mardi 25 mars 2014

Il vola tranquillement dans la nuit noire. Il se demanda le sens de ce qui venait de se passer. Depuis qu'il était né tout semblait concorder pour l'amener vers l'accomplissement d'une destinée. Il avait pensé un temps que sa vocation était d'être roi-dragon. Depuis, il avait entrepris une autre quête. Degala émit un petit cri, détournant Lyanne de ses pensées. Il se pencha pour regarder le jeune garçon. Peut-être cauchemardait-il ? Le roi-dragon chercha des yeux un endroit pour se poser. Il repéra un feu, là-bas au loin. Il était même dans la bonne direction. Il en fut heureux. Se laissant planer, il atterrit doucement. Pourtant il y eut du remue-ménage, autour de lui. Les miburs s’égaillèrent dans toutes les directions. Un grand animal ressemblant beaucoup au snaff arriva en grondant, la gueule ouverte sur des crocs impressionnants. Pourtant dès qu'il sentit l'odeur du dragon, il repartit en courant et en gémissant :
- Qu'est-ce t'as, L'roucou ? D'habitude c'est toi qui fais peur.
L'homme qui arrivait avait une lance dans une main et une torche dans l'autre.
Lyanne portait Degala dans les bras et avançait tranquillement. L’homme le regarda d’un air mauvais :
- C’est toi qui mets mes miburs en fuite ?
- Je crains. Ils ont fui quand je suis arrivé.
- Ouais, mais L’roucou y t’aurait bouffé, donc y a qui d’autres.
L’homme avait posé sa torche et tenait sa lance à deux mains, prêt à faire face.
- Crois pas qu’j’vais m’laisser faire par des voleurs d’miburs!
- Je me suis perdu en voulant trouver un abri pour mon camarade qui a de la fièvre. Il a déliré un moment, mais je pense que le pire est passé. Je voudrais le poser. Je le porte depuis un bon moment.
- L’roucou, AU PIED !
Le grand snaff arriva la queue basse, gémissant à moitié mais obéissant. L’homme le regarda, regarda Lyanne.
- L’roucou s’est jamais trompé, il a toujours bouffé les mauvais, mais c’est ben la première fois que j’le vois comme ça. J’sais pas c’que tu sens, mais l’aime pas !
Lyanne fit un pas en avant.
- Bouge pas mec ! dit l’homme. Que j’regarde c’que t’as…
Lyanne ne bougea pas pendant que l’homme inspectait leurs maigres balluchons. Il se saisit de la dague et du marteau de Lyanne et du couteau de Degala.
- Comme ça c’est mieux… J’serai plus tranquille.
Il fit signe à Lyanne de passer devant lui. Il s’exécuta. Il posa Degala sur la paillasse, le laissant dormir.
- D’où tu viens ? interrogea l’homme. J’suis loin de tout ici et personne ne passe...
- Je suis forgeron et je loue mes services à qui me paye. Mon apprenti est tombé malade, il y a deux jours et depuis je cherche un abri. J’ai pensé prendre un raccourci pour la ville mais nous nous sommes perdus.
L’homme écouta tout en détaillant Lyanne à la lumière du feu.
- Fais voir tes mains !
Lyanne montra ses paumes de mains. L’homme regarda les durillons dus au marteau.
- Tu t’es sacrément perdu, mon gars ! Mais comme ça fait deux lunes q’j’ai vu personne, tu peux rester au moins pour la nuit. L’roucou émit un gémissement.
- TA GUEULE, TOI ! T’es même pas foutu de faire ton boulot. Allez, fous le camp !
Le snaff baissa la tête mais sortit dans la nuit noire.
- Ça, ça m’dépasse. J’comprends pas c’qu’il a.
- J’ai forgé un truc, pour le seigneur Etouble. C’est lui qui m’a fourni le métal et depuis je fais peur aux animaux. Je dois avoir une odeur particulière.
- C’est quoi ton nom ?
- Louny !
- C’est pas d’ici.
- Non, je viens de loin.
- Les forgerons, ça bouge pas beaucoup, d’habitude !
- C’est vrai. Je voulais voir la mer. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé d’une île avec un oracle à qui on peut tout demander… et j’ai des choses à lui demander.
- Ah ! tu veux voir la mer !
L’homme se mit à rire…
- L’est bien bonne celle-là ! En fait t’es un fou !
L’homme continua à rire, comme si ce qu’avait dit Lyanne était la meilleure des histoires drôles. Cela dura un bon moment, puis l’homme essuya les larmes qu’avaient amené ces éclats de rire.
- Bon, on va pouvoir dormir…
L’homme se leva, se dirigea vers un coin de la hutte, prit de la paille et étendit la zone déjà paillée où reposait Degala. Tout en travaillant, il dit :
- Mon nom c’est : L’vieux Jangmo.
- C’est un drôle de nom, répondit Lyanne.
- Avant j’en avais un autre mais j’l’ai oublié. Bon faut aller dormir…
Joignant le geste à la parole, il couvrit le feu et alla se coucher.
Lyanne attendit que la respiration de Jangmo soit devenue régulière. Sans bruit, il se leva. La nuit était étoilée. L’roucou se fit tout petit dans son coin. Lyanne s’approcha de lui en murmurant des paroles rassurantes. Le snaff prit une position de soumission que Lyanne accepta. Quand il eut fini, il s’éloigna un peu, et prit son envol. Rapidement, il trouva une porte vers les Montagnes Changeantes et atterrit à La Blanche. Là-bas l’aube pointait déjà son nez. Il alla retrouver le Prince-majeur et ses conseillers. Si la réunion fut courte, elle fut fructueuse, les objectifs prévus et les directives préparées.
- J’ignore quand je pourrais revenir. Je préviendrai comme je l’ai fait aujourd’hui. Tu remplis bien ta mission, dit-il au Prince-Majeur.
Akto, le poing sur la poitrine dans la position du salut à celui qui est votre maître, fut rempli de joie, plus qu’il ne pensait. Le roi-dragon le félicitait et il en était heureux d’un bonheur dont il n’avait jamais rêvé quand il pensait détenir tous les pouvoirs sur le Royaume. Il regarda Lyanne décoller et disparaître. Il n’était pas inquiet. Il le reverrait.
Les oiseaux chantaient déjà quand Lyanne se posa près de la cabane du Jangmo. Il s’approcha sans bruit pour trouver le vieux berger en train de faire sa toilette avec l’eau de la source qui coulait près de la hutte.
- T’es ben sorti tôt c’matin, dit-il.
- J’étais réveillé. Le sommeil m’a quitté.
- Ton p’tit va mieux  sa respiration est calme.
L’roucou s’approcha en rampant pour lécher les pieds de Lyanne.
- C’est ben la première fois, qu’j’vois ça. D’habitude l’est méchant.
L’vieux Jangmo se redressa s’essuya avec un linge et regarda Lyanne.
- Tu dois pas être normal, pour qu’y fasse ça. T’élève des snaffs ?
- Je suis un simple forgeron. Je cherche un oracle.
L’vieux Jangmo s’arrêta de se frotter le corps avec des herbes.
- Un oracle, tu dis ?
- Tu en connais un ?
- Par ici, y a bien la diseuse mais j’s’rais toi, j’y fierais pas.
- Elle radote ?
- Non, elle dit souvent n’importe quoi.
- Et plus loin…
- Ah ! Plus loin…
La voix du vieux Jangmo avait pris des accents nostalgiques.
- T’sais, tu m’vois là, mais j’ai pas toujours été là… J’ai bourlingué… quand j’pouvais...
L’homme se redressa et regarda le ciel.
- Va pas faire beau… On aura la pluie.
- Tu es un oracle, toi aussi ?
Il partit d’un grand rire :
- Nan ! C’est juste que j’vis ici d’puis longtemps. Tu lui veux quoi à l’oracle ?
- Je suis en quête mais j’ignore de quoi. Un oracle me le révélera.
- Alors y a p’têtre quequ’un…
Lyanne laissa Jangmo aller à son rythme. Ils rentrèrent dans la cabane. Il le vit farfouiller dans un placard pour en sortir des galettes.
- J’dois rassembler les bêtes, t’vas m’aider !
La journée se passa calmement. Lyanne fut heureux de s’occuper des bêtes. Seul L’roucou faisait un détour quand il approchait. Quand vint le soir, ils se réfugièrent dans la hutte avec l’arrivée de la pluie. Degala était nettement mieux. La soirée fut rythmée par le bruit de l’eau sur le toit. Peu de paroles furent échangées. Les trois hommes allèrent se coucher. Lyanne, les yeux ouverts, pensait à la suite. Jangmo avait quelque chose à dire. Il en était sûr. Il écouta les respirations lentes et régulières. Il se leva et sortit. La pluie tombait maintenant fine et régulière. Les miburs s’étaient groupés sous les frondaisons pour se protéger. Il repéra L’roucou qui était couché plus loin. Il s’éloigna un peu et s’envola. Vu d’en haut, la région était vallonnée. Une rivière coulait non loin de là. Il n’y avait ni maison, ni autre signe d’occupation humaine. Il était dans un désert de pâturages. Il repéra un troupeau de chienviens. Il plongea vers le sol, attrapant une bête au passage. Le troupeau se dispersa pour se regrouper un peu plus loin. Quand il eut avalé sa proie, il refit un passage, en capturant une deuxième. Cette chasse lui prit une bonne partie de la nuit. Il revint vers la hutte alors que le ciel se dégageait. Il vit quelques étoiles. Avec le jour, viendrait le soleil. En tout cas, il l'espérait. Quand il rentra dans la hutte, il vit le regard de Degala sur lui. Il lui fit signe de se taire et alla se coucher.
Le lendemain ressembla à la veille. Ils s’occupèrent des bêtes dans différentes pâtures. Il fallut aussi renforcer des barrières qui s'effondraient. Ils allèrent chercher des épineux assez loin. C’est comme cela que Lyanne se retrouva au bord de la rivière qu’il avait vue de haut.
- Où va-t-elle ?
- Ben, à la mer…
Il n’insista pas. Il la contempla un moment, lente et calme, l’eau entraînait quelques branches vers l’aval. Il se retourna en entendant les grognements de Jangmo. Celui-ci se battait avec des branches. Lyanne alla l’aider. Ils restèrent une main de jours et puis un matin :
- C’serait bon que vous partiez…
- Si tu crois que c’est nécessaire.
- Ouais, on va m’amener les provisions. Y z’aiment pas voir des étrangers.
- Tu me conseilles d’aller par où ?
- L’autre jour, tu m’as d’mandé où qu’allait la rivière. T’as qu’à la suivre. Et quand t’arriveras à la côte, demande l’île de l’oracle. T’en trouv’ras ben un qui sait.
Jangmo les regarda se préparer. Dès que les baluchons furent prêts, Lyanne et Degala les mirent sur leur épaule.
- Merci de ton accueil, dit Lyanne.
- T’es un bon compagnon. On a bien bossé ensemble. Allez, bon voyage ! répondit l’vieux jangmo en sifflant L’roucou et en se dirigeant vers les miburs.
Lyanne regarda partir le vieux gardien de troupeaux. Quand il fut assez loin, il fit signe à Degala et ils se mirent en route. Quand ils arrivèrent près de la rivière, il allèrent vers l’aval.

jeudi 20 mars 2014

Cela faisait quatre jours qu’ils marchaient. Lyanne avait interrogé Degala sur la mer. Il avait pris la route de Malemok. Cette ville était un carrefour important. Bien que serpentant un peu d’un village à l’autre, la route de Malamok allait vers le soleil levant. Degala était jeune, même s’il ne savait pas depuis combien de saisons il était sur terre. Lyanne découvrit que pour lui, les saisons étaient plus nombreuses. S’il connaissait l’hiver et l’été, il connaissait aussi le printemps, l’automne, la petite saison des pluies, la saison du vent, la grande saison des pluies. L’accueil dans les villages était juste acceptable. Comme souvent, on n’aimait pas beaucoup les étrangers. Si Lyanne avait un aspect curieux pour des yeux locaux, Degala se fondait bien dans le paysage. Il connaissait les us et coutumes les plus courants. En ce quatrième jour, la pluie les accompagnait. Si Lyanne s’en moquait, Degala était complètement trempé.
