jeudi 20 mars 2014

Cela faisait quatre jours qu’ils marchaient. Lyanne avait interrogé Degala sur la mer. Il avait pris la route de Malemok. Cette ville était un carrefour important. Bien que serpentant un peu d’un village à l’autre, la route de Malamok allait vers le soleil levant. Degala était jeune, même s’il ne savait pas depuis combien de saisons il était sur terre. Lyanne découvrit que pour lui, les saisons étaient plus nombreuses. S’il connaissait l’hiver et l’été, il connaissait aussi le printemps, l’automne, la petite saison des pluies, la saison du vent, la grande saison des pluies. L’accueil dans les villages était juste acceptable. Comme souvent, on n’aimait pas beaucoup les étrangers. Si Lyanne avait un aspect curieux pour des yeux locaux, Degala se fondait bien dans le paysage. Il connaissait les us et coutumes les plus courants. En ce quatrième jour, la pluie les accompagnait. Si Lyanne s’en moquait, Degala était complètement trempé.
- C’est normal, mais ça ne va pas durer. Lors de la petite saison, ça tombe bien, mais ça dure pas. J’vais sécher.
Quand le soleil commença à décliner sur l’horizon, Degala n’avait toujours pas séché. Ils arrivèrent à une bourgade avec les derniers rayons du soleil. Lyanne décida de ne pas passer la nuit dehors. Il repéra l’auberge locale, infâme bâtisse qui lui rappela le Milmac Blanc, la première fois qu’il avait poussé la porte. Quelques pauvres lumières éclairaient une pièce basse. L’odeur était un mélange de sueur, de relent de nourriture mal digérée et de mauvais malch noir. Oui, il avait une chambre, oui, elle était libre mais non, on ne payait pas demain, on payait d’avance. Le marchandage s’engagea mais fut rapidement conclu. Degala claquait des dents. Lyanne se posa la question de savoir si il était malade ou simplement fatigué. Quand ils arrivèrent dans la chambre, les planches disjointes laissaient passer les courants d’air, la rendant glaciale. Un tas de paille servait de matelas et un vieux tonneau pouvait faire office de table. L’aubergiste leur laissa une mauvaise bougie, fumant sans éclairer. Lyanne coucha Degala, l’enveloppant dans la seule couverture qu’ils avaient. Il toucha la bougie de son bâton de puissance. La flamme gagna en intensité et surtout en chaleur. De petites volutes rouges s’en échappaient pour venir entourer Degala qui déjà dormait.
Avait-il bien fait de prendre cet enfant avec lui ? S’il était malade, il allait falloir ralentir. Il resta là pensif un moment, puis alla dans la salle pour manger. Il y avait un peu de monde. Les hommes revenaient des champs et s’arrêtaient pour boire avant d’aller dans leur maison. Ils lui jetèrent des regards durs quand ils le virent. Bien qu’enveloppé d’une grande cape de voyage, ses mains le trahissaient. Trop belles, trop lisses pour appartenir à un gars comme eux. Il y eut des remarques faites dans un patois que Lyanne ne connaissait pas. Cela les fit rire. Sans un mot il s’assit, posant le bâton de puissance encapuchonné le long du mur.
- T’as pas l’air du coin, lui dit un grand gars aux épaules larges et aux mains énormes.
- Tu as raison. Je voyage et mon jeune ami est malade.
Quand il eut entendu cela, l’homme se redressa vivement.
- L’est malade, alors faut pas qui reste. L’dernier, y nous a amené la peste…
- Il a pris froid avec la pluie. Nous sommes loin de la peste.
- N’empêche, c’est c’qu’il a dit l’mec quand le père de mon père lui a donné l’hospitalité. Et puis trois jours après, l’était mort, tout raide, tout noir…
Lyanne ne savait pas trop comment faire. Il connaissait la peur qu’il voyait chez les gens du coin.
- Je viens de Rovti. Le Seigneur Etouble est mort et c’est son chef de l’armée qui a pris le pouvoir.
- Quoi ? demanda l’homme. C’te crapule est morte ?
- Il a voulu une épée enchantée mais il a fait ce qu’il ne fallait pas faire, m’a-t-on dit et il est mort.
La conversation dévia sur cette nouvelle. Degala avait été oublié. Etouble commandait ici et sa mort pouvait changer bien des choses.
L’aubergiste eut un petit sourire. Une telle nouvelle était de nature à remplir son auberge pendant plusieurs jours. Pendant que tout le monde parlait ou interrogeait Lyanne, il lui avait servi un bol de soupe même pas chaude et un plat comportant des galettes et un pâté.
Lyanne s’éclipsa dès qu’il put avec des provisions. Quand il entra dans la chambre, Degala dormait déjà. Il mit les provisions sur le tonneau en se disant qu’il fallait probablement se méfier des rats.
