mardi 29 novembre 2011

Tu as entendu?

- Tu as entendu? dit la Solvette à la femme de Kalgar.
- Oui, les esprits sont justes. Si elle vit, elle pourra avoir la tête haute et nous aussi. Emmaillote-la, Solvette. Fais ce que tu peux pour l'aider.
La Solvette prit l'enfant. Après avoir tété, elle dormait en faisant des bulles. Elle l'emmaillota dans plusieurs épaisseurs intercalant entre chaque couche des herbes d'elle connues. En les mélangeant savamment, elles dégageaient de la chaleur. La Solvette fit de son mieux. Elle n'eut malheureusement pas assez de temps pour faire de même avec le garçon des étrangers.
La milice attendait. Retourner derrière les remparts alors que rôdaient des loups noirs, rendait les hommes nerveux. Sstanch donna un des paquets à Filt et l'autre à Calt. Dès qu'ils furent dans la rue, ils mirent des raquettes pour affronter cette neige lourde qui tombait en s'accumulant. Kalgar n'était pas de cette sortie. Chan lui avait donné l'ordre de rester près de sa femme. Sstanch pressa ses hommes, plus vite sortis, plus vite rentrés. Il prit quand même la précaution d'observer les alentours avant que d'ouvrir la porte. Du haut de la tour de guet, Sstanch scruta l'ombre au loin. La meute semblait avoir disparu. Sans le vent, les torches brûlaient d'un éclat suffisant pour faire fuir les loups. Les deux premiers hommes se glissèrent par l'entrebâillement de la porte. Ils restèrent un bon moment à observer les bois, mais ils ne virent aucune lueur d'œil de loup. Deux autres hommes sortirent puis Filt et Calt. Derrière eux, quatre autres porteurs de torches prirent position, l'arme à la main. Du haut de la tour, Sstanch avait bandé son grand arc. Il se tenait prêt en cas d'attaque de la meute. Les dix hommes firent mouvement vers la pierre qui bouge, à une portée de flèche. Ils l'atteignirent sans encombre. Filt et Calt déposèrent les deux paquets, presque avec tendresse. Au pas de course, toute la troupe regagna la protection de la palissade. S'appuyant sur le battant de la porte, ils la firent claquer.
Au loin un loup hurla.

dimanche 27 novembre 2011

Alors, la Solvette?