- C’est normal, mais ça ne va pas durer. Lors de la petite saison, ça tombe bien, mais ça dure pas. J’vais sécher.
Quand le soleil commença à décliner sur l’horizon, Degala n’avait toujours pas séché. Ils arrivèrent à une bourgade avec les derniers rayons du soleil. Lyanne décida de ne pas passer la nuit dehors. Il repéra l’auberge locale, infâme bâtisse qui lui rappela le Milmac Blanc, la première fois qu’il avait poussé la porte. Quelques pauvres lumières éclairaient une pièce basse. L’odeur était un mélange de sueur, de relent de nourriture mal digérée et de mauvais malch noir. Oui, il avait une chambre, oui, elle était libre mais non, on ne payait pas demain, on payait d’avance. Le marchandage s’engagea mais fut rapidement conclu. Degala claquait des dents. Lyanne se posa la question de savoir si il était malade ou simplement fatigué. Quand ils arrivèrent dans la chambre, les planches disjointes laissaient passer les courants d’air, la rendant glaciale. Un tas de paille servait de matelas et un vieux tonneau pouvait faire office de table. L’aubergiste leur laissa une mauvaise bougie, fumant sans éclairer. Lyanne coucha Degala, l’enveloppant dans la seule couverture qu’ils avaient. Il toucha la bougie de son bâton de puissance. La flamme gagna en intensité et surtout en chaleur. De petites volutes rouges s’en échappaient pour venir entourer Degala qui déjà dormait.
Avait-il bien fait de prendre cet enfant avec lui ? S’il était malade, il allait falloir ralentir. Il resta là pensif un moment, puis alla dans la salle pour manger. Il y avait un peu de monde. Les hommes revenaient des champs et s’arrêtaient pour boire avant d’aller dans leur maison. Ils lui jetèrent des regards durs quand ils le virent. Bien qu’enveloppé d’une grande cape de voyage, ses mains le trahissaient. Trop belles, trop lisses pour appartenir à un gars comme eux. Il y eut des remarques faites dans un patois que Lyanne ne connaissait pas. Cela les fit rire. Sans un mot il s’assit, posant le bâton de puissance encapuchonné le long du mur.
- T’as pas l’air du coin, lui dit un grand gars aux épaules larges et aux mains énormes.
- Tu as raison. Je voyage et mon jeune ami est malade.
Quand il eut entendu cela, l’homme se redressa vivement.
- L’est malade, alors faut pas qui reste. L’dernier, y nous a amené la peste…
- Il a pris froid avec la pluie. Nous sommes loin de la peste.
- N’empêche, c’est c’qu’il a dit l’mec quand le père de mon père lui a donné l’hospitalité. Et puis trois jours après, l’était mort, tout raide, tout noir…
Lyanne ne savait pas trop comment faire. Il connaissait la peur qu’il voyait chez les gens du coin.
- Je viens de Rovti. Le Seigneur Etouble est mort et c’est son chef de l’armée qui a pris le pouvoir.
- Quoi ? demanda l’homme. C’te crapule est morte ?
- Il a voulu une épée enchantée mais il a fait ce qu’il ne fallait pas faire, m’a-t-on dit et il est mort.
La conversation dévia sur cette nouvelle. Degala avait été oublié. Etouble commandait ici et sa mort pouvait changer bien des choses.
L’aubergiste eut un petit sourire. Une telle nouvelle était de nature à remplir son auberge pendant plusieurs jours. Pendant que tout le monde parlait ou interrogeait Lyanne, il lui avait servi un bol de soupe même pas chaude et un plat comportant des galettes et un pâté.
Lyanne s’éclipsa dès qu’il put avec des provisions. Quand il entra dans la chambre, Degala dormait déjà. Il mit les provisions sur le tonneau en se disant qu’il fallait probablement se méfier des rats.
Il s'occupa de Degala qui ne bougea pas. Il posa la main sur le front du jeune. Fermant les yeux, il suivit les courants de puissance qui partaient de sa paume pour voyager dans le corps de l'enfant. Il voyagea ainsi, trouvant les zones malades. Il les trouva chaudes. C'était une bonne chose. Le corps se défendait. Il ne trouva pas de vrai danger. C'était une maladie banale. Il pensa que quelques jours suffiraient à rétablir le jeune. Restait la question de leur séjour dans ce village. L’auberge était mauvaise, l’accueil rebutant. Il sortit de ses pensées en entendant un bruit de pattes. Les rats ! Il devint dragon. Il avait pris une taille proportionnée à la pièce. Il se posa sur le tonneau et ne bougea plus. Attirés par la nourriture, il les entendit qui venaient voir. Un éclaireur allait arriver. S’il revenait, les autres pourraient prendre le risque de se montrer. Il le laissa prendre pied sur le haut du tonneau. Le rat s’assit sur son derrière, regarda cette chose rouge qui ne bougeait pas. Il était juste au bord, prêt à déguerpir. Il sentait une présence qu’il ne comprenait pas. Lissant ses moustaches, le rat renifla. L’odeur lui était inconnue mais inquiétante. Il regarda derrière lui pour voir un chemin de fuite. L’odeur de la nourriture fut la plus forte. Il s’approcha doucement de l’écuelle. Rapide, il s’empara d’un morceau de quelque chose et poussant un petit cri partit en courant le long du tonneau. Lyanne n’avait pas bougé. Il attendait la suite. Le temps passa. La respiration de Degala était régulière. Bientôt des bruits de pattes sur les planches vinrent se mêler au son que produisait le dormeur. Lyanne ouvrit un oeil. Il écouta attentivement. Il estima à une dizaine de bêtes le nombre nécessaire à produire un tel bruit. La première chose qu’il vit, ce fut un bout de museau aux longues vibrisses. Le corps massif d’un mâle suivit. Comme le premier, ce rat s’arrêta un moment pour renifler. Cette odeur inconnue le gênait. Devant l’absence de bruit, il avança d’un pas, puis d’un second, les yeux fixés sur cette chose étrange et immobile posée à côté de la nourriture. Il s’immobilisa. Cette odeur… dans sa mémoire atavique, cela réveillait un souvenir… mais lequel ?
Un souvenir de … DANGER ! Avec toute la vivacité qui le caractérisait, il bondit pour faire demi-tour et …
Le dragon engloutit le rat d’une seule bouchée. Cela ne valait pas un mibur, mais il ne se voyait pas chasser en ce moment. Tout cela se fit sans un bruit et tellement vite que le second rat s’arrêta interloqué en arrivant sur le couvercle. Il fut bientôt bousculé par deux autres qui avaient hâte de participer au repas. Ils subirent le même sort. Tout compte fait, le goût de ces bestioles était meilleur que celui des loups gris. Il passa ainsi sa nuit à s’empiffrer de rats assez dodus. La nuit était bien avancée quand il entendit un autre bruit. Les quelques rats qui traînaient sur le plancher disparurent prestement. Il pensa qu’un humain arrivait, marchant à pas qu’on disait de loup. Lyanne n’avait jamais entendu un loup marcher aussi bruyamment. Il se mit face à la porte.
Les pas s’arrêtèrent devant la chambre. Le bruit des respirations confirma ce qu’il avait déduit des bruits de pas. Ils étaient deux. Il les imaginait la tête penchée vers la cloison écoutant ce qui se passait à l’intérieur.
- J’te dis qu’y dorment, l’plancher a pas bougé d’puis longtemps, murmura une voix grasseyante.
- J’préfère en être sûr… chuchota l’autre.
L’attente dura un moment, puis le loquet sembla doué d’une vie propre en se soulevant tout seul. Le dragon eut un rictus de dragon. Quand la porte s’ouvrit en grinçant, deux silhouettes se précipitèrent vers la paillasse où étaient sensés dormir les voyageurs. Il frappèrent de leurs couteaux au hasard, surpris de ne rien rencontrer avant le sol. Le martèlement de leurs coups, les rendit sourds au bruit que fit Lyanne. Ayant repris forme humaine, il les assomma avec son marteau. La scène n’avait pas duré plus de quelques instants. Il retourna les corps sans vie pour découvrir que l'un des protagonistes était l'aubergiste. Il valait mieux qu'il fuit s'il ne voulait pas faire plus de morts. Il se tourna vers Degala qui dormait toujours, flottant en hauteur, reposant sur un lit de volutes noires qui le soutenaient. Il lui mit la main sur le front. Il le trouva frais. Prononçant des paroles de sommeil, il s'assura qu'il n'allait pas se réveiller. Lyanne se félicita de l'avoir installé sur un lit de volutes pour lui éviter les rats. Sans cela, il aurait été la première victime de cette attaque. Il le prit et le poussa vers le couloir. Il avait repéré une fenêtre dans le couloir. Le plancher grinça faisant grimacer Lyanne. Quand il arriva au bord de l'ouverture, il se pencha de l'autre côté. Le village semblait désert. Il n'entendit que les bruits nocturnes. Il poussa Degala doucement, ombre noire dans le ciel noir. Se transformant, il attrapa le dormeur avec ses pattes avant et s'éleva dans le ciel nocturne. Il s'éloignait quand il entendit le cri. Quelqu'un venait de trouver les morts.

dimanche 16 mars 2014

Nivyou avait cessé de parler :
- Il fait soif, dit-il.
On entendit une cavalcade de l'autre côté de la paroi. Lyanne sentit Degala qui partait en courant.
- Ton jeune aide semble plein d'attention, reprit Nivyou.
- Oui, je pense qu’il apprécie les légendes.
- Surtout quand elles se vivent…
Nivyou n’alla pas plus loin. Déjà Dégala revenait les bras chargés de pots de malch noir. Il se glissa plus qu’il n’entra dans la cabane du conteur. Il posa ce qu’il portait sur un tabouret et versa le liquide épais et noir dans des chopes qu’il tendit aux deux hommes.
- Tu es un être étonnant, Degala, dit le conteur. Ce malch est excellent. On dirait celui du seigneur Etouble.
Degala rougit jusqu’aux oreilles. Il avait été dérober les pots dans la cuisine même du maître des lieux.
- Personne m’a vu, répliqua-t-il d’une voix rauque.
Nivyou buvait sa chope en longues rasades et s’en fit resservir une autre immédiatement bue. La troisième se retrouva sur un tabouret près de lui.
- Mossaro avait peur. Il ne voyait pas comment il allait pouvoir combattre la horde de tarasques. Ils étaient gros et avaient le cuir très épais. Plusieurs d’entre eux avaient encore des lances et des flèches plantées ici et là. Si la peau des Gragons est recouverte d’écailles, elle ne résistait pas à une monstrueuse mâchoire. Ils décollèrent avant le milieu du jour. Ils étaient à peine visibles dans le ciel qu’un des tarasques poussa un cri strident. Les autres, répartis tout autour de la ville, firent mouvement vers le guetteur. Mossaro qui pensait pouvoir essayer de les combattre un par un, ne put faire qu’un passage sur le monstre crieur. Celui-ci n’essaya même pas de réagir. Il se mit en boule, ne laissant à la chaleur que le cuir renforcé de son dos. Tous les organes fragiles étaient intouchables derrière les pattes. Mossaro avait à peine atteint le haut du rempart qu’arrivait le deuxième tarasque sur le lieu de l’attaque. Lancé à pleine vitesse, il courut en montant sur le mur faisant un bond prodigieux qui le fit arriver presque en haut. Heureusement des gardes un peu plus attentifs, avaient mis un tronc pour casser son élan. Mossaro compléta sa figure aérienne pour prendre le deuxième tarasque par le travers avant que celui-ci ne fut en position de sauter pour l’attraper. Se roulant en boule comme le premier, il se laissa rouler jusqu’aux pieds des remparts qu’il avait failli enfin réussir à escalader. Le Gragon reprenait de la hauteur quand arrivèrent deux autres tarasques. Nmin jura à leur arrivée. Puis jura à nouveau quand les autres monstres arrivèrent. Il les compta. Il y en avait dix. Il les recompta pour être sûr.
