avait gravi deux marches. Tzenk entendit son cri d'agonie, et il vit disparaître les autres. Au-dessus qu'y avait-il?
- A tous les hommes, chargez !
Tous les hommes éperonnèrent leurs montures. Tzenk compta sept terrasses. Le premier groupe était sur la quatrième quand lui était sur la première. Trop près des murs, il ne voyait pas ce qu'il se passait au-dessus. Il poussait sa monture au maximum de ses possibilités. Arrivé sur l'avant dernier degré, il tira sur les rênes de toutes ses forces en voyant le premier groupe d'attaque redescendant avec des blessés. Des hampes de flèches sortaient des corps effondrés sur les encolures. Tzenk compta une quinzaine de cavaliers. Il démonta quasiment au vol et saisissant son arc, il escalada les marches de pierres saillantes pour voir au-dessus. Les autres soldats firent de même sur les différents escaliers répartis le long du mur des terrasses. Ils découvrirent un long espace vide, au milieu duquel des montures erraient sans cavaliers. Quelques corps étaient allongés par terre hérissés de flèches. Il y avait trop de flèches pour quatre hommes ou même pour dix.
C'est alors qu'il les vit.

Quiloma était heureux d'être arrivé à temps. Dès que Mlaqui lui avait fait son rapport, il était parti avec tous les hommes disponibles. C'est au pas de course avec une double charge qu'ils avaient couvert le chemin qui descendait vers Tichcou. Arrivés à la première barrière rocheuse, ils avaient découvert les terrasses en contre-bas. Le chemin était abrupt et les cavaliers ne pourraient pas le monter facilement. C'était un endroit idéal pour installer une défense. Il commençait à faire les préparatifs quand il vit arriver Ivoho. Avec ces nouvelles informations, il changea de stratégie. Il laissa deux mains de guerriers pour couvrir leur retraite éventuelle et avec le reste descendit se positionner en bas de la barre rocheuse. Dans les touffes de végétation basse, ils étaient quasiment invisibles. Il vit arriver le blessé, il boitait bas avec une flèche dans la cuisse. Puis ce furent trois de ses hommes, deux konsylis et Mazoména courant à perdre haleine. La terrasse était large, très large, trop large pour qu'ils distancent les montures qui venaient de faire leur apparition à une des extrémités de la terrasse. Quiloma prit son arc, immédiatement imité par les vingt guerriers. La charge fut stoppée par une grêle de flèches aux pointes acérées avant qu'elle ne puisse atteindre les trois fuyards. A la première volée, ils s'étaient même arrêtés pour tirer à bout portant sur les cavaliers surpris. Mazoména évita de peu une lance ennemie. D'un même geste, il avait lâché son arc, tiré ses épées courtes et coupé les jarrets de la bête. Dans le combat au corps à corps qui l'opposa au cavalier tombé, il prit le dessus. Il l'achevait quand Quiloma et une partie des guerriers sortirent pour pousser le cri de guerre des guerriers du royaume du Dieu Dragon.
Quiloma vit les archers monter sur le mur de la terrasse. En voyant Tzenk, il fut certain de voir leur chef. L'uniforme chamarré se détachait du lot. A sa ceinture la longue épée reflétait trop bien les rayons du soleil. La garde en était manifestement ouvragée et décorée. Pour ses ennemis, Quiloma ne présentait pas de signe visible. Son anneau au doigt et les quelques traits de couleurs sur son uniforme couleur de forêt, le rendait semblable aux autres. La situation était pour le moment bloquée. Les arcs ne portaient pas assez loin, des piétons contre des cavaliers n'avaient aucune chance, d'autant plus qu'ils n'étaient que quatre mains de guerriers alors que Mlaqui avait parlé de deux fois dix mains de cavaliers. Il fit un geste et tous regagnèrent l'abri des arbustes.

