dimanche 30 juin 2013

Lyanne s'attendait à être attaché mais pas à être ainsi emballé. Il n’appréciait pas la situation mais comme il l'avait provoquée... Il comprenait la nécessité des guerriers noirs de le traiter comme cela. Leurs choix étaient limités. Quand il se trouva devant Yaé, il se rendit plus sensible au ressenti du prince. Où en était la lumière en lui ? Si le regard d'or que Lyanne porta sur lui le déstabilisa, il vit bientôt les ténèbres intérieures de l'homme reprendre le dessus. Il n'eut aucune amélioration de son sort. Au contraire, il avait eu l'impression que ses actions avaient augmenté la détermination de ses geôliers à aller jusqu'au bout de leur démarche. La seule solution était de se laisser aller. Il se mit dans un état second, annulant tout tonus. Il était comme sorti de lui-même. Aussi mou qu'un corps mort, il avait inquiété l'un ou l'autre des porteurs. Invariablement la question était :
- Il est mort ?
Yaé ou Filmon répondaient et rassuraient le guerrier. Lyanne avait curieusement une vue extérieure de la situation. Il était le dragon mais sans son corps. Un dragon immatériel se déplaçant sur un autre plan et avec un autre rythme que les humains. Si son corps humain respirait, sa conscience était en vol au-dessus. Comme il n'était pas détaché à chaque arrêt, il ne retrouvait son corps que par moment. Il se refusait à devenir dragon en chair et en os avant d'avoir vu Jorohery. Le combat aurait lieu à ce moment là et pas avant.
Il regardait courir les guerriers noirs au milieu des Gowaï. Il les écoutait quand ils pensaient être discrets au point de berner les autres. Il riait intérieurement lui qui avait influencé les Manonka pour qu'ils disent ce qu'il fallait dire et que la phalange noire puisse progresser. Tout se mettait en place, comme il l'avait envisagé. C'était la partie la plus simple. Les guetteurs des phalanges devaient déjà donner l'alerte. Il sentait monter la tension en lui. Faire Shanga était exigeant. On pouvait y laisser sa vie si cela se passait mal. Dans les grottes aux dragons, il avait vu. Le cas était déjà arrivé une autre fois. Il y avait eu confrontation entre deux candidats qui se disaient « roi-dragon ».  Cela avait fini en bain de sang et le royaume avait été affaibli pendant plusieurs générations. Il n'y avait eu aucun gagnant, que des perdants. Lyanne redoutait cela. Bien sûr il avait passé les premières épreuves et avait des preuves de sa puissance de roi-dragon, mais qui était vraiment celui qui se dressait en face de lui pour réclamer le pouvoir pour un autre ? Il entrevoyait la vérité. Si tel était le cas, le combat serait rude.
Tout en remuant toutes ces pensées, il se faisait léger sur les épaules de son porteur. Il fallait arriver avant le lever du soleil. Il repéra en passant le grand crammplacs et son cavalier. Eux aussi étaient là. Jorohery serait prévenu de leur présence. S'il était ce qu'il pensait, alors il réagirait comme il le prévoyait.
Ils approchaient du camp des phalanges. Lyanne le sentait. Il profita d'être sur de larges épaules pour retourner un peu dans ce corps humain qui lui sembla bien engourdi. Cela le contraria. Il fallait qu'il soit efficace rapidement à leur arrivée. Il activa les muscles les uns après les autres. Doucement il sentit le tonus revenir, avec la circulation. Sa peau et ses extrémités lui piquaient et le démangeaient. Il prit cela pour un encouragement à continuer. S'il voulait achever Shanga, il fallait en passer par là.  

jeudi 27 juin 2013

Se tournant vers son compagnon, Trascoïa grondait sa colère.
- Traiter le Roi-dragon comme cela ! Je les aurais bien déchiquetés !
- Je sais, dit Sagria, mais ce sont ses ordres. Cela se passe comme prévu. Il nous faut rejoindre les autres.
Le grand crammplacs se mit en mouvement. Ses foulées rapides et bondissantes l'éloignèrent rapidement du lieu de la rencontre. Ils devaient rejoindre la horde. Ils avaient bien travaillé, rassemblant le plus grand nombre possible de guerriers et de crammplacs. Les Grands Traîneaux avaient fourni la majorité des hommes, un peu trop jeunes peut-être pour être de parfaits combattants, mais déjà très endurants et s'entendant parfaitement avec les grands fauves qu'ils montaient.
Leurs rôles étaient de se positionner entre les phalanges et le grand désert mouvant. Ils avaient repéré l'endroit. Une petite colline était le centre prévu du dispositif. Un premier groupe devait l'escalader et parader en haut pour qu'on le voie. Les autres devaient se mettre en retrait en bas sans se cacher en une ligne de part et d'autre.

- Le Manonka a dit. Ceux qui sont habillés comme la nuit sont passés à côté de nous. Ils pensent que nous ne les avons pas vus.
- Ceux qui sont habillés comme la nuit sont stupides. Le dagon a dit et nous avons écouté. Nul ne peut nous compter. Afysi sait et guide bien...
La conversation entre les deux chefs de pods continua pendant qu'ils marchaient. Ils étaient l'élite des Gowaï. Afysi, le roi de toutes les tribus avait donné à chacun des ordres de marche. Ils devaient se déployer comme un mur entre les phalanges et le reste du pays. La plaine devait avoir l'air couverte de Gowaï. Les Manonka bruissaient régulièrement.
Les deux pods avaient relevé les traces des guerriers noirs et fait vibrer leur Manonka pour prévenir. Afysi avait interdit d'intervenir. Le dagon avait dit que tout se jouerait à la lumière du jour. Il avait dit les paroles et le chant de confiance. Le peuple Gowaï devait tenir la parole donnée. Même si tout ne se déroulait pas comme prévu, l'homme au cœur noir qui présidait aux destinées du peuple du dagon, ne ferait pas le poids devant la puissance de tous les Gowaï, même avec toutes ses phalanges.
La conversation s'orienta après sur ce qu'il fallait faire quand le soleil se lèverait. Les chefs des pods n'avaient pas bien compris. Afysi demandait que l'on fasse du bruit, beaucoup  de bruit, comme un défi. Ils avaient transporté les grands tambours de la saison chaude. C'est avec eux qu'ils allaient faire savoir à l'homme au cœur noir qu'il allait mourir.