- « Ça fait beaucoup. En plus ce sont des adultes à pleine maturité. Ils veulent faire des provisions avant que n’arrivent les grands froids. »
- On pourrait peut-être les attaquer la nuit ?     
Cela fit rire Mossaro.
- « Ils ont l’odorat tellement développé que cela ne changerait rien. Je vais essayer sur le côté. »
Mossaro fit un premier passage au grand plaisir des gens massés sur les remparts. Il était trop loin, et sa flamme ne fit que mettre le feu aux herbes sèches qui entouraient le glacis. Il se dégagea en se laissant porter par le vent et se prépara à faire un autre passage, plus près cette fois-ci. Les tarasques le virent arriver, ils avaient formé une masse compacte ne présentant que des surfaces de cuir solide comme celui qu’on trouve chez les forgerons.
- « Il faudrait pouvoir se poser et souffler directement dessus. »
- Bien d’accord avec toi. Peut-être devrait-on partir ?
Mossaro se prit à rire, lui rappelant combien la veille au soir, Nmin était ivre.
- « Tu as même ajouté que tu étais prêt à mourir pour un aussi bon roi... »     
Nmin répondit vertement par une boutade acerbe, rappelant à son tour au Gragon que lui, au moins, était libre de ses mouvements, alors que dans son abri, le danger était manifeste.
Mossaro décida de faire une attaque en piqué. Il partit chercher deux gros blocs de pierre qu’il saisit entre ses griffes. Prenant de la hauteur sur le retour, il les lâcha d’assez haut. Un des monstres poussa un glapissement sonore et s’effondra quand le projectile le toucha. L’autre pierre tomba trop loin pour être d’une quelconque efficacité. Concentré sur la suite de ses actions, Mossaro ne vit pas bien comment bougeaient les monstres en dessous. Ils semblaient se monter les uns sur les autres. Il se mit à vomir autant de feu qu’il pouvait avant de plier ses ailes dans une position inconfortable mais nécessaire pour casser son élan. C’était le moment délicat. Très bas, avec peu de vitesse, il se savait en danger. C’est Nmin qui l’avertit du danger. Les tarasques, dans un beau mouvement d’ensemble, avaient propulsé un des leurs en hauteur. Nmin, regardant toujours par les yeux de Mossaro, vit le tarasque monter plus haut qu’eux et bientôt vers eux. Il cria pour prévenir Mossaro qui lui répondit qu’il faisait tout ce qu’il pouvait. Leur vitesse insuffisante, les mit sur la trajectoire du monstre qui avait déjà ouvert la gueule…
Mais si Mossaro avait calculé trop juste son mouvement, les tarasques n'avaient pas pensé que leur congénère se mettrait à tournoyer en vol. Il se retrouva bientôt à tourner le dos au Gragon et c'est dans cette position qu'eut lieu le choc. Même plus gros que le Tarasque, Mossaro ne pouvait porter sa masse. D'ailleurs le tarasque lui bloquait les ailes par sa masse même. Nmin entendit les griffes du monstre crisser sur les écailles de Mossaro, alors qu'il essayait de se remettre d'aplomb pour pouvoir mordre son ennemi. Malgré les ailes déployées du Gragon, la chute était inévitable. Nmin paniqua. Toujours en contact télépathique étroit avec le Gragon, il voulut se débattre. Son corps, coincé dans sa loge sur le dos de Mossaro, ne pouvait pas bouger, ce fut le corps du Gragon qui se mit en mouvement. Sans savoir comment, Nmin sentit les muscles, les os, les griffes et tout le reste du corps de Mossaro qui, beaucoup plus fataliste, attendait la fin de la chute pour tenter quelque chose. Nmin se mit à se débattre et d'un coup sans savoir comment, il se transforma en un petit petit Gragon de la taille d'un piaf. Le lourd tarasque poussa la petite bête qui se retrouva bientôt libre de voler comme elle l'entendait. Il y eut un bruit sourd quand le monstre toucha le sol. Les autres se précipitèrent, puis s'arrêtèrent, cherchant en tous sens où pouvait être passé le Gragon. Ils sentaient son odeur sans le voir. Nmin piaillait par la bouche de Mossaro, il piaillait comme il avait piaillé quand le tarasque avait attaqué son village. Ce cri de Gragon, inaudible pour les oreilles humaines, porta loin, très loin, tellement loin que d'autres oreilles entendirent. Ce piaillement, c'était un petit en détresse. Il n'y avait qu'une manière de répondre. De partout, arrivèrent à la manière particulière des Gragons, des centaines d'individus. Bientôt le ciel de la capitale fut rempli de ces grandes silhouettes au long cou gracile, brillant de toutes leurs couleurs dans le soleil de cet après-midi. Sur les remparts, on criait, on admirait, on jubilait ! Des Gragons, il y en avait partout. Les tarasques voulurent fuir. Ce fut leur perte. Quand le soleil s'approcha de l'horizon, il n'y avait plus trace d'eux. Les Gragons les avaient éliminés. Dans le ciel de la capitale, les hommes émerveillés, purent voir ce qu'aucun roi n'avait pu faire. Un maelström de Gragons de toutes les couleurs dans un arc-en-ciel chatoyant et au centre un Gragon gris argent qui menait la danse.
Nivyou laissa ses auditeurs savourer l'image tout en buvant une chope de malch, aussitôt resservi par Degala qui savait que le vieux conteur n'en serait que plus bavard. Degala était heureux. Il aimait les histoires, les légendes et celle-ci lui était inconnue. Nivyou savait raconter. Degala voyait les Gragons comme s'ils avaient été devant ses yeux. En remplissant la chope du conteur, il voulait lui donner du goût à raconter et raconter encore avec force détails, les légendes du temps passé. Degala avait bien entendu parler d'un Gragon plus loin vers les montagnes, un Gragon rouge qui serait même devenu roi. Mais les gens qui passaient, racontaient tellement d'histoires invraisemblables qu'il ne savait pas si celle-là était vraie.
- Si la fête fut extraordinaire, la suite fut à la hauteur de l’événement. Mossaro devint, quand Nmin était avec lui, le leader incontesté des Gragons. Il entreprit de chasser tous les tarasques. Si cela prit du temps et coûta beaucoup d'or, car les Gragons aimaient l'or, il n'y eut plus de monstres dans le pays. Le roi fut très content malgré la perte de son trésor. La richesse de son royaume augmentait rapidement maintenant qu'il n'était plus dévasté régulièrement. Les royaumes voisins, voyant cela, demandèrent l'aide de l'armée volante. Le premier à agir fut le roi Ficam. Il arriva avec un chariot plein d'or. Ce fut un argument majeur dans la négociation. Les Gragons s'envolèrent vers le royaume du roi Ficam au grand soulagement de la population de la capitale. Ils n'auraient pas à les nourrir ce qui était une grosse charge. Quand le royaume du roi Ficam fut lui aussi débarrassé des tarasques, un autre pays arriva pour demander le même service. Les Gragons qui habitaient les monts des Gragons, près de la mer, entassèrent l'or dans leurs grottes. De pays en royaume, de royaume en principauté, de principauté en comté, tout le monde fut débarrassé des tarasques. Cela prit des saisons et des saisons.
Quand vint le jour où personne n'eut à se plaindre d'un tarasque, ou même plus personne ne pouvait dire quand on avait vu le dernier monstre, les Gragons se retirèrent dans la région des monts des Gragons. Mossaro devint le roi-Gragon. Et Nmin me direz-vous    ? Et bien ce fut le plus curieux. Plus personne ne revit Nmin. Certains disent qu'il était simplement retourné dans son village, écœuré de tous ces massacres et de tout ce sang versé, même si les tarasques étaient des monstres. D'autres disent que Nmin s'était retrouvé bloqué sur le dos de Mossaro et qu'il avait péri dans un des derniers combats dans le Comté de Souyas. Les plus fous disaient que Mossaro et lui étaient devenus une unique et même personne.
Mais moi qui ai bien connu, le grand Asnira puisqu’il fut mon maître, je peux dire que ni les uns ni les autres n’ont raison. Quant aux fous, personne ne peut savoir s’ils disent vrai. Les autres légendes perdues des Gragons racontent la suite de cette légende. Asnira qui avait passé sa vie à colliger toutes les légendes, me disait que, après cette période, les hommes et les Gragons s’évitèrent. Oh ! Ce n’était pas la guerre, juste de l’indifférence. Seul restait dans l’esprit des hommes, le souvenir des fabuleux trésors amassés par les Gragons. Les saisons succédèrent aux saisons. D’autres hommes vinrent au monde qui ne savaient rien des tarasques et de la malédiction qu’ils représentaient. Puis les fils des fils de ces hommes gouvernèrent le monde. Certains plus aventureux allèrent sur les monts des Gragons voir les animaux de légendes. Ils ne trouvèrent que de vieux lézards se chauffant au soleil et s’ils étaient grands, ils semblaient bien inoffensifs. Le drame arriva quand un plus hardi que les autres pensa que ces vieux Gragons n’avaient nul besoin de tout cet or. Il mit la main sur une belle assiette en or, qu’il cacha sous ses habits. C’est au dixième pas que la flamme du Gragon le toucha, le réduisant en cendres comme elle réduisait en cendres les tarasques. Les autres prirent peur et fuirent. Pourtant ils firent un récit qui, de bouche en bouche, donna envie à tous les aventuriers de tenter leur chance. Pendant une saison, les expéditions qu’ils montaient, furent plus ou moins heureuses. Chovmsi fut l’archétype de la réussite. Son équipe avait été décimée en tentant de dérober des pièces d’or dans une grotte. Le Gragon les ayant tous étripés, il n’avait dû son salut qu’à sa petite taille. Il avait sauté dans un boyau à l’abri des terribles pattes et du souffle brûlant. Il avait alors glissé jusqu’à une autre cavité. Là, il avait atterri sur un tas d’or. N’osant plus bouger, tellement il avait peur, il attendit que la lumière fut un peu meilleure pour voir autour de lui. Cela prit du temps. Avec le lever du jour, il découvrit les lieux. Il était sur un tas d’or plus gros que lui. Une bouffée de plaisir l’envahit, immédiatement éteinte par la peur de voir arriver le propriétaire. Des yeux, il chercha une cache, quand il découvrit la grande forme d’un Gragon. Il lui fallut encore quelques temps pour que la lumière soit celle du grand jour pour qu’il comprenne. S’il y avait bien un Gragon devant lui, ce dernier était mort. Le toit de sa caverne s’était effondré, lui écrasant la tête. Il sourit, subitement beaucoup plus décontracté. Il bourra ses poches de pièces, et à pas rendus lents par le poids de l’or, il chercha une sortie. Grâce à sa petite taille, il parvint à se faufiler jusqu’au dehors. Avec d’infinies précautions, il évita de passer devant les ouvertures des cavernes des Gragons. Quand il atteignit la ville de Zalbac, il eut la certitude d’être un homme riche et chanceux, ou plutôt chanceux et riche. Son aventure fut maintes fois racontée et amplifiée. On assista à une ruée vers l’or. Les Gragons entrèrent dans une colère sans limite quand ils comprirent que jamais plus ils ne seraient tranquilles. Mossaro était encore roi des Gragons. Il alla négocier avec le seigneur pour que cessent ces expéditions et les morts qu’elles entraînaient. C’est ainsi que naquit la grande muraille qui sépara le pays des hommes du pays des Gragons. Ce fut la dernière fois que les annales parlèrent du roi des Gragons.
- Alors personne ne sait ce qu’il est devenu ? demanda la petite voix de Degala.