Tzenk vit le mouvement. Ce petit homme devait être le chef de la bande. Pour le moment la situation était bloquée. Tzenk se doutait qu'il n'avait pas vu tous les hommes cachés dans les buissons de l'autre côté de la terrasse. Il lui fallait avancer mais vu la puissance de tir et la précision des archers, il allait y avoir beaucoup de victimes. Il fit faire un essai à ses archers. Des flèches furent tirées le plus loin possible. Elles se plantèrent plus de vingt pas avant les buissons. Tzenk vit un des guerriers d'en face sortir de son abri pour venir chercher la flèche et la ramener à son chef. Bientôt, il vit un archer s'avancer de vingt pas sur la terrasse herbeuse. Il visa soigneusement, leva son arc et tira. La flèche vint se planter à moins d'un pas devant lui.
- Nous défie-t-il, mon Commandant?
- Je ne sais pas, lieutenant. Mais leurs arcs sont plus puissants que les nôtres. Nous ne pourrons pas faire partir la charge de cette terrasse, il faudra commencer la course dans la pente. Nous devrions pouvoir les charger avant la nuit et nettoyer cette racaille. Je pense qu'ils se croient à l'abri dans leurs buissons, mais nous allons leur montrer comment les tracks chargent. Ils n'auront pas le temps de tirer plus de deux flèches que nous serons sur eux. Faites préparer les hommes.

Quiloma vit l'officier disparaître dans les escaliers vers la terrasse inférieure. Il fit le geste de rassemblement. Les konsylis arrivèrent.
- S'ils tentent quelque chose, c'est maintenant. Après la nuit sera trop proche. Leurs montures semblent rapides. Il faudra tirer plus vite que d'habitude. Nous sommes quatre mains, ils sont deux fois dix mains. Avec ceux que vous avez éliminés nous allons nous battre à quatre contre un. Préparez-vous.
Se tournant vers le chemin, il fit signe à Zothom.
- Préviens les deux mains restées au-dessus. Si nous sommes vaincus, il leur faudra tenir le plus longtemps possible et envoyer un message au Prince Majeur.
Il regarda Zothom, escalader le chemin en boîtant. Ils n'avaient pas eu le temps de retirer la pointe de la flèche de sa cuisse. Quiloma pensa à la Solvette. Il aurait bien aimé continuer un bout de chemin avec elle. A quatre contre un, la chance était faible. Reprenant sa place, il cria et tous les guerriers reprirent en chœur:
- Pour la gloire du Dieu Dragon, qu'il nous vienne en aide.

Tzenk entendit leur cri pendant qu'il ajustait la selle de son tracks.
- Entendez comme ils tentent de cacher leur peur. Sa majesté le roi Yas compte sur nous pour nettoyer cette contrée. Faites-lui honneur!
Cent bouches crièrent leur envie de tuer. Les tracks s'énervaient de l'ambiance. Ils allaient pouvoir galoper et c'est tout ce qui comptait pour eux. Quand ces lourdes bêtes se mettaient en action, la terre tremblait sous leurs sabots. Tzenk savait qu'ils seraient à leur pleine vitesse avant d'avoir parcouru la moitié de la terrasse. Il ajusta son armure, ses jambières puis monta en selle. Dégainant son épée, il fit un signe à sa troupe. Tous les hommes furent en selle en un instant. Ils se rangèrent cinq par cinq pour se lancer dans la pente. Ils savaient qu'ils se déploieraient pendant la charge. Quand Tzenk abaissa son épée en hurlant l'ordre de charger, un grondement sourd prit naissance.

Quiloma sut avant de les voir qu'une charge arrivait. Il avait senti les vibrations du sol. Ce fut comme un flot qui jaillit de la pente. Une première volée de flèches fut tirée, pour aller loin. Elle ne fit pas beaucoup de dégâts. Les archers n'attendirent pas de savoir ce qu'elle avait fait pour envoyer la deuxième. La troisième serait en tir tendu pour stopper le plus de bêtes. Avec un peu de chance il y aurait une quatrième salve, et puis ce serait le combat rapproché.
Attrapant sa troisième flèche, Quiloma l'encocha et arma. Son bras retomba.