- Alors, la Solvette?
Chan avait réuni le conseil des anciens. La fête avait tourné court avec l'arrivée des étrangers. Le vent avait diminué. Maintenant seule tombait une neige épaisse. Derrière le rideau, la femme de Kalgar avait donné naissance à un hors-saison. La matrone l'avait bien aidée. Pour une première naissance, surtout dans de telles conditions, les choses s'étaient bien passées. Restait à savoir si le mauvais œil serait sur l'enfant. Le sorcier était arrivé peu après. Le mécontentement se lisait sur son visage. Il avait déjà prévenu qu'il faudrait faire des sacrifices pour apaiser les esprits à cause du hors-saison et à cause des étrangers. Il avait tiqué en voyant la Solvette auprès des deux étrangers. Elle leur faisait boire un de ces remèdes dont elle avait le secret. Il avait pris une mèche de cheveux de chacun des quatre qui pouvaient potentiellement être porteur de mal. Il était reparti aussitôt faire un premier rite divinatoire. La Solvette s'essuyait les mains sur son tablier en s'approchant du cercle du conseil.
- L'enfant est costaud. Il devrait s'en tirer. La femme a une fièvre maligne. Je suis étonnée qu'elle soit arrivée jusqu'ici. Elle ne survivra pas. Quant à l'homme, son bras est bien abîmé. C'est la morsure d'un loup noir. Les os sont broyés. S'il survit, il ne pourra plus s'en servir. Je leur ai donné un jus de boutrage. Ils vont dormir. L'enfant de Kalgar est une fille bien chétive. Il lui faudra trouver des ressources en elle pour survivre.
Les anciens remuèrent sur leurs sièges. Chan reprit la parole.
- Tu es sûre pour la femme?
- Oui, ses yeux sont déjà partis, son esprit se détache.
- Et l'homme?
- Tu sais comme moi ce que veut dire la morsure d'un loup noir!
Chan se rappelait les mutilations du vieux Snouk. Un des rares qui ait survécu à une telle rencontre. Sa jambe inerte, aux multiples angulations avait fortement marqué l'enfant qu'il était. Incapable de travailler, il mendiait dans la rue qui monte non loin de la maison commune.
- Que Cotban nous protège d'une telle éventualité.
- Il faut qu'ils s'en aillent avec ce maudit enfant dès que possible.
Celui qui venait de parler avait la voix tremblante des très vieux. Il ne quittait plus guère le coin du feu même en été. Sa présence au conseil d'aujourd'hui était pour Chan un signe supplémentaire de la gravité de la situation.
- Les lois de l'hospitalité nous interdisent de les mettre dehors.
- Il faut qu'ils partent. La ville est en danger rien que par leur présence. On ne voyage pas pour le plaisir quand Sioultac hurle dehors. Il faut de bonnes raisons.
- Peut-être qu'un hors-saison...
- Je ne crois pas, chevrota le vieil homme, tu ne vas pas mettre Kalgar dehors parce qu'il a fait un hors-saison. Ces étrangers-là ne sont pas de notre monde. Ils viennent d'où?
Leurs habits ne sont pas ceux de la vallée. Tu as vu comme moi ce qu'ils portaient...
- Peut-être de la grande plaine?
- Tu rêves, Rinca! Les fourrures sont trop belles, les cuirs trop bien travaillés. Personne ne sait faire cela dans la région. Et puis, tu as vu leurs armes...
- Celles que fait Kalgar ne sont pas mal!
- Non, elles sont bien, mais l'épée de l'homme est nettement supérieure.
- Allons, calmez-vous, dit Chan. Nous n'allons pas discuter dans le vide. Il faut attendre demain pour prendre une décision. Nous en saurons plus.
- Pas besoin d'attendre!
Tout le monde se tourna vers le sorcier qui venait d'entrer. Le vent était complètement tombé. Il se débarrassa de la neige qui couvrait sa fourrure et s'avança.
- La femme mourra dans les trois jours. Ainsi discernent les esprits. Pour l'homme s'il passe la lune montante, il sera sauvé et pourra partir. Reste l'enfant, ou plutôt les enfants : deux hors-saisons.
Le sorcier avait quasiment craché ces derniers mots. Il fit une pause, vérifiant que tous étaient bien suspendus à ses lèvres. Comme toujours, il vit la Solvette qui semblait se moquer de lui. Il maudit intérieurement cette femelle, cette hors-saison, qui ne tenait pas son rang. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il y a longtemps qu'il aurait fait un rite de sacrifice où elle aurait tenu une place de choix. Mais elle connaissait les secrets des plantes et de la nature. Les chefs de ville qui s'étaient succédé, s'étaient toujours refusé à la menacer.
- Alors Maître Sorcier, qu'ont dit les esprits?
- Ils doivent être exposés. Sioultac et Cotban choisiront.
Les sourcils de la Solvette se froncèrent. Ce vieux rite barbare qui remontait à Hut le fondateur, consistait à poser l'enfant au pied de la pierre qui bouge pendant une nuit. Celui qui était encore là et vivant le lendemain, pouvait rejoindre le clan des citadins.
- Et ont-ils dit quand ?
- Dès cette nuit! Dans leur mansuétude, ils ne demandent que la fin de la nuit.
- Bien, dit Chan. Qu'on prépare les enfants!
La Solvette ne dit rien. Son cœur se serra un peu plus dans sa poitrine. Elle savait qu'elle n'avait pas le pouvoir de s'opposer au rite. Elle savait aussi qu'élever un enfant fragile était une malédiction dans cette région, où la force était recherchée. Elle se dirigea vers le rideau au fond de la salle.

