dimanche 28 septembre 2014

Lyanne vola un moment avant de trouver de quoi se nourrir. Il eut la chance de trouver un de ces bancs de grands poissons argentés dont le dos brillait sous la lune. Il en captura trois qu’il mangea en vol. Il pensa qu’à Rémaï, la faim devait tenailler bien des ventres. Il profita d’un passage du banc près de la surface pour en attraper deux d’un coup. C’est avec ces proies de la taille d’un homme que le dragon rouge reprit le chemin de la faille où se logeaient les Cousmains.
La lune s’était couchée et la nuit bien noire. La largeur entre les falaises était juste suffisante pour sa voilure. Lyanne fit quelques acrobaties pour arriver au village sans toucher les parois. Il posa son fardeau au milieu de l’espace avant de se dégager de forts coups d’ailes. Les quelques personnes à moitié réveillées, témoignèrent que l’homme-oiseau était venu et qu’ils avaient vu sa silhouette. Lyanne eut droit aux remerciements appuyés du chef du village. Ils firent une autre fête pour partager le repas. Ils firent un grand feu. De nouveau l’alcool coula à flots jusqu’à ce que résonnent les trompes qui mirent tout le monde en alerte. À Lyanne, on expliqua que des bateaux approchaient de la passe. Rapidement d’autres sonneries se firent entendre. L’atmosphère se détendit aussi vite qu’elle s’était tendue.
- Les messagers reviennent avec des délégations, lui dit le chef.
Des sonneurs de trompes prirent position sur les bords de la plage. Lyanne vit s’approcher toute une flottille de bateaux rapides aux formes effilées. Chaque fois que retentissait la sonnerie d’un marin, répondaient les trompes. Il compta ainsi une vingtaine d’embarcations portant de trois à quatre hommes chacune. Elles atterrirent avec élégance. Ceux qui débarquaient, déposaient devant le chef du village, des provisions tout en lui adressant les salutations d’usage. Ils s’inclinèrent après, devant Lyanne, appelant la bénédiction des hommes-oiseaux sur leur clan. Chacun d’eux appela Lyanne à choisir un guide de leur village. Il en fut étonné. L’un d’eux lui expliqua que dans la légende, le guide de l’homme-oiseau devenait le roi des Cousmains. Il était celui qui fédérerait tous les clans en une grande nation. Certains lui firent remarquer que Rémaï était une bourgade pauvre et sans importance, alors que chez eux, vivaient de grands guerriers et de redoutables navigateurs. Lyanne sentait bouillir Rémaïkhan, le chef de Rémaï, quand il entendait ce type de propos. Pourtant, Rémaïkhan n’intervint pas, preuve pour Lyanne qu’il y avait des contraintes qui pesaient sur lui, soit des lois sur l’hospitalité, soit des craintes pour le village face à des groupes plus puissants.
- J’ai suivi le courant et la rivière m’a déposé près de Rémaï. Ainsi en ont décidé les dieux, fut la réponse que Lyanne fit à l’un des chefs qui insistait.
De lourds nuages passaient au-dessus de leurs têtes, signe que cette année la saison des pluies serait une vraie saison. Lyanne interrogeait les uns et les autres pour mieux connaître les Cousmains et sentir vers qui il devait se tourner pour continuer sa route. Tout en déambulant, il s’était approché des bateaux qu’on avait remontés sur la plage. Un jeune Cousmains lui en détailla les histoires. Chaque bateau avait la sienne. Dans un pays où le bois vient de ce que la mer rejette, aucune embarcation n’avait la même structure.
- Tu vois, Homme-oiseau, ceux-là c’est des “coulepasvite”.
- Des coulepavite ?  Qu’est-ce que c’est ?
- Si tu veux rester à flot, il faut écoper tout le temps, répondit le jeune en rigolant. Tiens, regarde celui-là ! c’est mon préféré.  C’est celui de Sounka. Il l’a capturé lors de la dernière razzia. C’est Rémaïkhan qui lui prend tout le temps parce que c’est le meilleur mais c’est bien à Sounka.
- Qui est Sounka ?
Le jeune regarda autour de lui, cherchant du regard Sounka.
- Tu vois, celui qui monte avec la nourriture vers la vieille femme, là-haut ?
- Celui qui boîte ?
- Oui ! Il a pris un mauvais coup à sa première razzia. Il a jamais eu de chance. Son père s’est fait tuer quand il était petit. Lui et sa mère z’ont vécu du partage jusqu’à ce qu’il puisse partir. Mais même-là, il a pas ramené beaucoup de butin, juste une sale blessure qui lui fait traîner la patte. Rémaïkhan lui y sait s’battre, c’est pour ça qu’il est chef. Il a toujours ramené beaucoup de butin. C’est pour ça qu’il continue à avoir plus que les autres même quand y’a pas de butin.
- Et Sounka, il sait bien naviguer ?
