Quiloma avait donné ses ordres. Il lui
fallait cet anneau. Il était prince de dixième rang. S’il
parvenait à la maîtrise de la puissance donnée par cet anneau
majeur, il pourrait atteindre un troisième voire un deuxième rang.
Lors du rapt de l’enfant, les dix princes de dixième rang avaient
été convoqués. Le prince majeur avait parlé. Ils avaient obéi.
Quiloma se savait le meilleur. Il avait choisi la bonne direction. Sa
phalange était aussi la meilleure, rapide, endurante, obéissante.
Ses hommes avaient tout à gagner s’ils réussissaient à ramener
l’enfant. Les conditions de sa disparition ainsi que le pourquoi
n’étaient pas clair. La nourrice était d’une famille fidèle
depuis des générations à la famille régnante, le protecteur
aussi. Ils étaient pourtant partis en enlevant l’enfant, futur
prince majeur. De plus le protecteur avait réussi à s’emparer de
l’anneau de pouvoir destiné à l’enfant. Pour le prince majeur
régnant, c’était une haute trahison. Il voulait les traîtres
pour les tuer de ses propres mains et l’enfant pour l’éduquer
selon son rang. Quiloma avait entendu des bruits entre deux missions
disant que les choses n’étaient pas si simples, que peut-être le
prince majeur avait fait disparaître son frère, père de l’enfant
pour prendre sa place et que l’enfant lui-même maintenant que sa
mère était morte des fièvres de glace, n’avait pas d’avenir.
Certains vieux traînes-glace gâteux, chuchotaient même que c’est
pour sauver l’enfant que la nourrice et le protecteur avaient fui.
Tout cela n’avait plus d’importance pensait Quiloma. Il était
parti en chasse et la chasse avait été fructueuse. Il pouvait
revenir avec les dépouilles. Rien que cela lui ramènerait la gloire
et au moins un passage en neuvième rang. Si en plus il ramenait
l’anneau à son doigt, c’est au moins un troisième rang qui
l’attendait. Le jeu en valait la chandelle. Il savait que la
moindre erreur serait fatale. La mort pouvait être au rendez-vous.
Il se prépara avec application. Les villageois d’à côté qui se
prenaient au sérieux, l’amusaient plutôt. Leur chef de guerre
serait un adversaire pour lui, son escorte ne valait rien, hormis
peut-être le grand avec ses marteaux. De ce que le
piégeur-interprète lui avait dit, Quiloma avait bien compris que
face à lui, il n’aurait qu’une vingtaine d’hommes capables de
se battre. La difficulté était ailleurs. Lors de la découverte des
dépouilles, il avait dû sortir le rouge bâton porteur de l’esprit
du feu pour soumettre une meute d’êtres loups. Il avait été
étonné. Dans les terres de grandes neiges, jamais une femelle ne
menait une meute. Ensuite le rouge bâton avait la puissance de les
soumettre. La femelle aux yeux de braises lui avait laissé la place
mais ne s’était pas soumise. Obéissait-elle à l’anneau ?
À moins qu’un grand être ne lui ait donné des ordres. Cela
compliquait sa tâche. Si l’enfant était mort, le grand être
devait détruire l’anneau. Si la louve avait laissé la place c’est
peut-être parce qu’il arrivait. Il fallait qu’il fasse vite. Ce
soir était sa dernière chance. Il avait besoin du feu et d’audace.
Au pied de la pierre branlante, il
avait fait le foyer. Quand il fut bien pris, il ajouta les pierres de
feu qu'ils avaient trouvées dans la montagne dans la vallée
précédant celle-ci. Il les regarda prendre. Pendant que la
température montait dans le foyer, il commença une lente mélopée.
Les mains étendues au-dessus des flammes, il chantait en se
balançant d'avant en arrière. Les flammes suivaient son mouvement.
Les pierres à feu se mirent à rougeoyer. La chaleur montait. La
neige commençait à fondre. Quiloma retira ses mains maintenant que
les flammes étaient hautes. Il se retourna vers ses hommes. Il vit
au loin, dans la pénombre du crépuscule, le haut de la tour de guet
du village surchargée de monde regardant dans sa direction.