mercredi 23 novembre 2011

Chan sirotait son malch noir


Chan sirotait son malch noir. Il pensait que cette année, la fête ne serait pas très joyeuse. Il n'avait pas pu donner beaucoup pour améliorer l'ordinaire. La récolte avait été médiocre. Les provisions pour l'hiver seraient juste suffisantes. Il fallait éviter les gaspillages. Ce n'est pas avec quelques tonneaux de malch noir que les hommes allaient oublier les mauvais présages. Que ce soit l'interminable colère de Sioultac, ou la venue des loups, en eux-mêmes ces signaux n'étaient pas inquiétants. C'est leur accumulation qui minait le moral de la cité. La venue d'un enfant en dehors de la saison était aussi une anomalie. Dans un pays où toutes les naissances se faisaient au printemps, l'arrivée en hiver d'un petit faisait peur.
L'arrivée de la milice interrompit cette triste fête de la longue nuit.
A peine libérée la porte s'ouvrit à la volée sous la poussée des vents.
Filt et Calt entrèrent en soutenant un homme. Sous sa cape de fourrure, on devinait des habits étranges aux couleurs chaudes et claquantes. Derrière Kalgar fit une entrée encore plus remarquée. Il portait un tas de fourrure d'ours. La botte qui en dépassait évoquait la féminité.
Chan fut le premier à sauter sur ses pieds. Il avait vu la qualité des fourrures. Des étrangers, riches de surcroît, venaient d'échouer dans sa ville. Un nouveau mauvais présage!
- De l'aide vous autres ! dit-il aux hommes présents.
- Kalgar, pose-la ici. Ta femme a accouché, va la voir.
Celui-ci ne se le fit pas dire deux fois. Posant avec le minimum d'égard le paquet qu'il tenait, il courut vers le fond de la salle commune. Derrière, sa femme et son enfant l'attendaient.
Chan fit asseoir l'homme près du feu, sur son fauteuil. Il avait les traits crispés de celui qui souffre. Il soutenait son bras droit, la main pendait inerte, du sang s'écoulait le long des doigts.
- Allez chercher la Solvette, on a besoin d'elle.
Les miliciens s'entre regardèrent. La Solvette avait mauvaise réputation. Elle soignait mais on disait aussi d'elle qu'elle pouvait jeter des sorts.
La voix de Sstanch s'éleva.
- Filt, vas-y, tu ne risques rien.
L'homme grimaça mais prenant ses affaires, il sortit. Les autres furent soulagés de ne pas être obligés d'y aller. La Solvette habitait tout en bas de la ville près de la rivière. Filt en avait pour un bon moment à lutter contre les vents et la neige.
En attendant, Chan s'approcha du tas de fourrure d'ours. Il la déplia, découvrant petit à petit une frêle silhouette féminine. Il trouva les habits somptueux. Il n'avait vu de cuir si fin et si bien décoré, rehaussé de boucles en métal brillant.
- Cant sta chi miacto !
Chan se retourna vers l'étranger qui venait de parler d'une voix rauque altérée par la souffrance.
- Cant sta chi miacto ! redit-il.
- Je ne vous comprends pas ! dit Chan.
L'homme se leva brutalement, fit un pas vers la femme à la fourrure d'ours et tomba. Il poussa un cri quand son bras droit toucha terre et perdit connaissance.
- Allongez-le près du feu ! dit Chan en se retournant vers la femme toujours immobile. Elle était couchée sur le flanc, presque en position fœtale, serrant contre elle un sac. Il posa la main sur son épaule. Elle grelottait. Il la tourna sur le dos. Elle se laissa faire sans lâcher ses affaires. Son regard était voilé et ne semblait voir personne. Elle gémit quand il lui retira son sac. Il le tendit vers un des témoins qui s'était approché. Au moment où celui-ci le prenait, il s'en échappa un vagissement. Chan lui reprit des mains et l'ouvrit. La tête d'un bébé apparut. Il ne devait pas avoir plus de quelques semaines. Le regard de Chan alla de l'enfant à la femme. Qu'est-ce qui peut pousser une jeune mère à faire un tel voyage, en plus avec un hors-saison? Plus il découvrait de choses et moins il aimait ce qu'il se passait. Les augures avaient prévenu. La loi de l'hospitalité lui interdisait de les renvoyer mais tout son être le prévenait du danger qu'ils représentaient. Il jura dans sa tête.
- Qu'est-ce qu'on va faire, Chan? murmura l'Ancien.
La situation était inédite. Il arrivait parfois pendant la saison des longs jours que des étrangers montent jusqu'à la ville. On les voyait arriver de loin. Le chemin suivait la rivière depuis le fond de la vallée. Les premiers guetteurs prévenaient au moins deux jours avant qu'ils ne soient en vue de l'agglomération. Ça laissait le temps de voir venir. Il y avait le colporteur qui faisait sa tournée, les maquignons et quelques autres connus. L'Ancien avait même vu une fois un représentant de la ville de la grande plaine. Il était reparti bien vite quand il avait vu le peu d'intérêt stratégique et financier de la vallée. Parfois l'un ou l'autre descendait jusqu'au marché général qui avait lieu une fois par lunaison plus bas mais encore dans la vallée. Il fallait marcher quatre jours pour y aller et autant pour revenir. On les chargeait de ramener ce qui manquait.
Chan fit étendre la femme à côté de l'homme près du feu. Chargé du bébé, il alla vers le fond de la salle. Il fallait que cet enfant mange.