Bouyalma avait vu arriver le grand crammplacs et son cavalier. Ils avaient discuté un moment des différentes options stratégiques. La phalange Louny ne pouvait pas tenir un grand territoire. Ils avaient choisi de tenir le passage qui menait au grand glacier. Si quelqu'un voulait se sauver par là,  il passerait devant eux, obligatoirement. Bouyalma avait même déclaré qu'il espérait que Jorohery passerait par là... qu'il puisse lui régler son sort une fois pour toutes. En faisant cela, il n'avait fait que résumer le sentiment de tous les guerriers de sa phalange. Le second de Sagria l'avait écouté et avec un sourire lui avait dit que non. Jorohery fuirait par le désert mouvant et ce serait eux, l'armée de hommes-crammplacs qui lui réglerait son sort. Tout le monde avait ri à cette boutade. Chacun était bien conscient des forces en présence. Les phalanges ensemble étaient une armée redoutable et Jorohery en était le chef. Tout le monde savait que les princes avaient prêté serment au Prince-Majeur et que ce dernier avait donné l'ordre d'obéir à son Bras. Bouyalma voulait croire à la force du Roi-dragon mais il ne voyait pas comment il allait faire sans combattre.
Il avait mis la phalange en marche à la première veille de la nuit. Ils étaient sur le bord du glacier et ne risquaient pas de rencontrer une crevasse. Monocarna avait trouvé des lichens phosphorescents dans une grotte non loin de leur lieu de campement. Ils avaient bricolé des lanternes qui leur donnaient une lumière juste suffisante pour voir en pleine nuit où ils mettaient les pieds. Il y avait eu quelques chutes sans gravité. Un konsyli avait soulevé la question du manque de discrétion. Même faibles, ces lueurs pouvaient se voir de loin. Bouyalma avait répondu :
- Le Roi-dragon y compte bien. S'ils nous croient nombreux, cela n'en sera que mieux.
Pour essayer de le faire croire, Bouyalma avait imposé de laisser de l'espace entre chaque guerrier quand ils avaient franchi le col qui menait vers la plaine en contrebas.
- Il faut que cela dure longtemps et que les guetteurs en bas pensent à une grande troupe qui descend.
Pendant qu'ils faisaient cela, Bouyalma et certains konsylis étaient descendus reconnaître le passage plus bas. Ils avaient trouvé ce qu'ils cherchaient. Le terrain formait une cuvette que surplombaient des rochers, idéal pour un combat. Bouyalma commença son inspection pour voir comment il allait pouvoir disposer ses hommes. Ici les combats seraient rudes mais ils avaient une chance de bloquer la progression des autres. Il restait une inconnue : comment ses guerriers se comporteraient-ils face à ceux qui étaient comme eux ?

lundi 24 juin 2013

Le groupe courait à petites foulées rapides. Sans aller très vite, il ne s'arrêtait pas ou peu. Des pauses rares et courtes mettaient Lyanne dans un inconfort important. Les deux mains d'hommes furent rejointes petit à petit par les autres de la phalange noire. Les relais pour porter le prisonnier furent plus nombreux. On s'arrêtait le temps de le changer d'épaules et on repartait. Yaé les rejoignit en fin de matinée. Ils suivaient une piste sinueuse marquée par les signaux laissés par les éclaireurs qui étaient partis devant. Alors que le soleil était haut dans le ciel, la colonne se figea. De la course, on passa à la progression à petits pas sous le couvert d'une sombre forêt. Si Lyanne ne voyait rien, il entendait et sentait la tension qui existait dans le groupe. Les Gowaï se déplaçaient non loin. Commença une espèce de jeu de cache-cache. Par une à trois mains d'hommes, les guerriers noirs se glissèrent entre les unités de Gowaï qui allaient vers les positions des guerriers bancs.
- Si tu te fais remarquer, ce javelot est pour toi, avait prévenu Filmon. 
Lyanne avait grogné une réponse qui pouvait passer pour un oui. Il était en travers des épaules du plus large des guerriers de la phalange. Même avec cette charge, ce dernier courait et bondissait aussi vite que les autres. En quelques accélérations, ils furent dans une autre forêt. Plaqués contre les troncs, ils attendirent sans bouger le passage d'une troupe de Gowaï. Lyanne avait été plaqué contre un tronc. Il sentait la tension du guerrier noir à la pression du javelot dans son dos. Si les Gowaï les voyaient, il était embroché.
Sûrs de leur force, les Gowaï avançaient sans se soucier d'eux. Quand la troupe fut passée, ils reprirent la route, Lyanne toujours en équilibre sur une épaule comme un vulgaire sac de grain. Le soir arriva, ils étaient en avant des lignes ennemies. Lyanne entendit Yaé discuter avec son second à voix basse.
- On aurait dû le tuer sur place et ramener son corps, disait le second.
- Jorohery n'aurait pas été content. Il le veut vivant.
- Je n'ai aucune confiance dans le prisonnier. Vous l'avez vu à l’œuvre. Sa capture a été trop facile.
- Les javelots noirs ont un grand pouvoir et puis Jorohery a besoin qu'il soit en vie pour la cérémonie qu'il doit faire pour que vive notre roi-dragon et non cet imposteur.
- Nous n'aurons pas beaucoup de temps ! Les Gowaï sont sur nos talons.
- Les messagers sont partis depuis midi. Demain matin quand nous arriverons, tout sera prêt. Quant aux Gowaï, ils arriveront juste à temps pour vivre leur plus grande défaite...
Après de trop courts instants de repos, malgré la nuit, ils repartirent. La faible luminosité les rendait presque invisibles. Ils couraient maintenant dans la toundra qu'était la plaine sans culture. S'ils tenaient le rythme, ils arriveraient au camp à la dernière veille de la nuit. Ça et là quelques plaques de neige faisaient des taches blanches qu'ils évitaient soigneusement. Ils ne voulaient pas se faire repérer.
Aussi blancs que la neige, deux yeux les regardèrent passer.

vendredi 21 juin 2013

Lyanne avait volé une bonne partie de cette journée brumeuse. Il avait vu les princes-second mais il manquait un élément à son puzzle. S'il sentait la présence des différents protagonistes, il en cherchait un particulièrement. Il le repéra alors que se couchait le soleil. Il eut un sourire. Il vira sur l'aile et cracha son feu, illuminant les nuages. Les guetteurs de la phalange Louny verrait le signal et préviendrait Bouyalma qui allait pouvoir agir.
Il se laissa tomber pour atterrir dans une petite clairière. Il s'immobilisa, tous les sens en alerte. Il resta un moment comme cela. Rien ne bougeait. Il ne ressentait aucune présence en dehors des animaux. Lentement, il se mit en marche. La lumière diminuait rapidement maintenant. Pas gêné par la nuit, il avança d'un bon pas. Il ralentit en sentant la présence qu'il recherchait. Il sourit. Il allait rencontrer celui qu'il était venu voir. Il s'arrêta pour ressentir ce qu'il se passait. Ceux qu'ils cherchaient étaient un peu plus loin. Il réfléchit à ce qu'il devait faire. Il ne voulait pas trop les surprendre...

