lundi 31 octobre 2011

Petit homme


« Mais qu'est-ce que je suis venu faire là? » se disait l'homme.
Coincé entre deux rochers, il était provisoirement à l'abri de la mâchoire du grand saurien.
Il haletait. Sans ce foutu rêve, jamais il n'aurait quitté son village.
Il sentait le souffle puant de la bête ...
- Alors petit homme, tu reprends ton souffle?
Il retint sa respiration quelques secondes. Il ne reprit son rythme saccadé que lorsque ses poumons le brûlèrent.
- Tu te crois à l'abri. N'oublie pas que tu es ici sur mon territoire et que j'en connais les moindres recoins.
La voix était douce presque mielleuse. Il fut étonné d'une telle voix pour une aussi grosse bête.
Il avait couru au-delà de ses forces pour échapper au dragon qui le poursuivait dans la caverne sous la montagne. C'est au moment où il se croyait au bout qu'il avait vu cette crevasse dans la paroi. Il s'y était précipité, laissant au passage quelques lambeaux de vêtements et de peau sur les aspérités. Il avait juste gardé ses armes, une vieille épée et son marteau. Il se jugeait fou d'avoir entrepris cette quête. Dans la quasi obscurité de la roche, il sentait le poids de sa peur.
Il jeta un coup d'œil dans l'étroit couloir dans lequel il s'était précipité. Dans la quasi obscurité, il vit luire la lueur jaune de la prunelle du dragon. Celle-ci bougea. Il se renfonça le plus vite qu'il put dans son renfoncement. La langue de feu passa sans le toucher.
- Tu es rapide, petit homme. Ça ne te sauvera pas longtemps mais tu es rapide.
Sa respiration avait repris son rythme de folie. Il était coincé dans un recoin d'un boyau avec comme seul issue la bouche d'un dragon.
- Tu sais, petit homme, je crois que je vais te faire cuire à l'étouffé au fond de ton trou. Mais avant tu vas me dire ce que tu as pris de mon trésor.
- J'ai rien pris, Seigneur Dragon, j'ai rien pris. Je le jure. J'étais pas venu pour vous voler...
- Ah bon! Alors tu es venu pour quoi?
- C'est les villageois dans la vallée qui m'ont convaincu de venir pour que vous cessiez de manger leur bétail ou leurs enfants.
- Et tu crois que je vais gober cela!
L'homme sentit à nouveau le souffle brûlant s'engouffrer dans le couloir. Cela dura un peu plus longtemps que la première fois. La température de la roche s'éleva un peu. Il faisait maintenant tiède.
Un roulement de tonnerre se répercuta sous les voûtes ajoutant à sa peur. Même le dieu du Tonnerre était contre lui.
- Tu sens, petit homme, la chaleur qui monte. Je vais continuer comme cela jusqu'à ce que tu cuises ou que tu sortes.
L'homme sentait trembler ses genoux. Il ne put même pas se retenir et urina sur lui.
- Ta vessie te trahit, petit homme.
De nouveau le souffle du dragon chauffa la pierre.
- Arrête, Seigneur Dragon. Je ne suis pas un guerrier, juste un pauvre homme trompé par un rêve.
Le jet de feu stoppa.
- Un rêve, dis-tu petit homme. Voilà qui est intéressant.
Le silence tomba seulement troublé par les roulements lointains du tonnerre.
- Écoute, petit homme, je te propose un marché. Tu me racontes ton rêve et ce qu'il est advenu. S'il me séduit, je te laisse partir. Sinon, je te tue tout de suite.
L'homme avala sa salive.
- C'est à cause de la Solvette, c'est elle qui m'a dit que j'avais…
- ARRÊTE! Tu n'as pas bien compris, petit homme, je ne te demande pas trois phrases, je veux ton histoire. Il n'y a que si elle me plaît que tu vis. Alors commence comme doivent commencer les contes et légendes, il était une fois...
L'homme s'était recroquevillé lors du cri de grand saurien. Ses genoux s'entrechoquaient et sa vessie se serait vidée si ce n'était déjà fait.
Il n'allait pas se laisser cuire comme cela.
- Il était une fois... Il était une fois...
Il ne voyait pas ce qu'il allait pouvoir dire. Un souvenir lui revint.
- Il était une fois, dans cette longue nuit qui s'allonge quand on ne sait si l'hiver va tenir ou si la lumière reviendra, un rite pour que tourne la roue de la vie...

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