mercredi 16 novembre 2011

Le vieux sorcier officiait

Le vieux sorcier officiait. Comme toujours dans ces cas-là, il reprenait une stature que son âge ne lui permettait plus. Ses assistants le secondaient dans la transe du rituel. Tel un oiseau que les flammes des torches rendaient immense, il tournait autour de l'autel portant le vase sacré contenant la terre. Nul ne savait d'où elle venait. C'est Hut le fondateur qui était venu avec. Elle était la terre origine. Les fumées des herbes aromatiques favorisaient la voyance du sorcier. Chacun connaissait sa place et son rôle. Le premier assistant suivait le vieux sorcier pas à pas. Le rituel ne devait pas s'interrompre sous peine... Il n'avait pas très bien compris les explications de son maître. Le temps s'arrêterait-il ou bien s'écoulerait-il de travers comme le sable d'un sablier cassé? Il ne savait pas expliquer mais la peur était là. Toute la ville comptait sur eux pour que le cycle soit relancé. Les augures n'étaient pas bons. Pourtant le maître sorcier avait décidé que le moment était arrivé de faire vivre le rite. Le vent hurlait dehors faisant écho aux cris des loups. Protégés par la pierre des murs, les sorciers se concentraient sur ce qui se jouait à l'intérieur. Le troisième tour finissait. Maintenant venait le combat de Sioultac et de Cotban. Revêtus des costumes symboliques, deux assistants enchaînaient les figures rituelles. Cela aurait pu être une danse si l'enjeu n'était pas la vie de la cité. Pénétrés de leurs rôles, ils tournaient autour de la pierre autel, mimant le flux et le reflux. Dans leurs esprits ouverts aux mondes des esprits, ils contactaient les habitants de la ville. Ceux-ci aussi avaient un rôle à jouer. Brûlant la chandelle de la longue nuit, les pères racontaient aux enfants l'Histoire, comment Hut le fondateur avait trouvé ce lieu, comment il avait fondé et développé la ville. Pendant ce temps les femmes faisaient tourner le bâton des ancêtres. Ainsi tout le peuple de la ville s'unissait derrière ses sorciers pour relancer le cycle du temps. Sioultac semblait l'emporter sur Cotban. Le froid et la nuit se glissèrent dans l'esprit des gens. C'est alors que surgissait la bougie blanche. Sa fabrication était un secret. Nul profane ne savait comment obtenir cette blancheur. Le maître Sorcier la portait contre son giron. La flamme vacillait. Le miracle avait lieu chaque année, malgré les courants d'air, la bougie blanche ne s'éteignait pas. Le combat dansé reprit de plus belle. Sioultac en voulait à la bougie que Cotban défendait. Le sorcier faisait aussi de son mieux pour la protéger. Dix fois le souffle glacé du dieu des terres froides coucha la flamme. Dix fois les assistants crurent à son extinction, mais dix fois dans une gerbe d'étincelle, la lumière revint. Sioultac s'essoufflait. Une dernière fois il tenta, toujours vainement d'éteindre la bougie blanche que défendait Cotban. Épuisé, il s'effondra haletant. Le Sorcier leva les bras et lentement tourna sur lui-même pour montrer la flamme toujours vivace. Les assistants hurlèrent de joie. Le cri se répercuta de maison en maison. Une immense clameur envahit la ville.
- Que Cotban maudisse ces loups qui nous ont fait rater le rite de la longue nuit!
- Knam! C'est la première fois que cela m'arrive, dit un autre combattant.
- Ne vous plaignez pas, dit Sstanch. On aurait pu avoir des morts. Emmenez ces deux-là à la maison commune!