Cela fit rire Nivyou.
- Non, personne ne sait. Pourtant…
Le vieux conteur, sûr de son effet, laissa passer le temps sans rien dire jusqu’à ce qu’il sente que Degala n’en supporterait pas plus.
- Pourtant, de vieux récits parlent du temps lointain, quand les Gragons avaient presque tous disparu. Les pilleurs reprirent leur travail. Cela leur prit plusieurs saisons pour visiter les grottes scellées sur le corps de leurs occupants morts. La fièvre de l’or était déjà très forte à cette époque. On dit qu’en dehors des éboulements fréquents le seul danger était un Gragon dont la couleur évoquait l’acier. On l’avait appelé le Gardien. Vue la description, les chroniqueurs pensent qu’on peut l’assimiler à Mossaro. Un curieux conte fait se rencontrer ce gardien avec un des voleurs, qui n’était qu’un apprenti. À la fin, après qu’ils eurent discuté de la Vie, de la Mort, l’apprenti voleur raconte que le grand Gragon Gris lui expliqua qu’il quittait ce monde pour se retirer sur une île loin d’ici, au milieu du vaste océan pour finir tranquillement ses jours. L’apprenti voleur précisa même que le Gragon Gris lui aurait révélé un oracle précieux, beaucoup plus précieux que l’or puisqu’il l’avait écouté et qu’il avait fini roi des monts des Gragons, à la tête d’un peuple puissant, riche et craint.
Ce fut au tour de Lyanne de sourire.
- Ton histoire est belle, vieil homme. Je connais peut-être la suite.
Ce fut au tour de Nivyou d’être intrigué par ces paroles.
- Personne ne sait la suite, dit-il péremptoire.
- Connais-tu la légende du chevalier de la Basse-vallée ?
- Il n’y a pas de basse vallée par ici, répliqua le vieux conteur.
- Je vais quand même te la conter. Il était une fois, il y a longtemps une famille de puissants guerriers. Le grand-père avait été nommé chevalier après la bataille des mille-morts...
La nuit était presque finie quand Lyanne acheva le récit de la légende de Ohtman. Le silence qui s’en suivit, fut un silence plein de toutes ces paroles échangées.
Degala dormait à même le sol. Le pot de malch était vide depuis longtemps.
- Sais-tu qu’il vient du bord de la mer, ce petit ? questionna le conteur.
Lyanne fut intrigué par les paroles de Nivyou.
- J’ignorais cela, répondit-il.
- Sais-tu, toi qui es légende, que les bons guides sont rares.
- Tu sembles en savoir beaucoup plus que ce que croient les autres.
- Je sens ta présence, et si ta voix me parle d’un homme de belle stature, mais simplement d’un homme, je sens que tu es beaucoup plus grand que ce que croient les autres. Une telle taille ne peut appartenir qu’à un de ces êtres de légendes, un de ces grands êtres qui font les légendes.
- Serais-tu, oracle ?
- Si peu, répondit Nivyou. Je dis simplement que Degala est un bon guide et qu’il est né au bord de la mer.
De nouveau le silence envahit la petite hutte. Lyanne réfléchissait à tout ce qu’avait dit le vieil homme.    
- Je le regretterai, reprit le vieux conteur. Il est le seul à encore me respecter et à me rendre des services. Mais mes jours sont comptés, les siens sont encore innombrables. Tu ne regretteras pas.
Lyanne fut étonné de la justesse des paroles du conteur. Il venait effectivement de conclure qu'il pourrait l'emmener avec lui pour découvrir cette île et voir si cet oracle dragon existait vraiment.

mardi 11 mars 2014

Nivyou avait cessé de parler :
- Il fait soif, dit-il.
On entendit une cavalcade de l'autre côté de la paroi. Lyanne sentit Degala qui partait en courant.
- Ton jeune aide semble plein d'attention, reprit Nivyou.
- Oui, je pense qu’il apprécie les légendes.
- Surtout quand elles se vivent…
Nivyou n’alla pas plus loin. Déjà Degala revenait les bras chargés de pots de malch noir. Il se glissa plus qu’il n’entra dans la cabane du conteur. Il posa ce qu’il portait sur un tabouret et versa le liquide épais et noir dans des chopes qu’il tendit aux deux hommes.
- Tu es un être étonnant, Degala, dit le conteur. Ce malch est excellent. On dirait celui du seigneur Etouble.
Degala rougit jusqu’aux oreilles. Il avait été dérober les pots dans la cuisine même du maître des lieux.
- Personne m’a vu, répliqua-t-il d’une voix rauque.
Nivyou buvait sa chope en longues rasades et s’en fit resservir une autre immédiatement bue. La troisième se retrouva sur un tabouret près de lui.
- Mossaro avait peur. Il ne voyait pas comment il allait pouvoir combattre la horde de tarasques. Ils étaient gros et avaient le cuir très épais. Plusieurs d’entre eux avaient encore des lances et des flèches plantées ici et là. Si la peau des Gragons est recouverte d’écailles, elle ne résistait pas à une monstrueuse mâchoire. Ils décollèrent avant le milieu du jour. Ils étaient à peine visibles dans le ciel qu’un des tarasques poussa un cri strident. Les autres, répartis tout autour de la ville, firent mouvement vers le guetteur. Mossaro qui pensait pouvoir essayer de les combattre un par un, ne put faire qu’un passage sur le monstre crieur. Celui-ci n’essaya même pas de réagir. Il se mit en boule, ne laissant à la chaleur que le cuir renforcé de son dos. Tous les organes fragiles étaient intouchables derrière les pattes. Mossaro avait à peine atteint le haut du rempart qu’arrivait le deuxième tarasque sur le lieu de l’attaque. Lancé à pleine vitesse, il courut en montant sur le mur faisant un bond prodigieux qui le fit arriver presque en haut. Heureusement des gardes un peu plus attentifs, avaient mis un tronc pour casser son élan. Mossaro compléta sa figure aérienne pour prendre le deuxième tarasque par le travers avant que celui-ci ne fut en position de sauter pour l’attraper. Se roulant en boule comme le premier, il se laissa rouler jusqu’aux pieds des remparts qu’il avait failli enfin réussir à escalader. Le Gragon reprenait de la hauteur quand arrivèrent deux autres tarasques. Nmin jura à leur arrivée. Puis jura à nouveau quand les autres monstres arrivèrent. Il les compta. Il y en avait dix. Il les recompta pour être sûr.
- « Ça fait beaucoup. En plus ce sont des adultes à pleine maturité. Ils veulent faire des provisions avant que n’arrivent les grands froids. »
- On pourrait peut-être les attaquer la nuit ?     
Cela fit rire Mossaro.
- « Ils ont l’odorat tellement développé que cela ne changerait rien. Je vais essayer sur le côté. »
Mossaro fit un premier passage au grand plaisir des gens massés sur les remparts. Il était trop loin, et sa flamme ne fit que mettre le feu aux herbes sèches qui entouraient le glacis. Il se dégagea en se laissant porter par le vent et se prépara à faire un autre passage, plus près cette fois-ci. Les tarasques le virent arriver, ils avaient formé une masse compacte ne présentant que des surfaces de cuir solide comme celui qu’on trouve chez les forgerons.
- « Il faudrait pouvoir se poser et souffler directement dessus. »
- Bien d’accord avec toi. Peut-être devrait-on partir ?
Mossaro se prit à rire, lui rappelant combien la veille au soir, Nmin était ivre.
- « Tu as même ajouté que tu étais prêt à mourir pour un aussi bon roi... »     
Nmin répondit vertement par une boutade acerbe, rappelant à son tour au Gragon que lui, au moins, était libre de ses mouvements, alors que dans son abri, le danger était manifeste.
Mossaro décida de faire une attaque en piqué. Il partit chercher deux gros blocs de pierre qu’il saisit entre ses griffes. Prenant de la hauteur sur le retour, il les lâcha d’assez haut. Un des monstres poussa un glapissement sonore et s’effondra quand le projectile le toucha. L’autre pierre tomba trop loin pour être d’une quelconque efficacité. Concentré sur la suite de ses actions, Mossaro ne vit pas bien comment bougeaient les monstres en dessous. Ils semblaient se monter les uns sur les autres. Il se mit à vomir autant de feu qu’il pouvait avant de plier ses ailes dans une position inconfortable mais nécessaire pour casser son élan. C’était le moment délicat. Très bas, avec peu de vitesse, il se savait en danger. C’est Nmin qui l’avertit du danger. Les tarasques, dans un beau mouvement d’ensemble, avaient propulsé un des leurs en hauteur. Nmin, regardant toujours par les yeux de Mossaro, vit le tarasque monter plus haut qu’eux et bientôt vers eux. Il cria pour prévenir Mossaro qui lui répondit qu’il faisait tout ce qu’il pouvait. Leur vitesse insuffisante, les mit sur la trajectoire du monstre qui avait déjà ouvert la gueule…
Mais si Mossaro avait calculé trop juste son mouvement, les tarasques n'avaient pas pensé que leur congénère se mettrait à tournoyer en vol. Il se retrouva bientôt à tourner le dos au Gragon et c'est dans cette position qu'eut lieu le choc. Même plus gros que le Tarasque, Mossaro ne pouvait porter sa masse. D'ailleurs le tarasque lui bloquait les ailes par sa masse même. Nmin entendit les griffes du monstre crisser sur les écailles de Mossaro, alors qu'il essayait de se remettre d'aplomb pour pouvoir mordre son ennemi. Malgré les ailes déployées du Gragon, la chute était inévitable. Nmin paniqua. Toujours en contact télépathique étroit avec le Gragon, il voulut se débattre. Son corps coincé dans sa loge sur le dos de Mossaro ne pouvait pas bouger, ce fut le corps du Gragon qui se mit en mouvement. Sans savoir comment, Nmin sentit les muscles, les os, les griffes et tout le reste du corps de Mossaro qui, beaucoup plus fataliste, attendait la fin de la chute pour tenter quelque chose. Nmin se mit à se débattre et d'un coup sans savoir comment, il se transforma en un petit petit Gragon de la taille d'un piaf. Le lourd tarasque poussa la petite bête qui se retrouva bientôt libre de voler comme elle l'entendait. Il y eut un bruit sourd quand le monstre toucha le sol. Les autres se précipitèrent, puis s'arrêtèrent, cherchant en tous sens où pouvait être passé le Gragon. Ils sentaient son odeur sans le voir. Nmin piaillait par la bouche de Mossaro, il piaillait comme il avait piaillé quand le tarasque avait attaqué son village. Ce cri de Gragon, inaudible pour les oreilles humaines, porta loin, très loin, tellement loin que d'autres oreilles entendirent. Ce piaillement, c'était un petit en détresse. Il n'y avait qu'une manière de répondre. De partout, arrivèrent à la manière particulière des Gragons, des centaines d'individus. Bientôt le ciel de la capitale fut rempli de ces grandes silhouettes au long cou gracile, brillant de toutes leurs couleurs dans le soleil de cet après-midi. Sur les remparts, on criait, on admirait, on jubilaitc Des Gragons, il y en avait partout. Les tarasques voulurent fuir. Ce fut leur perte. Quand le soleil s'approcha de l'horizon, il n'y avait plus trace d'eux. Les Gragons les avaient éliminés. Dans le ciel de la capitale, les hommes émerveillés, purent voir ce qu'aucun roi n'avait pu faire. Un maelström de Gragons de toutes les couleurs dans un arc-en-ciel chatoyant et au centre un Gragon gris argent qui menait la danse.
Nivyou laissa ses auditeurs savourer l'image tout en buvant une chope de malch, aussitôt resservi par Degala qui savait que le vieux conteur n'en serait que plus bavard. Degala était heureux. Il aimait les histoires, les légendes et celle-ci lui était inconnue. Nivyou savait raconter. Degala voyait les Gragons comme s'ils avaient été devant ses yeux. En remplissant la chope du conteur, il voulait lui donner du goût à raconter et raconter encore avec force détails, les légendes du temps passé. Degala avait bien entendu parler d'un Gragon plus loin vers les montagnes, un Gragon rouge qui serait même devenu roi. Mais les gens qui passaient, racontaient tellement d'histoires invraisemblables qu'il ne savait pas si celle-là était vraie.
