mardi 7 février 2012

Quiloma avait donné ses ordres


Quiloma avait donné ses ordres. Il lui fallait cet anneau. Il était prince de dixième rang. S’il parvenait à la maîtrise de la puissance donnée par cet anneau majeur, il pourrait atteindre un troisième voire un deuxième rang. Lors du rapt de l’enfant, les dix princes de dixième rang avaient été convoqués. Le prince majeur avait parlé. Ils avaient obéi. Quiloma se savait le meilleur. Il avait choisi la bonne direction. Sa phalange était aussi la meilleure, rapide, endurante, obéissante. Ses hommes avaient tout à gagner s’ils réussissaient à ramener l’enfant. Les conditions de sa disparition ainsi que le pourquoi n’étaient pas clair. La nourrice était d’une famille fidèle depuis des générations à la famille régnante, le protecteur aussi. Ils étaient pourtant partis en enlevant l’enfant, futur prince majeur. De plus le protecteur avait réussi à s’emparer de l’anneau de pouvoir destiné à l’enfant. Pour le prince majeur régnant, c’était une haute trahison. Il voulait les traîtres pour les tuer de ses propres mains et l’enfant pour l’éduquer selon son rang. Quiloma avait entendu des bruits entre deux missions disant que les choses n’étaient pas si simples, que peut-être le prince majeur avait fait disparaître son frère, père de l’enfant pour prendre sa place et que l’enfant lui-même maintenant que sa mère était morte des fièvres de glace, n’avait pas d’avenir. Certains vieux traînes-glace gâteux, chuchotaient même que c’est pour sauver l’enfant que la nourrice et le protecteur avaient fui. Tout cela n’avait plus d’importance pensait Quiloma. Il était parti en chasse et la chasse avait été fructueuse. Il pouvait revenir avec les dépouilles. Rien que cela lui ramènerait la gloire et au moins un passage en neuvième rang. Si en plus il ramenait l’anneau à son doigt, c’est au moins un troisième rang qui l’attendait. Le jeu en valait la chandelle. Il savait que la moindre erreur serait fatale. La mort pouvait être au rendez-vous. Il se prépara avec application. Les villageois d’à côté qui se prenaient au sérieux, l’amusaient plutôt. Leur chef de guerre serait un adversaire pour lui, son escorte ne valait rien, hormis peut-être le grand avec ses marteaux. De ce que le piégeur-interprète lui avait dit, Quiloma avait bien compris que face à lui, il n’aurait qu’une vingtaine d’hommes capables de se battre. La difficulté était ailleurs. Lors de la découverte des dépouilles, il avait dû sortir le rouge bâton porteur de l’esprit du feu pour soumettre une meute d’êtres loups. Il avait été étonné. Dans les terres de grandes neiges, jamais une femelle ne menait une meute. Ensuite le rouge bâton avait la puissance de les soumettre. La femelle aux yeux de braises lui avait laissé la place mais ne s’était pas soumise. Obéissait-elle à l’anneau ? À moins qu’un grand être ne lui ait donné des ordres. Cela compliquait sa tâche. Si l’enfant était mort, le grand être devait détruire l’anneau. Si la louve avait laissé la place c’est peut-être parce qu’il arrivait. Il fallait qu’il fasse vite. Ce soir était sa dernière chance. Il avait besoin du feu et d’audace.
Au pied de la pierre branlante, il avait fait le foyer. Quand il fut bien pris, il ajouta les pierres de feu qu'ils avaient trouvées dans la montagne dans la vallée précédant celle-ci. Il les regarda prendre. Pendant que la température montait dans le foyer, il commença une lente mélopée. Les mains étendues au-dessus des flammes, il chantait en se balançant d'avant en arrière. Les flammes suivaient son mouvement. Les pierres à feu se mirent à rougeoyer. La chaleur montait. La neige commençait à fondre. Quiloma retira ses mains maintenant que les flammes étaient hautes. Il se retourna vers ses hommes. Il vit au loin, dans la pénombre du crépuscule, le haut de la tour de guet du village surchargée de monde regardant dans sa direction.