Les guerriers de la phalange noire retournaient vers le camp. Ils venaient de faire une patrouille sur les bords de la plaine. Ce qu'ils avaient vu les inquiétait. Le prince voudrait sûrement en informer le Bras du Prince-Majeur. Les Gowaï allaient faire mouvement. Le temps du combat approchait. Silencieux et invisibles dans la nuit, ils progressaient sur un tapis d'aiguilles de résineux. Ils se bloquèrent soudain. Ils venaient de sentir la fumée d'un feu. Quelqu'un bivouaquait dans ces collines. Avec d'infinies précautions, ils s'approchèrent. Ils n'étaient que deux mains d'hommes. En cette période, tout ce qui n'était pas ami était ennemi. Ils découvrirent un homme seul qui se chauffait à un feu. Il était sous un surplomb à l'abri du vent. Un homme seul ici ! Ils pensèrent à un messager, mais un messager n'aurait pas fait du feu. Le bonhomme semblait tranquille avec son bâton de marche posé à côté de lui. À un moment il se leva pour aller chercher du bois et en remettre dans le feu. Le konsyli faillit s'étrangler. L'imposteur ! C'était l'imposteur, là devant eux, seul. Il devait avoir sacrément confiance en lui pour faire cela. Il fallait réfléchir à la manière de le capturer ou de le tuer. Ils se retirèrent plus loin pour mettre au point une tactique. Les konsylis voulaient le capturer vivant pour le ramener au prince. Lui saurait ce qu'il fallait faire. Vu la configuration du terrain, il fallait essayer de le prendre en tenaille. Les buissons étaient très proches de l'abri. La surprise pourrait être totale. Ils décidèrent d'envoyer Filmon sur le rocher au-dessus à tout hasard. Il fut décidé d'agir avec précaution sans précipitation, la nuit était jeune et le temps était avec eux. Si l'imposteur s'endormait sa capture n'en serait que plus facile.
Avec beaucoup de précautions, ils se remirent en position autour de l'abri sous roche. L'homme s'était appuyé sur la paroi. Il avait rassemblé des aiguilles en un matelas et semblait somnoler. Sa tête dodelinait doucement. Les guerriers noirs attendirent, immobiles. Le temps passa. Les nuages couraient dans le ciel, découvrant ou cachant la lune. L'homme ne bougeait pas.
Quand le signal arriva, tous les guerriers se mirent en mouvement sans bruit. Les konsylis se retinrent de pousser un cri de joie quand ils virent que l'homme était maîtrisé. Filmon avait recouvert la tête et les épaules d'une toile pour entraver tous les mouvements.
Ils sursautèrent en entendant la voix de l'homme. Elle était douce et calme.
- Savez-vous ce que vous faites ?
Un des konsylis lui répondit :
- Tu te croyais très fort, mais ici dans cette forêt, tu t'es bien fait avoir !
- Et si je me révoltais ?   
- T'as pas intérêt, dit l'autre en pointant son arme sur lui, j'ai un javelot noir et si je le plante, t'es mort ! C'est le Bras du Prince-Majeur qui l'a dit.
- Si le Bras du Prince-Majeur l'a dit...
Le konsyli posa son arme sur la toile qui immobilisait Lyanne :
- Tiens-toi tranquille ou gare à toi ! Le prince te préfère vivant mais mort tu feras aussi bien l'affaire
Il n'y eut pas de réponse.
Les ordres claquèrent brefs et précis. Lyanne fut emporté comme un paquet. La marche fut rapide et les arrêts courts. Au matin, ils furent en vue du camp de la phalange noire.
Après s'être identifiées, les deux mains d'hommes se présentèrent devant la tente du prince. Ils avaient remis leur prisonnier sur ses deux pieds. Un konsyli tenait toujours un noir javelot contre le flanc de Lyanne. Filmon portait le bâton de pouvoir, le marteau de combat et le couteau trouvés. Ils patientèrent ainsi un bon moment. Puis brusquement la toile de tente s'entrouvrit laissant le passage à Yaé :
- Alors ?
Après avoir fait le salut rituel, un konsyli s'approcha :
- Nous avons l'imposteur, mais les Gowaï font mouvement.
- Enlevez-lui la toile, mais gardez le javelot.
Pendant que les hommes s’exécutaient, Yaé donna des ordres pour faire mouvement. Le camp ressembla bientôt à une fourmilière. Chacun à sa place préparait le départ.  
Yaé regarda Lyanne debout devant lui. Il soutint le regard d'or. Ses yeux se troublèrent légèrement. Il se ressaisit.
- Jorohery sera content, dit-il d'une voix qu'il voulait ferme.
- Et toi, prince, le seras-tu quand le pays que tu aimes sera devenu aussi noir que tes habits ?
Yaé se mit à rire :
-Tes paroles sont sans effet sur moi ! J'ai vu le Prince-Majeur devenu Roi-dragon, Jorohery me l'a montré. Il sera très content de te voir. Tu es la pièce manquante pour que puisse venir le règne du Roi-dragon.
- Et tu crois ce prince du mensonge ? Que sais-tu de lui ?
Yaé ne répondit rien. Il  se tourna vers le konsyli :
- On part. Il faut rejoindre le Bras du Prince-Majeur. Allez maintenant, nous suivons dès que nous sommes prêts.
Ayant dit cela, il se retourna et partit vers d'autres tâches.
- T'as entendu, dit le konsyli en appuyant un peu plus dort le javelot sur le dos de Lyanne, En route !
Sans plus attendre, ils se mirent en route.