- Si la fête fut extraordinaire, la suite fut à la hauteur de l’événement. Mossaro devint, quand Nmin était avec lui, le leader incontesté des Gragons. Il entreprit de chasser tous les tarasques. Si cela prit du temps et coûta beaucoup d'or, car les Gragons aimaient l'or, il n'y eut plus de monstres dans le pays. Le roi fut très content malgré la perte de son trésor. La richesse de son royaume augmentait rapidement maintenant qu'il n'était plus dévasté régulièrement. Les royaumes voisins, voyant cela, demandèrent l'aide de l'armée volante. Le premier à agir fut le roi Ficam. Il arriva avec un chariot plein d'or. Ce fut un argument majeur dans la négociation. Les Gragons s'envolèrent vers le royaume du roi Ficam au grand soulagement de la population de la capitale. Ils n'auraient pas à les nourrir ce qui était une grosse charge. Quand le royaume du roi Ficam fut lui aussi débarrassé des tarasques, un autre pays arriva pour demander le même service. Les Gragons qui habitaient les monts des Gragons, près de la mer, entassèrent l'or dans leurs grottes. De pays en royaume, de royaume en principauté, de principauté en comté, tout le monde fut débarrassé des tarasques. Cela prit des saisons et des saisons.
Quand vint le jour où personne n'eut à se plaindre d'un tarasque, ou même plus personne ne pouvait dire quand on avait vu le dernier monstre, les Gragons se retirèrent dans la région des monts des Gragons. Mossaro devint le roi-Gragon. Et Nmin me direz-vous ? Et bien ce fut le plus curieux. Plus personne ne revit Nmin. Certains disent qu'il était simplement retourné dans son village, écœuré de tous ces massacres et de tout ce sang versé, même si les tarasques étaient des monstres. D'autres disent que Nmin s'était retrouvé bloqué sur le dos de Mossaro et qu'il avait péri dans un des derniers combats dans le Comté de Souyas. Les plus fous disaient que Mossaro et lui étaient devenus une unique et même personne.
Mais moi qui ai bien connu, le grand Asnira puisqu’il fut mon maître, je peux dire que ni les uns ni les autres n’ont raison. Quant aux fous, personne ne peut savoir s’ils disent vrai. Les autres légendes perdues des Gragons racontent la suite de cette légende. Asnira qui avait passé sa vie à colliger toutes les légendes, me disait que, après cette période, les hommes et les Gragons s’évitèrent. Oh ! Ce n’était pas la guerre, juste de l’indifférence. Seul restait dans l’esprit des hommes, le souvenir des fabuleux trésors amassés par les Gragons. Les saisons succédèrent aux saisons. D’autres hommes vinrent au monde qui ne savaient rien des tarasques et de la malédiction qu’ils représentaient. Puis les fils des fils de ces hommes gouvernèrent le monde. Certains plus aventureux allèrent sur les monts des Gragons voir les animaux de légendes. Ils ne trouvèrent que de vieux lézards se chauffant au soleil et s’ils étaient grands, ils semblaient bien inoffensifs. Le drame arriva quand un plus hardi que les autres pensa que ces vieux Gragons n’avaient nul besoin de tout cet or. Il mit la main sur une belle assiette en or, qu’il cacha sous ses habits. C’est au dixième pas que la flamme du Gragon le toucha, le réduisant en cendres comme elle réduisait en cendres les tarasques. Les autres prirent peur et fuirent. Pourtant ils firent un récit qui, de bouche en bouche, donna envie à tous les aventuriers de tenter leur chance. Pendant une saison, les expéditions qu’ils montaient, furent plus ou moins heureuses. Chovmsi fut l’archétype de la réussite. Son équipe avait été décimée en tentant de dérober des pièces d’or dans une grotte. Le Gragon les ayant tous étripés, il n’avait dû son salut qu’à sa petite taille. Il avait sauté dans un boyau à l’abri des terribles pattes et du souffle brûlant. Il avait alors glissé jusqu’à une autre cavité. Là, il avait atterri sur un tas d’or. N’osant plus bouger, tellement il avait peur, il attendit que la lumière fut un peu meilleure pour voir autour de lui. Cela prit du temps. Avec le lever du jour, il découvrit les lieux. Il était sur un tas d’or plus gros que lui. Une bouffée de plaisir l’envahit, immédiatement éteinte par la peur de voir arriver le propriétaire. Des yeux, il chercha une cache, quand il découvrit la grande forme d’un Gragon. Il lui fallut encore quelques temps pour que la lumière soit celle du grand jour pour qu’il comprenne. S’il y avait bien un Gragon devant lui, ce dernier était mort. Le toit de sa caverne s’était effondré, lui écrasant la tête. Il sourit, subitement beaucoup plus décontracté. Il bourra ses poches de pièces, et à pas rendus lents par le poids de l’or, il chercha une sortie. Grâce à sa petite taille, il parvint à se faufiler jusqu’au dehors. Avec d’infinies précautions, il évita de passer devant les ouvertures des cavernes des Gragons. Quand il atteignit la ville de Zalbac, il eut la certitude d’être un homme riche et chanceux, ou plutôt chanceux et riche. Son aventure fut maintes fois racontée et amplifiée. On assista à une ruée vers l’or. Les Gragons entrèrent dans une colère sans limite quand ils comprirent que jamais plus ils ne seraient tranquilles. Mossaro était encore roi des Gragons. Il alla négocier avec le seigneur pour que cessent ces expéditions et les morts qu’elles entraînaient. C’est ainsi que naquit la grande muraille qui sépara le pays des hommes du pays des Gragons. Ce fut la dernière fois que les annales parlèrent du roi des Gragons.
- Alors personne ne sait ce qu’il est devenu ? demanda la petite voix de Degala.
Cela fit rire Nivyou.
- Non, personne ne sait. Pourtant…
Le vieux conteur, sûr de son effet, laissa passer le temps sans rien dire jusqu’à ce qu’il sente que Degala n’en supporterait pas plus.
- Pourtant, de vieux récits parlent du temps lointain, quand les Gragons avaient presque tous disparu. Les pilleurs reprirent leur travail. Cela leur prit plusieurs saisons pour visiter les grottes scellées sur le corps de leurs occupants morts. La fièvre de l’or était déjà très forte à cette époque. On dit qu’en dehors des éboulements fréquents le seul danger était un Gragon dont la couleur évoquait l’acier. On l’avait appelé le Gardien. Vue la description, les chroniqueurs pensent qu’on peut l’assimiler à Mossaro. Un curieux conte fait se rencontrer ce gardien avec un des voleurs, qui n’était qu’un apprenti. À la fin, après qu’ils eurent discuté de la Vie, de la Mort, l’apprenti voleur raconte que le grand Gragon Gris lui expliqua qu’il quittait ce monde pour se retirer sur une île loin d’ici, au milieu du vaste océan pour finir tranquillement ses jours. L’apprenti voleur précisa même que le Gragon Gris lui aurait révélé un oracle précieux, beaucoup plus précieux que l’or puisqu’il l’avait écouté et qu’il avait fini roi des monts des Gragons, à la tête d’un peuple puissant, riche et craint.
Ce fut au tour de Lyanne de sourire.
- Ton histoire est belle, vieil homme. Je connais peut-être la suite.
Ce fut au tour de Nivyou d’être intrigué par ces paroles.
- Personne ne sait la suite, dit-il péremptoire.
- Connais-tu la légende du chevalier de la Basse-vallée.
- Il n’y a pas de basse vallée par ici, répliqua le vieux conteur.
- Je vais quand même te la conter. Il était une fois, il y a longtemps une famille de puissants guerriers. Le grand-père avait été nommé chevalier après la bataille des mille-morts...
La nuit était presque finie quand Lyanne acheva le récit de la légende de Ohtman. Le silence qui s’en suivit, fut un silence plein de toutes ces paroles échangées.
Degala dormait à même le sol. Le pot de malch était vide depuis longtemps.
- Sais-tu qu’il vient du bord de la mer, ce petit ? questionna le conteur.
Lyanne fut intrigué par les paroles de Nivyou.
- J’ignorais cela, répondit-il.
- Sais-tu, toi qui es légende, que les bons guides sont rares.
- Tu sembles en savoir beaucoup plus que ce que croient les autres.
- Je sens ta présence, et si ta voix me parle d’un homme de belle stature, mais simplement d’un homme, je sens que tu es beaucoup plus grand que ce que croient les autres. Une telle taille ne peut appartenir qu’à un de ces êtres de légendes, un de ces grands êtres qui font les légendes.
- Serais-tu, oracle ?
- Si peu, répondit Nivyou. Je dis simplement que Degala est un bon guide et qu’il est né au bord de la mer.
De nouveau le silence envahit la petite hutte. Lyanne réfléchissait à tout ce qu’avait dit le vieil homme.    
- Je le regretterai, reprit le vieux conteur. Il est le seul à encore me respecter et à me rendre des services. Mais mes jours sont comptés, les siens sont encore innombrables. Tu ne regretteras pas.
Lyanne fut étonné de la justesse des paroles du conteur. Il venait effectivement de conclure qu'il pourrait l'emmener avec lui pour découvrir cette île et voir si cet oracle dragon existait vraiment.

mardi 4 mars 2014

Lyanne laissa Hodent et Degala sous l’auvent. La nuit était maintenant noire. Le conteur habitait une hutte près de la haute cour. Etouble avait pour lui le respect qu’on doit à un compagnon de son père. Il ne pouvait le mettre dehors sans déshonorer la parole de son père, ancien seigneur de ce lieu.
Quand il approcha, il ne vit aucune lumière. On lui avait pourtant assuré de la présence du conteur en lui disant :
- Ce vieux fou de Nivyou, il ne bouge jamais.
La porte était branlante et ne résista pas quand il la poussa. C’était une cabane faite de branchages entrelacés dont les interstices avaient été comblés par de la boue. Dans un coin un feu de braises luisait doucement. Il repéra une silhouette assise à une table. L’homme leva la tête vers lui à son entrée. Il vit ses yeux blancs d’aveugle.
- Tu dois être cet étranger dont tout le monde parle, dit Nivyou d’une voix de basse bien timbrée.
- Tes oreilles sont exactes, conteur.
- Entre, si tu le peux.
- Ta parole est pour moi curieuse. Ta hutte est bien assez grande pour nous deux.
- Je te sens beaucoup plus grand que ce que tu montres.
- Tu es plus perspicace que beaucoup ici, conteur.
- Il y a bien longtemps que l’on ne m’a pas donné ce titre et voilà deux fois que tu l’emploies. J’ai plus souvent le droit à “vieux fou”.
- Ceux qui emploient de tels mots, que connaissent-ils de la sagesse ?
- Les bruits que j’ai entendus sont bien conformes à ce que je sens de ta présence. Il y a plus de puissance en toi que tout ce que contient cette ville. Que souhaites-tu, toi dont le savoir est déjà si grand ?
- Je désire entendre la légende des Gragons.
Nivyou partit d’un rire franc :
- Plus personne ne s’intéresse à cette légende. Les grands-êtres ont disparu depuis si longtemps que seuls restent ces récits.
- Pourtant, un gardien de troupeau a vu un être volant qui a attaqué un mibur. J’ai vu son ombre, elle est immense.
Nivyou se racla la gorge et garda le silence. Lyanne s’assit et attendit. Le temps passa. Dehors les activités s’arrêtaient les unes après les autres.
Nivyou murmura :
- Il y a une présence dehors.
- Je l’ai sentie, répondit Lyanne sur le même ton, il s’agit du jeune serviteur de la forge.
- Hum ! Ta présence l’attire.
