samedi 5 novembre 2011


Le vieux sorcier en avait vu des saisons froides et des longues nuits. Cette fois-ci il pensa qu'il vivait une de ses dernières. Ses articulations lui faisaient de plus en plus mal. Il ne se déplaçait plus qu'aidé par un bâton ou soutenu par un jeune acolyte. Celui-ci arrivait pour l'emmener vers l'autel cérémoniel.
- Maître, Maître, c'est bientôt l'heure. La tempête ne s'est pas calmée.
Le vieux sorcier sourit de la fébrilité du jeune homme. Il pensa que la traversée de la ville allait être difficile. Depuis quelques jours, si on pouvait qualifier de jour ses quelques rares heures de luminosité blafarde, le vent ne cessait pas. Entre les congères et le verglas, l'espace entre les maisons était difficilement praticable. Le jeune apprenti sorcier aida son maître à revêtir la lourde cape de fourrure. Plutôt frêle, il pensa aussi à la difficulté du déplacement qui l'attendait. Une bourrasque plus forte produit un hululement sinistre
- Maître, vous ne voulez pas que j'appelle, Kalgar le forgeron pour qu'il nous aide? Sioultac se déchaîne ce soir.
- Tu as raison, Tasmi. Le dieu de la tempête est en colère. Je ne sais pas ce qui le motive. Il faudra faire un rituel pour l'apaiser si cela continue. Mais va chercher Kalgar sinon nous allons être en retard. Je vais finir de me vêtir seul.
Le vieux sorcier maugréa pour attacher l'habit de cérémonie. Il maugréa encore en pensa à Sioultac. C'était un mauvais présage. Sa manifestation n'était jamais une bonne chose. Pendant les longs mois de la saison froide, sa venue était normale. Sioultac était le dieu des terres froides au-delà des montagnes. Sa lutte avec Cotban le dieu des terres du soleil était chantée depuis des générations. Sioultac profitait de la saison des longues nuits pour prendre le dessus et Cotban utilisait la lumière pour revenir. Le cycle de leur combat rythmait la vie de la communauté installée entre les deux. Mais dans ce cycle, Sioultac se manifestait souvent et longtemps. Le vieux sorcier se demanda si le rite serait efficace. Il se remémora les différents mouvements, les différentes offrandes prévues.
Un hurlement de loup se fit entendre, puis un autre et encore un plus lointain. Une meute chassait.
" Trop près!" pensa le vieux sorcier. Cela aussi était un mauvais présage. La dernière fois qu'une meute était arrivée au moment de la cérémonie, il y avait eu des morts et une épidémie qui avait laissé la ville très affaiblie. Il était dans ces sombres ruminations quand la porte s'ouvrit laissant un vent froid chargé de neige s'engouffrer dans la pièce. Deux silhouettes s'étaient précipitées à l'intérieur. Son frêle acolyte et la masse rassurante du forgeron.
- Merci de ta venue, Kalgar. Je ne suis plus assez jeune pour affronter une telle tempête. Il va falloir songer à me trouver un successeur.
- Ta science est grande, Maître Sorcier, tes apprentis encore bien jeunes. Tu es plus solide que tu ne le crois.
- Merci de tes compliments mais je ne me fais guère d'illusions sur moi. Ta femme va-t-elle bien? Cette grossesse hors saison m'inquiète.
- La matrone est là car elle a des douleurs qui se rapprochent. Elle a voulu me rassurer mais je vois bien qu'elle est inquiète. Les loups qui hurlent ne vont pas les rassurer.
- Oui, je sais c'est un mauvais présage mais il n'est peut-être pas pour nous. Je ferai un rite divinatoire après la cérémonie de la Boucle Noire.
- Es-tu prêt, Maître Sorcier?
- Allons-y Kalgar.
Le jeune Tasmi ouvrit la porte. Sioultac sembla renforcer son hurlement. Le grésil leur fouettait le visage. Kalgar ouvrait la marche, faisant de son corps un rempart auquel s'attachait le vieux sorcier comme à un brise-lames.

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