L'odeur, la merveilleuse odeur se rapprochait. Volant assez haut pour en suivre les effluves, le dragon, de son œil perçant en vit l'origine. Un troupeau de clachs comme disait l'être debout Kyll. Il plongea. Son arrivée sur la pâture provoqua la panique dans le troupeau. Non, ce n'était pas des clachs, ou alors des clachs des plaines. Il fut étonné de les voir montés par des êtres debout. Lancées au galop, les lourdes bêtes ne pensèrent qu'à une chose en voyant et en sentant le dragon : fuir, fuir le plus vite et le plus loin possible. Le dragon vit les hommes tenter de maintenir leur monture sans y parvenir. Déjà la moitié des cavaliers était à terre, et les autres avaient fui. Seul restait en selle celui qui tenait ce qui l'avait attiré. Le dragon vit l'or de l'épée ainsi que la pierre qui l'ornait. Il ne les vit pas vraiment, car l'être debout tenait la chose à deux mains. Il en vit l'aura de son désir. D'un coup de patte, il désarçonna le cavalier. Ce dernier fit un roulé-boulé et se mit hors de portée. Le dragon, tout occupé par sa recherche, ne prêta pas attention aux hommes qui arrivaient la lance à la main pour défendre leur officier. Quand la première lance s'enfonça dans son aile le dragon poussa un cri. Il tourna la tête et vit ces êtres debout, tout de rouge auréolés, voulant sa mort. Il hurla sa colère vis-à-vis d'eux. Ils insistèrent d'autres lances se plantèrent. Bougeant frénétiquement les ailes, il déstabilisa la majorité de ses agresseurs. L'homme à l'épée s'était remis debout. L'odeur, l'odeur était là, à portée de lui. Le dragon sentit la rage monter en lui. Il en fit son souffle brûlant. Ce fut sa première flamme. Lui-même en fut surpris. Cette nuée ardente ne laissa aucune chance aux hommes qui l'attaquaient. Il n'y eut plus sur la terrasse que des morts, un dragon et un officier debout. Ce dernier avait récupéré un des lourds boucliers de bois sur un tracks mort. Il faisait face. Il savait qu'il n'avait aucune chance mais il faisait face. Tous ses hommes étaient morts ou en fuite, en face de lui un monstre de légende plein de rage. Il allait mourir mais pas sans combattre. Il se précipita en avant en se disant qu'il risquait moins le feu en étant contre la bête. Son épée s'abattit sur un des doigts du dragon. Sous le choc, le dragon rentra une griffe, mais explosa une partie du bouclier. L'autre partie disparut dans sa gueule quand l'homme s'en servit pour se protéger. Un coup de griffe le déchira dans le dos descendant jusqu'à sa cuisse. Tombant à genoux, il leva une dernière fois son épée mais le dragon de son autre patte le cloua au sol. Détachant l'épée de la main, il jouit de la possession de ce nouveau trésor. Cette chose avait moins de puissance que son anneau précieux, mais son odeur en était plus qu'agréable. Il pensa que ces êtres debout qui avaient de l'or et des pierres étaient peut-être une source pour compléter son trésor. La douleur commença à se réveiller. Lui revint en mémoire la douleur quand il avait conquis l'anneau. Trouver des trésors devait-il être toujours douloureux? C'est à se moment qu'il les remarqua. D'autres êtres debout sortaient des buissons, armés eux aussi.
Le dragon gronda. Un être debout s'avança. Il mit un genou en terre et levant les bras montra un bâton rouge. Le dragon sentit un bâton de pouvoir. Manifestement, il n'était pas entier et manquait de puissance, mais celui qui l'avait fait savait ce qu'il faisait.
- Qui es-tu, être debout?
- Quiloma, prince neuvième du Grand Royaume, détenteur d'un des fragments du Maître Bâton.
- Viens-tu du pays de l'être debout Mandihi?
- Le marabout Mandihi est un grand maître dans le Grand Royaume.
- Tu ne sens pas l'or, être debout Quiloma. Pourtant j'en sens encore.
- Les hommes qui t'ont attaqué, maître Dragon, en possèdent. Ils s'en servent comme monnaie.