- J’ai senti cela, conteur. Il est capable d’entendre la légende. Son esprit est vif et ouvert, beaucoup plus que beaucoup ici.
- Hi ! Hi ! Hi ! Ton jugement est bon. L’arrivée du seigneur Etouble a beaucoup fait pour les soldats et très peu pour les conteurs. Les Gragons… Les Gragons… Sais-tu déjà ce qu’étaient les Gragons ?
- J’attends tes paroles.
- Il y a bien longtemps. Les pères des pères de nos pères avaient déjà oublié la plus grande partie du savoir sur les Gragons quand le maître conteur de l'époque inventa cette légende, fixant ainsi le savoir des hommes. Il parlait de temps que les hommes ne savent pas compter. Le ciel était aux Gragons. Le passage d'un de ces grands êtres était une bénédiction. Chaque ville, chaque village gardait un enclos avec quelques bêtes pour les satisfaire. Leur appétit était légendaire. Ils étaient les protecteurs. Des monstres ravageaient la terre, tout en crocs et en carapace, ils ne craignaient pas les pauvres efforts des hommes. Le souffle de feu des Gragons était le seul rempart contre ces porteurs de mort. Malheureusement, leur nombre ne suffisait pas à combattre tous ces monstres. Des mages avaient réussi à se lier avec certains Gragons. Leurs services étaient fort chers, mais quand vos récoltes sont dévastées et que menace la famine, vous êtes prêts à beaucoup de sacrifices. C'est ainsi que vivait la caste des mages. Parfois, la chance souriait à un village. Un Gragon solitaire passant par là, nettoyait le pays de cette vermine immonde. La légende commence dans un village isolé, là-bas près de la mer. Venait de naître un enfant quand le guetteur hurla son cri. Tous les hommes se ruèrent sur leurs outils les plus tranchants. Certains firent des torches. Le tarasque arrivait. C'était une bête énorme. Courageusement les hommes attaquèrent qui avec sa fourche, qui avec sa torche. Pendant ce temps, les femmes aussi rapidement qu'elles purent, rassemblèrent des affaires et des provisions pour fuir dans les grottes de la falaise. Le tarasque affamé, avait entamé le combat. Ses pattes aux griffes puissantes, firent plus d'un mort. Il balaya les porteurs de torches comme on renverse les quilles dans un jeu. Quand presque tous les hommes furent à terre, les survivants fuirent aussi vite qu'ils le pouvaient, essayant d'entraîner le monstre loin de leurs maisons et de leurs maigres biens. Mais le tarasque avait faim. Délaissant les fuyards, il dévora les corps à terre, éventrant, déchirant de tous ses crocs les agonisants. De l'autre côté de la palissade, ce fut la panique. Les femmes retardataires, laissèrent tout tomber pour se mettre à l'abri. La jeune accouchée n'eut pas la force de s'enfuir. Épuisée par la difficulté de ce premier accouchement qui avait commencé le jour précédent, elle avait sombré dans un sommeil qui confinait au coma. Le bébé, petit être au teint sombre, vagissait dans son berceau ignorant des évènements qui se passaient autour de lui. Le tarasque affamé, leva son mufle pour prendre le vent. La nourriture n'était pas loin, il la sentait. La palissade, que les villageois avaient eu tant de peine à monter, s'effondra comme un fétu de paille. Le monstre poussa un glapissement rauque de satisfaction quand ce dernier obstacle céda. A chacun de ses mouvements, il détruisait quelque chose. Quand il ne le faisait pas par maladresse, il effondrait une hutte ou une maison pour la fouiller à la recherche de quelque chose à manger. Il détruisit la moitié du village avant qu'il ne renifle l'odeur de la viande fraîche. Le toit voisin ne résista pas. Il fouilla avec application les décombres sans trouver ce qu'il cherchait. Pourtant l'odeur n'était pas loin. Il bondit au milieu des débris qu'il avait lui-même faits, grattant frénétiquement le sol à la recherche de nourriture. Tout le monde sait que la seule obsession des tarasques était de se nourrir. De loin, les hommes le virent déblayer tout en grognant et hurlant de frustration. L'odeur était là et il ne pouvait l'avoir. Ils entendirent le cris de victoire du monstre quand il vit le mibur s'échapper de sa cachette. L'animal n'avait pas fait vingt pas que le grand tarasque lui sautait dessus pour le dévorer. Dans les bois, plus loin, le chaman tentait d'influencer les esprits pour sauver ce qui restait du village. Ses litanies étaient couvertes par les cris du monstre toujours affamé qui était reparti sur une nouvelle piste. Il égorgea les quelques bêtes que les villageoises n'avaient pas réussi à emmener avec elles dans les grottes de la falaise surplombant la mer. Brusquement, le tarasque s'immobilisa. Dans le silence revenu, on entendit distinctement les pleurs d'un bébé. Cela rendit le tarasque comme fou. Laissant les carcasses à demi-dévorées, il se précipita vers l'origine des cris, arrachant tout sur son passage. Arrivé près d'un morceau de palissade resté debout, il s'arrêta un instant pour écouter à nouveau. Et il bondit sur la hutte encore debout, l'éventrant à grands coups de patte, envoyant voler des débris en tous sens. Dans le bois, un homme tomba à genoux en pleurant. Un des présents s'approcha en lui mettant la main sur l'épaule. Tout le monde avait compris. La mère et l'enfant, ce premier fils tant attendu, étaient perdus. Le tarasque hurla sa victoire et plongea son mufle dans la cabane. Il en ressortit avec un corps qu'il avala en quelques bouchées. Il allait replonger dans les débris pour saisir le nourrisson quand surgit un Gragon. C'était un grand Gragon femelle, au ventre rond des porteuses d’œufs. Elle souffla son souffle ardent sur le dos du tarasque qui hurla. Il se dressa sur ses pattes arrières essayant de saisir le Gragon sans y réussir. Quand il vit le grand être virer sur l'aile et revenir, le monstre battit en retraite. Il hurla à nouveau en accélérant quand la langue de feu lui atteignit le dos. Le Gragon continua sa chasse, poursuivant le tarasque qui freinant brutalement, échappa à la fin de l'attaque. Il fit demi-tour repartant vers le village, provoquant des cris de désespoir chez les hommes à l'orée du bois. Le Gragon reprit sa poursuite, arrivant sur les talons du tarasque en rase-motte. Si les flammes firent encore accélérer l'immonde bête, elles enflammèrent les débris des maisons. Le tarasque freina de toute la force de ses six pattes quand il arriva au bord de la falaise. N'ayant pas d'autre choix, il fit volte-face et se dressa sur ses pattes arrières. Le Gragon lancé à pleine vitesse, ne put l'éviter. Le choc vu de loin, sembla se dérouler au ralenti. Le tarasque bascula en arrière et le Gragon se retrouva à terre, comme étourdi. La terre trembla quand la lourde bête heurta les rochers en bas de la falaise. Son hurlement fut étouffé par les vagues qui le réduisirent au silence. Le Gragon accroché de toutes ses griffes  au bord de la falaise, poussa un cri, puis se laissa tomber dans un vol plané. Les hommes dans le bois, virent partir la femelle Gragon.
- Elle doit être pressée d'aller pondre vu le ventre qu'elle a, dit l'un d'eux.
Ils n'attendirent pas la réponse. Tous se mirent à courir pour revenir au village sauver ce qui pouvait l'être.
En arrivant, ils constatèrent, toutes les huttes étaient détruites sauf quelques unes plus près du bord de la falaise. Fman qui avait vu sa femme se faire dévorer, se mit frénétiquement à fouiller les décombres de sa maison, guidé par les pleurs de l'enfant qui maintenant hurlait de faim. Si quelques hommes étaient avec lui, les autres étaient partis vers les refuges. Ainsi s'appelait le réseau de grottes dans la falaise. On y accédait par un étroit chemin qu'aucun tarasque ne pouvait suivre et l'ouverture même des grottes, juste assez grande pour un mibur, constituait une protection efficace. Ils allèrent prévenir les femmes qui remontèrent vers le village. Ce fut à ce moment-là que Lmon découvrit une grosse boule brune. Comme elle était là où s'était posé le Gragon, tout le monde en conclut que c'était un œuf de Gragon.
Tout le monde fut d’accord pour dire qu’on ne jouait pas avec un oeuf de Gragon. Il fut recueilli et déposé dans une niche creusée à même le rocher. Les gens du village, le chaman en tête, espéraient que si un Gragon naissait, ce serait leur Gragon et qu’il les protégerait contre tous les tarasques…
Les premiers jours, tout le monde vint le voir, le toucher, le sentir. Comme rien ne se passait et que le village avait besoin de bras, on le laissa là. Le rocher creux marquait l’entrée du chemin menant aux grottes refuges. Personne n’aimait y aller sauf en cas d’alerte. Quant au fils de Fman, il commença sa vie en étant mis en nourrice chez la femme de Lmon qui avait perdu son bébé de fièvre un peu avant l’attaque. Une saison passa. Le soleil fut généreux et les récoltes poussèrent bien. Les voisins d’autres villages restèrent sur leurs terres. Personne n’essaya de savoir pourquoi. Cette année-là, il n’y eut pas de razzia. Pour un étranger, le village avait repris un aspect normal. Seuls les villageois voyaient encore çà et là les traces du passage du monstre. Les huttes étaient moins nombreuses qu’avant. Le fils de Fman fut présenté. On le tint au-dessus du vide en demandant s’il était de la race des hommes ou de celle des esprits. Fman vint. Tout orné de feuilles et de branches, il réclama cet enfant comme étant un petit homme, fils d’un homme. On lui donna le nom de Nmin. Maintenant qu’il était sevré, il allait et venait dans le village. Quand il découvrit l’oeuf avec les autres garnements, ils ne comprirent pas ce que cela représentait. Ils avaient entendu parler de tarasques et de Gragons, mais n’ayant jamais vu ni l’un ni l’autre, ils en ignoraient la forme. Pour eux ce ne fut qu’une balle qu’ils emmenèrent dans la première salle sous la falaise pour jouer entre eux. Ils se lassèrent vite. Trop lourde et peu capable de rebondir, ils la laissèrent dans un coin près de la muraille sans plus s’en occuper. C’est là, après leur départ, un soir, que se déchira la membrane de l’oeuf. Le Gragon qui en sortit était tout petit et tout gris. Dès qu’il put, il se réfugia dans une niche creusée dans la paroi. C’est là que Nmin le découvrit. Il le prit tout d’abord pour une statue, en s’étonnant de ne pas l’avoir remarquée plus tôt. C’est en voulant la saisir qu’il comprit son erreur. La gueule du Gragon se referma sur sa main. Nmin hurla, le Gragon piailla, relâchant son étreinte, et tenta de s’envoler pitoyablement vers un abri. Nmin se tenant la main, fut prit de pitié pour ce drôle d’oiseau gris qui semblait si maladroit. Il pensa qu’il pourrait peut-être l’apprivoiser ce qui le ferait passer pour un héros aux yeux des autres qui le traitaient toujours de bébé. Restait à le faire. Nmin du haut de sa première saison, chercha comment il pouvait faire pour l’apprivoiser. Une idée lui vint.
- Bouge pas, Bestiole… Bouge pas, je reviens.
Le Gragon pencha la tête en l'écoutant comme s'il l'avait compris et se renfonça tout au fond de cette niche refuge.
Nmin courut chercher de la nourriture. Il se posa la question de ce que pouvait manger un tel oiseau. Il ne ressemblait pas aux piafs que son père ramenait parfois, petites boules de plumes colorées. Ce devait être une sorte d’oiseau des cavernes, tout gris et sans plume. Il fouilla dans les déchets de ce qui avait été mangé, n’osant pas prendre dans les provisions.
