Les deux groupes avaient fait leur
jonction. Zothom était pâle mais tenait debout. Les deux konsylis
tinrent conseil. Avec un blessé, ils ne pourraient aller aussi vite
qu'ils le désiraient. Ils décidèrent d'envoyer Mlaqui en avance
pour prévenir le prince. Deux hommes partiraient avec Zothom par la
voie des crêtes, où les montures ne pouvaient pas aller. Les sept
autres allaient retarder la traque autant que possible. Tout
dépendait du nombre d'ennemis derrière eux. Profitant de la nuit
assez claire, ils se mirent en marche. Zothom fut bientôt hors de
vue.Endurant et rapide, si tout allait bien, il serait près du
prince dans trois jours. Ils avaient le temps de préparer les
pièges. Prudents, ils avaient reconnu les chemins en descendant.
L'officier ne décolérait pas. Deux
morts, il avait eu deux morts et pas un ennemi de tué. Des traces de
sang laissaient penser qu'il y avait eu un blessé. Le pisteur avait
parlé de deux traces. Ses cavaliers mis à mal par des piétons.
Cela le mettait en rage. Il ne pouvait laisser cela comme ça. Ses
ordres étaient clairs. Il était là pour faire régner l'ordre du
roi Yas. Après des années de guerres, il avait pacifié la plaine
sous son autorité. Maintenant, il avait décidé d'envoyer ses
troupes explorer et sécuriser les marges du royaume. Tzenk avait été
détaché avec deux cents hommes pour reconnaître cette vallée.
Pauvre et peuplée de paysans, plus préoccupés de survivre que de
se battre, ils avaient remonté la vallée sans rencontrer la moindre
résistance. Il avait entendu parler de Tichcou à plusieurs jours de
marche comme étant la capitale de la région. Il y a deux jours, ils
avaient rencontré des émissaires de ce gros bourg. Avec force
courbettes, ils avaient invité les guerriers du grand roi à venir
dans leur humble village pour s'y reposer. Tzenk avait souri devant
tant d'obséquiosité. Accompagné de cent cavaliers, il avait fait
route vers cette bourgade. Il devait juger si elle se prêtait mieux
que le plateau qu'il avait repéré pour mettre un fort. Pendant son
absence, les hommes restant devaient commencer les travaux pour un
fort. Il avait renvoyé le chef du village qui n'arrêtait pas de
s'excuser et de se disculper. Il avait failli le gifler. Il était
évident que l'attaque ne venait pas de ces mous. Ce n'est pas avec
leur ridicule milice de quinze hommes mal armés qu'ils auraient fait
cela. Non, il avait en face de lui des guerriers, des vrais,
entraînés, rapides et bien armés. Leurs flèches étaient
curieuses. Des empennages en écorce, alors que partout dans la
plaine et ici à Tichcou, ils utilisaient des plumes. Les légendes
parlaient d'hommes étranges venus du froid. Guerriers redoutables,
aux armes inhabituelles, ils avaient été surnommés les barbares
blancs. Il regardait pensivement les plumes en écorce noire et
blanche, un code de reconnaissance probablement. Leur forme vrillée
était curieuse. Il n'avait jamais vu cela. La pointe était
triangulaire, faite dans une matière noire et brillante. Les bords
tranchaient mieux que les meilleures pointes des armuriers du
royaume.
- Ils ne doivent pas être grands.
Tzenk se retourna pour regarder celui
qui avait parlé.
- Non, sergent, l'allonge est courte,
trop courte pour les gens d'ici et leurs grands arcs.
- Que fait-on? On part les traquer ?
- Oui, sergent. Les ordres du roi sont
formels. Il faut sécuriser la zone. Faites-moi venir quelqu'un qui
connaît bien la région. On va avoir ces barbares et leur faire
payer cher. Dites aussi aux hommes que nous partirons demain à
l'aube, cinq jours de vivre. On laisse vingt hommes ici.
Le sergent fit demi-tour après avoir
salué.
- Ah ! Sergent, envoyez aussi un
émissaire prévenir le reste de la troupe.
Une odeur chatouillait les narines du
dragon. Qu'elle était agréable cette odeur! Plus, c'était un appel
impérieux. Il se mit en vol. Sortant de la vallée, il trouva les
courants du vent. Il repéra la direction d'où venait cet effluve
merveilleux. Se laissant planer pour retarder le moment de la
rencontre, il contempla le paysage en dessous de lui. Il repéra
l'être debout Kyll. Celui-ci était assis sur un rocher semblant
dormir. Malgré l'envie pressante qui sollicitait son odorat, il
descendit.
Quand il se posa, Kyll lui jeta un
regard curieux.
- Ton esprit est là mais ton corps est
ailleurs, être debout Kyll.
- Je te vois aussi nettement. Je te
croyais dans le monde réel.
- J'y suis aussi.
- Ainsi un dragon est entre les deux
mondes.
- Non, être debout Kyll, je suis pas
entre les deux mondes, je suis dans les deux mondes. Où est ton
corps?
- Dans la caverne où j'habite, gardé
par mes amis.
- C'est une bonne chose, être debout
Kyll, comme cela tu ne risques rien avec les loups.
- As-tu toujours ta question?
- Oui, être debout Kyll. Dans la ville
d'où tu viens, y a-t-il eu des faits inhabituels?
- Un dragon est arrivé.
Kyll sursauta en entendant rire le
dragon.
- Tu dis de drôles de vérités, être
debout Kyll. Maintenant je sais, dit le dragon en prenant son envol.
- Que sais-tu ? hurla Kyll.
- Qu'il est chez vous, lui répondit le
dragon sans se retourner.
Mazoména et Ivoho venaient de finir le
piège. Ils étaient assez contents d'eux. Ils repartirent en petite
foulée. Le reste du groupe était plus loin en train de préparer
d'autres pièges. Ils avaient mis les tomcats. Ils n'avaient aucun
désir d'être pris pour des ennemis.
Tzenk et son détachement étaient
partis en chasse à l'ennemi. Les attaquants avaient dû venir de la
ville à trois jours de marche plus loin. Le maître de ville de
Tichcou lui avait décrit cette bourgade comme une ville pauvre à la
limite des terres désolées et froides. Elle avait un nom
imprononçable.
Les habitants y vivaient dans une
quasi-autarcie d'élevage, d'un peu d'agriculture et de mapche ou de
quelque chose qui se prononçait comme cela. Il n'y avait pas
d'échanges avec eux ou très peu. En échange de quelques têtes de
bétails, ou de peaux de trappeurs, ils récupéraient ce qu'ils ne
pouvaient pas faire. Depuis des générations, à Tichcou, on
considérait que cette ville était un cul-de-sac pour ceux qui
fuyaient la vie.
Le chemin était assez bien tracé,
mais difficile pour les bêtes. Parfois étroit, il obligeait les
cavaliers à avancer un par un. Un premier groupe faisait office
d'éclaireurs. Tzenk et un sergent réglaient les détails de la
marche en tête du détachement principal quand il vit arriver un
cavalier.
- Commandant ! Commandant ! Venez voir.
Tzenk éperonna sa monture. L'homme
avait fait volte-face et galopait dans l'autre sens. Après un
millier de pas environ, Tzenk vit ses hommes, l'arc bandé ou l'épée
à la main, en position de défense. Il démonta et l'arme à la
main, courut les rejoindre.
- Que se passe-t-il sergent ?
Celui-ci pour toute réponse lui montra
l'avant de la colonne. Il vit deux corps littéralement empalés,
suspendus au-dessus du chemin.
- Qu'est-ce...
- Nous avancions, mon commandant, avec
les précautions d'usage. Après un passage étroit, comme vous avez
vu, nous reprenions le petit trot dans cet espace plus large quand
c'est arrivé. Les pièges sont terriblement efficaces. Viant pistait
et ce n'est pas, enfin ce n'était pas un débutant. Il n'a rien
signalé avant de prendre l'épieu en travers du corps. Le sergent se
releva doucement.
- Les éclaireurs reviennent. Ils font
signe qu'il n'y a plus de danger.
Tzenk se releva en jurant. Il rengaina
son arme et alla voir le lieu du drame. Il observa en connaisseur le
piège.
- Ces salauds s'y connaissent,
jura-t-il entre ses dents.
Deux hommes de moins, quatre depuis
leur arrivée à Tichcou, alors qu'il n'y avait eu qu'un blessé par
chute avant ça. La chasse allait être beaucoup plus dangereuse
qu'il ne le pensait. Dans cet environnement, les montures n'étaient
pas vraiment un atout.
Il ordonna d'enterrer les hommes et de
continuer à pied. Il répartit les hommes en différents groupes
pour une avancée en ordre dispersé pour éviter d'autres pièges.
- Ils ne doivent pas être très
nombreux. Ils nous affaiblissent en évitant la confrontation.
Sergent, dès que vous avez réparti vos hommes, reprenez la
progression. Il nous les faut !
Le reste de la journée ne vit pas
d'autre victime mais plusieurs alertes. Une seule fut vraie. Sur le
chemin, personne n'avait rien remarqué. Ce furent les éclaireurs
qui marchaient dans les buissons du bord de la route qui mirent en
évidence les lianes du mécanisme. Le sergent laissa un homme et
continua. Le regroupement se fit le soir. Une clairière accueillit
hommes et bêtes. Tzenk doubla les sentinelles et imposa des postes
de garde. Les soldats pour une fois ne manifestèrent pas leur
mécontentement et allèrent couper les branches d'épineux pour
faire des sortes de guérites pour les gardes. Quand il y eut un
sifflement caractéristique d'une flèche, tout le camp fut en
alerte.
A la lueur de la lune, tout le monde se
mit en position de défense. On essaya de voir d'où venait
l'attaque. Des flèches partirent en direction de bruits plus ou
moins furtifs dans le sous-bois environnant. Tzenk comme les autres,
chercha l'ennemi. Le reste de la nuit fut long mais calme. Quand le
jour se leva, Tzenk fit le tour du camp. On lui signala deux blessés
par des flèches amies et on lui montra la flèche à empennage en
écorce plantée dans une de ses sacoches. De nouveau il jura. Les
légendes avaient raison. Ces barbares étaient des diables.
La colonne reprit sa progression, les
hommes toujours à l'affût malgré la fatigue, découvrirent assez
facilement deux pièges. Le troisième fut fatal au pied d'un
éclaireur. Occupé à chercher les pièges pour cavaliers, il ne vit
pas la fosse remplie de petits pieux acérés...
Tzenk sentit la tension monter encore
d'un cran dans son détachement. Il entendait certains décrire les
tortures qu'ils prévoyaient pour leur faire payer ça. Durant la
journée, ils détectèrent une dizaine de chausses-trappes. Le soir
tomba sans qu'il trouve un bon endroit pour s'arrêter. Avec la nuit,
la peur augmenta d'un cran. Pour le pisteur, les ennemis ne devaient
pas avoir beaucoup d'avance sur eux. Préparer des traquenards
demandait du temps. Cela voulait dire aussi, qu'ils ne fuyaient pas
mais se repliaient en bon ordre. Tzenk avait conscience de ce fait.
Les traces ne montraient pas une grosse troupe, une dizaine tout au
plus. Il était sûr de pouvoir en venir à bout. Une question
restait. Cela pouvait être une simple bande en razzia, mais cela
pouvait être aussi les éclaireurs d'une armée. Il en discutait
avec le lieutenant quand une des bêtes s'effondra dans un bruit
sourd. Une flèche vibrait encore entre ses deux yeux. Tous les feux
furent couverts, toutes les lumières éteintes. Dans le silence, on
entendit distinctement le sifflement de la flèche et le râle sourd
de l'homme quand il la reçut. Tzenk entendit plusieurs de ses hommes
tirer dans la direction d'où venait le trait. Rien ne se passa. Une
autre flèche vola. Il y eut un autre blessé.
- Ce n'est pas possible, mon commandant
! Il voit la nuit !
- Qu'on envoie une flèche enflammée !
Un des hommes fit ce que demandait le
commandant. Le trait de lumière partit et alla se planter dans un
tronc à cinquante pas de là. Alors qu'il volait, une autre flèche
vint en retour pour se planter dans le bras de l'archer.
- Là, dans l'arbre, une silhouette !
Aussitôt une dizaine de flèches
partirent dans cette direction. On entendit les chocs d'impact. Il y
eut des bruits de branches cassées, de feuillages remués. D'autres
flèches partirent mais l'obscurité avait englouti l'ombre entrevue.
D'autres flèches enflammées furent tirées, bientôt un cercle de
lumière vacillante entoura le bivouac.
- Heureusement que la forêt est
humide, continuez à tirer qu'il ne puisse pas recommencer.
Quand une flèche s'éteignait, une
autre était tirée. Tzenk fit un tour de quart pour les hommes.
Lui-même alla se reposer pendant que le lieutenant prenait la
première veille. Il entendit les cordes vibrer au départ des
flèches. C'est le cri qui le réveilla. Se levant d'un bond, il
regarda autour de lui. Le cercle de lumière était complet et
pourtant un de ses hommes venait de s'écrouler. Tzenk jura. Non
seulement, ils semblaient ne pas être gênés par le noir, mais en
plus leurs arcs dépassaient ceux de son armée. Tout le monde s'était
mis à couvert. Derrière le cercle de lumière, les feuillages
bougèrent, puis le silence se fit. Tous les cavaliers étaient aux
aguets. Le reste de la nuit fut long, très long.
Ivoho rejoignit le groupe sur le petit
matin.
- Ils n'auront pas beaucoup dormi cette
nuit.
- Toi non plus, dit son konsyli. Pars
en avant, va jusqu'à la barrière rocheuse, là repose-toi. Nous
allons les occuper pendant ce temps.
Ivoho partit au petit trot.
- Ils vont être fatigués, dit un
konsyli.
- Oui, mais nous arrivons sur le
premier plateau et là nous sommes désavantagés.
Le groupe avait repris sa progression.
La vallée s'élargissait en un espace presque plat. On avait là les
plus lointains pâturages du village. L'herbe y était belle. Des
vastes terrasses aménageaient l'espace. Les cavaliers retrouveraient
l'avantage des montures rapides. Pour les piétons qu'ils étaient,
la zone était dangereuse. Ils traversèrent une série de
plateformes. Il n'y avait pas beaucoup de possibilité d'arrêter une
charge, de nombreux passages joignaient chaque niveau.
Courant toujours, ils traversèrent un
bois et atteignirent une zone plus raide aux terrasses plus étroites.
Les murs étaient beaucoup plus hauts et ne pouvaient être franchis
par les cavaliers que par des rampes qui alternaient d'un côté et
de l'autre. Pour les marcheurs qu'ils étaient, des échelles de
pierre leur permettaient de gagner du temps. Ils décidèrent de
piéger les rampes du haut...
- Cette forêt ne finira-t-elle jamais?
En posant cette question le sergent
résumait l'état d'esprit des soldats. Obligés de marcher à pied,
fatigués par les veilles nocturnes, l'humeur de la troupe n'était
pas bonne. Il fallait progresser lentement pour éviter les pièges.
La moitié de la matinée était passée sans que le moindre piège
ne soit trouvé. Les éclaireurs signalèrent le changement de
topographie. Tzenk arriva au bord de la forêt. Manifestement, ils
arrivaient à proximité de la ville du haut. Ces terrasses n'étaient
pas naturelles. En pente douce avec des petits murets de soutènement,
elles devaient servir de pâtures ou de champs. Il n'y avait pas de
trace d'utilisation récente, mais à cette altitude, la neige
persistait encore en de nombreux endroits. Les paysans du coin
n'avaient pas dû encore venir ici. L'espace dégagé, l'absence de
possibilité de piège fit remonter le moral. Tzenk envoya des
éclaireurs vers le bois visible au loin. Lui-même attendit le gros
de la troupe.
Les cavaliers se remettaient en selle
quand un messager arriva.
- Ils sont là ! Ils sont là !
criait-il.
Tzenk sentit l'adrénaline monter dans
ses veines. Les éclaireurs avaient vu un petit groupe, cinq
personnes, sur l'autre groupe de terrasses. Ils semblaient en train
de creuser une fosse dans une des pentes de jonction.
- Allons-y mais en silence !
Le groupe avança rapidement. Les bêtes
et les hommes piaffaient. Ils arrivèrent au bois. Tzenk fit
installer sa troupe en ordre d'attaque. Il vit avec plaisir que
malgré la fatigue, ils n'avaient perdu ni leurs habitudes, ni leur
combativité. A travers les branchages, il voyait les cinq hommes
creusant le sol. Il vit dans leur dos les arcs courts, il vit le
faisceau des lances un peu en retrait.
Un éclaireur s'approcha de lui et
murmura:
- Je n'ai vu aucun autre ennemi...mais
on ne voit pas après la quatrième terrasse.
- Faites passer : que trente hommes
nous nettoient cette racaille.
Les trente premiers cavaliers se
préparèrent.
En entendant le bruit sourd des sabots
battant le sol, les cinq guerriers ennemis se redressèrent. Tzenk
admira l'entraînement. Il n'y eut aucune hésitation. D'un même
mouvement, ils prirent chacun leurs deux lances courtes et se
précipitèrent vers le mur de la terrasse suivante et...
l'escaladèrent.
C'est à ce moment qu'il repéra les
escaliers faits de pierres en saillie.
- Les archers, tirez !
Le groupe de vingt archers qui avait
pris position à l'orée du bois, tira une volée de flèches. Aucune
n'atteignit son but. Une deuxième volée suivit la première pendant
que les cavaliers se rapprochaient au galop. Le dernier à prendre
pied sur la terrasse supérieure trébucha sous l'impact et s'étala
une flèche dans la cuisse. Les quatre autres se mirent en position
et tirèrent sur le détachement qui passait en dessous de leur
position. Tzenk jura quand il vit trois hommes blessés et une bête
qui s'effondra entraînant son cavalier. Les guerriers ennemis
n'avaient pas attendu. Repartant vers la terrasse suivante, ils
escaladèrent les marches de pierre, aidant leur blessé qui continua
vers l'amont. La charge ne s'arrêta pas au bout de la terrasse, mais
prenant la pente, les bêtes lancées au galop continuèrent leur
progression dans l'autre sens sur la terrasse supérieure. Pendant ce
temps, les archers envoyaient volée de flèches sur volée de
flèches, mais la distance les rendait très imprécises. De nouveau,
il y eut quatre cavaliers mis hors de combat, un blessé et trois
chutes. Le scénario se reproduisit. Tzenk voyait le blessé monter
de terrasse en terrasse pendant que les quatre autres tiraient sur
les cavaliers. Au troisième passage, un des cavaliers, avait
délaissé sa lance et pris son arc. Il blessa un ennemi. Tzenk cria
sa joie. On voyait l'homme, une flèche dans le flanc, tenter de
rejoindre l'escalier suivant. La charge le cueillit alors qu'il avait
gravi deux marches. Tzenk entendit son cri d'agonie, et il vit
disparaître les autres. Au-dessus qu'y avait-il?
- A tous les hommes, chargez !
Tous les hommes éperonnèrent leurs
montures. Tzenk compta sept terrasses. Le premier groupe était sur
la quatrième quand lui était sur la première. Trop près des murs,
il ne voyait pas ce qu'il se passait au-dessus. Il poussait sa
monture au maximum de ses possibilités. Arrivé sur l'avant dernier
degré, il tira sur les rênes de toutes ses forces en voyant le
premier groupe d'attaque redescendant avec des blessés. Des hampes
de flèches sortaient des corps effondrés sur les encolures. Tzenk
compta une quinzaine de cavaliers. Il démonta quasiment au vol et
saisissant son arc, il escalada les marches de pierres saillantes
pour voir au-dessus. Les autres soldats firent de même sur les
différents escaliers répartis le long du mur des terrasses. Ils
découvrirent un long espace vide, au milieu duquel des montures
erraient sans cavaliers. Quelques corps étaient allongés par terre
hérissés de flèches. Il y avait trop de flèches pour quatre
hommes ou même pour dix.
C'est alors qu'il les vit.
Quiloma était heureux d'être arrivé
à temps. Dès que Mlaqui lui avait fait son rapport, il était parti
avec tous les hommes disponibles. C'est au pas de course avec une
double charge qu'ils avaient couvert le chemin qui descendait vers
Tichcou. Arrivés à la première barrière rocheuse, ils avaient
découvert les terrasses en contre-bas. Le chemin était abrupt et
les cavaliers ne pourraient pas le monter facilement. C'était un
endroit idéal pour installer une défense. Il commençait à faire
les préparatifs quand il vit arriver Ivoho. Avec ces nouvelles
informations, il changea de stratégie. Il laissa deux mains de
guerriers pour couvrir leur retraite éventuelle et avec le reste
descendit se positionner en bas de la barre rocheuse. Dans les
touffes de végétation basse, ils étaient quasiment invisibles. Il
vit arriver le blessé, il boitait bas avec une flèche dans la
cuisse. Puis ce furent trois de ses hommes, deux konsylis et Mazoména
courant à perdre haleine. La terrasse était large, très large,
trop large pour qu'ils distancent les montures qui venaient de faire
leur apparition à une des extrémités de la terrasse. Quiloma prit
son arc, immédiatement imité par les vingt guerriers. La charge fut
stoppée par une grêle de flèches aux pointes acérées avant
qu'elle ne puisse atteindre les trois fuyards. A la première volée,
ils s'étaient même arrêtés pour tirer à bout portant sur les
cavaliers surpris. Mazoména évita de peu une lance ennemie. D'un
même geste, il avait lâché son arc, tiré ses épées courtes et
coupé les jarrets de la bête. Dans le combat au corps à corps qui
l'opposa au cavalier tombé, il prit le dessus. Il l'achevait quand
Quiloma et une partie des guerriers sortirent pour pousser le cri de
guerre des guerriers du royaume du Dieu Dragon.
Quiloma vit les archers monter sur le
mur de la terrasse. En voyant Tzenk, il fut certain de voir leur
chef. L'uniforme chamarré se détachait du lot. A sa ceinture la
longue épée reflétait trop bien les rayons du soleil. La garde en
était manifestement ouvragée et décorée. Pour ses ennemis,
Quiloma ne présentait pas de signe visible. Son anneau au doigt et
les quelques traits de couleurs sur son uniforme couleur de forêt,
le rendait semblable aux autres. La situation était pour le moment
bloquée. Les arcs ne portaient pas assez loin, des piétons contre
des cavaliers n'avaient aucune chance, d'autant plus qu'ils n'étaient
que quatre mains de guerriers alors que Mlaqui avait parlé de deux
fois dix mains de cavaliers. Il fit un geste et tous regagnèrent
l'abri des arbustes.
Tzenk vit le mouvement. Ce petit homme
devait être le chef de la bande. Pour le moment la situation était
bloquée. Tzenk se doutait qu'il n'avait pas vu tous les hommes
cachés dans les buissons de l'autre côté de la terrasse. Il lui
fallait avancer mais vu la puissance de tir et la précision des
archers, il allait y avoir beaucoup de victimes. Il fit faire un
essai à ses archers. Des flèches furent tirées le plus loin
possible. Elles se plantèrent plus de vingt pas avant les buissons.
Tzenk vit un des guerriers d'en face sortir de son abri pour venir
chercher la flèche et la ramener à son chef. Bientôt, il vit un
archer s'avancer de vingt pas sur la terrasse herbeuse. Il visa
soigneusement, leva son arc et tira. La flèche vint se planter à
moins d'un pas devant lui.
- Nous défie-t-il, mon Commandant?
- Je ne sais pas, lieutenant. Mais
leurs arcs sont plus puissants que les nôtres. Nous ne pourrons pas
faire partir la charge de cette terrasse, il faudra commencer la
course dans la pente. Nous devrions pouvoir les charger avant la nuit
et nettoyer cette racaille. Je pense qu'ils se croient à l'abri dans
leurs buissons, mais nous allons leur montrer comment les tracks
chargent. Ils n'auront pas le temps de tirer plus de deux flèches
que nous serons sur eux. Faites préparer les hommes.
Quiloma vit l'officier disparaître
dans les escaliers vers la terrasse inférieure. Il fit le geste de
rassemblement. Les konsylis arrivèrent.
- S'ils tentent quelque chose, c'est
maintenant. Après la nuit sera trop proche. Leurs montures semblent
rapides. Il faudra tirer plus vite que d'habitude. Nous sommes quatre
mains, ils sont deux fois dix mains. Avec ceux que vous avez éliminés
nous allons nous battre à quatre contre un. Préparez-vous.
Se tournant vers le chemin, il fit
signe à Zothom.
- Préviens les deux mains restées
au-dessus. Si nous sommes vaincus, il leur faudra tenir le plus
longtemps possible et envoyer un message au Prince Majeur.
Il regarda Zothom, escalader le chemin
en boîtant. Ils n'avaient pas eu le temps de retirer la pointe de la
flèche de sa cuisse. Quiloma pensa à la Solvette. Il aurait bien
aimé continuer un bout de chemin avec elle. A quatre contre un, la
chance était faible. Reprenant sa place, il cria et tous les
guerriers reprirent en chœur:
- Pour la gloire du Dieu Dragon, qu'il
nous vienne en aide.
Tzenk entendit leur cri pendant qu'il
ajustait la selle de son tracks.
- Entendez comme ils tentent de cacher
leur peur. Sa majesté le roi Yas compte sur nous pour nettoyer cette
contrée. Faites-lui honneur!
Cent bouches crièrent leur envie de
tuer. Les tracks s'énervaient de l'ambiance. Ils allaient pouvoir
galoper et c'est tout ce qui comptait pour eux. Quand ces lourdes
bêtes se mettaient en action, la terre tremblait sous leurs sabots.
Tzenk savait qu'ils seraient à leur pleine vitesse avant d'avoir
parcouru la moitié de la terrasse. Il ajusta son armure, ses
jambières puis monta en selle. Dégainant son épée, il fit un
signe à sa troupe. Tous les hommes furent en selle en un instant.
Ils se rangèrent cinq par cinq pour se lancer dans la pente. Ils
savaient qu'ils se déploieraient pendant la charge. Quand Tzenk
abaissa son épée en hurlant l'ordre de charger, un grondement sourd
prit naissance.
Quiloma sut avant de les voir qu'une
charge arrivait. Il avait senti les vibrations du sol. Ce fut comme
un flot qui jaillit de la pente. Une première volée de flèches fut
tirée, pour aller loin. Elle ne fit pas beaucoup de dégâts. Les
archers n'attendirent pas de savoir ce qu'elle avait fait pour
envoyer la deuxième. La troisième serait en tir tendu pour stopper
le plus de bêtes. Avec un peu de chance il y aurait une quatrième
salve, et puis ce serait le combat rapproché.
Attrapant sa troisième flèche,
Quiloma l'encocha et arma. Son bras retomba.
L'odeur, la merveilleuse odeur se
rapprochait. Volant assez haut pour en suivre les effluves, le
dragon, de son œil perçant en vit l'origine. Un troupeau de clachs
comme disait l'être debout Kyll. Il plongea. Son arrivée sur la
pâture provoqua la panique dans le troupeau. Non, ce n'était pas
des clachs, ou alors des clachs des plaines. Il fut étonné de les
voir montés par des êtres debout. Lancées au galop, les lourdes
bêtes ne pensèrent qu'à une chose en voyant et en sentant le
dragon : fuir, fuir le plus vite et le plus loin possible. Le dragon
vit les hommes tenter de maintenir leur monture sans y parvenir. Déjà
la moitié des cavaliers était à terre, et les autres avaient fui.
Seul restait en selle celui qui tenait ce qui l'avait attiré. Le
dragon vit l'or de l'épée ainsi que la pierre qui l'ornait. Il ne
les vit pas vraiment, car l'être debout tenait la chose à deux
mains. Il en vit l'aura de son désir. D'un coup de patte, il
désarçonna le cavalier. Ce dernier fit un roulé-boulé et se mit
hors de portée. Le dragon, tout occupé par sa recherche, ne prêta
pas attention aux hommes qui arrivaient la lance à la main pour
défendre leur officier. Quand la première lance s'enfonça dans son
aile le dragon poussa un cri. Il tourna la tête et vit ces êtres
debout, tout de rouge auréolés, voulant sa mort. Il hurla sa colère
vis-à-vis d'eux. Ils insistèrent d'autres lances se plantèrent.
Bougeant frénétiquement les ailes, il déstabilisa la majorité de
ses agresseurs. L'homme à l'épée s'était remis debout. L'odeur,
l'odeur était là, à portée de lui. Le dragon sentit la rage
monter en lui. Il en fit son souffle brûlant. Ce fut sa première
flamme. Lui-même en fut surpris. Cette nuée ardente ne laissa
aucune chance aux hommes qui l'attaquaient. Il n'y eut plus sur la
terrasse que des morts, un dragon et un officier debout. Ce dernier
avait récupéré un des lourds boucliers de bois sur un tracks mort.
Il faisait face. Il savait qu'il n'avait aucune chance mais il
faisait face. Tous ses hommes étaient morts ou en fuite, en face de
lui un monstre de légende plein de rage. Il allait mourir mais pas
sans combattre. Il se précipita en avant en se disant qu'il risquait
moins le feu en étant contre la bête. Son épée s'abattit sur un
des doigts du dragon. Sous le choc, le dragon rentra une griffe, mais
explosa une partie du bouclier. L'autre partie disparut dans sa
gueule quand l'homme s'en servit pour se protéger. Un coup de griffe
le déchira dans le dos descendant jusqu'à sa cuisse. Tombant à
genoux, il leva une dernière fois son épée mais le dragon de son
autre patte le cloua au sol. Détachant l'épée de la main, il jouit
de la possession de ce nouveau trésor. Cette chose avait moins de
puissance que son anneau précieux, mais son odeur en était plus
qu'agréable. Il pensa que ces êtres debout qui avaient de l'or et
des pierres étaient peut-être une source pour compléter son
trésor. La douleur commença à se réveiller. Lui revint en mémoire
la douleur quand il avait conquis l'anneau. Trouver des trésors
devait-il être toujours douloureux? C'est à se moment qu'il les
remarqua. D'autres êtres debout sortaient des buissons, armés eux
aussi.
Le dragon gronda. Un être debout
s'avança. Il mit un genou en terre et levant les bras montra un
bâton rouge. Le dragon sentit un bâton de pouvoir. Manifestement,
il n'était pas entier et manquait de puissance, mais celui qui
l'avait fait savait ce qu'il faisait.
- Qui es-tu, être debout?
- Quiloma, prince neuvième du Grand
Royaume, détenteur d'un des fragments du Maître Bâton.
- Viens-tu du pays de l'être debout
Mandihi?
- Le marabout Mandihi est un grand
maître dans le Grand Royaume.