- Qricht.. (prenez une cotte et amenez les pierres de feu dans la clairière).
Quatre guerriers prirent une longue cotte de mailles et la posèrent près du foyer. Un cinquième fit rouler les pierres de feu rouge or dans la cotte ainsi tendue. Le morceau de bois qu'il utilisait, ne résista pas à la chaleur intense. Il prit feu. L'homme le jeta dans la neige, où il s'éteignit en sifflant. Un autre avait déjà pris la relève. Il fallut quatre bâtons pour faire passer toutes les pierres de feu sur la cotte qui déjà rougissait. Dès que cela fut fait, les quatre porteurs partirent en courant presque vers la clairière où Quiloma les avait déjà précédés. Il se tenait devant la pierre brisée. Autour d’elle, quatre guerriers avaient planté des torches. A travers la pierre translucide, les reflets changeants éclairaient la main par en dessous, donnant l’illusion du mouvement. Quiloma chantait une nouvelle mélopée, répandant de la poudre noire de pierre de feu sur la main qui trônait au centre. Il ne s’arrêta que lorsque toute la surface de la pierre fut opaque à la lumière. Quand les porteurs arrivèrent, il se recula pour les laisser manœuvrer. Ils firent passer la cotte au-dessus de la pierre et versèrent son contenu sur la main. Il y eut un éclair fulgurant, un bruit de tonnerre et un grand craquement quand la pierre brisée explosa sous l'action de la violente chaleur. Des morceaux fusèrent dans tous les sens tuant un homme, en blessant d’autres. Une violente bourrasque attisa le feu. Les flammes rejaillirent plus fortes, plus chaudes, faisant fondre la pierre translucide elle-même.
Quiloma jura. Du sang s’écoulait de sa tête. Un fragment l’avait touché près de l’œil, lui obscurcissant la vue.
- Stram…(La main ! Où est la main ?).
Les guerriers qui le pouvaient se relevèrent. Aussi vite qu’il était arrivé, le vent avait cessé. Seule une odeur flottait dans l’air.
- Ngadr…(Un grand être !).
Quiloma se sentit perdu. Un grand être volait au-dessus d’eux. Rien ne l’arrêterait. Il voudrait récupérer l’anneau et le détruire. Quiloma pensa à sa phalange. Il donna l’ordre de se replier. Bientôt ne resta plus dans la clairière que le soldat mort et une pierre cassée et en partie fondue dans laquelle un feu finissait de se consumer. Quand il arriva au camp, il trouva tous ses hommes en position de défense, les arcs prêts à tirer, les lances à portée de main. Il s’intégra dans le dispositif. Son second lui fit signe. Il s’approcha tout en surveillant les alentours.
- Tsq..(Qu’est-ce qui est arrivé, mon Prince ?).
- Rpei..(L’esprit de la pierre a refusé l’offrande du feu. Son explosion a attiré le grand être.).
- Rgetr..(Non, le grand être volait au-dessus de la forêt avant que l’explosion n’ait lieu)..
- Tsr..( Es-tu sûr ?).
- Cepn..(Oui, mon Prince ! J’ai vu son ombre dans le ciel. Mais avant que j’aie pu lancer le signal, il était au-dessus de la clairière et le feu a jailli. Le grand être était juste à la verticale de la lumière. J’ai vu sa robe, il est vert et noir).
- Vnovt..( Vert et noir, un juvénile ! Ça explique pourquoi nous sommes vivants. Un adulte ne nous aurait laissé aucune chance. )
- Drs…(Quels sont les ordres, mon Prince ?).
- Vtu..( A-t-il été touché par des morceaux de la pierre ?).
- Sspaj..(J’ai vu de nombreux éclats voler autour de lui. Il a dû être touché. Il a eu un soubresaut. Faudra-t-il chercher s’il a été blessé ?).
- Qunienka…(Oui, Qunienka. Notre vie dépend aussi de lui. Il faut aussi retrouver l’anneau.).
Dans la nuit noire, ils restèrent aux aguets.

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