« Mais qu'est-ce que
je suis venu faire là? » se disait l'homme.
Coincé entre deux
rochers, il était provisoirement à l'abri de la mâchoire du grand
saurien.
Il haletait. Sans ce foutu
rêve, jamais il n'aurait quitté son village.
Il sentait le souffle
puant de la bête ...
- Alors petit homme, tu
reprends ton souffle?
Il retint sa respiration
quelques secondes. Il ne reprit son rythme saccadé que lorsque ses
poumons le brûlèrent.
- Tu te crois à l'abri.
N'oublie pas que tu es ici sur mon territoire et que j'en connais les
moindres recoins.
La voix était douce
presque mielleuse. Il fut étonné d'une telle voix pour une aussi
grosse bête.
Il avait couru au-delà de
ses forces pour échapper au dragon qui le poursuivait dans la
caverne sous la montagne. C'est au moment où il se croyait au bout
qu'il avait vu cette crevasse dans la paroi. Il s'y était précipité,
laissant au passage quelques lambeaux de vêtements et de peau sur
les aspérités. Il avait juste gardé ses armes, une vieille épée
et son marteau. Il se jugeait fou d'avoir entrepris cette quête.
Dans la quasi obscurité de la roche, il sentait le poids de sa peur.
Il jeta un coup d'œil
dans l'étroit couloir dans lequel il s'était précipité. Dans la
quasi obscurité, il vit luire la lueur jaune de la prunelle du
dragon. Celle-ci bougea. Il se renfonça le plus vite qu'il put dans
son renfoncement. La langue de feu passa sans le toucher.
- Tu es rapide, petit
homme. Ça ne te sauvera pas longtemps mais tu es rapide.
Sa respiration avait
repris son rythme de folie. Il était coincé dans un recoin d'un
boyau avec comme seul issue la bouche d'un dragon.
- Tu sais, petit homme, je
crois que je vais te faire cuire à l'étouffé au fond de ton trou.
Mais avant tu vas me dire ce que tu as pris de mon trésor.
- J'ai rien pris, Seigneur
Dragon, j'ai rien pris. Je le jure. J'étais pas venu pour vous
voler...
- Ah bon! Alors tu es venu
pour quoi?
- C'est les villageois
dans la vallée qui m'ont convaincu de venir pour que vous cessiez de
manger leur bétail ou leurs enfants.
- Et tu crois que je vais
gober cela!
L'homme sentit à nouveau
le souffle brûlant s'engouffrer dans le couloir. Cela dura un peu
plus longtemps que la première fois. La température de la roche
s'éleva un peu. Il faisait maintenant tiède.
Un roulement de tonnerre
se répercuta sous les voûtes ajoutant à sa peur. Même le dieu du
Tonnerre était contre lui.
- Tu sens, petit homme, la
chaleur qui monte. Je vais continuer comme cela jusqu'à ce que tu
cuises ou que tu sortes.
L'homme sentait trembler
ses genoux. Il ne put même pas se retenir et urina sur lui.
- Ta vessie te trahit,
petit homme.
De nouveau le souffle du
dragon chauffa la pierre.
- Arrête, Seigneur
Dragon. Je ne suis pas un guerrier, juste un pauvre homme trompé par
un rêve.
Le jet de feu stoppa.
- Un rêve, dis-tu petit
homme. Voilà qui est intéressant.
Le silence tomba seulement
troublé par les roulements lointains du tonnerre.
- Écoute, petit homme, je
te propose un marché. Tu me racontes ton rêve et ce qu'il est
advenu. S'il me séduit, je te laisse partir. Sinon, je te tue tout
de suite.
L'homme avala sa salive.
- C'est à cause de la
Solvette, c'est elle qui m'a dit que j'avais…
- ARRÊTE! Tu n'as pas
bien compris, petit homme, je ne te demande pas trois phrases, je
veux ton histoire. Il n'y a que si elle me plaît que tu vis. Alors
commence comme doivent commencer les contes et légendes, il était
une fois...
L'homme s'était
recroquevillé lors du cri de grand saurien. Ses genoux
s'entrechoquaient et sa vessie se serait vidée si ce n'était déjà
fait.
Il n'allait pas se laisser
cuire comme cela.
- Il était une fois... Il
était une fois...
Il ne voyait pas ce qu'il
allait pouvoir dire. Un souvenir lui revint.
- Il était une fois, dans
cette longue nuit qui s'allonge quand on ne sait si l'hiver va tenir
ou si la lumière reviendra, un rite pour que tourne la roue de la
vie...
Tourne la roue de la vie !
RépondreSupprimer