mardi 18 juin 2013

Vrestre venait de rentrer dans son abri. Prince-second, il venait de finir une réunion, une de plus, avec les princes-troisièmes. Le moment décisif semblait approcher. Les éclaireurs et autres avant-gardes avaient ramené des nouvelles graves. Les Gowaï étaient en grand nombre. Eux aussi devaient penser que le lieu et le temps de la confrontation étaient arrivés. Heureusement, toutes les phalanges étaient là. Vrestre comprenait mal le Bras du Prince-Majeur. Lui aurait bien attaqué plus tôt pour ne pas laisser le temps aux ennemis de se préparer. Jorohery était focalisé sur cet imposteur qui se disait roi-dragon. La phalange de Yaé l'avait, paraît-il, repéré. Pourtant depuis leur arrivée ici, ils n'avaient relevé aucun signe de sa présence. À force de tergiverser, les Gowaï avaient eu le temps de faire venir beaucoup de combattants. Ils campaient à une ou deux journées de marche derrière les collines. Les patrouilles de reconnaissance n'avaient pas vu de meutes de crammplacs dans les campements qu'ils avaient pu inspecter. Quand Vrestre avait soulevé l'importance du nombre, Jorohery avait balayé l'argument d'un geste du bras.
- Nous aurons l'avantage quand l'imposteur sera éliminé... Les Gowaï tirent leur force de sa présence. Dès qu'il sera éliminé, l'ordre du Prince-Majeur régnera, car c'est lui le vrai roi-dragon !
Jorohery avait fait distribuer de lourds javelots noirs. Vrestre s'était étonné de leur nombre. Ils n'étaient pas dans le convoi qui avait passé les fjords. Le Bras du Prince-majeur disposait d'une magie puissante, pensa-t-il. Ses aides de camp l'aidèrent à se préparer et se retirèrent. Il en vit un comme à son habitude, se coucher sur le bas de la fourrure de crammplacs qui fermait le passage, ses deux épées à portée de la main. Vrestre s'allongea. Demain, peut-être y aurait-il combat ? Il en ressentit une certaine excitation.
Quand il se réveilla quelque chose n'allait pas. Il faisait encore nuit. S'il y avait une silhouette dans son abri de glace, elle n'avait pas les caractéristiques de son aide de camp. Une curieuse luminosité baignait la pièce.
- Qui êtes-vous ? dit Vrestre en sortant son épée.
L'homme tourna vers lui un regard d'or. Il posa un bâton au sol. Celui-ci laissa s'échapper des volutes aussi dorées que ses yeux.
- Tu es prince-second et tu poses cette question. Que diras-tu à tes vassaux quand ils te la poseront ?
Vrestre debout, sentait sa main trembler. Dans sa tête, tournait un kaléidoscope d'images, de sensations, de souvenirs.
- Est-il possible... ? dit-il.
- Regarde ! dit Lyanne.
Se tordant, se liant, se séparant, se réunissant à nouveau, les volutes dessinèrent mille et une figures sous le regard figé de Vrestre. Intérieurement, il sentit le bouleversement arriver. Ce fut un maelström d'émotions ataviques. Sous ses yeux défilait ce qu'il avait toujours su, le savoir immémorial de son peuple. Quand cessa le phénomène, Vrestre savait. Lâchant son épée, il mit genou à terre.
Au bruit du métal sur le sol, le garde accourut. Il vit son prince à genoux en signe de soumission. Il fouilla la pièce du regard, elle était vide. Vrestre jeta sur lui un regard vide, puis sembla prendre conscience de sa présence.
- Tu peux retourner te coucher, Smael. Il n'y a pas de danger.
Voyant l'hésitation de l'homme, Vrestre ajouta :
- Le Dieu Dragon est venu me visiter. Gloire lui soit rendue !
- Graph ta cron ! dit Smael en repartant.
Vrestre se recoucha, tout en restant songeur. Comment le roi-dragon était-il arrivé et parti ? Il y avait là aussi une magie. Comment allait-il faire face à Jorohery ? Et puis qui était vraiment Jorohery puisque, maintenant, Vrestre en était persuadé, le Prince-Majeur n'était pas le roi-dragon ?
Ce dont Vrestre ne pouvait se douter c'est de l'effet de ses paroles sur Smael. Celui-ci ne put garder la joie et la fierté qu'il ressentait pour lui. Le Dieu-Dragon avait rendu visite à son prince. La nouvelle était inouïe, immense, merveilleuse... Il manquait de mots. Il en parla avec les autres gardes qui en parlèrent à d'autres et bientôt dans toutes les phalanges sous le commandement de Vrestre circula le bruit de cette visite. Toute une gamme de rumeurs circula, allant de la victoire sur l'imposteur à la reconnaissance de Vrestre comme roi-dragon. Une seule chose était sûre : Vrestre détenait maintenant la vérité. Dans le camp, tous attendaient sa parole. Comme un seul homme, ils le suivraient et jusqu'à la mort s'il le fallait.
Avec Falker, ce fut encore plus simple. Alors qu'il se réveillait, il vit Lyanne. Dès qu'il rencontra le regard d'or du roi-dragon, il fit acte de soumission, genoux à terre.
- Les légendes disaient vrai ! Mon roi est devant moi. Graph ta cron !
Son dernier cri alerta son aide de camp. Ce dernier passa la tête derrière la fourrure tenture et découvrit l'incroyable lumière dorée qui régnait. Son prince était à genoux, comme hypnotisé par ce qu'il regardait. Il fit comme lui et tourna son regard vers...
Ce fut un choc intérieur, en lui passèrent toutes les images de toutes les légendes. Quand cela s'arrêta, il ne savait pas si cela avait duré un instant ou une vie. Il savait mais il s'aperçut qu'il avait du mal à le dire quand il voulut le raconter à ses camarades. Il multiplia les comparaisons et les images pour finir par dire que le Dieu-Dragon était avec eux et que le vrai Roi-dragon allait venir, et que Jorohery n'était sûrement pas ce qu'il disait. Pendant que se répandait le bruit de cette visite dans la partie du camp sous les ordres du Prince-second Falker, ce dernier était parti se recoucher et dormait d'un sommeil profond et réparateur.
Nyagorot avait choisi de rester près des montagnes. Il avait trouvé, ou plus exactement ses éclaireurs avaient trouvé une grotte dont il avait fait son camp de base. Quand Lyanne arriva dans l'endroit où il dormait, il ne se réveilla même pas. Il le regarda. Son teint rouge lui rappela Chountic.  Il grimaça intérieurement. Un prince-second sous l'influence des boissons fermentées n'était pas un exemple. Naygorot aimait le luxe. Contrairement aux gens de la plaine qui aimaient l'or, dans le Royaume blanc on préférait ce qui était signe de pouvoir. C'est ainsi que Nyagorot avait choisi de se déplacer avec tout son confort. Il dormait sur un lit. Son simple transport avait dû mobiliser une armée de serviteurs. Toute la vaisselle que Lyanne découvrait autour de lui sur des étagères démontrait la même chose : Nyagorot était Prince-second. Le roi-dragon regarda longuement le dormeur. Il soupira puis un sourire naquit sur son visage. Il posa son bâton de pouvoir sur le sol et l'y enfonça. Immédiatement des volutes dorées en émergèrent et s'écoulèrent comme un ruisseau emplissant la pièce de leurs tourbillons. Comme des serpents qui auraient trouvé leur proie, elles convergèrent vers Naygorot quand l'une d'elles le toucha.
Caché sous le lit en bon serviteur prêt à satisfaire tous les besoins de son maître, Mlion se mit à trembler. Il s'était réveillé quand la lumière avait augmenté dans la pièce, inquiet de savoir ce qu'il allait encore devoir faire pour satisfaire les caprices de ce prince. La découverte de cet étranger aux yeux d'or l'avait sidéré. Incapable du moindre mouvement, il avait vu ces serpents de lumière s'approcher de lui, le palper le contourner et monter vers le prince. Bientôt ils l’enveloppèrent, le soulevant de son lit. Il vit son maître flotter au milieu de l'espace, des faisceaux de lumière dorée sortant par tous les orifices. Mlion ferma les yeux un instant pensant qu'il faisait un cauchemar. Quand il les rouvrit, il sursauta. La pièce avait disparu. Le prince flottait dans un espace fait d'images mouvantes de dragons et de guerriers blancs. L'étranger avait disparu. À sa place un grand dragon rouge parlait d'une voix douce :
- Regarde Nyagorot, regarde bien. Ce que tu vois est vrai et tu le sais. Regarde bien l'histoire de ton peuple et de ta famille. Apprends ce que tu dois apprendre. Laisse la vérité t'emplir maintenant, ainsi tu n'auras plus besoin de t'emplir d'autre chose.
Mlion regardait tour à tour le dragon et le prince. Ce dernier semblait agité de soubresauts. La voix du dragon continuait à s'écouler doucement comme le murmure d'un ruisseau. Mlion perdit contact avec la réalité et s'endormit. 
Brusquement il se réveilla. Il faisait nuit, au-dessus de lui, son maître dormait. Il poussa la tenture qui fermait l'espace sous le lit et se leva. Tout semblait normal et pourtant, ses sens lui disaient le contraire. Il avait fait un drôle de rêve. Était-ce cela qui le perturbait ? Il regarda le prince et eut un sursaut. Sa peau était parcourue de fines irisations dorées qui luisaient dans la pénombre. Il s'approcha. Alors, il comprit ce qui l'avait réveillé. La respiration du prince avait changé. Il ne ronflait plus. Il dormait paisiblement. Était-il possible que le Dieu-Dragon lui-même soit venu ? Il regarda le sol. Là où le bâton avait été planté, il y avait un trou dans la roche. Lui qui priait chaque jour le Dieu-Dragon de le protéger du prince, était maintenant convaincu. Il avait été écouté et exaucé.
- Graph ta cron ! Murmura-t-il, Graph ta cron !
Il sortit de la pièce pour en faire part à Grard, son meilleur ami. Il fallut moins d'une journée pour que la nouvelle fasse le tour des phalanges du prince Nyagorot. La nouvelle courut d'autant plus vite que ce dernier ne but rien de fermenté de toute la journée et ne se mit même pas en colère.