Il ramena des ossements sur lesquels restait de la viande, trop cuite d’ailleurs et divers autres rogatons dont sembla se régaler son drôle d’oiseau. Une fois rassasié, l’oiseau tendit le cou vers Nmin. Celui-ci un peu impressionné, tenant sa main mordue à l’abri, le laissa s’approcher. L’animal émit une sorte de grondement sourd et posa sa tête sur l’épaule de Nmin. Il le laissa faire et de sa main valide, il caressa le cou de l’oiseau. Il était doux. L’animal gronda plus fort, fermant les yeux, semblant apprécier ce qui se passait. Ils restèrent ainsi un moment. Nmin était content. Cet ami-là, personne ne pourrait lui enlever. Leur amitié se renforça au fur et à mesure qu’il lui amenait à manger. Le temps passa. Nmin fut confronté à une question. Comment l’appeler ? Il voyait bien que ce drôle d’oiseau, qui maintenant se nourrissait tout seul la nuit, avait une envergure importante. Le nom devait être en rapport. C’est en arrivant un matin que l’idée lui vint. Il venait de se faire mettre à mal par les autres enfants, encore une fois. Petit en taille et en carrure, il était régulièrement le souffre-douleur de la bande d’enfants qui parcourait le village. Son seul refuge était ces grottes. Les autres n’osaient pas s’y aventurer. On y entendait des bruits et on voyait des ombres plus qu’inquiétantes. Quand il se sauvait, poursuivi par l’un ou l’autre, il se réfugiait ici. Les autres n’osaient pas le suivre dans ces couloirs trop sombres où devaient régner les mauvais esprits. La notion de vengeance lui vint à l’esprit. Cet oiseau, par sa seule présence, serait sa vengeance. Il l’appela Mossaro, du nom de celui qui est désigné pour aller porter la vengeance entre les villages.
Quand arriva la saison du vent du large, celle qui amène la pluie et les tempêtes, Nmin n’avait toujours pas réussi à convaincre Mossaro de sortir au grand jour. Un jour qu’il était encore plus triste que d’habitude, Nmin posa sa tête contre celle de Mossaro. Les grands yeux allongés maintenant entourés de fines écailles brillaient comme du métal jaune. Il fut comme happé par ce regard.
- “Manger ! Manger du vivant !”
Nmin se recula vivement. Quelle était cette voix ? Il regarda tout autour de lui mais il était seul, seul avec son animal. Il le regarda curieusement.
- Tu parles ?
Seul le silence lui répondit. Mossaro approcha la tête de Nmin. Elle était maintenant presque aussi grosse que son torse. Il pensa : “encore un peu et il n’entrera plus ici !”
- “ Non, il me faudra un autre lieu !”
De nouveau, il sursauta. Il n’avait pas rêvé. Mossaro ne parlait pas mais s’adressait quand même à lui. Il le regarda dans les yeux :
- Je vais te chercher cela. Il y a, pas très loin, une petite rivière qui coule jusqu’à la mer. J’ai vu un grand trou assez haut. J’irai voir si cela peut te convenir.
Mossaro répondit par ce grondement sourd qu’il faisait quand il était heureux.
Nmin savait qu'il allait se faire disputer, mais il avait promis à Mossaro d'aller voir. Les adultes étaient déjà tous rentrés à l'abri. la tempête arrivait. Le vent soufflait déjà fort et la pluie cinglait la région. Dans la combe, Nmin était encore relativement à l'abri. Il tentait de se hisser vers la cavité qu'il avait repérée. La végétation assez dense de la pente, l'aidait. Il ne lui restait que peu de temps pour gagner un abri. Avant la fin de la journée, le hurlement du vent couvrirait tous les bruits et malheur à ce qui n'avait pas été attaché. Quand il arriva juste en dessous de l'entrée, il jura. Il y avait là une marche de pierre trop grande pour lui. Il se déplaça avec précaution vers le chemin qui lui sembla le moins difficile. Quelques vagues racines lui permirent de s'accrocher. Il se félicitait de ne pas être trop lourd. Il était agrippé à une liane qui lui offrait une bonne chance de passer l'obstacle quand un brusque coup de vent le prit violemment par en-dessous. Il se cramponna de toutes ses forces et ferma les yeux. Il se sentit soulevé, emporté. La liane se tendit, l'obligeant à resserrer sa prise. Il hurla de peur tout en sachant que personne ne serait là pour l'entendre. Il se sentait comme un drapeau secoué par le vent. Brutalement, alors que la pluie l'avait détrempé, il sentit la rupture de la liane. Il resta comme suspendu un court instant et heurta brutalement quelque chose de dur. Il perdit conscience.
Quand il revint à lui, il avait chaud. Il était confortablement installé sur un lit de mousse. Un doux grondement le berçait. Nmin ouvrit les yeux. Mossaro était là, lové autour de lui. Il ne l'avait jamais vu aussi grand. Il avait cessé d'être gris. Sa peau s'était couverte de sorte d'écailles comme les poissons, aussi brillantes que les poissons. Il avait déjà vu cela une fois, c'est quand Flin, le chef du village, avait montré sa puissance en sortant un couteau qui avait la même brillance. Il était bien, il se rendormit.
Il faisait grand jour quand il se réveilla. Mossaro n’était pas là. Il se leva pour aller jusqu’au bord de la caverne. Il recula devant le vide. Il se demanda comment il avait pu monter sur cette corniche. Il se rappela vaguement la liane. Maintenant se posait la question de sa descente. Son père devait être fou d’inquiétude sans parler de la femme de Lmon qui l’avait nourri. Il appela :
- Mossaro ! Mossaro !
Sa voix semblait trop faible dans ce vent qui soufflait encore. Une ombre lui cacha la lumière, lui faisant peur. Il se recula dans la partie la plus sombre de la grotte. Ce fut juste assez rapide pour permettre à Mossaro d’atterrir. Immédiatement, ouvrant sa large gueule, il fit tomber des poissons devant Nmin. Ce fut à ce moment-là qu’il s’aperçut combien il avait faim. Il rassembla de la mousse et quelques branchages. Il avait déjà vu son père faire du feu. On frottait du bois contre du bois en tournant très vite et cela prenait. Il tenta une fois, deux fois sans succès. Cela lui donna envie de pleurer. Mossaro lui donna des petits coups de museau comme s’il voulait que Nmin se pousse. Fatigué par son effort pour enflammer ce qu’il avait préparé, il se laissa faire. Avec de petits cris, Mossaro approcha son museau du tas de brindilles et doucement fit jaillir de sa gueule ce que Nmin n’aurait jamais osé espérer. Mossaro était un oiseau cracheur de feu. Nmin comprit alors son erreur. Les seuls êtres capables de cracher du feu étaient les Gragons. Mossaro n’était pas un drôle d’oiseau nocturne, Mossaro était un Gragon et son ami. L’émotion lui serra la gorge. Nmin se jeta au cou du Gragon qui, surpris, fit en bond en arrière et bascula dans le vide. Nmin, entraîné par le mouvement, s’accrocha de toutes ses forces. D’un mouvement fluide et puissant, Mossaro avait déployé ses ailes et fait un demi-tour pour que Nmin se retrouve sur son dos, à la racine du cou. Le grand être se laissa glisser sur le vent qui le portait, emmenant Nmin qui n’en croyait pas ses yeux. Ils volaient…
- « Tu aimes, Nmin ? »
Les paroles s’inscrivirent dans sa tête comme s’il les avaient entendues.
- J’ADORE, hurla-t-il pour couvrir le bruit du vent.
- « Tu n’as pas besoin de hurler comme cela, je t’entends où que tu sois ! »
Au-dessus de la mer, Mossaro lui fit découvrir tout ce qu’il savait faire en vol, éclatant de rire chaque fois qu’il surprenait Nmin. Au bout d’un moment, il se mit à voler un peu au-dessus de la surface de la mer.
- « Tu vois, là-bas, le trait blanc ? »
- Oui, je le vois.
- « C’est ton village. On y va ? »
- OUIIII !
Mossaro reprit ses puissants battements d’ailes et prit de la vitesse. Nmin avait trouvé un endroit à l’abri du vent derrière une écaille presque transparente, comme si l’endroit avait été fait pour lui.
- « Tu penses bien, Nmin. Tu es moi et je suis toi. Alors quand un Gragon se lie à un humain, cet endroit se crée pour l’accueillir. »
Nmin se mit à rire de bonheur. Jamais, il n’avait pensé pouvoir être aussi heureux.
La vitesse de Mossaro devint prodigieuse. Les falaises si lointaines il y a un instant, devinrent un mur grandissant à toute vitesse. Nmin eut presque peur, mais Mossaro savait, cela ne pouvait être autrement. Cambrant ses ailes il fit une chandelle qui lui fit raser la paroi de roches blanches. Telle la plus rapide des flèches, ils surgirent du gouffre, effrayant les humains qui vaquaient à leurs occupations. Il y eut des cris :
- Un Gragon ! UN GRAGON !
Mossaro fit un tour du village à basse altitude en regardant les humains s’agiter en-dessous. Nmin lui dit :
- Je ne vois rien !
- « Ferme les yeux, Nmin et regarde ! »
Étonné, il fit ce que lui commandait Mossaro. Il poussa un nouveau cri de surprise. Il voyait ce que voyait Mossaro. C’était extraordinaire. Il voyait tout l’ensemble du village et en même temps, il pouvait détailler le moindre recoin. Il vit son père, la main au-dessus des yeux, qu’il avait plissés, regarder le Gragon volant. Il vit Lmon sortir de sa hutte suivi de sa femme. Il vit même Flin, le couteau à la main et le chaman qui s’était arrêté en pleine cérémonie d’offrande au totem du village.
- « On se pose ? »
- On se pose !
Il y eut des mouvements de panique quand le Gragon, arrivant à grande vitesse, bloqua son mouvement d'une brusque cambrure des ailes pour se poser sur la place du village.
Puis ce furent des cris de joie. Un Gragon dans le village était signe de bénédiction. Pourtant personne n’osait approcher. Nmin se dégagea de sa place et apparut sur le dos du Gragon. Il y eut de nouveaux cris, à commencer par son père et sa nourrice. Nmin se rengorgea en voyant les regards plus qu’envieux que lui jetèrent les autres enfants. Il descendit de son perchoir pour être accueilli par le chef du village et le chaman. Celui-ci, revêtu de son habit de cérémonie, s’approcha en faisant force courbettes devant le Gragon.
- « Il est curieux ce petit homme »...
Nmin n’osa pas lui répondre directement. Il émit juste la pensée que c’était le chaman et que ce dernier était un grand sorcier plein de pouvoirs qui pouvait donner la vie ou la mort. Cela fit rire Mossaro.
- « Est-il aussi puissant que tu le dis ? J’ai vu dans l’esprit des gens qu’il n’avait rien fait contre le tarasque. »
Nmin se renfrogna.
- Les tarasques sont des monstres pleins de malice. Que peut un homme contre eux ?
Il avait parlé tout fort. Les gens autour ne comprirent pas tout de suite à qui il s’adressait et puis la compréhension se fit dans leur esprit. Leur regard sur Nmin changea à nouveau. Il parlait aux Gragons. Il était donc plus fort que le chaman. Est-ce qu’il allait garder le Gragon dans le village ? Certains pensaient que plus jamais ils ne risqueraient de se trouver aux prises avec un tarasque, pendant que d’autres pensaient au coût de l’entretien d’un Gragon.
- C’est que ça mange, ces bêtes-là, murmura une femme à sa voisine. Si on doit le nourrir tout le temps, on va mourir de faim avant peu.
Nmin était perturbé par tout ce flot de pensées que Mossaro lui transmettait. Sans ouvrir la bouche, il dit :
- « Tu entends vraiment tout ça ? »
- « Oui, et d’autres choses qu’ils ne savent même pas qu’ils pensent. »
La gêne s’installa. Qu’allait-on faire ? Comment se conduit-on avec un Gragon ? Et puis Nmin, qu’allait-il devenir ?
Flin prit la parole après s’être concerté avec le chaman.