mercredi 9 novembre 2011

Pendant ce temps

Pendant ce temps dans la maison commune, Chan écoutait le hurlement des loups. Se retournant vers les hommes assis en cercle autour du feu, il jura :
- Knam ! Que Sioultac soit maudit !
- Te voilà bien mal poli Chan.
- Je sais l'Ancien, mais faire sortir les hommes par un temps pareil n'est pas une joie. Pourtant, on ne peut pas laisser la meute s'approcher plus.
- Elle chasse, Chan. Si elle a du gibier, elle partira.
- Oui, l'Ancien. Tu as raison mais pour le moment elle se rapproche et il faut bien prévoir.
- C'est pour cela que tu es un bon chef. Tu prévois.
Chan donna des ordres. Les hommes présents se préparèrent.
- Où est Kalgar et son marteau?
- Il est parti aider le Maître Sorcier.
- Dès qu'il revient, vous vous mettrez en route.
Un cri retentit à l'autre bout de la maison commune. Derrière un rideau, entourée des femmes et de la matrone, la femme de Kalgar accouchait.
Entre deux bourrasques, un cri sembla lui répondre. Cela venait de dehors. Les hommes s'entreregardèrent.
- N'attendez pas Kalgar, allez ! cria Chan.
Ouvrant la porte de planches jointées de boue, ils s'enfoncèrent dans la nuit. Les torches malmenées par le vent, ne donnaient qu'une faible lumière. Le groupe d'une vingtaine de silhouettes se dirigea vers la porte de l'enceinte. La centaine de bâtisses que comportait la ville, étaient en bois sauf la maison commune et le temple qui avaient des murs en pierre. Basses et sur le flanc d'une colline, elles dessinaient un lacis de rues et de ruelles qui avaient en commun d'être envahies de courants d'air.
Kalgar les rejoignit alors qu'il prenait la montée du puits.
- Comment va ma femme?
- Les douleurs ont commencé mais la matrone est avec. Son totem est puissant, il la protègera.
Celui qui avait parlé, portait un casque et une armure de cuir recouvert de plaques. Son nom était Sstanch. Il était le chef de la milice et allié de la femme de Kalgar par le sang. La milice se composait de quatre gaillards, forts en gueule, mais pauvres en idées. Sstanch avait parfois du mal à les tenir, pourtant leur fidélité était sans faille. La troupe des miliciens et des volontaires, longeait les palissades pour éviter les tourbillons de vent. Les hurlements de la meute étaient maintenant très près. Sstanch estimait qu'elle approchait de la porte des hautes terres. Que chassait-elle? Cela lui semblait bizarre qu'elle n'ait pas déjà réussi à attraper sa proie. A moins qu'elle n'ait attaqué un ours. Il avait déjà vu cela une fois étant jeune. L'énorme bête était sortie de sa tanière où elle hibernait pour ses besoins. Une meute affamée l'avait prise pour une proie potentielle. Leur combat avait retenti toute la journée dans les bois autour de la ville. Les enfants avaient été voir depuis la palissade extérieure les cadavres des loups sur la neige et les survivants en train de se repaître de la carcasse de l'ours.
Aujourd'hui pas de soleil, une sale nuit de grésil et de vent et une meute qui devenait dangereuse par sa proximité. Il comprenait la volonté de Chan, mais ce n'était pas lui qui risquait sa peau. Ils approchaient de la porte des hautes terres par la ruelle du vieux puits.
- On dirait des coups!
- C'est les loups qui attaquent la palissade!
Ils pressèrent le pas.
- Non, on cogne sur la porte.
Deux hommes se précipitèrent sur la barre qui bloquait la porte. Les autres se saisirent de leurs armes, qui une épée, qui une faux, qui une serpe. Kalgar avait saisi son lourd marteau et se tenait prêt.
La porte s'ouvrit. Une femme s'effondra vers l'intérieur. A la lueur de leurs torches, ils virent la silhouette d'un homme qui faisait des moulinets avec un brandon fumant. Dans un hurlement, les loups attaquèrent. Dans un bref instant de répit du vent, on entendit une mâchoire se refermer en claquant. L'homme hurla de douleur. Trois loups lui sautèrent dessus. D'autres se précipitèrent par la porte restée ouverte. Les hommes de la milice entrèrent en action. Kalgar écrasa la tête d'un loup qui venait de mordre la femme à terre. Son habit de cuir le protégea d'une autre attaque. La mêlée était confuse. Filt et Calt attrapèrent l'homme extérieur qui avait lâché sa torche. Pendant ce temps quatre autres bataillaient contre les loups avec leurs torches ou leurs armes. Voyant leur échec, le chef des loups aboya un bref cri. Grondant et ne quittant pas les hommes des yeux, les survivants refluèrent vers la forêt toute proche.
Sstanch hurla :
- Fermez la porte!
Pendant que quatre hommes s'arc-boutaient pour qu'elle se ferme plus vite. Sstanch montra la tour de guet.
- Filt et Calt, prenez les torches et montez là-haut!
Voyant ses ordres suivis, il se retourna vers le couple. La femme gisait par terre dans la position où elle était tombée. L'homme était recroquevillé sur son bras droit.