samedi 15 juin 2013

Les Gowaï furent surpris du retour de Lyanne. Pourtant ils étaient restés en alerte depuis leur passage de la porte. Ils attendaient un dragon et c'est un homme qui était arrivé silencieusement.
- La lumière arrive, avait-il dit, préparez-vous.
Il les avait guidés sur ce terrain fait de glace et de failles par un chemin aux multiples détours. Si en ligne droite, le bord du glacier était tout près, ils eurent besoin d'une journée de marche pour arriver sur la roche nue. Ils avaient connu des frayeurs plus ou moins fortes. Certains ponts de glace s'étaient effondrés après leur passage. Parfois il avait fallu sauter au-dessus d'une crevasse juste un peu trop large. Heureusement les cordes avaient toutes tenu. La plus grande peur qu'ils avaient vécue, était quand une main de guerriers avait glissé. Le roi-dragon, vif comme un éclair rouge, avait stoppé leur chute et les avait ramenés sur le chemin entre ses griffes. Le grand glacier avait protesté de toute sa puissance en tremblant et bougeant. Tout le monde s'était jeté à plat ventre le temps que cela s'apaise. Monocarna avait dit en se relevant :
- Les esprits du froid voulaient un sacrifice et volaient des hommes. Ils sont en colère.
- Je sais, Monocarna, avait répondu Lyanne. Le Grand Glacier est vassal et je suis maître.
Lyanne avait alors planté son bâton de pouvoir dans la glace. Celui-ci avait vibré entraînant le sol avec lui. C'était une vibration rapide comme celle d'une corde de courdy. Elle se propagea tout autour d'eux. Un bourdonnement prit naissance. Ce fut comme si le glacier se mettait à chanter le chant douloureux de celui qui, se croyant maître, découvre qu'il doit obéir. Par petits mouvements secs sous leurs pieds, la glace bougea. Un chemin se dessina.
Quand tout fut calme, Lyanne reprit son bâton. Le bourdonnement cessa. Il se remit en marche. Ils purent atteindre la moraine sans autre incident. Le soir tombait quand ils montèrent le campement.
Bouyalma s'approcha de Lyanne qui mangeait. Il salua et sur l'invitation de son suzerain, il parla :
- Quelle est la stratégie pour la bataille ?
- Quelle est ta pensée ? répondit Lyanne.
- Les Gowaï sont près d'ici avec toutes leurs troupes. Le chef du pod m'a dit que des meutes de crammplacs poilus se tenaient non loin. Nous pouvons prendre les phalanges entre nous comme dans une pince. La phalange Louny serait le fer de lance de l'attaque et porterait la mort au centre de l'armée de Jorohery.
- Ton rêve est d'en découdre ! Combien cela fera-t-il de morts chez ceux du Royaume qui est le mien ?
- Ils ont trahi !
- Les choses sont toujours moins simples qu'il n'y paraît. Ton plan a le mérite d'exister et le mérite de sa simplicité. Peut-être sera-t-il nécessaire ? Prépare-le. Le Shanga est un rite de vie. Y inviter la mort serait le pervertir.
Ils restèrent un moment sans parler. Lyanne regarda vers le couchant où disparaissait le soleil.
- La nuit tombe. C'est dans l'obscurité qu'on voit mieux la lumière. Va, Bouyalma. Envoie les messagers et prépare le combat. Cette nuit, j'ai à faire.

