dimanche 8 juillet 2012


Quiloma pestait contre la boue partout présente. Ses hommes pataugeaient, mal à l'aise dans cette chaleur. Les lunes étaient passées, la pluie venait et revenait sans cesse. La neige fondait, laissant apparaitre la terre. Les habitants du village commençaient les travaux extérieurs. Ils remontaient les murets qui en avaient besoin, réparaient les terrasses. Quelques troupeaux avaient fait leur apparition dans les champs les plus bas. Quiloma se déplaçait encore avec difficulté. Cette chasse au Crammplac avait été plus éprouvante qu'il ne le craignait. Il aurait préféré être mort que de rester encore handicapé comme il l'était. Il sentait aussi qu'une partie de lui se révoltait contre l'idée de la mort. La Solvette continuait à occuper ses pensées. Sans ses remèdes et sa tendresse, il ne serait pas aussi bien. Son ventre très rond, laissait augurer que la naissance ne tarderait pas. Quand il lui avait dit qu'il espérait un fils, elle avait souri en lui expliquant que ce serait une fille parce que telle était la tradition des marabouts d'ici. Comme si cela ne suffisait pas à ses ennuis, il n'avait pas de nouvelle du Prince Majeur. Il gérait la situation comme il pouvait. Cela ne le contentait pas. Il souhaitait des ordres. Ses soldats lors d'une chasse pour avoir de la viande, avaient vu le juvénile. C'était lui, à n'en pas douter dont les charcs parlaient. Il était loin de sa maturité, mais il était déjà impressionnant. Malgré ses difficultés Quiloma avait participé à d'autres chasses. Il l'avait vu aussi. Il était déjà grand. Un aussi beau spécimen devait avoir vécu plusieurs fois la saison sans nuit. Quiloma avait été étonné de le voir rater un clach, comme un bébé. Une pensée fugace lui traversa l'esprit, mais il la repoussa comme impossible. Vu sa taille, il ne pouvait pas être un bébé, sinon il avait sous les yeux un futur géant. Quand il était parti de la capitale, personne ne parlait de dragon vivant. Maintenant il en avait un sous les yeux en permanence ou presque. Il avait envoyé un messager au Prince Majeur pour le prévenir. Aucune réponse n'était venue. Maintenant que la saison pluvieuse avançait, le dragon volait de plus en plus fréquemment près du village. Les villageois avaient paniqué la première fois, puis leurs sorciers avaient dit quelque chose. Tout le monde s'était calmé et avait repris ses activités. Il restait méfiant quand même. Ces villageois étaient potentiellement un danger, d'autant plus grand que ses hommes commençaient à pactiser avec eux. Sans le dragon, il serait reparti avec sa phalange. Ils n'étaient pas adaptés à la chaleur, ni à une situation d'occupation. Leur équipement ne supporterait pas les températures des terres chaudes. Il allait, là aussi, devoir prendre des initiatives. Il ne pouvait pas laisser un dragon sans personne pour le servir en cas de besoin. Il se remémorait les règles qui régissaient les relations entre les dragons et les hommes. Un juvénile ne pouvait être la réincarnation du Dieu Dragon. Mais était-ce un dragon libre ou un dragon lié? La réponse était de la plus haute importance. Il en avait fait part au Prince Majeur. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier n'avait pas répondu. La question était cruciale pour lui aussi. En attendant, il surveillait. Des patrouilles essayaient de repérer sa grotte. Un dragon avait toujours un trésor. Il était plus prudent de savoir où pour ne pas y aller et empêcher les fâcheux de s'en approcher. Il n'était pas bon de mettre un dragon en colère.