samedi 5 novembre 2011


Le vieux sorcier en avait vu des saisons froides et des longues nuits. Cette fois-ci il pensa qu'il vivait une de ses dernières. Ses articulations lui faisaient de plus en plus mal. Il ne se déplaçait plus qu'aidé par un bâton ou soutenu par un jeune acolyte. Celui-ci arrivait pour l'emmener vers l'autel cérémoniel.
- Maître, Maître, c'est bientôt l'heure. La tempête ne s'est pas calmée.
Le vieux sorcier sourit de la fébrilité du jeune homme. Il pensa que la traversée de la ville allait être difficile. Depuis quelques jours, si on pouvait qualifier de jour ses quelques rares heures de luminosité blafarde, le vent ne cessait pas. Entre les congères et le verglas, l'espace entre les maisons était difficilement praticable. Le jeune apprenti sorcier aida son maître à revêtir la lourde cape de fourrure. Plutôt frêle, il pensa aussi à la difficulté du déplacement qui l'attendait. Une bourrasque plus forte produit un hululement sinistre
- Maître, vous ne voulez pas que j'appelle, Kalgar le forgeron pour qu'il nous aide? Sioultac se déchaîne ce soir.
- Tu as raison, Tasmi. Le dieu de la tempête est en colère. Je ne sais pas ce qui le motive. Il faudra faire un rituel pour l'apaiser si cela continue. Mais va chercher Kalgar sinon nous allons être en retard. Je vais finir de me vêtir seul.
Le vieux sorcier maugréa pour attacher l'habit de cérémonie. Il maugréa encore en pensa à Sioultac. C'était un mauvais présage. Sa manifestation n'était jamais une bonne chose. Pendant les longs mois de la saison froide, sa venue était normale. Sioultac était le dieu des terres froides au-delà des montagnes. Sa lutte avec Cotban le dieu des terres du soleil était chantée depuis des générations. Sioultac profitait de la saison des longues nuits pour prendre le dessus et Cotban utilisait la lumière pour revenir. Le cycle de leur combat rythmait la vie de la communauté installée entre les deux. Mais dans ce cycle, Sioultac se manifestait souvent et longtemps. Le vieux sorcier se demanda si le rite serait efficace. Il se remémora les différents mouvements, les différentes offrandes prévues.
Un hurlement de loup se fit entendre, puis un autre et encore un plus lointain. Une meute chassait.
" Trop près!" pensa le vieux sorcier. Cela aussi était un mauvais présage. La dernière fois qu'une meute était arrivée au moment de la cérémonie, il y avait eu des morts et une épidémie qui avait laissé la ville très affaiblie. Il était dans ces sombres ruminations quand la porte s'ouvrit laissant un vent froid chargé de neige s'engouffrer dans la pièce. Deux silhouettes s'étaient précipitées à l'intérieur. Son frêle acolyte et la masse rassurante du forgeron.
- Merci de ta venue, Kalgar. Je ne suis plus assez jeune pour affronter une telle tempête. Il va falloir songer à me trouver un successeur.
- Ta science est grande, Maître Sorcier, tes apprentis encore bien jeunes. Tu es plus solide que tu ne le crois.
- Merci de tes compliments mais je ne me fais guère d'illusions sur moi. Ta femme va-t-elle bien? Cette grossesse hors saison m'inquiète.
- La matrone est là car elle a des douleurs qui se rapprochent. Elle a voulu me rassurer mais je vois bien qu'elle est inquiète. Les loups qui hurlent ne vont pas les rassurer.
- Oui, je sais c'est un mauvais présage mais il n'est peut-être pas pour nous. Je ferai un rite divinatoire après la cérémonie de la Boucle Noire.
- Es-tu prêt, Maître Sorcier?
- Allons-y Kalgar.
Le jeune Tasmi ouvrit la porte. Sioultac sembla renforcer son hurlement. Le grésil leur fouettait le visage. Kalgar ouvrait la marche, faisant de son corps un rempart auquel s'attachait le vieux sorcier comme à un brise-lames.