mercredi 12 juin 2013

De ses yeux d'or, Lyanne regarda le soleil qui se levait. Les jours précédents avaient été sombres. Le vent et les bourrasques semblaient avoir mangé la lumière. Il se tourna vers Monocarna :
- Le temps est venu. Nous partons pour la plaine des Grands Vents.
Le marabout sourit. Il sentait que les forces de la terre étaient à l’œuvre. Le combat serait victorieux ! Il essayait de ne pas douter. Les légendes étaient obscures sur ce point. Si elles parlaient beaucoup des rois-dragons qui avaient fait de grandes choses, elles étaient beaucoup plus discrètes sur les échecs. Pourtant il y en avait eu. Monocarna soupira en s'éloignant. Les chefs de pod étaient venus prendre les ordres, puis Bouyalma qui tenait à savoir ce qu'il devait prévoir pour ceux qui resteraient.
Lyanne distribua ses instructions :
- Nous partirons quand le soleil sera haut. Attendez-moi !
Ayant dit cela, il décolla pour aller chasser. Il ne se sentait pas d'aller au combat le ventre vide. Tout en volant, il pensa à ce qu'on lui avait décrit de la plaine des Grands Vents.
Du côté du soleil levant, on trouvait le désert mouvant. Sa surface devenait solide en hiver, permettant aux grands traîneaux de se déplacer. Quand la température remontait, les lourds glisseurs devaient trouver refuge sur la terre ferme. Avant le « Chasseur », ils revenaient faire pousser les plantes vivrières dans la plaine. Maintenant, ils survivaient avec les aides venant de la Blanche et le peu de chasse qu'ils pouvaient faire. Survivre était le mot juste, puisque les hommes  servaient dans les phalanges et que seuls les femmes et les petits restaient à demeure. Du côté du Couchant était le pays Gowaï. Totalement inexploré, seules les légendes en parlaient. Nul n'avait dénombré le peuple Gowaï, nul ne connaissait vraiment sa force. Entre eux et la plaine des Grands Vents se trouvait une série de collines qui bouchaient la vue. Au midi, se trouvait une terre bouleversée faite de pics acérés formant des chaînes entrecoupées de fjords où coulait une eau saumâtre et noire. Des sources chaudes aux émanations méphitiques en gardaient la surface libre de toute glace. Plus loin, des chemins mieux tracés menaient vers la Blanche. C'est par là qu'allaient passer les phalanges. Le trajet était long, difficile et fatiguant, surtout pour toute une armée. Du septentrion descendait un grand glacier aux fissures mouvantes. Rien, ni personne n'y vivait, hormis peut-être les esprits du froid.
Alors qu'il revenait le ventre plein, Lyanne écouta le vent qui courait depuis le lointain. Il lui parla de troupes en marche et de combats à venir. Le temps de la confrontation était bien venu. Il allait savoir du savoir de celui qui a vécu. Il se laissa porter par le vent. Il survola le bord des Montagnes Changeantes. Il ajusta ses perceptions à ce monde en perpétuel devenir. Il observa au loin les gardiens figés dans leur rôle et le grand dragon noir et blanc qui semblait immobile. Il vit l’œil du grand saurien s'ouvrir, et eut l'impression de le voir sourire. Une brusque bourrasque l’empêcha de conclure. Il stabilisa sa trajectoire et commença à survoler les forêts qui formaient la frontière des Montagnes Changeantes. Il sentit la présence de la Groule et du monstre à deux têtes. Il en eut pitié.
Quand il se posa près du fort de la rencontre, nommé ainsi en l'honneur de la visite de Sonfa, les hommes et les Gowaï étaient prêts.
- Nous n'avons pris que trois jours de vivres, dit Bouyalma en jetant un regard désapprobateur à ce qu'il voyait. Nous devrons chasser sur le chemin. Si les crammplacs nous aident, nous irons vite.
Le roi-dragon entendit les sous-entendus. La plaine des Grands Vents était à de nombreux jours de marche. Bouyalma craignait un voyage long et dur.
- Tu as peur de manquer de vivres, Bouyalma. Je peux t'assurer que l'important est ailleurs.
Lyanne donna l'ordre du départ.
- Je pars devant avec Sagria et les siens, annonça-t-il. Vous suivrez au pas normal jusqu'à mon retour.
Le pod Gowaï aurait bien voulu suivre le dragon pour obéir aux ordres, mais celui-ci allait aussi vite que les crammplacs qui couraient à vive allure en se dirigeant vers la forêt. En maugréant, ils regardèrent le groupe s'éloigner. Lyanne guida la meute montée jusqu'à une clairière. Entre deux grands arbres, les branches semblaient dessiner un passage. Quand le roi-dragon passa au milieu, il disparut aux yeux de ceux qui le suivaient. Sans hésiter, tous passèrent entre les arbres. Lyanne était là devant marchant d'un bon pas, sans un mot, ils le suivirent. Ils avançaient dans un monde blanc mais terne, sans repère. Sans le roi-dragon, ils n'auraient pas su où aller. Sagria et Trascoïa ouvraient la marche de la meute. Rapidement, ils découvrirent qu'il les conduisait vers une lumière qu'on voyait au loin. Plus ils approchaient, plus ils en découvraient l'aspect solide. Si Trascoïa évoquait une construction des hommes, Sagria précisait que cela ressemblait à une des portes du palais du Prince-majeur. Lyanne s'arrêta à côté de la porte et leur dit :
- Allez vers le couchant en sortant. L'armée Gowaï est rassemblée et Afysi, leur roi, vous attend. Dites-lui d'attendre mon signal pour attaquer, tout en préparant ses troupes pour une bataille.
Une fois que le dernier crammplacs eut passé la porte, elle sembla fondre et disparut. Lyanne se remit en marche.
Bouyalma fut soulager de voir revenir le roi-dragon, le chef du pod Gowaï encore plus. Sans en avoir l'air, il compta les écailles.
Lyanne les guida vers la clairière où les grands arbres dessinaient comme un passage. La phalange de Louny et le pod Gowaï mirent leurs pas dans les pas de Lyanne quand il passa. Alors qu'ils marchaient dans un monde gris et terne, Bouyalma s'approcha :
- Où sommes-nous ?
- Là où le roi-dragon vous conduit.
- Mais quel est ce lieu que nous traversons ?
- Les rois-dragons sont maîtres des royaumes blancs. Les hommes n'en connaissent qu'un, les Gowaï en connaissent deux avec le monde d'où viennent les Manonka. Il en existe beaucoup. Ce chemin nous permet de faire comme l'autre chemin, celui que tu connais, mais plus vite et avec plus de sécurité. Si vous pouvez y aller, vous ne savez pas le faire seul. Mon accompagnement vous est nécessaire.
Monocarna se rapprocha en les entendant parler :
- Ne peut-on pas s'y perdre ?
- Pour celui qui a le savoir, l'égarement est impossible.
Le temps s'écoula ou sembla s'écouler. Les repères manquaient pour savoir vraiment. Bouyalma pensa en voyant une lumière au loin qu'ils avaient marché toute une journée, mais quand il eut passé entre les montants de glace d'une porte ouvragée, il vit qu'il faisait nuit. Le vent soufflait et le déstabilisa un peu. Au sol une neige glacée sur une surface de glace lui fit penser à un paysage de montagne. Sans la lumière du jour, il ne vit pas où ils étaient.
Lyanne dit :
- Nous allons bivouaquer ici.
Se tournant vers Monocarna, il ajouta :
- Si tu sens les esprits du froid venir, fais ce qu'il faut pour les protéger.
Ayant dit cela, il déploya ses ailes et s'envola. Monocarna le regarda partir, ombre dans la nuit, pendant que les derniers de la phalange de Louny passaient le seuil de la porte.
Bouyalma s'approcha suivi du chef de pod :
- Où est-il ?
Monocarna répondit :
- Il est parti voir ce qu'il peut voir. Je sens la violence et la puissance en ces lieux, mais assez loin. Ne faites pas de feu ici. Quand se lèvera le soleil, nous irons dans un endroit plus sûr. Je vais veiller pour guetter les esprits du froid. Reposez-vous mais restez prêts à faire mouvement.