- Ne recherches-tu pas l'or, être debout Quiloma?
- Non, maître Dragon, mon peuple est pauvre d'or mais riche du service auprès de ceux qui sont comme toi. Désires-tu que nous soignons tes blessures?
- Sais-tu soigner les dragons?
- Notre peuple a cette connaissance et il me l'a enseignée.
- Alors, être debout Quiloma, j'accepte.
Quiloma s'approcha du dragon, il admira sa couleur. Du rouge se glissait dans sa robe juvénile. Les flammes qu'il avait produites, devaient être récentes. Le dragon n'était pas mature mais il avait maintenant ses capacités d'adulte. Quiloma fit signe à ses hommes de ramasser l'or qui pouvait rester sur les combattants morts, ainsi que ce qui pouvait être utile. Pendant qu'ils s'éloignaient avec quelques guerriers, il débarrassa les ailes du dragon des pointes de lance qui y étaient fichées. L'œil jaune les fixait. Sortant un baume de son sac à dos, Mlaqui entreprit de masser les plaies. En entendant le sourd ronflement qui sortait de la gorge du dragon, il s'arrêta. Quiloma lui fit un geste impérieux. Mlaqui reprit son ouvrage en jetant des regards pas très confiants vers le dragon qui fermait à moitié les yeux. A voix basse, Quiloma lui dit :
- Il est content, il ronronne.
Cela ne dura pas, levant brusquement la tête, il gronda :
- Je sens l'or et certains y touchent !
- Oui, maître Dragon, nous servons les dragons depuis des générations. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'or chez nous, il vous est réservé. Comme le dit notre Règle, nous allons collecter ce qui est trop petit pour le maître Dragon. Vois celui qui tisse le panier qui te permettra de l'emporter jusqu'à ton domaine.
- J'espère pour toi, être debout Quiloma, sinon mon courroux sera grand.
- T'ai-je menti, maître Dragon?
- Pas encore, être debout Quiloma, mais je reconnais que tes soins sont forts appréciables.
Le dragon se laissa faire sans pour autant quitter des yeux, ceux qui récupéraient armes, bagages et or sur les dépouilles.
- Là-bas, des êtres debout nous regardent, dit le dragon.
Quiloma regarda vers l'extrémité de la terrasse. Des têtes semblaient surgir du mur pour redisparaître.
- Ils ne reviendront pas, maître Dragon. Pas tant que tu es là.
Les premiers guerriers revinrent déposer des pièces d'or sous le museau du dragon. Celui-ci ne les quittait pas des yeux. Sa haute stature dominait toute la terrasse. Pendant que Mlaqui et Quiloma prenaient soin de ses ailes, les autres rassemblaient les corps des morts en un seul tas.
- Nous avons fini, maître Dragon. Notre Règle dit que les dragons brûlent le corps des ennemis morts. Veux-tu procéder ainsi?
- N'y a-t-il plus d'or à récupérer ?
- Tout est dans le panier. Veux-tu que je mette l'épée avec?
- Fais ce que tu dis, être debout Quiloma, je vais me restaurer, ces clachs des plaines semblent appétissants.
Sous le regard effaré du lieutenant de Tzenk qui regardait, le dragon engloutit l'une après l'autre plusieurs carcasses de tracks. Il le vit revenir vers les corps de ses compagnons que les barbares avaient mis en tas. Il ne put retenir un cri quand il vit que le souffle brûlant du monstre consumait les dépouilles. Ne pouvant en supporter davantage, il donna l'ordre de repli aux survivants. C'est de leur récit que les vieilles légendes purent se nourrir pour reprendre force. Le roi Yas fit même venir le lieutenant à sa cour pour avoir le rapport d'un témoin oculaire. Ayant d'autres priorités qu'une vallée perdue, il n'envoya qu'une petite troupe avec pour mission d'ériger un mur pour couper la route aux barbares. C'est à cette époque que surgit à nouveau la légende qui promettait gloire, puissance et royaume à celui qui serait vainqueur du dragon. Dans la tête de nombreux chevaliers de la cour du roi Yas, naquit le désir d'aller occire ce monstre.

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