- Ah ! Ça c’est sûr ! Il ne s’est jamais perdu. On le prend dans la flottille pour ça, parce qu’au combat, y vaut pas l’coup.
- Est-il mauvais au combat ?
- C’est pas ça, mais il est trop lent. Vaut mieux qui reste sur le bateau.
- Et ce bateau d’où vient-il ?
- D’une razzia ! Un groupe était parti avec Sounka sur un coulepavite. Quand ils ont débarqué dans la crique, ils sont tous descendus pour l’attaque. Sounka était resté pour vider l’eau. Ils avaient caché l’embarcation dans des buissons. C’est de là qu’il a vu arriver ce bateau. Ses occupants ont fait comme nous, mais de l’autre côté de la plage. Il les a vus partir une fois qu’ils l’eurent camouflé. Quand les nôtres sont revenus, Sounka avait dégagé le bateau étranger et avait réussi à le remettre à flot. Heureusement car les gens de la ville avaient lancé la chasse. Grâce à Sounka et son bateau, ils ont pu dégager vite malgré les flèches. Si y zavaient dû repartir avec le coulepavite, ils seraient tous morts.
- Pourquoi ?
- Il était lourd et lent. Alors que ce bateau tu l’verrais, une flèche ! Léger et solide ! Sounka l’entretient tous les jours. Il l’appelle Haafefe.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Ça parle du vent et de vitesse.
Lyanne fut empli de la certitude qu’il avait trouvé l’homme qui le guiderait.
- Dis-lui que j’aimerais le voir pour lui parler de son bateau.
L’enfant partit en courant en criant le nom de Sounka. Cela attira l’attention des présents. Ils jetèrent un regard interrogatif vers Lyanne. Rémaïkhan s’approcha de lui :
- Que se passe-t-il avec Sounka ?
- Les hommes-oiseaux ont besoin de voler. Quoi de meilleur que le Haafefe pour le faire ?
- Je peux t’emmener partout où tu as besoin.
- Tu es un guerrier, Rémaïkhan et un grand guerrier, comme tous ces messagers qui sont venus aujourd’hui. Là où je vais, je dois arriver en paix.
- Où vas-tu ?
- Dans une île où le feu de la terre bouillonne en permanence.
Rémaïkhan resta sans voix. D’autres s’approchèrent, demandant ce qui se passait. Rémaïkhan leur donna la réponse de Lyanne. Tous se retrouvèrent en silence sauf un qui déclara :
- Parle-t-il de l’île de la mort ?
Rémaïkhan lui fit signe trop tard de se taire. Lyanne tourna ses yeux aux pupilles d’or vers lui :
- Tu sais de quoi je parle. Dis m’en plus…
L’homme avala sa salive :
- En fait, Homme-oiseau, je ne sais rien de plus que ce que disent les légendes.
- Bien, que disent les légendes ?
- Derrière le mur des tempêtes se trouve un endroit où la terre, l’eau et le feu bouillonnent ensemble dans un univers interdit aux mortels. C’est déjà la terre des dieux.
- Alors tu sais où aller..
- NON ! On ne va pas derrière le mur !
L’homme s’était décomposé. Les autres, pourtant tous farouches guerriers, n’en menaient pas large non plus. Sounka arriva à ce moment-là. Visiblement mal à l’aise de voir tous ces grands personnages autour de son bateau et de l’homme-oiseau. Lyanne le regarda. Il ne le sentait pas en difficulté, juste mal à l’aise d’être ainsi exposé à tous ces regards.
- Connais-tu le mur des tempêtes ? lui demanda Lyanne.
- C’est un endroit difficile.
- Tu y as déjà été.
Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Sounka regarda Lyanne dans les yeux.
- Oui,...
L’air se remplit de murmures de désapprobation et de peur.
- …, c’est le seul endroit où l’on trouve du poisson quand tous les autres sont vides.
- Saurais-tu y retourner ?
- La saison des pluies est mauvaise pour naviguer. Je préférerais attendre.
- Mon désir est autre, répondit Lyanne.
- Tu as apporté la pluie, Homme-oiseau. Tu as apporté du poisson. Ma vieille mère là-haut t’a vu. Si tel est ton désir, j’irai. Tes pas sont bénédictions.
- Quand pourrais-tu partir ?
- Quand tu le désires, répliqua l’homme.
- Tu es fou, Sounka, dit Rémaïkhan. Un homme-oiseau a des pouvoirs que tu n’as pas. Peux-tu affronter les tempêtes ?
- Haafefe le peut et je serai dessus.
Lyanne regarda les hommes débattre de ce voyage. Sounka n’avait pas les peurs qui habitaient les autres. Ne connaissant pas les légendes des Cousmains, Lyanne ne comprenait pas l’interdiction d’aller là-bas. Les mots “sacré” et “tabou” revenaient tout le temps dans la conversation avec “homme-oiseau”. Au bout d’un moment, un des chefs de clan dit :
- Convoquons une assemblée ! Elle nous dira quoi faire.

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