Lyanne voyait le grand glacier défiler sous lui. Il repéra une zone dégagée en bordure de la langue de glace. Légèrement en contrebas de la crête, elle mettrait la phalange à l'abri et du glacier et de ceux qui étaient dans la plaine.
Il contempla le ciel. Il restait un peu de temps avant que le soleil n'apparaisse. Silencieusement, il se laissa glisser au-dessus de la grande plaine.
Il découvrit l'armée du Royaume Blanc. Venant du midi, les phalanges s'étaient arrêtées après le dernier fjord. Éclairés par des torches, des guerriers construisaient un mur de glace. Aux yeux du roi-dragon, ils étaient comme autant de bougies qui s'agitaient.
Du haut des airs, il vit un endroit plus sombre bien que plus éclairé. Si les torches étaient plus nombreuses, les lueurs émanant des hommes étaient plus faibles, beaucoup plus faibles. Au centre un cercle de noirceur lui révéla la place de Jorohery. Il en sentit les perceptions qui le cherchaient. Il les évita. Le vent le poussa vers le couchant. Il ne lutta pas, se laissant aller sans forcer au-dessus de la vaste étendue. La saison des plantes était commencée. Il pensa que la bataille ne laisserait pas grand chose de toutes ces victuailles potentielles. Au loin il sentit la puissance de l'armée Gowaï. Si Jorohery avait amené toutes ses phalanges, Afysi avait déployé toutes ses forces en une ligne qui barrait tout l'espace comme une muraille vivante. 
Lyanne vira vers le grand glacier. Trouvant des vents plus favorables, il se laissa porter vers ceux qui l'attendaient. Au passage, il repéra une phalange tout habillée de noire, se dirigeant en toute hâte vers le midi.
Il fut heureux que Yaé soit là. Les grands traîneaux ne tarderaient pas. Alors tous les protagonistes seraient en place pour le dernier acte du Shanga.

vendredi 7 juin 2013

Yaé regardait le ciel rouge. La tempête approchait. Il jura. Il aurait voulu que Jorohery voie les traces du dragon. Quelque chose n'allait pas. Quand ils avaient quitté les Montagnes Changeantes, ils n'étaient pas arrivés où ils devaient aller. Ils avaient été désorientés jusqu'à la vision au loin d'un grand traîneau. Yaé avait alors compris qu'ils étaient dans la plaine des Grands Vents, sur le territoire des Matrones des Grands traîneaux. Il avait été très surpris de se retrouver là. Ce qu'il venait de vivre n'était pas un rêve puisque tous ses hommes et lui-même étaient maintenant revêtus de noir. Ils se détachaient sur la neige comme le nez au milieu de la figure. S'ils avaient vu le grand traîneau, les gens du grand traîneau les avaient vus. Puisqu'ils ne pouvaient se cacher, Yaé avait décidé de jouer sur sa présence. Il avait envoyé ses guerriers noirs patrouiller dans la plaine et relever les traces. Ils revenaient avec leur moisson d'informations. Les Gowaï étaient manifestement très présents dans ce lieu. Ils allaient et venaient en nombre, en grand nombre. C'était une véritable armée qui avait bivouaqué ici. Les pisteurs estimaient leur départ à une main de jours. Yaé avait redoublé les précautions. Un des pisteurs avait découvert une cache de vêtements. Une phalange avait mis là un dépôt de vivres et de matériel de rechange. Les Gowaï, malgré leur nombre, ne l'avaient pas trouvé, preuve de la qualité de ceux qui avaient préparé la cache. Le matériel avait des marques. Yaé reconnut la marque de Quiloma. Il sourit devant cette coïncidence. Quiloma était une légende vivante. Ses hommes lui étaient plus que dévoués. Son habilité et ses connaissances du terrain dépassaient celles de tous les autres princes-dixièmes. S'il avait ramené l'imposteur, il aurait été richement récompensé. Au lieu de cela, il s'était inféodé à ce dragon. Il avait scellé son sort, il était perdu, jamais le Bras du Prince-Majeur ne lui pardonnerait, à moins que ce ne soit le roi-dragon. Yaé avait repoussé cette idée. Il avait utilisé les vêtements blancs pour camoufler ses hommes. Ils avaient pu aller plus loin, plus discrètement. Les nouvelles qu'ils avaient ramenées n'étaient pas bonnes. Il avait vu l'armée des Gowaï non loin. Elle semblait attendre. Yaé était prêt à se retirer quand, enfin, ils avaient découvert les traces du dragon. Non seulement il voulait accaparer le trône, mais il pactisait avec les Gowaï. C'est du moins ce que les pisteurs avaient conclu en analysant les marques laissées. Jorohery lui avait donné des javelots noirs. Ils avaient deux utilités. La première était d'être les armes capables de venir à bout du dragon et la deuxième était de pouvoir envoyer un signal. Yaé avait suivi les ordres. Le dragon traînait par là, il fallait prévenir. La Blanche était plus loin de la Plaine des Grands vents que l'autre côté des Montagnes Changeantes. Yaé ne savait même pas si le Bras du Prince-Majeur saurait où il devait se rendre, mais avec Jorohery tout était possible et puis le Prince-Majeur le guiderait. S'il était bien le Prince-Majeur... Yaé avait repoussé aussi cette idée. Lui qui n'avait jamais douté de ses missions et de son engagement sentait en lui monter des interrogations. Il était mal à l'aise avec lui-même. Pour combattre cet ennemi intérieur, il appliquait, renforçait la discipline et appliquait à la lettre les ordres.
Le signal était parti, comme un trait de lumière dans le ciel. Yaé avait été heureux de voir qu'il prenait la direction de la capitale. Il le suivit des yeux aussi longtemps qu'il put.
- Voilà, le Bras du Prince-Majeur est prévenu. La plaine des Grands Vents est à quinze mains de jours de marche. En attendant, nous allons chasser le dragon, dit-il à son second.
- Il y a beaucoup de Gowaï, avait répondu celui-ci.
- Ils sont nombreux, mais nous sommes les meilleurs. Nous sommes noirs, alors nous agirons dans la nuit.