Chez Chountic, le malch noir coulait à flot. Pour une fois, elle avait fait un bébé qui ressemblait à quelque chose. Il n'était pas chétif, mais bien membré. Dans la brume de son ivresse, il le voyait déjà lui succéder. Ce n'est pas l'aîné, ce minus souffreteux qui pourrait tenir la maison, quant au deuxième, ce Brtanef, on ne savait même pas d'où il venait. Et puis, il ne se sentait pas à l'aise en sa présence. Chountic était tellement content qu'il avait même accordé à sa femme le droit de faire venir un sorcier pour faire les rites de protection à la maison. Quand il avait vu arriver le Maître Natckin, il avait été flatté. Tout le monde serait obligé de reconnaître sa valeur puisque les sorciers lui envoyaient leur maître pour officier. Chountic ne doutait pas que si le maître sorcier Kyll avait été là, c'est lui qui serait venu.
Sealminc était heureuse. Cet enfant était un rêve incarné. Depuis des lunes, elle était libérée de l'intimité de son mari. Elle n'avait aucune envie de reprendre des relations avec cet homme brutal et toujours plein de malch. Natckin, lui, était plein d'attention à son égard. Il était celui qui avait réveillé ses premiers émois de jeune fille. Après la vie les avait séparés, chacun avait suivi sa route. Ils étaient maintenant tous les deux dans la classe dominante de la ville. Leur situation restait quand même fragile. Sealminc devait donner une descendance à Chountic et Natckin suivre les règles des sorciers. Par eux-mêmes, ils ne possédaient rien. Depuis la fête des rencontres, ils étaient riches de leur relation mais fragiles de leur secret. Au temple, tout se passait bien. Les sorciers l'avaient adoptée, au point qu'elle avait le sentiment de leur soutien et de leur discrétion. Chez elle, la prudence était de mise. Son cœur s'était affolé quand elle avait vu Natckin arriver pour la cérémonie de protection. Elle n'avait pas osé en rêver. Malheureusement, cette visite était comme un glaive à double tranchant. Le bonheur de se voir était contrebalancé par la difficulté à cacher leurs émois. Après la visite du maître sorcier et sa rencontre avec Sealminc, les serviteurs ne doutèrent pas. C'est Miatisca qui pensa qu'elle avait peut-être un moyen de progresser dans la vie. Elle subissait le maître depuis le début de la grossesse. La tradition permettait au mari de prendre une servante de couche jusqu'au retour du sang chez sa femme. Mais parfois, le maître gardait la servante de couche pour en faire son épouse. Miatisca se voyait bien dans ce rôle.
Kalgar entendait annoncer les naissances autour de lui mais aussi parfois les déceptions d'un enfant mort-né, ou d'une grossesse qui n'aboutissait pas. Il tremblait intérieurement pour Talmab. Deux grossesses si rapprochées étaient une bénédiction des dieux mais une épreuve pour la mère. Il ne disait rien, ne montrait rien mais multipliait les offrandes devant son autel dans la forge pour que tout se passe bien. La grossesse lui semblait longue et Talmab bien fatiguée. Il avait pris une servante de la maison de Bartone pour aider sa femme et pour la sauver de la mendicité. Si la forge était son domaine, il était toujours un peu mal à l'aise dans la maison. Talmab sentait bien que son époux s'inquiétait, même si comme d'habitude, il ne disait rien. Elle multipliait les gestes de tendresse dans l'espoir de le rassurer. Bien que fatigante, la grossesse se passait bien. Et puis, Kalgar en engageant Cifalt l'avait bien soulagée. Efficace et douce, elle savait bien la décharger des travaux de la maison. Quand le travail commença, ce fut elle qui l'aida le plus efficacement en gérant le grand gaillard paniqué qu'était devenu Kalgar.
Chan notait au fur et à mesure les naissances. Il dessinait les symboles sur le mur pour que la mémoire en soit conservée. Chaque naissance donnait lieu à une petite réjouissance. Il savait bien que ce qu'on attendait maintenant, était la fête de la dernière neige. Quand toutes les rues seraient débarrassées de l'hiver, les sorciers prépareraient un grand rituel pour la nomination des enfants qui avaient survécu à leur premier hiver et qui étaient sevrés.

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