- Tu ne sens pas l'or, être debout
Quiloma. Pourtant j'en sens encore.
- Les hommes qui t'ont attaqué, maître
Dragon, en possèdent. Ils s'en servent comme monnaie.
- Ne recherches-tu pas l'or, être
debout Quiloma?
- Non, maître Dragon, mon peuple est
pauvre d'or mais riche du service auprès de ceux qui sont comme toi.
Désires-tu que nous soignons tes blessures?
- Sais-tu soigner les dragons?
- Notre peuple a cette connaissance et
il me l'a enseignée.
- Alors, être debout Quiloma,
j'accepte.
Quiloma s'approcha du dragon, il admira
sa couleur. Du rouge se glissait dans sa robe juvénile. Les flammes
qu'il avait produites, devaient être récentes. Le dragon n'était
pas mature mais il avait maintenant ses capacités d'adulte. Quiloma
fit signe à ses hommes de ramasser l'or qui pouvait rester sur les
combattants morts, ainsi que ce qui pouvait être utile. Pendant
qu'ils s'éloignaient avec quelques guerriers, il débarrassa les
ailes du dragon des pointes de lance qui y étaient fichées. L'œil
jaune les fixait. Sortant un baume de son sac à dos, Mlaqui
entreprit de masser les plaies. En entendant le sourd ronflement qui
sortait de la gorge du dragon, il s'arrêta. Quiloma lui fit un geste
impérieux. Mlaqui reprit son ouvrage en jetant des regards pas très
confiants vers le dragon qui fermait à moitié les yeux. A voix
basse, Quiloma lui dit :
- Il est content, il ronronne.
Cela ne dura pas, levant brusquement la
tête, il gronda :
- Je sens l'or et certains y touchent !
- Oui, maître Dragon, nous servons les
dragons depuis des générations. C'est pour cela qu'il n'y a pas
d'or chez nous, il vous est réservé. Comme le dit notre Règle,
nous allons collecter ce qui est trop petit pour le maître Dragon.
Vois celui qui tisse le panier qui te permettra de l'emporter jusqu'à
ton domaine.
- J'espère pour toi, être debout
Quiloma, sinon mon courroux sera grand.
- T'ai-je menti, maître Dragon?
- Pas encore, être debout Quiloma,
mais je reconnais que tes soins sont forts appréciables.
Le dragon se laissa faire sans pour
autant quitter des yeux, ceux qui récupéraient armes, bagages et or
sur les dépouilles.
- Là-bas, des êtres debout nous
regardent, dit le dragon.
Quiloma regarda vers l'extrémité de
la terrasse. Des têtes semblaient surgir du mur pour redisparaître.
- Ils ne reviendront pas, maître
Dragon. Pas tant que tu es là.
Les premiers guerriers revinrent
déposer des pièces d'or sous le museau du dragon. Celui-ci ne les
quittait pas des yeux. Sa haute stature dominait toute la terrasse.
Pendant que Mlaqui et Quiloma prenaient soin de ses ailes, les autres
rassemblaient les corps des morts en un seul tas.
- Nous avons fini, maître Dragon.
Notre Règle dit que les dragons brûlent le corps des ennemis morts.
Veux-tu procéder ainsi?
- N'y a-t-il plus d'or à récupérer ?
- Tout est dans le panier. Veux-tu que
je mette l'épée avec?
- Fais ce que tu dis, être debout
Quiloma, je vais me restaurer, ces clachs des plaines semblent
appétissants.
Sous le regard effaré du lieutenant de
Tzenk qui regardait, le dragon engloutit l'une après l'autre
plusieurs carcasses de tracks. Il le vit revenir vers les corps de
ses compagnons que les barbares avaient mis en tas. Il ne put retenir
un cri quand il vit que le souffle brûlant du monstre consumait les
dépouilles. Ne pouvant en supporter davantage, il donna l'ordre de
repli aux survivants. C'est de leur récit que les vieilles légendes
purent se nourrir pour reprendre force. Le roi Yas fit même venir le
lieutenant à sa cour pour avoir le rapport d'un témoin oculaire.
Ayant d'autres priorités qu'une vallée perdue, il n'envoya qu'une
petite troupe avec pour mission d'ériger un mur pour couper la route
aux barbares. C'est à cette époque que surgit à nouveau la légende
qui promettait gloire, puissance et royaume à celui qui serait
vainqueur du dragon. Dans la tête de nombreux chevaliers de la cour
du roi Yas, naquit le désir d'aller occire ce monstre.
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