- Nous allons faire une grande fête. Les villages voisins viendront. Nous leur montrerons que nous avons un Gragon, parce que bien sûr, Nmin sera notre relais auprès du Gragon…
- « Je crois qu’il n’a rien compris », pensa Mossaro.
- « Mais c’est le chef », lui répondit Nmin.
- « Et cela ne l’autorise pas à faire ce qu’il dit. »
- « Tu ne serais pas content de pouvoir manger ? »
- « Effectivement, s’il y a un banquet ».
Pendant leur échange, Flin avait continué son discours. Nmin n’avait pas écouté, mais la fin parlait des étapes de l’organisation. Les taches furent distribuées et bientôt, les uns après les autres, les villageois partirent faire ce qu’il y avait à faire. Cela se fit d’autant plus vite que la pluie s’était remise à tomber.
- « On devrait rentrer à la grotte », dit Mossaro.
Nmin approuva. Il ne savait pas vraiment à quoi il s’attendait en atterrissant là, mais il repartait insatisfait. Il ne se sentait pas intérieurement en paix. Le vol de retour vers la grotte le détendit. Sur le dos de Mossaro, il oubliait tout, se laissant aller au plaisir
Quelques jours plus tard, alors que de voir le Gragon devenait une routine pour le village, revint un porteur de message. Il arrivait du village situé à une journée de chez eux. L’homme avait une mine sombre. Quand il s’approcha de Flin pour délivrer son message, tout le monde avait compris… Un tarasque était signalé. Cela leur rappela de mauvais souvenirs. Le monstre qui avait presque détruit le village, venait déjà de ce village. Les avis furent partagés. Certains pensaient qu’on ne risquait rien avec un Gragon dans le village, d’autres le trouvaient trop petit et trop jeune pour venir à bout de la bête décrite par le messager.
Mossaro se promenait quelque part. Nmin avait repris ses activités normales. Les travaux n’attendaient pas. La saison des pluies permettait que poussent les récoltes. Il fallait lutter contre les nuisibles, qu’ils soient animaux ou végétaux. Il fallait beaucoup de temps pour faire cela. Quand il avait vu le Gragon, le père de Nmin avait décidé de défricher un peu plus pour avoir un champ de plus. C’était un pari sur l’avenir. Fman prenait le pari qu’aucun tarasque ne viendrait détruire les récoltes et manger les animaux. En apprenant ce qui se passait à Gianthad, il douta. Le messager parlait d’un monstre plus gros que celui des saisons passées. Ses pensées influençaient Nmin qui ne savait plus ce qu’il devait croire. Il avait posé la question à Mossaro à son retour qui avait répondu de manière énigmatique :
- « Quand un tarasque est gros, le Gragon est gros ».
Pour Mossaro, c’était tellement évident qu’il ne voyait pas ce qu’il devait expliquer.
- « Viens », dit-il alors à Nmin. « On va aller à Gianthad. Ce n’est pas très loin. »
Pour Nmin qui pensait comme un piéton, la proposition de Mossaro lui semblait irréaliste. Pensant qu’il allait voler et échapper aux corvées, il acquiesça tout de suite. Il se retrouva bientôt à sa place sur le dos du Gragon. A chaque fois, c’était la même joie, la même découverte, le même plaisir. Il ne leur fallut pas longtemps pour rejoindre   Gianthad. Cela étonnait toujours Nmin. Il découvrit le village de haut. Bientôt, il repéra le tarasque. Gianthad était un bourg beaucoup plus grand que leur village. Les troupeaux y étaient nombreux. C’est sur l’un deux que s’acharnait la bête, décapitant les mibur aussi facilement qu’on fait tomber un fruit mûr. Bloqué par les haies d’épineux, le troupeau ne pouvait que tourner en rond sans pouvoir s’échapper. Dans les autres parcelles, des hommes, tout en restant le plus discret possible, tentaient de sauver ce qui pouvait l’être. Nmin sentit sa colère monter comme celle de Mossaro. Ces monstres méritaient la mort. Leurs victimes criaient vengeance. Si Nmin en était convaincu, il ne voyait pas comment son petit Gragon allait attaquer une bête plus grosse que lui.
Mossaro fit un survol du champ. Le tarasque tout occupé à dévorer ses proies, ne fit pas attention à ce qui se passait au-dessus de lui. Mossaro prit de la hauteur. Nmin vit le sol s'éloigner à toute vitesse. Tout rapetissait rapidement. Même s'il n'avait pas beaucoup volé, le phénomène lui sembla étrange. C'est comme si... Il décrocha du regard de Mossaro pour regarder autour de lui. Il poussa un cri de surprise.
- « Tu ne savais pas, Nmin ? Les Gragons peuvent choisir leur taille. »
Mossaro à cette taille, n'aurait pas tenu dans la grotte de la falaise. Il était maintenant plus gros que le tarasque. Il vira et se mit en piqué. Nmin qui ne voulait rien perdre de la confrontation, fondit son regard dans celui du Gragon. L'instinct du tarasque avait dû l'avertir, car lâchant le mibur qu'il dévorait, il tourna la tête en tous sens. Il n'eut pas le temps d'éviter l'attaque de Mossaro. Les flammes lui léchèrent le dos. Nmin fut impressionné par la taille qu’avait prise le Gragon. Il était maintenant deux fois plus grand que le monstre qui, sur ses pattes, était haut comme deux hommes. Le tarasque hurla et tenta de fuir. Il fut ralenti par la haie. Plus que les longues épines, ce fut la dureté des troncs qui le bloqua un temps. Mossaro en profita pour revenir à la charge. Le monstre se battait encore avec les branches qui l'entravaient quand les griffes du Gragon lui labourèrent le dos. Son cri fut entendu jusqu'à Gianthad. Le sang toxique de la bête se  répandit sur le sol y créant de vastes taches brûlées. Mossaro de nouveau piqua, crachant son feu sur le tarasque qui, après s'être libéré des arbustes, galopait pour échapper à la chaleur. Quand le Gragon passa au-dessus du monstre, celui-ci fit un prodigieux bond en l'air de toute la puissance de ses six pattes. Nmin entendit claquer la monstrueuse mâchoire à quelques coudées de son abri. Le combat continua ainsi. Mossaro avait l'avantage. Le tarasque devait se protéger du feu, en particulier, il devait fermer les yeux, ce qui donnait un avantage certain au Gragon. Nmin vivait cela aussi intensément que Mossaro. Quand arriva l'hallali une foule s’était rassemblée pour voir les derniers moments de la bête honnie. Quand se furent apaisés les derniers soubresauts du tarasque, ce fut une explosion de joie. Quand Nmin descendit du dos de Mossaro, l'ovation fut tellement gigantesque qu'il ne l'oublia jamais. La fête fut à la hauteur de l'événement. Bientôt dans la région, on ne parla plus que du Gragon de Nmin. Certains même espéraient que leur seule présence suffirait à éloigner les tarasques. Mais si la bête est puissante, elle ne raisonne pas, elle ne sait que chasser.
Ils étaient encore à être fêtés quand arriva un homme qui se présenta à Nmin  :
- Mon Maître est prêt à payer cher pour que vous le débarrassiez du tarasque qui hante ses terres. Il vous sera éternellement reconnaissant de faire cela pour lui.
Nmin qui entretenait maintenant une relation mentale continue avec Mossaro, n'eut même pas besoin de lui demander.
- « Si c'est pour revivre ce qu'on vient de vivre, alors je suis partant  ! »
C'est ainsi qu'ils repartirent à la chasse au tarasque. C'était une femelle. Le combat fut plus difficile, mais Mossaro en vint à bout. C'est au moment de l'hallali que Nmin repéra par les yeux de Mossaro les petits. Ils comprirent alors pourquoi, elle n'avait pas changé de lieu comme les autres monstres. Ses petits l'avaient bloquée dans ce territoire. Il y en avait deux qui avaient déjà la taille d'un grand humain. Si l'un se traînait et fut rapide à éliminer, l'autre opposa une résistance farouche comme un grand.
De nouveau, ils furent fêtés comme des sauveurs, mais cela ne dura pas. De nouveau, on vint implorer leur aide pour une nouvelle éradication. Ce fut ainsi pendant des lunes et des lunes jusqu'à ce qu'un jour, ce soit le roi qui demande leur aide. Mossaro en fut ravi  :
- « On va pouvoir lui demander de l'or ! »
L’œil de Mossaro en était devenu brillant de désir. Nmin sourit à l'idée de voir le roi et surtout d'avoir de l'or.
Quand le Gragon se présenta en vol près de la capitale, ce fut comme un signal pour une fête malgré la situation. La ville était quasiment en état de siège avec plusieurs tarasques tournant autour. Les troupes avaient tenté d'éliminer les monstres, mais ils avaient subi de très fortes pertes sans pouvoir en éliminer un. Ils avaient blessé une des bêtes sans autre résultat que la colère des tarasques qui étaient venus attaquer les remparts. Les hauts murs bloquaient le passage des monstres. Si ceux-ci tentaient de monter, des meurtrières permettaient de les repousser avec des baliveaux qui, malheureusement, ne résistaient pas aux violents coups de pattes. Alors que Mossaro se posait, on entendit les cris des tarasques qui, eux aussi, l'avaient repéré.
Le roi avait bien fait les choses. Mossaro et Nmin furent accueillis comme personne ne les avait jamais accueillis. On leur donna de l’or, et de bonnes choses à manger. Mossaro prit l’or dans sa gueule quand Nmin s'empiffrait de sucreries. On les conduisit jusqu’au palais avec force ovations. C’est assez grisés, qu’ils arrivèrent devant le roi. Nmin fut décontenancé par la prestance du personnage. Il se sentit subitement insignifiant. Quand le roi s’adressa à lui, Nmin n’eut plus qu’une envie, l’aider. Mossaro fut conduit dans les jardins où une grotte artificielle avait été dressée. C’est là qu’il creusa la terre pour enterrer ce qui était son trésor. On lui avait amené un beau mibur à croquer. C’est là qu’ils se retrouvèrent pour dormir après le banquet donné pour Nmin, le chevaucheur de Gragon. On entendait encore les bruits de la fête qui continuait dans les jardins en contrebas de la grotte de Mossaro. Nmin trouva le Gragon lové sur la terre fraîchement remuée recouvrant son or.
- Tu entends la fête ?
- « Oui, ils font beaucoup de bruit. »
- Le roi est vraiment un homme extraordinaire...
- « Te voilà bien enthousiaste ! Pendant que tu bois et que tu manges, j'ai été voir... »
- J'croyais qu't'avais pas bougé !
- « Tu es plein de vin ! »
- Ouais !
- « Alors, écoute bien ! Pendant que tu faisais la fête, j'ai fait un tour en ville. J'avais pris la taille d'un de leurs petits oiseaux. Dans cette ville, il n'y a qu'ici qu'on mange à sa faim. Les tarasques n'arrêtent pas d'attaquer. C'est une horde complète qui est dehors. »
- Et alors, on va les réduire les cendres !
- « Tu ne comprends pas ! C'est la première fois qu'on va se retrouver face à une horde qui sait chasser en groupe. »
Mossaro coupa court à la conversation. Nmin était trop saoul pour voir le danger.
Il le réveilla avant l'aube. S'il rechigna, Nmin se leva quand même et accepta l'idée que lui exposa le Gragon, même s'il la trouva curieuse. Ils déambulèrent tous les deux dans la ville. Nmin portant sur son épaule Mossaro qui avait prit la plus petite taille qu'il pouvait. La réalité le toucha de plein fouet. La ville était en siège, le rationnement existait bel et bien, et les cris des tarasques attaquant sans cesse couvraient les quelques bruits de la vie courante.
- « Vois pourquoi le roi a appelé ! »
Toujours sous le charme de la soirée d'hier, Nmin fut renforcé dans son idée d'aller les griller tout de suite. Mossaro lui répondit :
- « Bien sûr qu'on va y aller, mais un roi qui fait la fête pendant que ses sujets meurent de faim, est-ce un bon roi ? »