mardi 4 juin 2013

Le jour se leva sur le fort. Un soleil rouge apparut.
- C'est signe de tempête, dit un des guerriers.
- Oui, d'ailleurs les Gowaï sont partis. Ils ont dû le sentir, répondit l'autre sentinelle.
Un bruit les fit se retourner. Lyanne inspectait les travaux qu'il avait lancés. Il avait décidé de faire du fort de glace un lieu de résidence. Il discutait avec Moune qui se révélait un excellent architecte. À côté du fort de glace, on commençait à deviner la forme que prendrait le bâtiment. La forêt non loin, fournissait les troncs nécessaires à la construction. Moune faisait partie des prisonniers délivrés. Il était très diminué à l'arrivée du roi-dragon au pays des orgres. Persuadé que sans cette intervention et son passage par une porte changeante, il serait mort, il avait fait de Lyanne plus que le roi. Il était prêt à tout pour le servir. Moune avait entendu les réflexions de Lyanne sur la beauté du lieu et sur la paix qu'elle engendrait en lui. Il s'était approché et ayant mis genou à terre, il lui avait proposé de construire une résidence. Lyanne l'avait regardé en silence un moment et lui avait dit oui. Moune était devenu le plus heureux des hommes. Le roi-dragon ne lui avait demandé ni ce qu'il avait fait, ni s'il avait des connaissances pour faire ce qu'il avait à faire. Le roi-dragon lui avait fait confiance. Il se rappelait de ce jour comme le plus beau de sa vie.
- Tu as le temps et la place, Moune. Je sais que tu aimerais faire un palais. Mon désir est autre, un lieu de repos serait parfait.
- Mais, mon roi, comment manifester votre grandeur sans faire d'étage ?
- J'entends le souci que tu as de ma gloire. Mon désir reste un lieu de repos.
Bouyalma attendait Lyanne à quelques pas. Il avait la responsabilité de la phalange Louny et maintenait entraînement et discipline. Il voulait que tous les guerriers soient dignes de leur roi. Il ne comprenait pas pourquoi Lyanne attendait. Il pensait que Jorohery avait tout le temps pour aller aux Grands Vents. Il voyait mal comment avec une phalange, ils allaient combattre l'armée. Lyanne ne semblait pas inquiet et s'occupait de la résidence.
Monocarana comme Lyanne, aimait ce lieu. Il y trouvait paix et équilibre. Il partait le matin vers un rocher non loin et restait immobile une bonne partie de la journée à méditer.
Le temps pour Lyanne s'était écoulé tranquillement entre la phalange qu'il entraînait, la construction qu'il surveillait et les vols qu'il allait régulièrement faire vers les Montagnes Changeantes.
La question que tous se posait était : « Qu'attend-il ? ». Jorohery avait eu tout le temps d'organiser sa riposte.
Dans le soleil rouge du matin, une silhouette apparut.
Un des gardes donna l'alerte.
Tout le monde fut sur le rempart sauf Lyanne qui était parti dans la plaine à la rencontre des arrivants. Voyant cela, tous coururent pour se mettre derrière le roi en position de combat. Lyanne fit un geste ordre. Comme un seul homme, ils obéirent, interloqués.
C'est au garde-à-vous qu'ils virent arriver une meute de crammplacs poilus. Des formes humaines chevauchaient certains d'entre eux. Arrivés à proximité de Lyanne, un homme démonta à la volée et mit genou à terre pendant que le crammplacs se mettait en position de soumission.
- Le seigneur Trascoïa et moi-même avons accompli la mission, oh mon roi ! dit Sagria.
Lyanne sourit en entendant cela. Ni Sagria, ni Trascoïa ne le virent, mais ils sentirent en eux le sentiment de plénitude d'avoir fait ce qui devait être fait.
Les deux mains d'hommes qui suivaient et les crammplacs qu'ils montaient se firent aussi soumission.
Le peuple des grands traîneaux avait répondu. Lyanne donna l'ordre du repos, puis fit rompre les rangs. Il sentit ceux de sa phalange mal à l'aise de la présence des grands crammplacs. Ceux-ci vivaient tranquillement la situation. Le roi-dragon était là. L'ordre revenait. Lyanne fit signe aux messagers de le suivre. Ils se dirigèrent à l'écart. Dans la glace on avait creusé des sièges et une table. Lyanne s'y installa, fit signe à Sagria qui s'assit pendant que Trascoïa prenait place à côté.
- « Tu as bien choisi, roi-dragon, l'homme aux cheveux de la couleur de nos fourrures est un cœur droit qui ne connaît pas le mensonge »
- Tu es un roi sage, mon roi ! J'étais un homme seul, je suis maintenant riche d'une amitié.
Lyanne sourit à nouveau :
- Celle dont la sagesse est grande, a-t-elle été heureuse de te voir ?
- Oui, mon roi. Une fois la surprise passée de voir les crammplacs nous avons été accueillis en ami.
- « Celles dont la sagesse est grande, ont partagé leur pêche avec nous. Nous avons partagé notre chasse avec elles »
Lyanne écouta Trascoïa et Sagria raconter leur mission. Les matrones qui dirigeaient le peuple des grands traîneaux avaient fêté la bonne nouvelle de l'arrivée d'un roi-dragon. On s'était réjoui plusieurs jours. La Matrone des matrones avait donné son accord au plan du roi-dragon. Les grands traîneaux étaient partis accomplir sa volonté. Trascoïa et Sagria étaient restés jusqu'à l'arrivée de la phalange noire. Après ils avaient repris le chemin du fort de glace pour rendre compte. Comme prévu, ils avaient laissé des traces pouvant faire penser qu'un dragon avait piétiné la neige.
Cachés de loin, ils avaient observé les guerriers noirs aller et venir. Ils les avaient vus découvrir les traces. Cela avait donné lieu à de multiples signes de réjouissances. Ils n'avaient pas compris ce que faisaient les guerriers noirs avec les javelots. Ils en avaient joint plusieurs en un faisceau. Puis le prince-dixième Yaé avait allumé un feu en-dessous. Une longue flamme orange avait jailli vers le ciel. Sagria l'avait suivie des yeux. Elle avait fait un grand signe dans les nuages allant vers la Blanche.
Lyanne se fit préciser les temps.
- Cela correspond, dit-il, au moment où Jorohery a mobilisé les phalanges. En combien de jours êtes-vous revenus ?
- « Nous avons couru trois mains de jours en portant les guerriers »
- Bien, cela nous laisse encore un peu de temps. Vous avez bien agi. Maintenant vous allez vous reposer quelques jours et puis vous rejoindrez le peuple des Grands Traîneaux.
Lyanne regarda s'éloigner Sagria et Trascoïa. Ils ressemblaient à deux vieux compagnons de route. La magie des rois-dragons opérait. Bientôt dans la région du désert mouvant, il aurait une armée de crammplacs poilus et de guerriers blancs. La Matrone des matrones avait donné son accord. Les jeunes qu'elle n'avait pas envoyés aux phalanges depuis une saison intégreraient cette force pour la grande rencontre. Les phalanges allaient mettre douze à quinze mains de jours pour arriver dans la plaine des Grands Vents.
Lyanne regarda le ciel. De lourds nuages accouraient. Le vent forçait. Rester dehors allait devenir dangereux. Il rentra.