Il s'occupa de Degala qui ne bougea pas. Il posa la main sur le front du jeune. Fermant les yeux, il suivit les courants de puissance qui partaient de sa paume pour voyager dans le corps de l'enfant. Il voyagea ainsi, trouvant les zones malades. Il les trouva chaudes. C'était une bonne chose. Le corps se défendait. Il ne trouva pas de vrai danger. C'était une maladie banale. Il pensa que quelques jours suffiraient à rétablir le jeune. Restait la question de leur séjour dans ce village. L’auberge était mauvaise, l’accueil rebutant. Il sortit de ses pensées en entendant un bruit de pattes. Les rats ! Il devint dragon. Il avait pris une taille proportionnée à la pièce. Il se posa sur le tonneau et ne bougea plus. Attirés par la nourriture, il les entendit qui venaient voir. Un éclaireur allait arriver. S’il revenait, les autres pourraient prendre le risque de se montrer. Il le laissa prendre pied sur le haut du tonneau. Le rat s’assit sur son derrière, regarda cette chose rouge qui ne bougeait pas. Il était juste au bord, prêt à déguerpir. Il sentait une présence qu’il ne comprenait pas. Lissant ses moustaches, le rat renifla. L’odeur lui était inconnue mais inquiétante. Il regarda derrière lui pour voir un chemin de fuite. L’odeur de la nourriture fut la plus forte. Il s’approcha doucement de l’écuelle. Rapide, il s’empara d’un morceau de quelque chose et poussant un petit cri partit en courant le long du tonneau. Lyanne n’avait pas bougé. Il attendait la suite. Le temps passa. La respiration de Degala était régulière. Bientôt des bruits de pattes sur les planches vinrent se mêler au son que produisait le dormeur. Lyanne ouvrit un oeil. Il écouta attentivement. Il estima à une dizaine de bêtes le nombre nécessaire à produire un tel bruit. La première chose qu’il vit, ce fut un bout de museau aux longues vibrisses. Le corps massif d’un mâle suivit. Comme le premier, ce rat s’arrêta un moment pour renifler. Cette odeur inconnue le gênait. Devant l’absence de bruit, il avança d’un pas, puis d’un second, les yeux fixés sur cette chose étrange et immobile posée à côté de la nourriture. Il s’immobilisa. Cette odeur… dans sa mémoire atavique, cela réveillait un souvenir… mais lequel ?
Un souvenir de … DANGER ! Avec toute la vivacité qui le caractérisait, il bondit pour faire demi-tour et …
Le dragon engloutit le rat d’une seule bouchée. Cela ne valait pas un mibur, mais il ne se voyait pas chasser en ce moment. Tout cela se fit sans un bruit et tellement vite que le second rat s’arrêta interloqué en arrivant sur le couvercle. Il fut bientôt bousculé par deux autres qui avaient hâte de participer au repas. Ils subirent le même sort. Tout compte fait, le goût de ces bestioles était meilleur que celui des loups gris. Il passa ainsi sa nuit à s’empiffrer de rats assez dodus. La nuit était bien avancée quand il entendit un autre bruit. Les quelques rats qui traînaient sur le plancher disparurent prestement. Il pensa qu’un humain arrivait, marchant à pas qu’on disait de loup. Lyanne n’avait jamais entendu un loup marcher aussi bruyamment. Il se mit face à la porte.
Les pas s’arrêtèrent devant la chambre. Le bruit des respirations confirma ce qu’il avait déduit des bruits de pas. Ils étaient deux. Il les imaginait la tête penchée vers la cloison écoutant ce qui se passait à l’intérieur.
- J’te dis qu’y dorment, l’plancher a pas bougé d’puis longtemps, murmura une voix grasseyante.
- J’préfère en être sûr… chuchota l’autre.
L’attente dura un moment, puis le loquet sembla doué d’une vie propre en se soulevant tout seul. Le dragon eut un rictus de dragon. Quand la porte s’ouvrit en grinçant, deux silhouettes se précipitèrent vers la paillasse où étaient sensés dormir les voyageurs. Il frappèrent de leurs couteaux au hasard, surpris de ne rien rencontrer avant le sol. Le martèlement de leurs coups, les rendit sourds au bruit que fit Lyanne. Ayant repris forme humaine, il les assomma avec son marteau. La scène n’avait pas duré plus de quelques instants. Il retourna les corps sans vie pour découvrir que l'un des protagonistes était l'aubergiste. Il valait mieux qu'il fuit s'il ne voulait pas faire plus de morts. Il se tourna vers Degala qui dormait toujours, flottant en hauteur, reposant sur un lit de volutes noires qui le soutenaient. Il lui mit la main sur le front. Il le trouva frais. Prononçant des paroles de sommeil, il s'assura qu'il n'allait pas se réveiller. Lyanne se félicita de l'avoir installé sur un lit de volutes pour lui éviter les rats. Sans cela, il aurait été la première victime de cette attaque. Il le prit et le poussa vers le couloir. Il avait repéré une fenêtre dans le couloir. Le plancher grinça faisant grimacer Lyanne. Quand il arriva au bord de l'ouverture, il se pencha de l'autre côté. Le village semblait désert. Il n'entendit que les bruits nocturnes. Il poussa Degala doucement, ombre noire dans le ciel noir. Se transformant, il attrapa le dormeur avec ses pattes avant et s'éleva dans le ciel nocturne. Il s'éloignait quand il entendit le cri. Quelqu'un venait de trouver les morts.

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