- Qricht.. (prenez une cotte et amenez
les pierres de feu dans la clairière).
Quatre guerriers prirent une longue
cotte de mailles et la posèrent près du foyer. Un cinquième fit
rouler les pierres de feu rouge or dans la cotte ainsi tendue. Le
morceau de bois qu'il utilisait, ne résista pas à la chaleur
intense. Il prit feu. L'homme le jeta dans la neige, où il
s'éteignit en sifflant. Un autre avait déjà pris la relève. Il
fallut quatre bâtons pour faire passer toutes les pierres de feu sur
la cotte qui déjà rougissait. Dès que cela fut fait, les quatre
porteurs partirent en courant presque vers la clairière où Quiloma
les avait déjà précédés. Il se tenait devant la pierre brisée.
Autour d’elle, quatre guerriers avaient planté des torches. A
travers la pierre translucide, les reflets changeants éclairaient la
main par en dessous, donnant l’illusion du mouvement. Quiloma
chantait une nouvelle mélopée, répandant de la poudre noire de
pierre de feu sur la main qui trônait au centre. Il ne s’arrêta
que lorsque toute la surface de la pierre fut opaque à la lumière.
Quand les porteurs arrivèrent, il se recula pour les laisser
manœuvrer. Ils firent passer la cotte au-dessus de la pierre et
versèrent son contenu sur la main. Il y eut un éclair fulgurant, un
bruit de tonnerre et un grand craquement quand la pierre brisée
explosa sous l'action de la violente chaleur. Des morceaux fusèrent
dans tous les sens tuant un homme, en blessant d’autres. Une
violente bourrasque attisa le feu. Les flammes rejaillirent plus
fortes, plus chaudes, faisant fondre la pierre translucide elle-même.
Quiloma jura. Du sang s’écoulait de
sa tête. Un fragment l’avait touché près de l’œil, lui
obscurcissant la vue.
- Stram…(La main ! Où est la
main ?).
Les guerriers qui le pouvaient se
relevèrent. Aussi vite qu’il était arrivé, le vent avait cessé.
Seule une odeur flottait dans l’air.
- Ngadr…(Un grand être !).
Quiloma se sentit perdu. Un grand être
volait au-dessus d’eux. Rien ne l’arrêterait. Il voudrait
récupérer l’anneau et le détruire. Quiloma pensa à sa phalange.
Il donna l’ordre de se replier. Bientôt ne resta plus dans la
clairière que le soldat mort et une pierre cassée et en partie
fondue dans laquelle un feu finissait de se consumer. Quand il arriva
au camp, il trouva tous ses hommes en position de défense, les arcs
prêts à tirer, les lances à portée de main. Il s’intégra dans
le dispositif. Son second lui fit signe. Il s’approcha tout en
surveillant les alentours.
- Tsq..(Qu’est-ce qui est arrivé,
mon Prince ?).
- Rpei..(L’esprit de la pierre a
refusé l’offrande du feu. Son explosion a attiré le grand être.).
- Rgetr..(Non, le grand être volait
au-dessus de la forêt avant que l’explosion n’ait lieu)..
- Tsr..( Es-tu sûr ?).
- Cepn..(Oui, mon Prince ! J’ai
vu son ombre dans le ciel. Mais avant que j’aie pu lancer le
signal, il était au-dessus de la clairière et le feu a jailli. Le
grand être était juste à la verticale de la lumière. J’ai vu sa
robe, il est vert et noir).
- Vnovt..( Vert et noir, un juvénile !
Ça explique pourquoi nous sommes vivants. Un adulte ne nous aurait
laissé aucune chance. )
- Drs…(Quels sont les ordres, mon
Prince ?).
- Vtu..( A-t-il été touché par des
morceaux de la pierre ?).
- Sspaj..(J’ai vu de nombreux éclats
voler autour de lui. Il a dû être touché. Il a eu un soubresaut.
Faudra-t-il chercher s’il a été blessé ?).
- Qunienka…(Oui, Qunienka. Notre vie
dépend aussi de lui. Il faut aussi retrouver l’anneau.).
Dans la nuit noire, ils restèrent aux
aguets.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire